Texte intégral
L’Humanité : – Comment expliquez-vous la faible place accordée aux cadres dans l’avant-projet de loi ?
Jean-Louis Walter : – Tout le monde s’est focalisé sur des problèmes périphériques : les conditions de mise en œuvre de la loi, la souplesse d’application, le délai supplémentaire, ces questions ont un peu noyé le débat. Le point fort de cette loi devait être le problème des cadres. Quand nous avons rencontré Martine Aubry, nous avons eu l’impression qu’elle nous avait entendus ; mais son projet n’a pas traduit nos propositions. La majorité plurielle est assez difficile à gérer : pour contenter tout le monde et ne pas énerver le patronat, des dosages parfois bizarres sont faits. Le gouvernement a sans doute relevé la barre pour donner du grain à moudre au Parlement.
L’Humanité : – Vous avez dit que l’avant-projet de loi sur les 35 heures ferait des cadres « les nouveaux serfs ». Comment l’éviter ?
Jean-Louis Walter : – Nous avions proposé un dispositif de réduction du temps de travail en jours. Traduire cela par cinq jours de congés supplémentaires par an est scandaleux. Nous avions fixé la barre à 200 jours de travail et 165 jours de repos dans l’année. Les discussions ont repris avec le ministère cette semaine, sur l’idée qu’entre 222 et 200, on doit trouver un compromis. Pour nous, le compromis raisonnable, c’est 210 jours, si le dispositif de loi conserve toutes les garanties en matière d’horaire de travail maximal journalier et hebdomadaire. Si on les enlève, alors qu’elles existent déjà dans le droit du travail, on doit aller vers un seuil significatif. Sinon, ça ne correspond à rien : il y aura tellement d’excès que les gens vont travailler encore plus. La loi doit adopter une démarche forte. Nous ne sommes pas persuadés que le principe du décompte en jours se décline bien dans les branches. Nous préférons que la loi mette les choses bien au clair, avec des suivis beaucoup plus rigoureux dans les entreprises sur la prise des repos. Actuellement, on a plutôt tendance à contrôler les heures de travail. Nous souhaitons qu’on contrôle la prise effective de repos. La semaine de 4 jours est une des pistes en matière d’aménagement et de réduction du temps de travail des cadres.
L’Humanité : – Vous êtes favorables à un décompte du temps de travail en jours, mais certains cadres estiment que, sans mesure en heures, la réduction est illusoire.
Jean-Louis Walter : – Il y a eu tellement d’excès dans les dernières années que leurs appréhensions sont légitimes.
Habituellement, on raisonne tellement en heures que le décompte en jours reste abstrait pour un certain nombre de gens. Ce qui est important, c’est d’être rigoureux sur la prise des congés.
L’Humanité : – Peu de cadres travaillent 8 heures par jour. Si on fait un calcul, 200 jours à 10 heures par jour, c’est 2 000 heures par an. N’est-ce pas trop ?
Jean-Louis Walter : – Tout à fait. C’est une raison supplémentaire pour dire que 222 jours sans plus aucune garantie, c’est encore pire. Si on fait travailler les gens 222 jours, on les fera travailler plus, dans des conditions de travail encore plus difficiles, avec l’aval du législateur. Lorsque nous avons rencontré Martine Aubry, elle nous a dit que si on essayait de coupler le décompte en jours, que nous proposions, et les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires, on restait dans une logique de contrôle d’horaires dont on aurait du mal à sortir. Elle n’a pas tort, mais si on veut sortir de cette logique en évitant les excès, il faut un seuil significatif : 210 jours au minimum. Et vous avez fait le compte : ça reste très largement supérieur à ce qu’on peut espérer aujourd’hui. Cependant, tout le monde ne fait pas d’excès tous les jours. Il n’y a pas que des vilains patrons, il y a des patrons sérieux et parfois aussi nos collègues cadres qu’il faut éduquer un peu.
L’Humanité : – Des procès se multiplient contre des entreprises pour travail clandestin où non-paiement des heures supplémentaires aux cadres, comme chez Thomson. Pensez-vous que ce soit de nature à faire avancer le débat ?
Jean-Louis Walter : – Au début, nous n’étions pas des fanatiques de ce genre de procédures. Cependant, là où il y a des procès, le problème de fond n’est pas le temps de travail, mais l’absence de dialogue social. Quand les procès ont lieu, il y a presque toujours amélioration du dialogue social dans ces entreprises. Dans ce sens, c’est positif.
L’Humanité : – Pensez-vous que les cadres doivent passer à 35 heures ?
Jean-Louis Walter : Les cadres doivent bénéficier de l’aménagement et de la réduction du temps de travail, mais ils ne doivent pas obligatoirement travailler 35 heures : ça dépend notamment des secteurs. Nous sommes très attachés au niveau de l’entreprise, parce que c’est là, plus que dans les lois, que se décident l’aménagement et l’organisation du travail.