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Armées d’aujourd’hui : le secrétariat d’Etat aux anciens combattants vient d’être rattaché au ministère de la Défense. Pourquoi cette évolution ?
M. Jean-Pierre Masseret : C’est de mon point de vue une bonne décision. Il y a une filiation évidente entre la Défense et les anciens combattants. La Défense concerne les combattants. Le secrétariat d’Etat aux anciens combattants gère la situation qui intervient à l’issue des combats ou d’opérations dans lesquels les soldats ont été engagés. Cette évolution ne doit pas surprendre. Le rattachement à la Défense me semble être la norme. Car ces deux entités procèdent des mêmes valeurs.
Pourquoi mène-t-on un combat ? Pour défendre son pays sur la base de valeurs, de la défense de la liberté et d’intérêts vitaux.
Qui mène ce combat ? Des combattants qui deviendront nécessairement d’anciens combattants. Il y a là une totale cohérence. Les anciens combattants et les associations, qui avaient pu regretter que le ministère des anciens combattants soit devenu un secrétariat d’Etat, ont été satisfaits du rattachement. C’est une évolution qui allait donc de soi.
Armées d’aujourd’hui : Mais le secrétariat d’État aux anciens combattants est aussi celui des victimes de guerre et englobe donc une population plus large que celle des seuls combattants ?
M. Jean-Pierre Masseret : En effet, mais je pense là encore qu’il y a cohérence. Le secrétariat d’Etat compte aujourd’hui 3 millions 500 000 ressortissants : soldats, prisonniers de guerre, déportés, internés, parmi eux des personnes qui ont été à la fois combattants, puis résistants, puis déportés. Ils sont tous des victimes de guerre, ayant tous subi des dommages liés à l’état de guerre. Dans le même esprit, nous gérons également les victimes civiles des attentats, considérant que les blessures occasionnées par ces attentats se rapprochent de blessures de guerre. Dans ce domaine du traitement des blessures de guerre, le secrétariat d’Etat peut se prévaloir d’un savoir et d’un savoir-faire avérés.
Si l’on se penche sur la diversité du monde « ancien combattant », on observe qu’il est riche d’Histoire et d’histoires. Toutes ces femmes et tous ces hommes vivent intensément le présent, marqués à jamais par l’Histoire qu’ils ont vécue et qu’ils ont faite. Nous leur devons de vivre dans un pays libre.
Le ministère des anciens combattants est donc un ministère où l’on côtoie quotidiennement l’Histoire et les valeurs qui font la République mais aussi des drames humains incommensurables et des aventures personnelles exceptionnelles, des destins !
Armées d’aujourd’hui : Outre ces diversités historiques et chronologiques, n’y a-t-il pas aussi une complexité géographique avec le cas spécifique des anciens combattants issus de l’empire français, aujourd’hui ressortissants de pays indépendants ?
M. Jean-Pierre Masseret : Certains anciens combattants ont effectivement changé de nationalité après leur engagement dans les rangs français. Leurs pensions ont été gelées à hauteur qu’elles étaient au moment de l’indépendance de leurs pays respectifs. La solution consisterait à revaloriser ces pensions. Mais c’est financièrement impossible, tout le monde le comprend bien. L’objectif est d’agir progressivement, en fonction des possibilités budgétaires, pour corriger une situation qui peut sembler injuste. Dans l’instant, il est difficile de donner satisfaction. Le secrétariat d’Etat, quand il le peut, fait des avancées. Cela reste un devoir moral à l’endroit des hommes qui ont combattu dans nos rangs.
Armées d’aujourd’hui : Comment s’articulera votre action à la tête du secrétariat d’Etat ?
M. Jean-Pierre Masseret : Mon action peut se décliner en trois volets. Le premier d’entre eux concerne la réparation, c’est-à-dire le devoir de reconnaissance morale et matérielle à ceux qui se sont engagés activement pour leur pays. Depuis la création d’un ministère des anciens combattants en 1920 notre pays a toujours consenti des efforts pour les anciens combattants. Et ceci sur la base de la fameuse déclaration de Clemenceau faisant référence aux Poilus de 14-18 : « Ils ont des droits sur nous. » Ce postulat a perduré et constitue le socle qui légitime le devoir de réparation.
Deuxième volet de notre action : la solidarité. Certains, après les traumatismes vécus, ont eu un déroulement de vie ou de carrière peu satisfaisant, restant parfois en marge de la société. Nous devons nous préoccuper de leur sort, prendre des mesures de solidarité, examiner en détail telle ou telle situation individuelle, tenter de ne pas les laisser au bord du chemin. Il faut là encore disposer de moyens financiers. L’Office national des anciens combattants (ONAC) apporte des contributions sociales importantes. Des mesures budgétaires ont été prises qu’il faudra sans doute élargir.
Troisième volet et non des moindres : celui de la mémoire. L’engagement des anciens combattants s’est fondé sur les valeurs de la République. Il s’agit d’entretenir cette mémoire et de la proposer aux jeunes générations. Le ministère se doit d’accompagner et de relayer ce qui est fait dans ce domaine, notamment ce qui est initié par les associations. Il faut également travailler avec l’Education nationale et prendre une part dans la future journée consacrée à la Défense. On sent bien le besoin qu’exprime la jeunesse de connaître son histoire et d’être en lien avec ses racines.
Armées d’aujourd’hui : Les associations d’anciens combattants sont nombreuses. Quel rôle jouent-elles ?
M. Jean-Pierre Masseret : Elles sont nombreuses et diversifiées parce qu’elles regroupent toutes les situations auxquelles les gens ont été confrontés ; mais elles ont eu tendance à se rassembler par « affinités ». Leur rôle est de défendre, comme le feraient les syndicats par exemple, les intérêts moraux et matériels de leurs adhérents, de faire prévaloir ce qu’ils croient être juste en matière de réparation et de reconnaissance de la Nation. Elles viennent me voir avec des dossiers portant évolution ou développement de tel ou tel statut. Elles ont une fonction plus forte encore, sur laquelle on ne peut transiger : porter témoignage de ce que sont les valeurs de la République incarnées par des gens capables, dans des circonstances extrêmement dangereuses, de sacrifier leur vie pour leur pays. Nul questionnement ne les guidait dans cet engagement presque instinctif ; ils ont agi. Cela mérite considération et respect.
Armées d’aujourd’hui : Afin de préserver le lien entre l’Armée et la Nation, et au moment où la France décide de professionnaliser son Armée, quel peut-être le rôle de ceux qui ont été les acteurs et qui demeurent les témoins de l’implication de notre société pour la défense de ses valeurs ?
M. Jean-Pierre Masseret : Il faut continuer d’établir un lien entre les générations. Ce lien était assuré jusque-là par le service national, l’Education nationale et par le monde ancien combattant. L’un des trois vecteurs, et sûrement le plus important, va disparaître. Ce qui pose des problèmes. Notamment en ce qui concerne les Réserves. Cela dit, le monde ancien combattant et l’Education nationale subsistent. Le défi doit être traité en synergie, en cohérence, les énergies doivent être fédérées. J’ai récemment employé une expression devant des anciens combattants : « On va vous rappeler sous les drapeaux ! ». Nous aurons besoin d’eux et ils auront des choses à dire, car ils se sont engagés sur des valeurs. Le conseil national de la Résistance constitue une référence quant aux propositions qui ont été faites et qui ont déterminé, qui déterminent encore, notre histoire nationale.
Qu’est-ce que la Défense ? C’est la prise en compte des intérêts vitaux d’un pays. La nation toute entière doit se sentir intégrée à ce concept. C’est l’affaire de chaque citoyen ; par l’intermédiaire de l’école bien sûr ; et par tout ce qu’on pourra organiser autour de l’école et de la journée de Défense. Il reste beaucoup à faire. Une nouvelle culture est nécessaire. Ainsi, dans les sondages, quand on demande aux Français sur quel budget on pourrait faire des économies, ils répondent la Défense. Pourtant, les sources de préoccupation sont devenues plus diffuses et plus multiples qu’au temps de la guerre froide. Il faut rester vigilant. La disparition du service national ouvre un champ nouveau à ce pays qui aura tout intérêt à bien maîtriser cette situation.