Article de M. Edouard Balladur, député RPR et ancien Premier ministre, dans "Le Monde" du 16 juin 1999, sur les divisions de l'opposition et son échec lors de l'élection européenne et sur ses propositions pour une réunification des partis de droite, intitulé "Reconstruire, maintenant ou jamais !"

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Ce qui devait arriver est arrivé : l'opposition républicaine et libérale est allée dispersée aux élections européennes, elle en sort fracturée et émiettée. L'union était possible : quatre des dirigeants conduisant les trois listes de l'opposition étaient, de 1993 à 1995, membres de mon gouvernement; ce dernier a fait faire à l'Europe des progrès substantiels et sauvé la politique agricole commune. Je n'ai pas souvenir qu'aucun d'entre eux ait, à l'époque, émis des réserves sur sa politique.
Nous sommes maintenant devant les conséquences qu'entraîne cette division. Colère des électeurs qui voulaient une liste commune et dont le jugement devient plus sévère encore sur des querelles dont les effets les exaspèrent. Difficulté accrue d'organiser l'opposition qui, à chaque épreuve, se montre plus incapable de se coordonner. Discrédit de la classe politique, considérée par nos concitoyens comme enfermée dans ses rivalités de chapelle et insoucieuse de leurs aspirations. Renforcement de la gauche qui, elle, sait tirer profit de sa diversité, en évitant qu'elle ne devienne division dévastatrice. Dieu sait pourtant que les désaccords existent en son sein !
Devant ce champ de décombres, devons-nous nous résigner, prendre notre parti du spectacle que nous offrons aux Français ? Certains le pensent, justement en prenant l'exemple de la gauche qui, elle, sait s'accommoder de la division en se référant aussi aux expériences passées : aux élections législatives de 1986 et de 1993, disent-ils, la droite, organisée en deux grandes tendances, a gagné et elle a gagné encore à l'élection présidentielle de 1995.
Mais n'oublions pas qu'elle a perdu aussi en 1981, 1988 et 1997. Perdu, alors qu'il y a dans notre pays une adhésion majoritaire aux idées de droite : le progrès économique et social par la liberté, la sécurité, la nation, l'application de la loi républicaine.
Puisque la droite se révèle, et de façon répétée, incapable d'organiser sa diversité, alors il faut saisir l'occasion de ce nouveau revers pour définir un ordre durable. Il appartient aux élus et aux électeurs de l'imposer.
La France connaît un scrutin majoritaire pour les élections législatives comme pour l'élection présidentielle. Il faut donc un parti pivot à droite comme à gauche. A gauche, il y en a un, incontesté désormais : le PS. Y en a-t-il un à droite ? Non. Les partis de l'opposition républicaine n'ont pas su définir leurs relations entre eux avec suffisamment de souplesse et d'ouverture d'esprit. Les conséquences sont là : d'un côté, c'est le soupçon d'hégémonie, de l'autre celui de double jeu. Ce n'est pas le risque d'éclatement du RPR, qui existe désormais, qui va faciliter les choses. L'UDF s'est scindée en deux il y a un an ; si le RPR se scindait aussi, le comble serait mis au désordre.
Que faire ? Laissons de côté les idées dépassées : nous résigner à l'émiettement, c'est nous résigner à la défaite perpétuelle, c'est ne pas avoir confiance en soi et refuser de construire un ordre stable qui existe durablement par lui même ; changer le mode de scrutin, en tout cas pour l'élection législative, en instituant le scrutin à un tour dont le caractère implacable nous contraindrait à nous réformer, n'allons pas imaginer que quiconque nous y aidera afin de nous éviter tout effort ; créer une confédération avec des candidats communs aux élections législatives comme à l'élection présidentielle, on l'a déjà essayé, et cela n'a pas toujours suffi.
Quant à l'Alliance, instituée il y a un an entre le RPR, l'UDF et Démocratie libérale, et qui était une résurgence de l'idée confédérale que j'avais défendue il y a plus de dix ans, elle est désormais mort-née. Je conseille de ne plus en parler.
Le choix est toujours le même, entre l'immobilisme et le mouvement. Le statu quo est impossible ou alors autant renoncer pour longtemps à reconquérir la confiance des Français. il nous faut frapper un grand coup et montrer à l'opinion qu'enfin nous avons compris, le lui montrer de façon visible, éclatante. Nous devons donc créer entre les partis d'opposition un rassemblement organique qui laisse sa personnalité à chacun, certes, mais qui soit plus qu'une simple association aux liens lâches, formule dont nous nous sommes contentés jusqu'à aujourd'hui, le succès que l’on voit.
Comment faire ? Pour y parvenir, il n'y a qu'une solution : donner la parole aux électeurs et aux élus, sur l'organisation de l'opposition et sur son programme qui doit d'abord être le leur.
Il faudra prendre garde que, dans ce rassemblement nouveau et ses organes de direction, la place de chacun soit respectée et garantie, que ce rassemblement dispose d'un président unique, et non tournant, chacun des dirigeants des partis en exerçant la fonction à son tour, ce qui en en fait un rôle de pure apparence quand il ne prête pas à sourire.
Il y aura des objections et des obstacles. On dira que ce rassemblement à forme fédérale rétrécit l'espace à la fois vers la droite et vers la gauche. Je crois tout le contraire ; je n'ai pas observé que l'espace du PS ait été restreint parce qu'il a su rassembler ses tendances.
On dira que les états-majors des partis le refuseront sous prétexte de défendre l'identité de leur mouvement. Là encore, je crois le contraire. On peut faire en sorte que la personnalité de chacun soit respectée. Il appartient aux élus et aux électeurs de faire prévaloir leur volonté. De toute façon, il faudra proposer à tous d'entrer dans ce rassemblement nouveau et de créer même si certains le refusent dans un premier temps.
On dira que nous avons entre nous des désaccords de fond sur l’Europe, la politique économique, la conception de la société, de l’Etat, la sécurité. C’est vrai. Ils tiennent moins qu’on ne le dit à des querelles d’hommes et plus qu’on ne le croit au poids de l’histoire.
Dés lors que la République n’est plus contestée, que la liberté politique n’est plus menacée, que la gauche ne fait plus peur. La droite ne peut continuer de s’en remettre à d’autres du soin de cimenter son unité. Le temps est venu pour elle de la bâtir elle-même.
La question de la coexistence au sein d’une même organisation de sensibilités diverses, d’autres ont su la résoudre : la CDU-SCU en Allemagne, le Parti conservateur ou le Parti travailliste en Grande-Bretagne, le Parti populaire en Espagne, le PS en France. En serions-nous incapables ? Je ne veux pas le croire.
Le temps n'est plus où les citoyens étaient les simples spectateurs du débat politique, les otages, des rivalités d’appareil. A eux de décider. De même que dans les entreprises la gestion moderne s'appuie sur la participation active des salariés, de même les citoyens veulent participer pleinement au débat politique.
La droite doit répondre à ce besoin. Cela suppose qu'elle organise avec ses électeurs un dialogue direct en les consultant sur la structure qu'ils souhaitent pour elle. Participeraient à cette consultation les élus tout d'abord, députés, sénateurs, députés européens, conseillers régionaux, conseillers généraux, maires, conseillers municipaux de toutes les communes, dès lors qu'ils se reconnaissent dans l'opposition républicaine. Cela représenterait déjà des dizaines de milliers de personnes, voire davantage.
Participeraient aussi à cette consultation les électeurs qui le souhaiteraient et qui seraient régulièrement inscrits sur les listes électorales. Chaque votant disposerait d'un mandat au moins, les élus pouvant bénéficier d'un nombre de mandat supérieur qu’en proportion de la population qu'ils représentent.
A ce corps électoral, les différents mouvements de l'opposition devraient soumettre un projet d'organisation et, afin de prouver dès le départ leur bonne foi, décider tout d'abord de créer un groupe unique à l'Assemblée nationale, avec un président unique entouré d'un bureau respectant l'équilibre et les droits de chacun. Une fois mise en place cette organisation nouvelle, celle-ci consulterait une seconde fois les Français, qu'ils soient élus ou électeurs, sur le projet gouvernemental d'avenir qu'ils souhaitent voir établi.
S'agissant de ce projet, j'ai suggéré, dans un document intitulé « Pour une voie nouvelle », quinze propositions qui avec d'autres, peuvent fournir la base d'un débat. Je souhaite que les leçons du nouvel échec que l'opposition vient de subir soient tirées sans retard. Il faut que les députés de l'opposition décident rapidement eux-mêmes de constituer un groupe unique. Il faut que, dans le même temps, les dirigeants des mouvements de l’opposition décident d’une organisation nouvelle, et mettent en place la consultation des électeurs et des élus qui permettrait de la ratifier. Si la volonté d’aboutir existe, il suffira de quelques jours pour définir les principes et les modalités de cette organisation nouvelle.
Il est grand temps de se donner les moyens de réagir à une situation à bien des égards désastreuse. Après, il risque d’être trop tard. Cette fois, il est vraiment temps d’innover, sans se résigner à des échecs répétés. Evidemment, on peut toujours rêver que le pouvoir nous sera offert à nouveau même si nous ne faisons rien pour mériter. Mais qu’en ferions-nous si nous ne nous y étions pas préparés ? Nous avons besoin d’une organisation nouvelle et solide afin de disposer, si les Français devaient nous faire confiance, du temps nécessaire à l’accomplissement des réformes indispensables à notre pays. Nous ne devons plus nous satisfaire de passer, de temps à autre, deux années au pouvoir.
Je souhaiterais qu’on y pense davantage qu’à la défense des positions acquises.