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Le Figaro Magazine – Le discours d’orientation que, cette semaine à Tours, vous avez prononcé avant votre élection à la présidence a frappé par sa vigueur. Est-ce pour rompre l’atonie du discours ou seulement pour réveiller les cadres que vous avez adopté ce ton de bretteur ?
Jean-Luc Cazettes – Les deux, si je puis dire. Il n’y a plus de discours social, car il n’y a plus qu’un seul et unique discours. Le monde syndical, qui s’est mis au diapason du discours institutionnel, a perdu toute disposition à la contestation. Au nom d’un pseudo-réalisme qui permet de tout avaliser, il a renoncé à imaginer l’avenir. Est-ce une conséquence de la fin du communisme et de la dévaluation de l’utopie marxiste ? Je ne sais. Force est de constater l’impérative nécessité de rétablir l’esprit critique.
F.M. – Vos Propos sur les 35 heures ne sont pas à l’unisson des satisfécits délivrés par Martine Aubry et de Nicole Notat. Quel bilan en faites-vous ? Quelles incidences pour les cadres que vous représentez ?
J.-L. C. – La réduction du temps de travail ne se décrète pas par la loi. La CGC ne s’était pas privée de le dire. Elle avait même négocié un accord avec le patronat encore appelé CNPF. Accord auquel ledit patronat n’a malheureusement jamais donné suite. Le seul résultat positif des 35 heures, c’est la relance de la négociation dans les branches et dans les entreprises. Mais le prix risque d’être lourd en flexibilité, en perte de pouvoir d’achat, voire en compétitivité des entreprises, sans pour autant aboutir à la création d’emplois. Ne nous leurrons pas, les 35 heures ne créent que des emplois virtuels.
F.M. – Vous vous êtes livré à une violente critique de l’économie financière, fustigeant « l’économie virtuelle des marchés financiers, de la spéculation, du moins-disant social ». Vous dénoncez le transfert du risque des actionnaires aux salariés et affirmez que ceux-là servent désormais de « variable d’ajustement ».
J.-L. C. – L’impérialisme des marchés financiers est le vrai problème auquel nous sommes confrontés. Tout le reste découle de là. On organise une société de rentiers aux dépens du dynamisme et du développement de nos entreprises. On tue l’esprit entrepreneurial. On se croirait revenu au temps de M. Guizot. Les grands groupes préfèrent faire travailler leur trésorerie plutôt que de créer, de produire et de commercialiser, ce qui devrait être normalement leur vocation.
Les cadres et l’ensemble des salariés en souffrent, mais également notre tissu de PME-PMI, dans lequel réside pourtant la clé du développement, comme le montrent les exemples étrangers à la France.
F.M. – Vous affichez la conviction que l’on peut revenir sur cette évolution ?
J.-L. C. – Je suis même persuadé que cette tendance mortifère touche à sa fin, car ses excès mêmes sont en train de la contrecarrer, pas seulement en France.
F.M. – Vous proposez de relancer l’actionnariat et la participation, comme « enjeu rénové de pouvoir ». Y croyez-vous vraiment ?
J.-L. C. – Dans le combat contre les puissances financières, l’actionnariat et la participation peuvent devenir un véritable enjeu de pouvoir pour l’encadrement. Souvent, dans les groupes, les actionnaires salariés représentent le plus gros porteur privé. Ils n’ont pas encore pris conscience de leur pouvoir. Avec l’actionnariat et l’investissement de leur participation, ils pourraient jouer pour le développement de leur entreprise un rôle aussi important celui que les fonds de pension américains jouent contre leurs emplois. D’ores et déjà, la CFE-CGC inscrit cette perspective dans les axes du développement de son syndicalisme.
F.M. – Vous réclamez une négociation sur le « statut de l’encadrement ». La notion d’encadrement n’a-t-elle pas évolué considérablement au cours des deux dernières décennies, au point de faire douter du syndicalisme cadre ?
J.-L. C. – Contrairement à toutes les prédictions, la pertinence de la notion de cadre est réapparue en pleine lumière à l’occasion du débat sur les 35 heures. Contrairement à certaines manipulations de chiffres, effectuées avec la complicité du ministère du travail, la CFE-CGC est de très loin la première organisation des cadres dans les résultats des élections professionnelles. C’est à ce titre que je demande au président du Medef d’ouvrir une négociation afin de remettre à jour le statut des cadres qui, aujourd’hui, est périmé dans ses grandes lignes.
Le cadre ne se définit pas par les barrettes qu’il peut avoir sur ses épaules, mais par son degré d’engagement, de compétences et de responsabilité. IL n’en demeure pas moins un salarié différent. La meilleur preuve : 70 % des salariés aspirent à devenir cadres…
F.M. – Vous êtes aussi le président de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. A ce titre, vous vous êtes fait connaître par des positions plus que critiques à l’encontre des orientations et théorèmes du patronat. A tours, vous avez affirmé qu’il était possible d’adapter le financement des retraites à l’allongement de l’espérance de vue et avez lancé la proposition d’une contribution sociale sur la consommation. Comment la justifiez-vous ?
J.-L. C. – Il faut cesser de dire que la question des retraites est insoluble. Il n’y a pas de problème de retraites à moyen terme. Est-il pensable qu’une société qui aura doublé sa richesse ne puisse assurer une retraite décente à un même nombre de ses citoyens ? En fait, la seule difficulté est celle de la répartition des richesses produites entre les revenus du travail et les revenus financiers.
Si nous n’inversons pas la tendance persistante à la baisse des revenus du travail, il faudra trouver des financements complémentaires. Sur la richesse produite par les entreprises ou sur des éléments reflétant le mieux la croissance. Par exemple : la consommation. Ce qui aurait le mérite de faire financier nos retraites par les biens et services importés grâce à un dumping à la fois social, monétaire et écologique des pays émergents.
F.M. – Votre élection annonce-t-elle le retour d’un syndicalisme cadre frondeur et poil à gratter ; bref, d’une stratégie offensive ?
J.-L. C. – La CFE-CGC est une organisation responsable. Pour autant, elle ne s’interdit pas la critique. Sa vocation n’est pas d’avaliser et de relayer le discours dominant et ces étranges pratiques consensuelles. Sa responsabilité lui commande de dénoncer les dysfonctionnements de notre société et de s’engager fortement pour une économie qui pense enfin à mettre l’homme au centre de ses préoccupations.