Texte intégral
Michel FIELD : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Même si les élections européennes, on en parle depuis un moment dans « Public », nous commençons là, toute un série d'émissions qui vont voir se succéder les têtes de liste des principales formations politiques pour cette campagne aux élections européennes. Donc l'équité et l'équilibre s'imposent. Je reçois donc ce soir dans la première partie de cette émission, Bruno Mégret, qui dirige la liste Front national mouvement national, et puis après la coupure de publicité vers 19 h 20 - 19 h 25, Jean-Marie Le Pen pour la deuxième partie de l'émission. Cette mécanique, nous la retrouverons modulée, la semaine prochaine, par exemple Robert Hue sera mon invité mais l'émission sera précédée d'un entretien que j'aurai eu auparavant avec Jean Saint-Josse (phone) de Chasse Pêche Nature et Traditions qui est une liste qui est créditée par les sondages, quelquefois plus que la vôtre Bruno Mégret, vous le savez…
Bruno MEGRET : On en reparlera…
Michel FIELD : On en reparlera. Charles Pasqua sera mon invité le 23 mai. L'émission sera précédée ou commencera avec un duplex en direct de la fête de Lutte ouvrière avec Arlette Laguiller et Alain Krivine et puis deux débats clôtureront cette série d'émissions : le 30 mai, Nicolas Sarkozy face à François Hollande et le 6 juin, François Bayrou face à Daniel Cohn-Bendit. Ainsi, en un mois, nous aurons essayé de tenir bon pour faire parler tout le monde et que toutes les voix puissent s'exprimer pour cette campagne électorale. Bruno Mégret, je vous remercie d'être là ; on passe une première page de pub et puis on démarre notre entre de 20-25 minutes.
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Michel FIELD : Retour sur le plateau de « Public ». En première partie donc, Bruno Mégret pour la liste Front national mouvement national. Bruno Mégret, les enquêtes d'opinions dont il faut toujours se méfier, on ne le dit jamais assez, mais là elles convergent sur le fait tout simplement que la scission opérée au sein du Front national, affaiblit les espérances que vous pouviez avoir les uns et les autres sur un score, et surtout – je pense à l'enquête réalisée par la SOFRES pour RTL-LE MONDE – une sorte de crise de confiance, c'est-à-dire qu'on a l'impression que vos idées reculent dans l'opinion parce que les Français se rendent compte que cette guerre fratricide finalement est peut-être le symptôme je ne sais pas… d'une incapacité à mettre de l'ordre dans le pays, si on n'est pas capable de mettre de l'ordre dans sa propre famille politique.
Bruno MEGRET : Au contraire. Je dirais que la manière dont nous avons résolu la crise du Front national, démontre notre capacité à surmonter les crises ; et c'est toute la différence d'ailleurs soit dit en passant, avec ce qui se passe dans les partis de l'établissement. Il y a eu une crise au RPR, qu'est-ce qui se passe ? Rien du tout. Ils colmatent simplement les brèches mais les problèmes demeurent. Alors qu'au Front national, la première crise que nous avons eue en 25 ans, immédiatement nous avons pris des mesures, des hommes et des femmes se sont dressés à travers le mouvement pour dire : non, on ne va pas laisser tout partir à vau-l'eau ; il faut faire quelque chose, il faut prendre une initiative, réunissons-nous, organisons un congrès. Et ça justement parce que les gens qui composent notre mouvement sont désintéressés. Ils ne se sont pas préoccupés de savoir si c'était bon pour eux ou pas, s'ils allaient garder ou pas leur mandat, comme c'est trop souvent le cas dans la classe politique. Ils ont brûlé leur vaisseau, ils ont franchi le Rubicond ; ils ont accepté de tout risquer personnellement pour tout sauver collectivement et ça, c'est le signe d'un mouvement politique qui est capable de jouer un rôle historique parce qu'il n'y a pas de grande entreprise politique qui puisse être réalisée sans que de grands risques ou de grands sacrifices soient consentis. Donc c'est tout le contraire.
Michel FIELD : C'est tout le contraire, donc vous voulez essayer de me faire croire que, alors que vous pouviez espérer, je ne sais pas, 10, 12, 15 % pour la liste du Front national, vous en êtes à espérer passer la barre des 5 % ne serait-ce que pour être remboursés de vos frais de campagne.
Bruno MEGRET : Ça, c'est vous qui espérez pour moi…
Michel FIELD : Je n'espère rien, je constate.
Bruno MEGRET : Moi j'espère beaucoup plus et je compte sur beaucoup plus. D'abord vous le verrez, le total des voix Front national fera plus à mon avis que ce qu'on faisait avant ; et surtout, nous allons créer la surprise. Vous parliez des sondages tout à l'heure, mais il n'y a que des sondages minoratifs qui sont médiatisés. On n'a jamais parlé du sondage où nous sommes à 6 % par exemple. De surcroît, ces sondages nous sous-évaluent car un succès de notre liste, de la liste du mouvement national que je conduis, ce sera un événement politique nouveau d'importance. Or jamais les sondages n'ont prévu ce genre d'événement. Que ce soit le Front national à son émergence en 84, que ce soit monsieur de Villiers en 94, à trois semaines du scrutin, ils étaient encore en-dessous de 5 %, ils ont terminé à 11 ou à 12. Et moi j'ai un sondage beaucoup plus sérieux que tout ceux dont vous me parlez…
Michel FIELD : Sortez-le nous alors.
Bruno MEGRET : Oui, c'est l'élection partielle de Sainte-Marie-aux-Mines où pour la première fois depuis la crise, nous avons présenté un candidat. Il a fait 25 %, en tête de tous les candidats de toute la classe politique.
Michel FIELD : Il était implanté localement…
Bruno MEGRET : Le candidat lepéniste a fait 2 %. Alors c'est vrai que notre candidat était implanté…
Michel FIELD : Le candidat lepéniste était parachuté comme on dit dans le jargon, on est d'accord.
Bruno MEGRET : En réalité, c'était Le Pen qui faisait campagne. Il y avait des affiches de Le Pen partout. Sur les documents, c'était Le Pen, en fait c'était Le Pen, le candidat. Mais ce n'est pas un hasard si le candidat sérieux implanté était avec nous. Avant, on nous disait : Monsieur Mégret, vous avez les cadres mais c'est Le Pen qui a les électeurs. Eh bien maintenant, on nous dit : vous avez les électeurs parce que vous avez les cadres. Enfin, de toute façon, peu importe, ce qui compte, c'est que sur un sondage en vraie grandeur cette fois, sept mille électeurs consultés dans le secret de l'isoloir – c'est quand même beaucoup plus sérieux que cinq cents ou mille personnes interrogées par téléphone –25 %. Alors je ne dis pas bien sûr… à 25 %... parce que dans ce canton, c'est vrai que nous sommes bien implantés, mais quand on fait 25 % dans ce canton, on fait 15 % en moyenne nationale. Et puis moi je constate que pendant la campagne que je mène, que je mène activement sur le terrain, eh bien il y a une dynamique. Au défilé du 1er mai, nous avons fait huit mille personnes, un public jeune, motivé, enthousiaste.
Michel FIELD : Ce n'est peut-être pas quand même la preuve par excellence parce que tous les observateurs ont quand même noté que chacun des deux cortèges avait finalement été quand même affaibli par rapport aux manifestations traditionnelles.
Bruno MEGRET : Ça, c'est les observateurs qui disent ça mais moi j'ai organisé de nombreuses conventions, une convention sur la place de la femme dans la nation, une convention sur le social qui a lieu actuellement, je fais une réunion dans chaque département, c'est deux cents, cinq cents, mille personnes à chaque fois. Il y a une vraie dynamique, vous verrez qu'on va créer la surprise.
Michel FIELD : À quel chiffre vous seriez satisfait ? De vous dire que finalement cette première épreuve devant le suffrage universel est profitable pour vous ?
Bruno MEGRET : Moi je me fixe un objectif politique beaucoup plus qu'un objectif chiffré, c'est l'objectif d'arriver en tête de toutes les listes anti-Maastricht, de toutes les listes qui prétendent vouloir défendre la Nation.
Michel FIELD : Y compris devant la liste Pasqua – de Villiers ?
Bruno MEGRET : Oui, absolument. Et je vais vous dire pourquoi c'est possible…
Michel FIELD : Pour l'instant, au niveau des sondages, vous en êtes à la moitié, vous le savez ?
Bruno MEGRET : Oui, oui, mais on verra ça. Je vais vous dire : la seule liste pour laquelle il est utile de voter si l'on est pour la défense de la Nation contre Bruxelles, c'est la nôtre, et j'invite tous les Français qui nous écoutent et qui sont dans cette perspective, à bien réfléchir à cela : voter Pasqua, voter Le Pen, ça ne sert à rien. Pour l'un comme pour l'autre, c'est l'élection de trop. Au lendemain du 13 juin, ils ne feront rien de ces voix, c'est terminé.
Michel FIELD : Pourquoi ?
Bruno MEGRET : C'est terminé parce que leur carrière politique va s'achever et parce que monsieur Pasqua est là pour témoigner…
Michel FIELD : Donc pour vous Charles Pasqua et Jean-Marie Le Pen, c'est la limite d'âge au lendemain de l'élection, c'est un peu ça, vous dites ça plus élégamment que moi mais je veux que ce soit bien compris.
Bruno MEGRET : Non, mais il y a un phénomène de relève qui joue, que je sache à l'UDF, c'est Bayrou, ce n'est pas Giscard d'Estaing ; au RPR, c'est Sarkozy, ce n'est pas Chaban et au PS, c'est Hollande, ce n'est pas Dumas…
Michel FIELD : Et au Front national, c'est vous et plus Le Pen.
Bruno MEGRET : Je pense que c'est comme ça que les choses doivent naturellement se passer. Alors j'en reviens à mon propos politique cette fois…
Michel FIELD : Oui, parce que là, c'était plutôt biologique.
Bruno MEGRET : C'est ça qui est important en effet, c'est que pour la première fois, à cause de la rénovation du Front national, il y a un étendard que nous avons fiché en terre, autour duquel peuvent se rassembler tous les électeurs nationaux français. Avant, ceux qui étaient plutôt tentés vers Pasqua, ne pouvaient pas se retrouver avec ceux qui étaient tentés par Le Pen parce que Pasqua ne pouvait pas rassembler les électeurs du Front national – il est pour la régularisation générale des clandestins – et Le Pen ne pouvait pas rassembler les électeurs de Pasqua ou de Villiers à cause des outrances, des dérapages qui l'ont discrédité. Pour la première fois, il y a un étendard autour duquel peuvent se réunir à la fois ceux qui autrefois étaient tentés par un Pasqua ou un Villiers et ceux qui étaient tentés par un Le Pen. C'est quelque chose d'extraordinaire que cette opportunité qui est ainsi donnée aux idées nationales parce qu'elles représentent 20 à 25 % en France ; et si elles se réunissent, eh bien elles ont la possibilité de peser de façon déterminante sur la scène politique française. C'est ça que nous apportons de nouveau dans la vie politique française ; et vous voyez bien que cette rénovation du Front national qui va mettre un terme à la crise qu'a traversé notre mouvement, elle crée en réalité, bien au-delà de la rénovation du Front, des perspectives politiques nouvelles et fondamentales, essentielles, enthousiasmantes, pour ceux qui veulent le retour des idées nationales, la défense de la Nation et des valeurs traditionnelles.
Michel FIELD : Mais pour l'instant, on a l'impression, quand on suit un petit peu vos déclarations à vous et à Jean-Marie Le Pen, d'être atteints d'une sorte de schizophrénie parce que le 1er mai, quand on analyse le discours que vous avez fait l'après-midi, c'était quasiment à des locutions et au mot près, le même que celui de Jean-Marie Le Pen, sur tous les grands thèmes importants, sur votre attitude vis-à-vis de la guerre du Kosovo, sur la politique nationale, sur les critiques contre Amsterdam et contre l'Europe, sur l'anti-américanisme. Qu'est-ce qui vous différencie aujourd'hui ? Qu'est-ce qui pour un électeur tenté de voter Front national, qu'est-ce qui fait qu'il a plutôt intérêt à voter Mégret que Le Pen ?
Bruno MEGRET : Alors sur le plan du programme, c'est vrai qu'il y a peu de différences ne serait-ce que parce que le programme, c'est moi et mes amis qui l'avons rédigé sinon je ne sais pas s'il y en aurait eu un.
Michel FIELD : Donc Le Pen continue à vous lire quand il parle.
Bruno MEGRET : Oui, et pour l'élection européenne, je ne sais pas ce qu'ils ont comme programme, nous, on en a un détaillé, de deux cents pages, qui est d'ailleurs en vente dans tous les kiosques.
Michel FIELD : Montrez-le à la caméra puisque vous êtes venu pour ça.
Bruno MEGRET : Je ne sais pas si on le voit…
Michel FIELD : Si, si, si.
Bruno MEGRET : Mais au-delà de la question du programme, il y a deux différences majeures, la première, c'est que le programme sans les outrances, sans les dérapages, sans les provocations, c'est en quelque sorte le Front national qui arrive à l'âge adulte et qui en quelque sorte atteint la période de maturité en osmose avec notre époque, dans le respect de la République, dans le respect de la Constitution, dans le respect des droits des personnes et dans le respect de la démocratie que nous appliquons maintenant à l'intérieur même de nos propres structures en appliquant le principe « tête haute et mains propres », en faisant de la politique pour rassembler et non plus pour injurier ou pour blesser. C'est fondamental cette différence. Et puis la deuxième différence plus importante encore, c'est que nous, nous faisons de la politique et nous engageons notre combat pour arriver au pouvoir afin de pouvoir appliquer notre programme et nos idées. Alors que l'ancien président du Front national faisait de la politique pour protester, pour contester, il se complaisait dans l'opposition, nous, nous faisons pour proposer et pour arriver au pouvoir. C'est la différence qu'il y a entre le passé et l'avenir, entre le témoignage et l'action bénéfique.
Michel FIELD : Alors cette semaine, le neuvième de votre liste Pierre Vedial (phone), disait justement que franchir les 5 % serait une étape importante pour vous afin d'être crédible pour constituer une alternative non pas seuls mais avec d'autres et quitter la culture de marginalisation héritée du lepénisme. Ça veut dire que vous commencez déjà à entrevoir une politique d'alliance avec certains secteurs de la droite plus modérée ou républicaine ?
Bruno MEGRET : Ce que nous voulons, c'est sortir du ghetto où Jean-Marie Le Pen nous avait enfermés, avec ces dérapages dont je parlais tout à l'heure, et développer un politique…
Michel FIELD : Vous, vous ne déraperez pas ? Parce qu'on a l'impression que vous êtes plus soft sur la forme mais tout aussi radical sur le fond, finalement les thèses racialistes etc. elles sont quand même plus théorisées chez vous qu'elles ne le sont du côté de Jean-Marie Le Pen.
Bruno MEGRET : Ce ne sont pas des thèses racialistes. Mais si vous voulez, moi ce que je veux, c'est rassembler, c'est rassembler les électeurs d'abord, rassembler les 30 % d'électeurs qui au moins une fois dans leur vie ont voté pour le Front national et ne votaient plus parce que précisément ils n'étaient pas prêts à voter pour Le Pen. Donc c'est cette démarche dans laquelle nous sommes engagés et c'est la première étape. C'est vrai que si on atteint 20-25 %, ensuite il y aura la nécessité comme tous les grands mouvements qui arrivent au pouvoir, de trouver une force d'appoint qui permettra de compléter. Mais pour l'instant, c'est le rassemblement.
Michel FIELD : Avec qui vous verriez-vous… trouvez cette force d'appoint ?
Bruno MEGRET : Pour l'instant…
Michel FIELD : Qui dans la classe politique est le plus sensible aux sirènes que vous pourriez éventuellement émettre ?
Bruno MEGRET : Je crois que pour l'instant, la question ne se pose pas réellement car on assiste à un bouleversement. Il faut d'abord que les choses se décantent, du côté du RPR on le voit bien, le RPR n'existe plus puisqu'avec monsieur Sarkozy, c'est tout ce qui reste quand on a tout oublié du gaullisme. Monsieur Sarkozy à la tête du RPR, c'est un RPR qui se dit gaulliste mais qui est Atlantiste, à la remorque des Américains, un RPR qui se dit gaulliste mais qui est pour l'Europe de Bruxelles, euro-fédéraliste, c'est totalement contradictoire. En plus il soutient Chirac qui soutient Jospin. Donc c'est un RPR qui soutient les socialistes, d'une certaine façon, il ne sert à rien. Et ce n'est pas monsieur Bayrou qui va utiliser l'espace ainsi libéré puisque monsieur Bayrou, il est social-démocrate, euro-fédéraliste, sa vocation, c'est plutôt d'être une force d'appoint des socialistes ; et ce n'est pas non plus monsieur Madelin parce que Madelin, c'est un hyper-libéral, qui n'est pas seulement pour la baisse des impôts – ça, c'est très bien, nous sommes d'accord – pour la baisse de la bureaucratie, c'est très bien, mais qui est aussi pour la dépénalisation des drogues ou de certaines drogues, et ça, c'est une toute autre affaire. Donc il y a un espace considérable qui se libère et je suis convaincu qu'avec la rénovation du Front national, nous avons vocation à l'élargir, à l'occuper, et c'est la raison pour laquelle je dis aux électeurs du Front national : ne vous trompez pas de vote, parce que Jean-Marie Le Pen incarne le passé du Front national – et je ne dis pas ça de façon négative seulement…
Michel FIELD : Ce n'est pas très très positif non plus si vous me permettez…
Bruno MEGRET : Non. Nous incarnons l'avenir. Si vous votez Le Pen, vous votez pour le passé du Front national, c'est-à-dire que vous décidez de la disparition progressive du Front national. Si vous votez pour nous, vous décidez de l'avenir du Front, de sa renaissance et de sa nouvelle vigueur pour arriver au pouvoir, c'est possible.
Michel FIELD : Imaginons, puisque vous faites le scénario évidemment le plus favorable pour vous – je me fais l'avocat du diable – le scénario catastrophe, c'est-à-dire : Le Pen fait deux ou trois fois plus que vous, vous êtes relégués à 2,5-3 % des suffrages. Est-ce que ça signe l'échec total de votre tentative et est-ce qu'à ce moment-là, Bruno Mégret disparaît de la scène politique ?
Bruno MEGRET : Non, mais c'est absolument impossible, ça, je ne l'envisage pas un seul instant…
Michel FIELD : Mais essayons pour jouer, pour vous faire peur !
Bruno MEGRET : Non, non, mais vous savez, moi j'ai brûlé mes vaisseaux, j'ai franchi le Rubicond. Il n'y a pas beaucoup d'hommes politiques qui font ça sur la scène politique alors je le fais sans états d'âme et sûr que ce qui a été fait, était dans l'intérêt qui est le nôtre, des idées qui sont les nôtres et de l'intérêt de notre pays. Alors je n'ai pas d'états d'âme, vous savez, je fais ce que j'ai à faire et le résultat viendra ; ce sont les Français qui décideront.
Michel FIELD : Dans cette hypothèse, ce serait plutôt seulement un revers pour vous que vous franchiriez…
Bruno MEGRET : Ça serait un revers, je ne m'arrêterai jamais.
Michel FIELD : Les positions des Fronts nationaux si j'ose dire ou des deux tendances qui se réclament du Front national – d'ailleurs c'est mardi que la justice doit trancher pour nous permettre enfin de pouvoir savoir ce qu'on a le droit de dire en ce qui concerne le Front national.
Bruno MEGRET : Oui, en première instance en tout cas. Mais vous savez, elle ne tranchera pas de la légitimité des mouvements politiques. Nous avons la légitimité. Il y a 2 500 délégués à Marignane, il y avait dans les pré-congrès autant de monde que dans les pré-congrès du précédent congrès national ; nous sommes la légitimité du Front national. Maintenant les magistrats décideront sur l'aspect pratique, technique et juridique des choses.
Michel FIELD : Alors les positions des deux Front national et notamment du vôtre, sur la Serbie, sur la crise au Kosovo, se rejoignent, je le disais tout à l'heure, mot pour mot.
Bruno MEGRET : Oui, mais si vous voulez, peu importe, moi je ne me positionne pas par rapport à qui que ce soit, je dis ce qui me paraît important pour la France ; il y a quelque chose de très grave qui se passe là-bas, c'est qu'une grande nation, les Etats-Unis, s'arroge le droit de façon arbitraire, en violation de tous les traités internationaux, de bombarder un Etat souverain parce que cet Etat n'accepte pas de donner son autonomie à l'une de ses provinces car le Kosovo, c'est une province de la Serbie. C'est ahurissant ! C'est comme si…
Michel FIELD : Vous avez fait des parallèles assez hasardeux me semble-t-il…
Bruno MEGRET : Oui, je peux les refaire…
Michel FIELD : Ah bon, vous les refaites, ce n'était pas un dérapage, ça…
Bruno MEGRET : C'est exactement comme si on Seine-Saint-Denis, dans les Bouches-du-Rhône, avec l'immigration qui ne cesse d'augmenter – plus 35 % d'après les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur pour l'année dernière…
Michel FIELD : Mais vous savez qu'on n'est pas dans une structure fédérale en France et les départements ne sont pas exactement…
Bruno MEGRET : Oui, mais ça, ce n'est pas moi qui ai besoin de m'en souvenir, ce sont les populations en question. Si les populations originaires par exemple du Maghreb, deviennent majoritaires dans certains départements français et se disent : mais après tout, on est majoritaire, on est chez nous, on demande notre autonomie, est-ce que les Américains iront bombarder Paris, Lyon ou Marseille parce que la France refusera de donner son autonomie à la Seine-Saint-Denis ?! Alors en plus, moi je trouve assez pitoyable de la part du Gouvernement et de monsieur Chirac d'aller jouer les va-t'en guerre ainsi à l'étranger alors qu'ils démantèlent l'armée française. Et puis ils veulent aller mettre de l'ordre dans les Balkans, ils sont totalement incapables de mettre de l'ordre dans les cités. Vous comprenez, tout ça est absurde. Je pense que la première mission d'un Gouvernement, d'un Président de la République, c'est d'abord de s'occuper des Français et de leur sort.
Miche FIELD : Le fait de vous retrouver finalement l'allié objectif de Milosevic, ce n'est pas quelque chose qui trouble un petit peu quand même les repères idéologiques qui sont les vôtres ?
Bruno MEGRET : Non, je ne suis pas du tout l'allié de monsieur Milosevic, je ne suis pas l'ami de monsieur Milosevic. Vous le savez, monsieur Milosevic est un pur produit du système soviétique, donc s'il devait avoir des amis, ils seraient au Gouvernement français. Donc nous ne le soutenons pas. Je condamne les exactions qu'il commet mais je considère qu'il y a un droit international à respecter et le principe de l'indépendance des Etats souverains. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle je pense que la France doit quitter l'OTAN car l'OTAN avait été conçue pour faire pièce à l'Union soviétique pendant la guerre froide, c'était légitime. Aujourd'hui cette menace a disparu. L'OTAN ne reste plus que pour servir d'instrument de la tutelle américaine sur la France et les pays européens. C'est tout à fait inadmissible. La France doit quitter l'OTAN, l'OTAN devrait être dissoute.
Michel FIELD : Autre thème d'actualité, les évènements de Corse. Est-ce que vous faites chorus avec Charles Pasqua qui réitère sa demande de démission pour le Gouvernement Jospin ?
Bruno MEGRET : Oui, moi je dis d'abord que ce qui se passe, est extrêmement grave pour la pérennité et l'autorité de l'état parce que quand un procureur de la République met en prison un préfet de la République pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions, c'est l'État qui s'en prend à l'État et c'est donc l'autorité, le prestige de l'État, qui sont sapés et pas seulement en Corse mais sur l'ensemble du territoire de la République et c'est donc extrêmement grave. Et moi je commence par apporter mon soutien à l'ensemble des forces de gendarmerie, au corps préfectoral qui sont comme vous le savez deux corps d'élite, qui sont les deux piliers de notre État avec d'autres et qui méritent d'être soutenus et défendus. Et ce qui est tout à fait scandaleux de la part du Gouvernement, c'est qu'il place les hauts fonctionnaires dans la situation de se livrer à des barbouzeries lamentables du type de celle de la paillote et qu'ensuite il les lâche lamentablement en les désignant comme boucs-émissaires. En réalité, il faut faire jouer le vrai fusible qui peut protéger l'État, c'est le Gouvernement ; monsieur Jospin doit démissionner et non seulement monsieur Jospin doit démissionner mais monsieur Chirac devrait se préoccuper de la question ; il est totalement silencieux ! C'est lui, je le rappelle, qui est le chef de l'État. Quand l'État est mis en cause, c'est le chef de l'État qui devrait agir. Il devrait convoquer Lionel Jospin, lui demander des comptes, des explications, on ne l'entend pas !
Michel FIELD : Donc pour vous, c'est la marque d'une cohabitation qui tourne à la connivence politique ?
Bruno MEGRET : C'est évident, monsieur Chirac et monsieur Jospin sont en totale connivence. Enfin, je dirais plutôt que monsieur Chirac dans cette affaire, a totalement abdiqué de ses responsabilités puisqu'il a abandonné les affaires intérieures de la France aux socialistes et les affaires extérieures de notre pays aux Américains. Alors on se demande à quoi il sert.
Michel FIELD : Quels seraient les premiers gestes que vous feriez si par hypothèse la tendance politique qui est la vôtre, à l'échelle européenne, arrivait à être majoritaire ? Qu'est-ce que vous souhaiteriez comme geste symbolique, puisque la France est quand même engagée dans le processus de construction européenne, que la parole de l'État a justement été donnée. Comment faire ?
Bruno MEGRET : Eh bien je pense qu'il faudrait revoir les traités qui sont actuellement en vigueur, notamment le traité d'Amsterdam et le traité de Maastricht. Et moi je ne suis pas contre l'Europe, d'abord parce que l'Europe, c'est une réalité, ce n'est pas une construction politique ou juridique, c'est une réalité multimillénaire, c'est un continent sur lequel vivent de grands peuples qui partagent les mêmes origines, le même fonds culturel, la même religion, la même histoire, bref qui constituent une communauté de civilisations. Et moi je me sens fier d'être européen comme je suis fier d'être Français ou comme on peut être fier d'être provençal ou breton ou alsacien. Et donc nous ne sommes pas contre l'Europe ; par contre, je suis totalement contre cette Europe de Bruxelles qui n'est même pas européenne puisqu'elle intègre la Turquie, qui dépossède la France de sa souveraineté puisque la moitié des textes qui régissent notre vie quotidienne, sont maintenant décidés à Bruxelles et non plus à Paris au Parlement français ou dans les ministères français.
Michel FIELD : Il faudrait que la France sorte de l'euro par exemple ?
Bruno MEGRET : Non, alors si vous voulez, d'abord sur le plan institutionnel, je crois que c'est très important, je crois qu'il faut construire une Europe dans Nations. Et nous, nous disons, dans cet esprit : Européens, d'accord, mais Français d'abord. C'est-à-dire, d'accord pour une organisation de l'Europe mais qui préserve la Nation française. C'est-à-dire une Europe qui soit européenne, limitée aux pays européens, sans immigration, nous voulons une Europe sans immigration extra-européenne et une Europe qui assure la préférence européenne, les Européens d'abord ; ou plus exactement car il y a une hiérarchie de préférences : Français d'abord, Européens ensuite et les autres en fin.
Michel FIELD : Les autres en fin, c'est pour la galerie quand même, quand on vous écoute…
Bruno MEGRET : Les étrangers en fin, oui, oui. C'est ce que nous avons fait à Vitrolles pour la prime de naissance qui était réservée aux Français et aux Européens.
Michel FIELD : Ça n'a pas duré très longtemps, la prime de naissance.
Bruno MEGRET : Oui, parce qu'on est dans un pays où on n'a pas le droit de défendre les familles de son peuple, ce qui est quand même assez ahurissant. Enfin ça, c'est un autre problème. Alors j'en reviens à l'Europe si vous le voulez bien : une Europe qui préserve la souveraineté des Nations, c'est-à-dire une Europe où les décisions sont prises à nouveau à l'unanimité de façon que rien ne puisse être imposé à un État et où le droit français soit supérieur au droit européen, que chaque texte… que chaque loi imposée à un citoyen français ne puisse pas lui être imposée sans qu'elle ait été votée par le Parlement français.
Michel FIELD : Bruno Mégret, je vous remercie. On s'interrompt pour la publicité et quand nous reviendrons sur le plateau, ce ne sera plus Bruno Mégret mais Jean-Marie Le Pen, qui sera en face de moi.
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Michel FIELD : Retour sur le plateau de « Public ». Jean-Marie Le Pen, bonsoir. Merci d'être là. Jamais depuis quinze ans, vous n'aviez abordé une échéance électorale dans un tel état d'affaiblissement. Tous les clignotants sont un petit peu orange : défection dans votre entourage, manifestation du 1er mai quand même moins spectaculaire…
Jean-Marie LE PEN : Très belle…
Michel FIELD : Très belle mais je vous assure, moins spectaculaire qu'auparavant… enfin je n'y étais pas, mais d'après les observateurs. Défection quand même de monsieur Le Chevallier à Toulon, élection partielle d'Aubagne qui est quand même un camouflet, élection du Haut-Rhin dans laquelle, monsieur Mégret le disait tout à l'heure, son candidat a mieux tenu que le vôtre. Ce n'est pas brillant comme tableau pour commencer une campagne électorale.
Jean-Marie LE PEN : On peut compléter le tableau électoral en annonçant ce que n'annoncent d'ailleurs ni LCI, ni France Inter, ni France Info, à savoir qu'en Nouvelle-Calédonie, le Front national de Jean-Marie Le Pen a doublé ses voix et est passé de deux à quatre élus et je dois dire que je suis étonné que l'on ne cite que les grands partis. Je trouve que ce serait courtois de noter les autres concurrents, surtout quand ils ont eu des élus, des élus d'ailleurs qui seront nécessaires probablement pour faire la majorité à l'assemblée de Nouvelle-Calédonie. Mais je crois que vous voyez les choses… - mais c'est peut-être un petit peu pour me piquer de manière négative – moi je vois au contraire, dans les meetings que je fais – tout à l'heure j'étais en Corse avec les responsables du mouvement corse, j'étais il y a très peu de temps dans plusieurs grandes villes de France, honnêtement, je ne cherche pas à vendre ma camelote ici, j'avais dix fois plus de monde que n'en fait monsieur Mégret. Voilà, je n'en dirai pas plus, d'ailleurs je l'ai trouvé assez tristounet tout à l'heure, essayant de se convaincre lui-même des chances qu'il avait, qui sont tout à fait contraires à tout ce que disent les sondages. Je veux bien reconnaître que les sondages, surtout dans ce qui touche le Front national, sont toujours au-dessous de ce que nous faisons, mais quand on fait entre 2 et 4, on n'a pas beaucoup de chance même de se faire rembourser. Alors moi je ne vais pas essayer de m'adresser au public pour lui dire « voter pour moi, votez pour le Front national ». Les gens savent que la liste de Jean-Marie Le Pen comporte tous les chefs politiques du Front à l'exception de deux d'entre eux qui sont partis et qu'il vient d'être rejoint par un député européen qui s'appelle Charles De Gaulle, ce qui dans une élection européenne est tout de même singulièrement emblématique puisque s'il est beaucoup de points sur lesquels j'ai été en désaccord avec le général De Gaulle quand il était au pouvoir et en particulier sur le traitement de l'Algérie française, des Pieds-noirs, des Harkis et tout ça, sur le plan européen en revanche, j'ai toujours partagé les convictions affichés par le général De Gaulle y compris quand il disait : moi vivant, l'Angleterre ne rentrera pas dans le marché commun. Je vous rappelle d'ailleurs qu'en 1957, j'ai voté au Parlement contre le traité de Paris.
Michel FIELD : Bon, le fait que vous ayez un Charles De Gaulle dans votre liste, à part le bon coup politique qui semble vous réjouir, vous ne pouvez quand même pas en faire un argument politique essentiel…
Jean-Marie LE PEN : Et pourquoi pas ?! Par rapport à des gens qui ne rallient personne…
Michel FIELD : Par rapport à un petit-fils dont on peut se dire qu'il n'a pas forcément la stature historique qu'avait son…
Jean-Marie LE PEN : Ecoutez ce que je constate, c'est qu'il est député européen et que comme député européen, il l'a dit lui-même, il a toujours voté comme le Front national et qu'il déclare selon lui, c'est son opinion, mais elle vaut bien celle que n'importe quelle autre personne qui porte son nom me semble-t-il, parce qu'en plus de son nom, il a un beau prénom, il faut bien le dire – cela étant, c'est une preuve au moins. C'est la preuve de la réconciliation nationale. Quand on l'interrogeait l'autre jour, on lui a dit : mais vous n'avez pas peur, vous n'avez pas honte d'être avec des gens qui ont été les ennemis de votre grand-père etc. ? Il a dit : le général De Gaulle en 1968, a fait l'amnistie. Il y a trente ans de cela. Les dangers qui menacent le pays sont tels que nous avons intérêt, tous les Français patriotes, à nous unir et je considère que Le Pen et le Front national, c'est ce qu'il y a de plus sûr, de plus solide. Ce sont des gens qui n'ont pas menti, qui n'ont pas trahi, ce ne sont pas des Judas – suivez mon regard – et par conséquent, c'est vers eux que je vais. Et je dois dire que quand on a demandé la levée de mon immunité parlementaire et que monsieur De Villiers a donné l'ordre à ses députés de voter cette levée de l'immunité parlementaire, il y a eu six députés en dehors du Front national qui ont contre elle, contre cette proposition, dont Charles De Gaulle.
Michel FIELD : Oui, vous avez un Charles De Gaulle sur votre liste et dans les Bouches-du-Rhône, monsieur Susini qui s'occupe de vos intérêts, a été impliqué dans les attentats physiques contre le général De Gaulle.
Jean-Marie LE PEN : Mais je viens de vous répondre à cette question.
Michel FIELD : Vous avez décrété l'amnistie.
Jean-Marie LE PEN : Non, pas moi. Charles De Gaulle a rappelé que son grand-père avait décrété l'amnistie en 1968, qu'il avait libéré les généraux du putsch et que cette page de l'Histoire de France, pour triste qu'elle soit, elle est tournée. Nous abordons le XXIe siècle, le troisième millénaire, et les dangers sont très grands devant une France dont l'attention est monopolisée par ce que j'appellerai le « trémolo business », que l'on manipule, tout au long des soirées, des informations, en attirant l'attention des gens sur le Kosovo. Quand ce n'est le Kosovo, c'est le foot ; quand ce n'est pas le foot, c'est le tennis ; quand ce n'est pas le tennis c'est le basket. Il y a toujours quelque chose pour empêcher les Français de parler de ce qui les intéresse. Et je dois dire, si vous me permettez, que de savoir que cette élection européenne, autant de temps est donné à quelqu'un qui a deux députés européens et à moi qui en ai dix ; autant est donné à un grand parti qui a fait des millions de voix aux élections – j'ai fait deux fois 4,5 millions de voix aux présidentielles – qu'aux planteurs de salades, aux chasseurs ou à monsieur Mégret, je trouve que c'est assez scandaleux.
Michel FIELD : Ça s'appelle un peu la démocratie, ça…
Jean-Marie LE PEN : Non, ce n'est pas la démocratie. Non, la démocratie c'est que tout le monde parle mais que tout le monde parle aussi proportionnellement à son importance démocratique. Pourquoi la part du roi, royale, est-elle réservée aux partis de l'établissement ? Les Français doivent savoir ce soir – il faudra bien qu'ils me guettent le jour où je vais passer – car nous aurons 90 secondes dans la campagne officielle. Reconnaissez avec moi que ce n'est pas comme cela qu'on se conduit de façon démocratique. Et je crois que les Français sauront se souvenir que personnellement je ne leur ai jamais menti, je ne les ai jamais trahis, que depuis que j'ai gouverné le mouvement, il est monté de 0,74 % des voix à 15 % des voix de façon continue, trop lente pour certaines ambitions, mais réelle, constante et solide. Je me propose de continuer après une épreuve…
Michel FIELD : Parce que là pour l'instant, les sondages vous donnent plutôt la moitié, plutôt dans les 7 % …
Jean-Marie LE PEN : Oui, 7–8 %…
Michel FIELD : Ce sont des sondages, on est bien d'accord.
Jean-Marie LE PEN : Oui, oui, et puis la campagne va se faire. Je crois que tout n'est pas intégré. Pour vous dire la vérité, je crois que l'établissement… y compris l'établissement médiatique, essaie d'aider mes adversaires. Je ne crois pas du tout qu'il soit rallié aux opinions émises par celui-ci, ni non plus à son défilé de tee-shirts noirs à croix celtiques ni de gens comme ça, mais je crois qu'on le soutiendra tant qu'on croira qu'il peut nuire à Le Pen et au Front national. Après, il sera jeté comme une vieille serviette. Voilà, c'est ce que je pense réellement.
Michel FIELD : Alors vous évoquiez le Kosovo tout à l'heure. Dans la revue « les Français d'abord » votre propre magazine, de la deuxième quinzaine d'avril, il y a une page sur le Kosovo titrée : « Un million de musulmans à nos portes ». C'est le seul sentiment que l'affaire du Kosovo vous inspire ? Juste faire peur à nouveau par une invasion musulmane ?
Jean-Marie LE PEN : Non, j'ai aussi mon coeur humain mais je ne le porte pas en bandoulière.
Michel FIELD : Là, pour le coup, il ne se voit pas beaucoup dans le magazine.
Jean-Marie LE PEN : J'ai vu beaucoup d'exodes dans ma vie. J'en ai vu quatre. J'en ai vu un lors de la guerre de 40 quand des millions de Français ont fui sur les routes devant l'armée allemande. J'en ai vu un autre lorsque des villes françaises bombardées déjà, les gens étaient chassés sans rien et dans un univers où il n'y avait ni à manger, ni de quoi se chauffer, ni de quoi se loger. J'ai vu l'abandon par l'armée française au Tonkin des catholiques du nord Vietnam, fuyant devant les communistes et qui s'accrochaient à la peinture de nos bateaux. Et j'ai vu surtout le dernier grand exode, celui des Pieds-noirs et celui des Harkis, plus d'un million de gens, et je n'ai pas vu que les médias leur portassent à ce moment-là une attention et une compassion. Alors j'ai de la compassion pour les gens qui souffrent. Je note, en ancien combattant, que je n'ai jamais vu de gens blessés depuis quarante jours, dans les images qu'on nous montre. Donc ce qu'on dit sur le fait qu'ils seraient attaqués par les forces serbes qui leur tireraient dessus, me paraît faux, et en tous les cas, pas démontré. Mais ce que je crois, c'est que les Français devraient garder une partie de leur compassion pour eux-mêmes car il est vrai que ce qui s'est passé au Kosovo, c'est-à-dire un envahissement démographique d'une province qui, il y a 80 ans, était encore à majorité serbe, devrait faire se rendre compte aux Français qu'il est beaucoup d'endroits dans notre pays – et que la situation mondiale postule que ce danger va s'aggraver – qu'il y a plein de mini Kosovo qui sont en train de se constituer dans notre pays. Et cela les Gouvernements – et les Gouvernements seulement, en sont directement responsables qu'ils soient de droite ou de gauche, car ils ont fait les mêmes politiques. Monsieur Pasqua a même été au-delà puisque lui il est pour la régularisation de tous les clandestins, ce qui est le plus formidable appel à une nouvelle immigration qu'on ait jamais vu dans la politique française.
Michel FIELD : Sur le Kosovo, qu'aurait-il fallu faire ? Laisser le président Milosevic poursuivre ?
Jean-Marie LE PEN : Ecoutez, il y a deux politiques possibles. Il y a la politique du droit international actuel qui est de laisser les pays régler eux-mêmes leurs propres problèmes en respectant les frontières et les État. Et puis il y en a une autre qui a l'air très généreuse mais qui est très dangereuse, c'est le droit d'ingérence. Le droit d'ingérence qui fait que si quelque chose vous déplaît ou est en contradiction avec vos impératifs politiques ou moraux, vous puissiez intervenir. Vous notez d'ailleurs qu'on intervient toujours du fort au faible. Les faibles ne vont pas s'ingérer dans les injustices raciales aux États-Unis et les États-Unis ne se sont jamais ingérés dans la politique soviétique malgré le goulag. Ils ne se sont pas ingérés dans la politique chinoise malgré le Tibet ; ils s'ingèrent dans les petits pays, à Panama, à Grenade, à Mogadiscio, là où ils ne risquent pas grand-chose. Et je dis que ça, c'est l'ouverture vers une aggravation des relations internationales et cette guerre, cette guerre immonde, cette guerre affreuse qui est faite par 500 millions de gens les plus puissants et les plus riches du monde à un petit pays pauvre de douze millions d'habitants, la volonté affichée de bombarder des objectifs civils, des gares, des routes, des ponts, des centrales électriques, des dépôts de carburant, personnellement me soulève le coeur, me scandalise et je suis absolument scandalisé que la France se fasse complice des États-Unis dans cette démonstration hégémonique et dans cette violation du droit des gens et dans ce crime, ce crime contre l'humanité. On parle beaucoup d'amener des gens à La Haye, pourquoi pas monsieur Clinton ?! Et quand j'entends chaque jours les gens à qui on annonce des bavures énormes, qui disent : oui, oui, c'est vrai, il y a eu une bavure, nous regrettons beaucoup, nos larmes sont là ; mais n'en doutez pas, nous allons redoubler d'efforts et il y aura encore plus de bombardiers demain qu'il n'y en avait hier. Jusqu'au jour où les Balkans vont s'embraser, jusqu'au jour où… on ne sait pas… un révolution de palais peut faire remplacer Eltsine par « Bonapartov »… le général « Bonapartov », que celui-ci n'ait pas la même complaisance à l'égard de la politique de Washington, que d'autres, et on sait comment ces engrenages ont conduit dans notre continent à deux guerres mondiales dont une au moins est sortie très précisément de la Serbie.
Michel FIELD : C'est la même position à nouveau que vous aviez par rapport à la guerre du Golfe ?
Jean-Marie LE PEN : Tout à fait, vous avez tout à fait raison de faire ce parallèle car outre la compassion sincère qui me pousse à être plutôt du côté des vaincus que des vainqueurs, plutôt des faibles que des forts, j'ai dit déjà à ce moment-là : le traitement qu'imposent les États-Unis à l'Irak, avec leurs alliés, et celui qu'ils imposent aujourd'hui en Serbie, c'est le traitement qui nous sera infligé demain parce que la surpuissance américaine tolérera de moins en moins que ses desiderata ou que ses objectifs soient disputés ou discutés. Et je crois que nous sommes là dans une optique de tyrannie. Je constate aussi que l'Europe qui devait théoriquement servir de pendant ou d'équilibre à l'équilibre du monde, sinon en s'opposant, au moins en équilibrant les États-Unis, eh bien est tout à fait à ses ordres, à sa botte, servilement.
Michel FIELD : Ça peut valoir comme argument pour les euro-pénistes de dire justement : l'Europe n'est pas allée assez loin, il faut une Europe de la défense etc. Vous, vous y voyez la preuve du contraire plutôt.
Jean-Marie LE PEN : Tout à fait. Et je vais même vous dire qu'il y a deux ans… je suis député européen depuis quinze ans. Dans les dix dernières années, on nous a dit : nous allons faire de plus en plus d'Europe et l'Europe va résoudre vos problèmes. Car c'est ça qui intéresse les Français, ce sont d'abord et c'est bien normal, leurs problèmes. Je constate que depuis dix ans, l'Europe a fait plus d'immigration, plus d'insécurité, plus de chômage, plus de fiscalisme, plus de corruption ; et puis en plus, la cerise sur le gâteau : au lieu de nous amener la paix, elle nous a amené la guerre. Alors je dis : nous sommes dans une impasse, nous sommes dans un cul-de-sac, il faut sortir de cette Europe là. Il faut changer d'Europe. Et puis il faut surtout restaurer chez nous les structures mentales, morales, psychologiques, culturelles d'un État qui peut parfaitement coopérer, qui doit coopérer, pourquoi pas dans le cadre d'une confédération ou d'une alliance avec d'autres pays européens, bien sûr que oui, mais qui doit rester lui-même. Car moi, quand je vis en Espagne, quand je vais en Allemagne, quand je vais en Angleterre, je ne souhaite pas retrouver Toulouse ou Belfort, je souhaite voir des gens qui pensent, qui vivent un petit peu différemment de moi même si leur culture est de même origine, elle s'est exprimée dans leur société de façon différente et dont j'apprécie la différence et le particularisme.
Michel FIELD : Il y a d'autres listes qui ont ce discours critique sur l'Europe, je pense notamment à celle de Charles Pasqua et Philippe De Villiers. Qu'est-ce qui vous différencie et pourquoi finalement ne cessez-vous de répéter que c'est une liste de faux-semblants et qui est finalement une liste qui ne dit pas profondément ce qu'elle pense ?
Jean-Marie LE PEN : Ecoutez c'est une liste de faux-semblants puisque les uns – monsieur Pasqua et monsieur De Villiers – ont fait campagne contre Maastricht, c'est vrai. Ils se sont même mis en pointe et les médias les y ont aidés, d'ailleurs il y avait aussi monsieur Seguin dans ce trio. Mais entre-temps, ils ont les uns et les autres… soit ils se sont ralliés comme Pasqua au Sénat, au traité de Maastricht, soit comme Villiers, ont voté à l'élection présidentielle pour monsieur Chirac qui lui, on le savait, était tout à fait en faveur d'une aggravation de la fédéralisation ou même de la mondialisation de l'Europe. J'ajoute que ni monsieur Pasqua ni monsieur De Villiers n'iront au Parlement européen parce que l'un est sénateur et président du conseil général, l'autre est député et président de conseil général ; et ce dernier a été aux dernières élections et il a quitté le Parlement européen. Par conséquent, cette opération, elle est constante : elle vise à empêcher les gens du RPR… les électeurs à voter pour la liste du Front national. J'espère que les gens vont se souvenir de ce que représentent les uns et les autres : d'une côté, la rectitude, la droiture, la fidélité, l'honneur, et de l'autre côté, des circonvolutions politiciennes il faut bien le dire, des responsabilités très lourdes qui auront été prises par les uns ou par les autres dans la décadence de notre pays et qui ne les fondent pas comme une alternative à la politique qui a été menée par la bande des quatre à laquelle d'ailleurs ils ont appartenu, s'ils n'y appartiennent plus pendant la période électorale.
Michel FIELD : Quel que soit le résultat du scrutin des Européennes, quel est l'avenir politique de Jean-Marie Le Pen au lendemain de ces élections ?
Jean-Marie LE PEN : La lutte. Moi, je ne me fais pas d'illusion sur ce que je représente dans l'univers des milliards de milliards de galaxies, mais je le sais. Alors je suis mu par un sentiment de reconnaissance infime à l'égard de ma patrie, à l'égard de ceux qui m'ont permis de vivre en liberté et dans une certaine prospérité, qui m'ont fait héritier d'une grande culture et je pense que même si je faisais le sacrifice de ma vie, je ne rendrais pas à mon pays la millième partie de ce que je lui dois. Par conséquent, tout naturellement… Je sais qu'il y a des gens qui pensent qu'au-dessus de cinquante ans, il n'y a plus que des vieux schnocks, ce qui n'est pas agréable pour la moitié de la population française…
Michel FIELD : On peut même dire au-dessus de 70 ans, sauf le respect que je vous dois, pour réduire un peu la…
Jean-Marie LE PEN : Si, parce qu'il paraît que l'optimum, c'est la personne qui l'exprime… Je croix que c'est faux. Moi je ferai tout ce que je peux. J'irai jusqu'au bout de mon effort. Bien sûr, tant que mes amis, les militants de mon mouvement, considéreront que je suis le meilleur capitaine à la barre. Quand ils ne le considéreront plus… mais encore une fois, cette hypothèse était simple… j'ai été élu pour trois ans à l'unanimité il y a un an et demi. Il était possible, loisible en tout cas, à ceux qui ne pensaient pas comme moi, qui depuis ont quand même accepté les plus hauts postes du mouvement pendant ces mois-là, de se présenter contre moi. Avec un tout petit peu de patience… même quand on a cinquante ans, on peut attendre cinquante-et-un ans, on pouvait se présenter au congrès de l'an 2000 contre Jean-Marie Le Pen mais on savait que dans cette hypothèse, Jean-Marie Le Pen ferait 90 % des voix. Et ce n'est pas cela que l'on voulait ; on voulait arriver, s'insérer dans une espèce d'alliance, rentrer en grâce parce qu'il y a des gens qui trouvent que c'est trop dur, cette adversité du patriotisme français qui est à contre-courant de l'établissement, ça ce n'est pas facile. Et puis on voit… surtout quand on est fonctionnaire, on voit passer le temps, et on se dit « mon Dieu, mais mon plan de carrière est en train d'être rattrapé par l'histoire ! Que va-t-il arriver ? ». Moi je ne me suis jamais inquiété de cela, je ne fais pas carrière. Je pense que si j'avais voulu faire un peu carrière, puisque j'ai été élu il y a…
Michel FIELD : Il y a très longtemps…
Jean-Marie LE PEN : Oui, il y a bien longtemps. Mais à 27 ans, j'étais non seulement jeune député mais chef de groupe parlementaire, j'aurais pu, dans les avatars qu'a connu la politique française, être ministre. Je n'ai jamais eu envie de l'être parce que je n'ai jamais eu l'occasion de faire la politique que je crois bonne pour la France. J'ai dit « je préfère être élu que battu » comme tout le monde. J'ai d'ailleurs été élu plusieurs fois. Dieu merci ; mais j'aime mieux être battu sur mes idées, sur les idées que je crois justes, que sur celles de mes adversaires. Et je ne suis pas prêt à leur concéder sur le fond pour pouvoir devenir leur allié et être élu maire, conseiller général ou député, ce dont très sincèrement je me moque : une seule chose m'intéresse, c'est le service que je peux rendre à mon pays et je crois que je peux encore lui en rendre quelques-uns.
Michel FIELD : Mais n'avez-vous pas casser un instrument qui fonctionnait bien, à savoir le Front national, dans cette lutte fratricide qui vous oppose à Bruno Mégret ?
Jean-Marie LE PEN : Je n'ai rien cassé du tout ! J'étais le président incontesté… fondateur et président incontesté du mouvement. Le bureau politique dans son immense majorité, le bureau exécutif dans ses 7/8e, le groupe parlementaire, à 10 contre 12, soutiennent… et les adhérents à 80 % soutiennent le président Le Pen, le président du Front national. La rupture n'est pas de mon fait. Voyez-vous, quand on est un responsable de haut niveau, par exemple un chef de mouvement, on doit respecter ses adhérents et défendre les intérêts de la majorité des adhérents contre les minorités. J'ajoute que le compromis national qui a permis à la droite nationale d'être unie pendant plus de 25 ans, ça repose sur une donnée : ne jamais accepter qu'un clan, qu'une famille ou un courant l'emportent sur les autres sous peine d'éclatement. Et moi j'ai été le constructeur de l'unité et je continue à espérer que cette épreuve étant passée, cet avatar étant dépassé, nous allons reprendre notre marche en avant parce que je crois que les événements qui viennent vers nous, nécessitent qu'il y ait un grand mouvement national.
Michel FIELD : Jean-Marie Le Pen, je vous remercie. La semaine prochaine, mon invité sera Robert Hue et j'aurai en début d'émission un court entretien avec Jean Saint-Josse, le responsable de la liste Chasse, Pêche, Nature et Traditions car Jean-Marie Le Pen, il faut que tout le monde parle pendant cette campagne électorale.
Jean-Marie LE PEN : Mais je ne suis pas contre. J'aimerais bien parler un peu aussi. Je vous remercie d'ailleurs de m'avoir invité aujourd'hui. Trop peu selon mon goût mais tout de même.
Michel FIELD : La justice tranchera le différend qui vous oppose à Bruno Mégret pour l'appellation Front national ; le jugement sera rendu mardi, pendant la semaine.