Texte intégral
Le Point : Avez-vous une idée du nombre d’enfants auxquels l’école primaire ne parvient pas à apprendre à lire ?
Ségolène Royal : On peut estimer à 20 % le nombre d’élèves qui sont en situation de fragilité. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas d’acquis. On n’est pas dans le catastrophisme, mais on n’est pas dans l’anodin non plus. Mais ces évaluations nationales doivent être remises à plat. Il faut arrêter leur dérapage. Elles ont d’abord été faites pour aider les élèves et leur enseignants, pas pour faire des compilations nationales qui donnent lieu à des interprétations scientifiquement discutables. Ces évaluations coûtent cher – je vais demander le calcul de leur coût –, il est utile de savoir quelle utilisation on en fait. Quant à l’évaluation du système, aux statistiques, il faut qu’elles soient menées par des gens indépendants, et pourquoi pas par un organisme extérieur ?
Le Point : Lors des Etats généraux de la lecture, à Nantes cette semaine, vous avez annoncé votre intention de relancer les cycles (1), qui existent pourtant depuis 1989…
Ségolène Royal : Ils n’ont jamais eu de véritable contenu. Il faut penser en cycles, par exemple en faisant des inspections non pas des maîtres seuls dans leur classe, mais des équipes de cycle. Et fixer des objectifs clairs à chaque cycle. Puis évaluer à la fin du cycle chacun des enfants. Il faudra qu’un enfant puisse comprendre tel niveau de lecture. Si cela n’est pas fait, il faudra reprendre l’apprentissage avec cet enfant. Aujourd’hui, on se repasse un peu le mistigri, parce qu’il n’y a pas d’outil d'évaluation claire. Lors d’un changement de cycle, on devra pouvoir dire : « Attention il est faible dans telle ou telle matière », pour que le cycle suivant puisse s’organiser pour l’accueil de cet enfant et qu’on n’attende pas deux trimestres pour constater ses difficultés. Aujourd’hui on est dans un système sans mémoire. Les élèves ne doivent pas non plus être stigmatisés, mais il ne fait pas que les points fables soient des boulets à traînés.
Le Point : Ce sont des modifications de structure. Etes-vous prête à être plus normative envers les enseignants, leur travail, leurs méthodes ?
Ségolène Royal : Oui, mais prudemment. Par exemple, je voudrais mettre comme norme la lecture d’une livre par semaine, c’est quelque chose que les enfants sont capables de faire. Mais il y a des classes où on fait plus. Et puis, on peut lire beaucoup sans comprendre, et lire moins en faisant un travail d’accompagnement. Toute norme est réductrice, a un effet pervers. Et pourtant, l’école a besoin de normes, parce qu’il y a des écarts incompréhensibles d’une école à l’autre, notamment en termes de quantité de lecture ou d’écriture. Il faut donc trouver un juste équilibre.
Le Point : On a parfois l’impression que les recettes existent depuis longtemps, mais qu’il y a une très forte inertie du système…
Ségolène Royal : Oui, il y a une forte inertie. Il y a aussi des progressions inespérées, que les Etats généraux ont montrées. Mais il faut assigner des orientations claires à l’école. Parce qu’on lui demande beaucoup. Le moment est venu de montrer en quoi toute la périphérie de l’école est au service de ce qui se passe dans son cœur. Donc de la maîtrise du langage. Tout doit tourner autour de ça ¨
(1) Les cycles regroupent plusieurs classes. Le cycle 2 (grande section de maternelle, CP et CE1) est celui de l’apprentissage de la lecture. CE2, CM1 et CM2, forme le cycle 3.