Texte intégral
J.-P. Elkabbach
Le Premier ministre va arbitrer à partir d'aujourd'hui sur les difficultés créées par la seconde loi sur les 35 heures. Entre D. Strauss-Kahn et M. Aubry les premières décisions de M. Jospin sont importantes et vont coûter cher. Le PS est consulté. Quelle est votre préférence ?
F. Hollande
- « D'abord il s'agit de préparer la deuxième loi sur les 35 heures, c'est-à-dire de faciliter les négociations et l'application des 35 heures, ce qui suppose d'alléger les cotisations sociales sur un grand nombre d'entreprises, précisément celles qui créeront des emplois. Notre idée c'est de baisser les charges sociales pour les entreprises qui créent de l'emploi avec les 35 heures. Comment financer les cotisations sociales. Le Parti socialiste est favorable à ce qu'il y ait d'autres facteurs de production qui soient sollicités, il est, n'est pas normal que les cotisations sociales soient assises sur le seul travail. »
J.-P. Elkabbach
Il y a eu la proposition faite par D. Strauss-Kahn, sur Europe 1 : l'écotaxe ; il y a la taxe à la valeur ajoutée, préférée par M. Aubry. Entre les deux ?
F. Hollande
- « Il y a plusieurs techniques. Nous pensons qu'il faut éviter que ce soit les salaires et uniquement les salaires qui servent d'assiette pour le financement de la sécurité sociale et pour le prélèvement des cotisations sociales. Deux solutions sont possibles : soit on taxe tout ce qui pollue - et c'est vrai que c'est assez logique que les entreprises qui polluent participent davantage au financement de la Sécurité sociale. Ce qui peut rapporter entre 5 et 10 milliards de francs, tout dépend de l'importance de la contribution. Soit on élargit à d'autres facteurs de production - les machines -, mais ça peut avoir un effet négatif sur l'investissement. Soit on utilise les profits des entreprises. Donc, vous voyez, il y a plusieurs options. »
J.-P. Elkabbach
Mais votre préférence ?
F. Hollande
- « Dans cette affaire, je n'ai pas de préférence. Je prendrai la technique qui m'assurera le plus rentrées possibles, qui évitera que les salaires soient les seuls facteurs de production taxés, parce que je pense que lorsqu'on veut favoriser l'emploi il faut alléger le coût qui pèse sur l'emploi. »
J.-P. Elkabbach
Donc, quand on est un député de gauche et à la tête de...
F. Hollande
- « Donc quand on est un député de gauche, quand on est un député surtout conscient qu'il faut favoriser l'emploi, il faut éviter que les entreprises payent trop de charges, notamment sur leur main-d'oeuvre non qualifiée. C'est pourquoi je crois qu'il faut absolument élargir l'assiette de la sécurité sociale, donc du financement de la sécurité sociale. Ce qui veut dire : aller au-delà des salaires. Et moi je suis très ouvert : soit c'est la taxe sur la pollution, soit c'est l'impôt sur les sociétés, soit c'est la valeur ajoutée en tant que telle. Mais on peut trouver là-dessus un compromis. Évitons de poser les questions de façon contradictoire. Tout ce qui permettra d'alléger les coûts salariaux pour les entreprises qui rentreront dans le processus des 55 heures, et qui créeront de l'emploi sera bon à prendre. »
J.P. Elkabbach
Il y aura plusieurs étapes. D'abord il y aura peut-être deux ans, d'ici à 2001-2002...
F. Hollande
- « Voilà ! Je crois qu'on peut le faire en deux étapes : une première étape qui peut aller de 10 à 15 milliards ; et à ce moment-là on peut trouver des techniques appropriées. C'est-à-dire que je suis favorable à ce qu'on utilise effectivement l'impôt sur les sociétés et puisqu'on devait le baisser, eh bien écoutez, on mettra plus de temps à le baisser ! On peut utiliser la taxe sur les entreprises polluantes, puis aller vers un système qui touchera la valeur ajoutée. Mais je fais une distinction : il s'agit de prendre en compte la valeur ajoutée, il ne s'agit pas d'augmenter la TVA, car la TVA doit baisser au contraire. Donc, ne faisons pas de confusion là-dessus. »
J.-P. Elkabbach
Donc, on peut l'imaginer en deux étapes ?
F. Hollande
- « Je pense qu'on peut l'imaginer en deux étapes parce qu'il faut avoir une position par rapport au montant à trouver. »
J.-P. Elkabbach
La deuxième étape ce serait combien : entre 30 et 40 milliards pour le financement ?
F. Hollande
- « Oui, disons une trentaine de milliards. »
J.-P. Elkabbach
Donc le problème se reposera à ce moment-là ?
F. Hollande
- « Mais on peut régler le problème en deux étapes tout en les prévoyant d'ores et déjà. »
J.-P. Elkabbach
Comment répondez-vous à R. Hue qui vous disait, hier sur TF1 : « Il faut ancrer le PS et le Gouvernement plus à gauche » ?
F. Hollande
- « Écoutez, quand on fait justement des baisses de cotisations sociales pour la création d'emploi et pour les 55 heures, je crois qu'on rompt avec la politique qu'avait mené notamment A. Juppé, qui avait donné des baisses de cotisations sociales sans contrepartie aux entreprises et qui avait augmenté la TVA - justement ce qu'il ne faut pas faire. »
J.-P. Elkabbach
Et vous, vous ne risquez pas de pénaliser un certain nombre d'entreprises qui marchaient bien ?
F. Hollande
- « Justement alors ! Baissons leurs cotisations sociales dès lors : qu'elles créeront des emplois, ce qui est quand même l'objectif des 35 heures. Je pense, qu'on va dans le sens et du progrès économique et du progrès social. »
J.-P. Elkabbach
La Corse : l'opposition est maintenant d'accord pour censurer le Gouvernement Jospin, elle le fera dans les prochains jours, elle veut punir le Gouvernement. Qu'en pensez-vous ? Elle a raison de le faire, elle a même eu tort de ne pas le faire plus tôt, non ?
F. Hollande
- « L'opposition utilise la Corse pour l'Europe, si je puis dire. C'est-à-dire que, comme elle est divisée, comme elle se querelle, elle essaye de trouver un sujet - la Corse - pour préparer les élections européennes. »
J.-P. Elkabbach
Mais ce n'est pas un petit sujet, entre nous ?
F. Hollande
- « Non, mais c'est un sujet qui mérite beaucoup de sérieux. Et je ne crois pas que ce soit en faisant une polémique politique que la droite rend service à la Corse et au pays. Mais puisqu'il y aura - c'est leur intention - motion de censure, allons-y et regardons les politiques des uns et des autres dans le passé, et puis aussi les propositions des uns et des autres. Quelle est la politique du Gouvernement en Corse ? C'est de rétablir l'État de droit, pour tout le monde et y compris lorsque ce sont des agents d'autorité qui se comportent mal, eh bien ils doivent être sanctionnés ; ils l'ont été ; la justice doit travailler et elle a travaille en toute sérénité et en tout indépendance. Et puis il faut développer économiquement l'île, assurer son identité culturelle. Bref, c'est la politique du Gouvernement. Quelle est la politique de la droite en Corse ? C'est d'être respectueuse de l'État de droit ?! On voit M. Rossi qui fait alliance avec les nationalistes - c'est-à-dire ceux qui soutiennent les actions terroristes - dans sa propre Assemblée territoriale ! C'est de demander, comme M. Rossi, une autonomie encore plus grande, - « une délégation », dit-il M. Rossi, président de l'Assemblée territoriale, président également du groupe Démocratie Libérale à l'Assemblée nationale - de donner une délégation de pouvoir législatif à l'Assemblée territoriale ?! M. Sarkozy dit exactement le contraire. Et troisièmement, même sur ce sujet ridicule des paillotes - souvenons-nous de ces images où on avait M. Léotard qui faisait rempart de son corps pour qu'on ne détruise pas les paillotes qui, malgré tout, devaient être détruites par des moyens légaux, et M. Rossi qui faisait, des délibérations à l'Assemblée territoriale corse ! Eh bien écoutez, on parlera de tout ça - j'y suis prêt - au moment du débat de censure à l'Assemblée nationale. »
J.-P. Elkabbach
Il y a plusieurs remarques : d'abord la crise corse ne va pas s'arrêter en Corse ; on peut penser que ça va affaiblir le Gouvernement. Et quand on attaque sur la responsabilité politique, comme l'on fait P. Douste-Blazy et N. Sarkozy, le Premier ministre, on peut penser : qu'ils n'ont pas tort de poser au moins le problème ?
F. Hollande
- « Mais tous les problèmes méritent d'être posés. Qu'est-ce qu'a fait le Gouvernement depuis que ces événements scandaleux ont été révélés ? Elle fait travailler ra justice en toute indépendance. Qui peut dire la même chose sur les années qui viennent de s'écouler ? »
J.-P. Elkabbach
Au passage, au passage, si...
F. Hollande
- « Rechercher la vérité. Qui peut dire que dans cette affaire la vérité n'a pas été cherchée et même trouvée ? Qui peut dire que le Gouvernement n'a pas cette fermeté nécessaire en Corse pour rétablir l'autorité de l'État ? »
J.-P. Elkabbach
Vous assistez avec le Premier ministre, chaque mardi, à une réunion de travail à Matignon, ce sont les petits déjeuners politiques. A quel moment et dans quelles circonstances, les premiers soupçons sont apparus sur les méthodes ou le caractère du préfet Bonnet, si ça a été le cas ?
F. Hollande
- « Ces dernières semaines les reproches à l'égard du préfet Bonnet portaient sur son zèle - « sur son excès de zèle », disait ses détracteurs - quant à l'application de la loi. Mais personne ne pouvait supposer qu'il commettait ou il pouvait commettre des actes irréguliers ! Personne ne le disait ! Pas plus d'ailleurs ses adversaires en Corse. Ce qu'on lui reprochait c'est d'être extrêmement tatillon, voire même rude dans l'application de la loi. Ce qui n'est quand même pas la même chose que de commettre des actes illégaux. »
J.-P. Elkabbach
Sur l'avenir de la Corse, est-ce que vous pourrez échapper à une discussion sur l'avenir du statut de la Corse, autonomie ou pas ? Et j'ai envie de vous demander : à quelle condition l'État accepterait d'associer à une discussion sur l'autonomie, en plus des élus corses, des autonomistes corses qui aujourd'hui sont démasqués et décagoulés ?
F. Hollande
- « Mais les socialistes et la gauche ont toujours été favorables à des évolutions de statuts pour la Corse notamment. Nous en avons fait voter deux, je dois le rappeler, avec la totale opposition de la droite. Si aujourd'hui encore des évolutions sont nécessaires, pourquoi pas ? Mas il y a un préalable. Le préalable c'est qu'il y ait le respect de la loi ; c'est qu'il y ait l'arrêt des violences, qu'il y ait l'arrêt des cagoules, l'arrêt du terrorisme, l'arrêt de cette organisation un peu mafieuse ... »
J.-P. Elkabbach
C'est à-dire que vous demandez aux indépendantistes d'arrêter les attentats et les violences, c'est ça ? D'abord ?
F. Hollande
- « C'est quand même ce que les Français globalement attendent Nous sommes, là, je crois, le reflet de ce que pensent nos compatriotes, nous sommes ouverts à l'égard de certaines évolutions, mais le préalable c'est qu'on arrête les plasticages ! Tout cela coûte quand même de l'argent aux contribuables chaque fois qu'on fait exploser des bâtiments publics, chaque fois qu'on demande plus d'aides à la Corse, sans contrepartie ! Je crois qu'il y a quand même un moment où il faut poser très clairement la règle vous arrêtez les violences, vous arrêtez les plasticages, vous arrêtez les revendications sans cesse plus coûteuses et puis on se met autour de la table. Tout ça est possible. »
J.-P. Elkabbach
Mais qui se met autour de la table ?
F. Hollande
- « Mais ceux qui sont les représentants légitimes des Corses, ceux qui ont été élus mais qui prennent la position - et pas simplement une position -, qui fassent arrêter ces scandales, ces violences, ces plasticages ... »
J.-P. Elkabbach
Ces corruptions ...
F. Hollande
- « ... ces corruptions. Et quand M. Rossi, toujours lui, dit « qu'il faut plus de pouvoir législatif délégué l'Assemblée territoriale » mais si la loi n'est pas respectée, y compris au plan local, si on s'arrange, si on fait des compromissions, si on fait des petits compromis avec le terrorisme, alors ça ne peut pas marcher. »
J.-P. Elkabbach
Au bout du compte, on discute au Parlement ou dans le pays, on consulte les Français, les continentaux, taus les continentaux, les Corses ?
F. Hollande
- « Pour l'instant, je l'ai dit, le préalable, c'est que ceux qui se livrent à des exactions, ceux qui se livrent à du pillage - car il s'agit de cela -, ceux qui livrent à des braquages, qui se livrent à des chantages, cessent leurs actes et leur propagande ! Et puis après on peut discuter, et le cadre de cette discussion c'est le Parlement. »
J.-P. Elkabbach
Un mot : ce soir Israël aura sans doute un Premier ministre. Entre Netanyahou et Barak lequel préférez-vous ?
F. Hollande
- « Je choisis la paix, et la paix c'est le travailliste, c'est-à-dire le socialiste Barak. »