Texte intégral
Au moment où les Balkans renvoient à l'Europe une image de guerre et de retour de la barbarie que l'on croyait définitivement derrière nous, et alors que les citoyens de l'Union s'apprêtent à renouveler leurs représentants au Parlement, il est nécessaire de rappeler les orientations et propositions des socialistes et des sociaux-démocrates pour notre continent. Le Parti socialiste, allié au Mouvement des citoyens et au Parti radical de gauche, est la seule formation politique française à donner de réelles garanties pour infléchir la construction européenne dans un sens civique et social. L'ensemble de ses élus siègeront dans le groupe PSE, qui est le plus important du Parlement européen. Avec les partis socialistes et sociaux-démocrates (au pouvoir, rappelons-le, dans onze des quinze Etats de l'Union), nous partageons des valeurs et des engagements précis, résumés dans un manifeste commun.
Pour une Europe politique
Le nouveau parlement européen aura, entre autres responsabilités, à se prononcer sur deux questions importantes : la défense européenne et la réforme des institutions.
Le drame que connaissent les Balkans ne date pas d'aujourd'hui. Chacun a en tête, déjà, les massacres qui se sont produits en Bosnie-Herzégovine, et les noms de Srebrenica, Sarajevo, Vukovar, résonnent comme autant d'échecs pour l'Europe. L'Europe de la défense et de la sécurité commune se bâtit pourtant progressivement. Songeons seulement à la création du corps franco-allemand, voulu par François Mitterrand. C'est peu de choses, peut-être, dans les faits ; mais c'est beaucoup dans l'histoire, et c'est une grande victoire pour la paix que de voir les ennemis d'hier cultiver la même volonté de s'armer conjointement pour se défendre mutuellement. Or, qui sont ceux qui, hier encore, ne voulaient pas de cette Europe ? Les souverainistes, bien sûr, mais aussi ceux qui ne juraient que par l'Alliance atlantique. Voir certains de ces protagonistes revenir aujourd'hui à l'Europe ne peut que nous réjouir, mais que de temps perdu !
Sur ce sujet comme sur les autres, l'Europe a besoin de concret. Il faut créer une identité européenne de défense, construire son autonomie stratégique, développer les industries de défense européennes et organiser le renseignement européen. Le but est simple et clair : c'est à l'Europe de prendre en charge la prévention et le règlement des conflits qui pourraient se produire sur son sol. L'amélioration et le renforcement de la logistique, la capacité de transporter des hommes plus, mieux et plus vite, la possibilité de projection de troupes sur les théâtres d'opération, sont des initiatives que l'Europe peut promouvoir dans un moyen terme. De la même façon, les décisions devront être prises par les Etats membres réunis en Conseil, et une personnalité politique reconnue devra être désignée à la tête de la PESC, afin de donner à l'Europe de la défense un poids significatif et une vraie légitimité.
Depuis le Traité de Maastricht, un certain nombre de jalons politiques ont été posés. Mais le plus important reste à faire : construire une véritable démocratie à l'échelle de l'Union. Les appels incantatoires à la citoyenneté seront vains si nos institutions ne se font pas les relais des aspirations des peuples. Les parlementaires élus le 13 juin devront s'intéresser à la réforme des institutions pour permettre au Conseil de décider efficacement, en étendant le vote à la majorité qualifiée partout où cela sera souhaitable, renforcer les pouvoirs du Parlement (qui est déjà devenu co-législateur dans nombre de domaines, depuis le traité d'Amsterdam), de même que la responsabilité collégiale de la Commission, enfin pour consolider et simplifier le texte des Traités, pour en faire une véritable Constitution. La réforme des institutions européennes s' impose à double titre : d'abord parce qu'elle est un préalable à tout élargissement de l'Union, ensuite parce que c'est le passage obligé pour fonder une véritable démocratie, avec un partage clarifié des compétences entre l'Union et ses Etats membres. Ces questions institutionnelles sont très concrètes : il s'agit d'instaurer le débat démocratique à l'échelle de l'Union, de mettre en chantier une Charte des droits civiques et sociaux fondamentaux, de faire vivre, in fine, une véritable citoyenneté européenne.
Pour une Europe sociale
La mise en œuvre de l'euro et du marché unique ont été des étapes importantes promues notamment sous la présidence de Jacques Delors et avec l'appui des gouvernements socialistes. Ce sont des outils que l'on doit mettre au service d'une nouvelle ambition, pour la croissance, pour l'emploi et pour notre modèle social. Nous pouvons en attendre plus de compétitivité, plus de croissance, et donc, pour les socialistes que nous sommes, plus d'emplois et une meilleure répartition des richesses. Si la réussite économique de l'Union ne sert pas directement le progrès social, alors disons-le tout net : elle ne sert à rien. C'est le cœur même de notre programme, qui implique nécessairement la transformation du Conseil de l'euro en véritable gouvernement économique, parallèle obligé et politique à la Banque centrale européenne.
L'Europe sociale est, depuis le traité de Rome, la finalité même de l'Europe, même si l'on a parfois tendance à l'oublier. Si chacun s'accorde à voir en notre continent un modèle de civilisation, c'est aussi, en raison de son modèle social, fait de solidarité et de justice. Ce modèle est menacé par les libéraux, qui en sont les adversaires les plus zélés. Pour eux l'achèvement du marché unique et l'achèvement de l'Europe elle-même. Face à cela, les socialistes proposent de nouveaux chantiers : la négociation d'un traité social qui ait même portée que tout autre traité économique ou monétaire. L'instauration d'un salaire minimum européen, la relance de la négociation sociale à l'échelle de l'Union, la réduction du temps de travail, la mise en œuvre de la politique d'égalité des chances et de lutte contre les discriminations.
Pour mener à bien ces politiques, il nous faudra œuvrer pour la croissance. En soutenant une politique européenne de grands travaux, en lançant un grand emprunt européen destiné à financer les secteurs les plus créateurs de richesses et d'emplois, en renforçant la coordination des politiques économiques nationales, en baissant les taux de TVA sur les activités à forte main-d’œuvre, et en traçant les contours d'une véritable politique industrielle, les socialistes veulent démontrer que l'Europe peut être une communauté où règnent la solidarité et la justice sociale, sans cesser d'être une puissance économique.
Le gouvernement de Lionel Jospin a prouvé depuis deux ans que l'on peut à la fois stimuler la croissance, la consommation et l'investissement et engager un vrai et profond mouvement de réformes sociales. Ce sera notre responsabilité de relayer cette politique à l'échelle de l'Union. Dépasser, lorsque c'est nécessaire, le cadre de la nation sans en négliger ou en oublier la légitimité, faire émerger (et gagner) un modèle social que la France a depuis longtemps contribué à façonner, faire régner la paix, enfin sur un continent qui a connu durant ce siècle les plus terribles des guerres : tel est le sens de l'Europe ; telle est aussi l'ambition des socialistes et sociaux démocrates de ce continent.