Extraits de l'interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL le 7 décembre 1997, sur la situation au Proche-Orient, en Irak et en Algérie, les affaires européennes et la politique africaine.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - RTL

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Q. Est-ce catastrophique ou non ?

R. La situation est dangereuse si on n'avance pas. Seule une solution politique équitable, à partir des accords d'Oslo et des engagements pris, aboutissant à satisfaire les aspirations des uns et des autres, garantira une vraie sécurité. On est toujours dans une situation très difficile. (...)

Q. Les propositions de Nétanyahou donnent-elles une chance au processus de paix ? Vont-elles permettre de faire redémarrer une négociation avec les Palestiniens ?

R. Il ne faut décourager aucune tentative. Il ne faut jamais fermer la porte. (...) On ne peut pas laisser cette situation s'envenimer. (...) Compte tenu d'un certain raidissement du côté américain et de l'expression d'une impatience un peu plus grande qu'auparavant, M. Netanyahou est venu en Europe pour dire, non seulement à Bonn mais aussi à Paris : « Écoutez-moi, je ne suis pas hostile en principe au processus de paix. Je reconnais qu'Israël a pris des engagements et je veux tenter de les tenir à ma façon. D'ailleurs, j'ai appliqué l'accord d'Hébron. Je voudrais continuer et je vais faire des propositions. » Nous écoutons.
Nous voyons que d'une façon un peu indirecte, par la presse, sans que cela soit bien net, des débuts de propositions ont été faits pour qu'il y ait un petit bout de redéploiement - qui est vraiment très très en deçà de ce qui est prévu par les accords. D'ailleurs, les Français comme les Allemands ont répondu à cela que c'était très insuffisant pour relancer une dynamique de processus de paix.

Q. Qu'est-ce qui serait suffisant ?

R. Je ne veux pas citer de chiffres, car nous ne sommes ni négociateurs ni signataires des accords d’Oslo. (...) L'écart entre les gestes que jusqu'à présent M. Netanyahou se sent capable de faire ou se résigne à faire ou a envie de faire et le minimum vital dont M. Arafat a besoin pour que le processus de paix (...) ne soit pas maintenant complètement décrédibilisé aux yeux des Palestiniens qui s'estiment floués, est trop grand. (...)
Sans un effort conjugué des États-Unis, des Européens et de quelques autres comme l’Égypte et la Russie, nous avons peu de chances de faire avancer les choses. Nous travaillons à une bonne convergence (…).

Q. Y a-t-il convergence entre les États-Unis et la France ?

R. (...) Le quasi-blocage du processus de paix est trop peu préoccupant pour l'avenir pour qu'on puisse s'amuser à des petits jeux de compétition. L'engagement américain est indispensable mais n'est pas suffisant. L'Europe peut jouer un rôle très utile, à commencer par la France (...). Je pense aussi que le retour de la Russie dans cette région est une bonne chose dès lors qu'elle exerce son influence dans cette direction. Chaque pays a ses préoccupations, son style, ses relais particuliers : il faut essayer de faire converger ces actions pour débloquer le processus. Nous ne sommes pas dans un concours de beauté et il ne s'agit pas de savoir quel est le poids exact de l'influence de chacun. Ce qui est intéressant, c'est de savoir si on tire à hue ou à dia ou si nous allons dans le même sens. Pour le moment, tous ceux qui interviennent vont dans le même sens pour essayer de débloquer à tout prix ce processus. (...)

Q. Les Palestiniens luttent-ils avec suffisamment de vigueur contre le terrorisme ?

R. C'est difficile à mesurer. Ce que je sais, c'est que les Palestiniens affirment lutter avec toute la vigueur possible contre le terrorisme. J'observe aussi qu’il est en partie dirigé contre eux. (...) Chaque fois qu'il y a un attentat, il met en péril ce sur quoi les responsables palestiniens ont engagé leur crédit politique.

Q. Vous ne doutez pas de la volonté d'Arafat de parvenir à la paix avec Israël ?

R. Je ne doute pas de la volonté de ceux qui disent vouloir faire la paix. (...) Si on veut obtenir que la direction palestinienne soit en mesure de lutter efficacement contre le terrorisme (...), il faut aussi qu'il y ait une dynamique politique, une perspective (...).

Q. Doutez-vous de la volonté de Nétanyahou d'arriver à un accord de paix ?

R. Je ne doute pas de la volonté des Israéliens de vouloir vivre en paix, (...) Je pense que la population israélienne, comme la population palestinienne, veut la paix.

Q. Et le gouvernement israélien ?

R. En revanche, toutes sortes de questions se posent sur les moyens d'arriver à cet accord de paix, sur les processus, sur la politique à suivre.

Q. Et le Gouvernement ?

R. La question qui se pose à nous est de savoir ce que l'on fait quoi que nous pensions, quelles que soient les spéculations et les évaluations des uns et des autres. Ce que nous devons faire, c'est agir dans le sens du déblocage du processus. Gardons nos évaluations psychologiques pour nous.

Q. La prochaine déclaration commune euro-américaine sur le Proche-Orient qui devrait être faite la semaine prochaine s'inscrit-elle dans le cadre de cette convergence ?

R. (...) Cette déclaration n'est pas à un stade de préparation très avancé. On peut imaginer une expression euro-américaine : l'essentiel est de vérifier que le cap est le même.
L'Europe est plus présente. Elle a un envoyé spécial (...). Elle finance pour l'essentiel les aides au Proche-Orient, notamment aux Palestiniens. Les ministres européens s'intéressant de plus en plus à ce sujet. (...)

Q. Vous ne doutez pas de la volonté des deux partenaires ?

R. Nous agissons comme si cette question ne se posait pas.

Q. D'où peut venir le geste qui débloquerait ?

R. Je crois qu'il viendrait essentiellement du gouvernement israélien. Cela pourrait passer par le gel des mesures unilatérales, par une proposition substantielle en matière de redéploiement. (...) Les positions américaines et européennes, notamment françaises, (...) sont, depuis ces derniers mois, de plus en plus convergentes sur ce point. Mais il peut aussi y avoir un geste du côté palestinien.

L'ONU, les États-Unis et l'Irak

(...) En ce qui concerne le recours à la force contre l'Irak, la position des pays arabes (...) a contribué à une réflexion au sein de l'administration américains sur le lien qui existe entre une attitude américaine qui a été trop passive pendant trop longtemps sur le processus de paix et le crédit général des États-Unis dans le monde arabe. (...)
L'unanimité du conseil de sécurité a fait comprendre à Saddam Hussein qu'il devait revenir sur sa position indéfendable et inutilement provocante de cesser de coopérer avec la commission de contrôle des Nations unies. Mais cela ne veut pas dire que le problème ait disparu pour autant. Aujourd'hui, un certain nombre de questions se posent puisque l'Irak n'accepte pas que la commission accède à certains sites dits sensibles.
Nous considérons, nous Français, que la dimension nucléaire et la balistique sont à peu près sous contrôle mais que ce n'est manifestement pas le cas pour les armes chimiques et biologiques. Par conséquent, la sortie du tunnel passe par plusieurs étapes qui ne sont pas encore réalisées. Par ailleurs, la question humanitaire se pose de façon très lente.

La France, l'Irak et les embargos

(...) Je regrette très nettement que nous n'ayons pas pu aller plus loin que la simple reconduction de la résolution 986 qui prévoit l'échange de pétrole contre de la nourriture car cela aurait permis d'alléger les souffrances de la population irakienne qui sont devenues intolérables. La France souhaite un élargissement très considérable de cette résolution. (...) D'une façon générale, il faut augmenter la quantité de pétrole qui peut être vendue (...).
D'une façon générale, nous ne raffolons pas des embargos et des sanctions. Nous ne les acceptons que quand ils sont décidés par une autorité légitime et la seule que nous connaissons, c'est le conseil de sécurité des Nations unies. (...)
Cela dit, l'Irak a accumulé des armes de destruction massive d'une façon hallucinante sans rapport avec sa légitime sécurité. Il faut donc mettre en place un système pour les contrôler, en faire l'inventaire et les démanteler. Après, on passera à un contrôle de longue durée. Ce n'est pas une mise sous tutelle totale. (...) Il faut arriver à une situation normale où un contrôle de longue durée permet à la communauté internationale d'être rassurée sur des risques potentiels qui seraient reconstitués. (...) Les Irakiens peuvent mettre fin à cela dès demain matin : ils n'ont qu'à arrêter tous leurs programmes et fournir les informations complètes nécessaires à la levée de toutes les suspicions. (...)

Q. La fin de la crise n'est-elle pas liée au départ de Saddam Hussain ?

R. (...) Aucune résolution du conseil de sécurité ne dit cela. Qu'il y ait des spéculations, des arrière-pensées, (...) c'est bien possible. Jusqu'à présent, l'Irak n'a pas rempli toutes les conditions. Incitons ce pays à les remplir pour savoir quelle est la réponse à votre question. Pour notre part, nous aurons une position claire et logique : la France est complètement cohérente avec elle-même sur ce point (...)

Les pays européens et les islamistes

(...) Compte tenu de la démocratie qui règne en Europe, des règles de droit, des procédures judiciaires et des garanties multiples qui y prévalent, il y a en Europe toutes sortes de militants politiques et de réfugiés : certains abusent parfois de cette situation pour mener des combats d'un autre type. C'est tout à fait fâcheux et, sur le plan du terrorisme, cela doit être impitoyablement combattu. Je note que la France n'a jamais été incriminée. (...)

L’Algérie
 
Q. Que pensez-vous de la mise en cause des services secrets algériens à propos des attentats commis en France ?

R. (...) J'ai fait le point avec le ministre de l'Intérieur. La France a déjà fait des enquêtes depuis longtemps. (...) Beaucoup de choses sont connues sur ces attentats : qui les a organisés, à quel moment, qui était en France, avec quel matériel et acheté où. Aucune des indications du ministère de l'Intérieur ne coïncidait avec ce qui était sous-entendu. (...)

Q. Que pensez-vous du régime algérien ?

R. Le régime du Président Zéroual est en train de parvenir à une certaine normalisation. (...) Les questions que l'on se posait il y a deux ou trois ans sur la pérennité du régime algérien ne se posent plus aujourd'hui. (...) On ne peut pas nier qu'il y a eu en Algérie une édification institutionnelle. (...) Il y a dans l'Assemblée algérienne sept ou huit partis qui expriment des forces différentes, qui se combattent selon des procédés normaux, politiques et parlementaires. Cahin-caha, on voit bien qu'il y a une sorte de processus mais il reste fragile et compliqué. Nous, nous encourageons les autorités algériennes à compléter ce processus institutionnel par un processus de démocratisation véritable, par des réformes.

Q. Que vous inspire la déclaration de Jacques Attali sur la formation de brigades internationales pour l'Algérie ? Il a même ajouté qu'il était prêt à être le premier à s'enrôler.

R. Cela m'inspire des sentiments mêlés. Je n'ai pas compris contre qui il s'engagerait. (...) Les massacres en Algérie sont absolument insupportables. Cela fait partie des choses les plus horribles que l'on ait vues depuis longtemps. C'est pourquoi une des dimensions de notre politique (...) est d'encourager de façon très concrète et tous les jours et mon ministère est très actif sur ce plan - la solidarité de la société française avec la société algérienne. (...) Il faut une capillarité dans l'amitié, l’affection et la solidarité. (...) Si l'on veut aller s'engager dans un pays étranger en proie à des affrontements extrêmement cruels, il faut dire pour quoi, pour qui et contre qui.

La cohabitation

(...) Le Président de la République et le Premier ministre n'ont pas besoin de médiateur, ils se parlent fréquemment, ils s'expliquant (...). Dans des domaines notamment internationaux, depuis quelques mois, nous n'avons pas au de difficultés à élaborer ensemble, le Président et le Gouvernement, une position commune. (...) Le Président et le Gouvernement ont la même analyse et la même position sur le processus de paix au Proche-Orient (...) ; au Conseil européen de Luxembourg, sur des grandes questions comme l'élargissement, l'agenda 2000, ou la Conférence européenne, il y a une position française claire et nette. (...)

Q. Avez-vous le sentiment qu'il y a plus de tensions aujourd'hui ?

R. Pas dans les domaines dont j'ai la charge.

Le traite d’Amsterdam et l’élargissement de la communauté européenne

Le Conseil constitutionnel va dire - personne ne peut lui contester ce rôle - s'il y a matière à révision ou non de la Constitution. Après, il y aura une discussion politique ; des gens vont dire : nous sommes pour cette révision et d'autres : nous sommes contre. (...)
Le référendum sur le traité de Maastricht a répondu à l'ensemble des questions. On ne peut pas à la fois dire comme certains que le traité d'Amsterdam a accouché d'une souris et demander un référendum pour commenter cette souris !

Q. Et que pensez-vous de la proposition de M. Giscard d'Estaing ?

R. Sur le fond, ce Gouvernement a déclaré après le Conseil européen d'Amsterdam (...) qu'il y avait dans ce traité quelques progrès qu'il fallait capitaliser, notamment les coopérations renforcées (...), mais que cela ne suffisait pas à prémunir l'Europe contre le risque d'une dilution dès lors qu'elle serait à nouveau élargie. (...)
En termes politiques, le Parlement peut prendre cette initiative, et elle est d'autant plus intéressante qu'elle s'inscrit dans le fil de ce que nous avons dit, mais en termes constitutionnels et de pouvoirs, je ne suis pas sûr qu'il puisse ajouter un article à la loi portant ratification. En tout cas, c'est notre démarche : il faudra reformer les institutions avant la concrétisation de tout nouvel élargissement.
Nous allons à Luxembourg à la fin de la semaine décider la liste des pays avec lesquels nous allons commencer les négociations au printemps. (...) Personne ne sait combien de temps cos négociations dureront. (...)

La Turquie et l'Union européenne

Le gouvernement turc se comporte comme un gouvernement très orienté vers l'Europe. (...) Il s'est constitué en Turquie des forces qui savent très bien que la Turquie ne remplit pas et de loin les conditions économiques, politiques, démocratiques, etc., mais elles (...) nous disent : si vous brisez cette dynamique (...), vous nous handicaperez dans des conditions intolérables. (...) Nous Français, nous cherchons (...) à répondre à cette aspiration turque (...) sans pour autant entrer dans un processus de négociation et d'adhésion pour lequel les conditions ne sont pas remplies. C'est pourquoi nous avons proposé une conférence. (...)

La candidature de M. Trichet à la Banque centrale européenne

(...) Il n'y avait pas d'accord mais une sorte de consensus pour une cooptation interne entre gouverneurs des banques centrales. (...) C'est aux dirigeants politiques de décider. (...) Le Président de la République et le Premier ministre ont avancé cette candidature. (...) Il n'y a aucune mauvaise manière de notre part. De toute façon, la personnalité de Jean-Claude Trichet est suffisamment remarquable pour qu'il soit immédiatement reconnu, même si d'autres pays ont d'autres candidats, comme un très remarquable gouverneur possible. (...) Maintenant, on discute tranquillement. (...) Tout est possible tant que rien n'est conclu. (...)

Les quatre conditions françaises à l’entrée dans l'euro

En dehors de la fixation de l'euro, qui sera déterminante après (...) toutes les autres conditions sont remplies ou en train de l'être ou le seront grâce aux processus qui ont été lancés par ce Gouvernement.

La vente de frégates à Taïwan

Q. On dit qu'elle a dû financer de manière occulte des commissions à fournir à des intermédiaires pour permettre à la France de vendre des frégates à Taïwan, et que la ministre des Affaires étrangères de l'époque, M. Dumas, était au courant de cette affaire.

R. (...) Je n'ai pas de dossier du Quai d'Orsay là-dessus et je n'ai pas de commentaires à faire sur ce point.

Elf et l'Afrique

Il y a une sorte de tendance à présenter cette très grande entreprise française (...) de façon constamment rocambolesque. (...) Dans l'affaire du Congo Brazzaville (...) les deux camps ont fait des reproches presque aussi véhéments à Elf. (...) Or, dans cette affaire, Elf n'a rien joué de spécial. (...) Je n'ai connaissance d'aucune action d'Elf (...) qui permette de dire qu'il y a un jeu de l'un contre l'autre. (...)

LA politique africaine de la France

(...) La France est très installée en Afrique, sa présence est souhaitée. Dans l'avenir, on verra que la présence française non seulement ne recule pas, mais au contraire à tendance à s'ouvrir. (...) La France n'a rien à craindre d'un dynamisme américain. Si les Américains veulent s'intéresser à l'Afrique, ce qu'ils ont fait rarement, tant mieux ! (...)
Nous n'avons pas de raison d'inventer des conditions spéciales, plus draconiennes ou plus impitoyables concernant M. Kabila. (...) Il n'y a pas d’à priori, la France n'a fermé aucune porte.