Interviews de M. Yves Cochet, porte-parole des Verts et député, dans "L'Humanité" le 7 octobre 1997 et à RMC le 24, et éditorial dans "Vert contact" le 25, sur la lutte contre la pollution atmosphérique, la "fiscalité environnementale", la préparation des élections régionales 1998.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Journal de 8h - L'Humanité - RMC

Texte intégral

Date : 7 octobre 1997
Source : L’Humanité

L’Humanité : À plusieurs reprises, depuis le mois d’août, des pics de pollution ont été enregistrés en région parisienne. À chaque fois, les Verts ont souligné qu’au-delà de mesures ponctuelles, il s’agissait de repenser toute la logique d’aménagement et de développement de l’Île-de-France. Qu’avez-vous précisément en tête ?

Yves Cochet : La mesure de circulation alternée du mercredi 1er octobre a bien réussi en Île-de-France. Mais il faut maintenant s’attacher à un travail dans la durée, notamment en matière de transports dans les grandes agglomérations. Ce qui implique des mesures concernant les automobiles – nous regrettons, à ce propos, que le Gouvernement n’ait pas suivi notre proposition d’augmenter le prix du gazole. Dans le même temps, il s’agit de diminuer progressivement la part du transport individuel – soit en voiture, soit en camion – au bénéfice des transports en commun, qui, du point de vue de la pollution et de l’énergie dépensée, sont beaucoup plus économes. Or, actuellement, près des deux tiers des déplacements en Île-de-France s’effectuent sur un mode de transport individuel, et un bon tiers seulement en transports en commun. Pour rééquilibrer ce rapport à 50-50 – ce qui est le souhait de Dominique Voynet – il faut une bonne dizaine d’années et une centaine de milliards de francs d’investissements. Un mot encore sur les pics de pollution : la Météorologie nationale est capable de faire des prévisions à cinq ou sept jours. Quand existent des risques de pollution, pourquoi ne pas prendre des mesures préventives de restriction de l’entrée des voitures dans les grandes agglomérations ?

L’Humanité : Quels autres types d’alternatives préconisez-vous ?

Yves Cochet : Prenons l’exemple de l’Île-de-France : depuis cinquante ans, on n’a pas cessé de séparer les êtres humains dans les trois activités principales qu’ils ont sur vingt-quatre heures : le travail, l’habitat, l’accès aux loisirs, aux commerces et à la culture… Ce qui a entraîné un surcroît de transports. Il faudrait peut-être que dans chaque département, mais aussi dans le nouveau schéma directeur d’aménagement du territoire qui sera mis en œuvre en 1998, les « zones » actuelles soient rendues moins homogènes et que se multiplient les tentatives pour rapprocher les gens de leur travail et/ ou des lieux de culture ou de consommation. Cela aussi se joue sur des années, voire des dizaines d’années…

L’Humanité : Un certain discours, parfois associé à l’écologie, présente la ville comme l’ennemie. Est-ce votre approche ?

Yves Cochet : Pas du tout. Les Verts ne cultivent pas cette image plus ou moins passéiste de je ne sais quel retour à la campagne. Il est certain qu’une ville ne doit pas être une communauté hors sol – ou « offshore » - par rapport au monde qui l’entoure, et qu’il ne s’agit pas de faire de la densification à outrance. Quand nous parlons d’« écologie urbaine », cela signifie que les villes doivent être faites pour être agréables à vivre. Or, aujourd’hui – je pense à Paris, mais pas seulement – les politiques conduites depuis trente ans ont consisté à exclure les catégories les plus défavorisées de la ville intra-muros pour les envoyer de plus en plus loin, favorisant ainsi l’émergence de banlieues où il n’y a ni activité économique ni parfois accès à la culture ou aux commerces. Après, on a bonne mine de parler de « zones sensibles » : on a tout fait pour les créer…

L’Humanité : Tout est-il le fait de la volonté que vous dénoncez ?

Yves Cochet : Certes, dans la période de l’après-guerre, il fallait loger les gens. Et je comprends qu’il y ait eu des bêtises, des barres et des tours dans les années cinquante ou soixante. Mais, depuis, on sait… Or, rien n’a été fait : les communes les plus riches sont devenues de plus en plus riches et résidentielles. Cela m’amène à souligner, de nouveau, à la fois l’importance d’un rééquilibrage au profit des transports en commun, notamment de banlieue à banlieue, et celle de la lutte contre le zonage : on doit pouvoir vivre, travailler, commencer et se cultiver à l’échelle d’une agglomération raisonnable.

 

RMC : vendredi 21 octobre 1997

RMC : Quelle est votre réflexion après le plongeon des bourses d’Asie qui a eu des conséquences, hier, sur toutes les places financières d’Europe et du monde et la fièvre avec laquelle on attendait, ce matin, les cours asiatiques ? Est-ce que ça va continuer ou non ?

Yves Cochet : Je pense que ça va continuer et, contrairement à A. Mine, je crois que cet événement montre que la mondialisation n’est pas forcément heureuse, que les pertes de confiance peuvent contaminer le monde entier. Par conséquent, l’économie est très fragilisée par ce type de mondialisation purement financière.

RMC : Vous avez entendu, hier, M. Strauss-Kahn prévoir que ça n’affecterait pas la croissance en France ?

Yves Cochet : Ça l’affectera marginalement mais la marge est importante puisque ce sont des dizaines de milliards et surtout des milliers d’emplois qui pourront être touchés.

RMC : Vous êtes député Vert, Monsieur Cochet, vous appartenez à la majorité plurielle. Est-ce que la collaboration avec le Parti socialiste et le gouvernement Jospin se passe bien ? Est-ce que vous avez le sentiment d’être à votre place, d’être respecté, qu’on vous écoute assez ?

Yves Cochet : Globalement oui, ça se passe bien. Comme dit Dominique Voynet : elle, c’est un vingt-septième du Gouvernement et nous, nous sommes un centième de l’Assemblée puisque nous sommes six. Ceci étant dit, nous avons chacun nos préoccupations et nos convictions et, par un jeu quotidien de reconquête de notre légitimité, on arrive à être reconnu et finalement respecté, même lorsqu’on est un peu critique vis-à-vis du Gouvernement.

RMC : Dominique Voynet au Gouvernement, qu’en pensez-vous ?

Yves Cochet : Elle a beaucoup parlé, y compris politiquement, depuis quatre mois. On peut dire que c’est une ministre des plus politiques alors qu’on l’attendait uniquement sur l’environnement. Non, non, elle sait tout dire et tout faire, mais c’est une femme responsable, donc elle veut agir dans la durée, comme nous.

RMC : Pour les régionales, qui sont proches, puisque c’est dans un peu plus de quatre mois, ferez-vous une liste commune avec le Parti socialiste dans tous les départements, dans toutes les régions ?

Yves Cochet : Pas dans tous, sans doute, mais on en a la volonté. C’est peut-être la réussite de l’opération du 1er juin, donc notre philosophie c’est : tous ensemble, gagnons les régionales. Ceci étant dit, on sait bien que ce n’est pas par hasard que nous sommes dans d’autres partis que les socialistes. D’ailleurs, ce ne sera pas non plus un face-à-face Verts-PS. Ce seront, j’espère bien, des listes plurielles, avec les cinq partis qui forment la majorité mais, département par département, il faudra voir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas ; simplement parce qu’on sait que, sur les sujets locaux, parfois il y a des conflits. Il y a beaucoup de socialistes qui sont quand même un peu bétonneurs et productivistes, les Verts sont très critiques vis-à-vis de ça. On espère que ça se fera dans le plus possible de départements et de régions parce que l’enjeu, en fait, c’est qu’on puisse avoir des nouvelles politiques dans les régions. Sur les 22 régions françaises, il n’y en a que deux qui sont dans cette majorité plurielle actuelle. On espère bien passer à plus d’une dizaine, ce qui veut dire un changement considérable pour nous et puis participer aux exécutifs, bien sûr.

RMC : Dans combien de départements pensez-vous faire une liste à part a priori ?

Yves Cochet : Moi, je dirais plus de la moitié à liste commune, de l’ensemble de la majorité, avec les copains communistes aussi, les radicaux socialistes et MDC, et puis il y en aura une minorité – j’espère – où on ne s’entendra pas. Mais on se fera une concurrence loyale, comme on l’a fait aux législatives.

RMC : Est-ce qu’il serait acceptable pour vous – parce que c’est un problème qui existe – que le Nord, qui est la seule région que vous présidez, passe au Parti socialiste ?

Yves Cochet : Non, je crois que non seulement M.-C. Blandin n’a pas démérité mais a vraiment développé une autre politique, une politique autrement, dans le Nord - Pas-de-Calais. Je crois qu’il est tout à fait légitime qu’elle conserve cette présidence même si elle présente une liste autonome, parce qu’elle veut compter un petit peu ce qu’elle a fait et ce que lui reconnaissent les électrices et les électeurs. Quel que soit son score, elle a tellement bien travaillé, et je pense que la plupart des socialistes le reconnaissent ainsi que les communistes, qu’elle doit rester présidente pour faire ce que l’on appelle un développement durable. Cela veut dire que l’on peut au moins, sur deux mandatures, confirmer ce qu’on a fait à la première.

RMC : Ce serait un casus belli avec le PS s’il n’acceptait pas votre sentiment sur ce point ?

Yves Cochet : Ça le serait.

RMC : Un casus belli ?

Yves Cochet : On ne parle pas de guerre, ce n’est pas notre vocabulaire courant, mais nous revendiquons deux régions en tant que présidence – s’il y en a plus que dix c’est normal qu’on en ait deux – et la première d’entre elles, c’est évidemment le Nord - Pas-de-Calais.

RMC : Pensez-vous que le budget est un bon budget ? Le voterez-vous ? Et sur quels points souhaitez-vous des amendements, si vous en souhaitez ?

Yves Cochet : Le Budget est optimal par rapport à la conjoncture à la fois sociale et économique, et même politique parce que, en fait il y a eu une dissolution au milieu de l’année, des élections, et qu’il était déjà bien préparé par Bercy avant le 1er juin. Bref, je crois que le Gouvernement a essayé d’équilibrer ce qu’il pouvait faire. On est un peu déçu dans certains chapitres. Je ne vous cache pas que, pour les recettes – qu’on a votées d’ailleurs la semaine dernière –, on aurait préféré qu’il y ait un peu plus d’insistance sur la fiscalité écologique, qui est un concept très nouveau pour Bercy. Ils ne comprennent pas tout à fait ce que c’est, on leur expliquera l’an prochain.

RMC : Cela prend du temps.

Yves Cochet : Cela prend du temps. Notamment sur le gazole. Le gazole, actuellement, est sous-taxé, donc c’est tout à fait anormal. On voit bien la pollution par le diesel, je crois qu’il aurait fallu rééquilibrer et surtaxer un peu plus pour simplement rattraper son retard par rapport au super sans plomb. Le Gouvernement a refusé. Dans d’autres points, on le fera ; on a fait, d’ailleurs, des amendements qui sont passés, sur la déductibilité de la TVA sur les voitures électriques – ça c’est une bonne chose. On essayera. Dans certains budgets, comme dans celui de l’agriculture, qui est passé hier, on s’est abstenu, pourquoi ? Parce que, là aussi, les orientations de l’agriculture nous semblent trop productivistes, trop chimiques, trop industrielles. Ce n’est pas une bonne orientation. Mais, globalement, on votera le budget, bien sûr.

RMC : Quand vous avez entendu le rapport de l’inspection des finances constater ou dire en tout cas qu’il y avait 500 000 fonctionnaires en trop, ça vous a semblé…

Yves Cochet : Ce n’est pas un rapport de l’inspection des finances.

RMC : Non, d’un inspecteur des finances, signé par un inspecteur des finances.

Yves Cochet : Certes, sans doute quelqu’un d’éminent, mais enfin, vous savez qu’à Bercy aussi, il n’y a pas simplement la pensée unique, chacun a son point de vue. Je ne crois pas que la productivité humaine, je ne crois pas que la rentabilité de la fonction publique, des services publics en général soit inférieure à celle des boîtes privées. C’est faux. À moins que les 500 000, ça soit peut-être les curés-fonctionnaires de Moselle et d’Alsace, je ne sais pas exactement qui il désignait. Je suis d’accord avec M. Allègre qu’il faut reconsidérer l’ensemble de la fonction publique. De là à dire qu’il y a trop de fonctionnaires, je ne le crois pas.

RMC : Pensez-vous que les lois Chevènement sur l’immigration sont équilibrées ?

Yves Cochet : Non, elles reprennent trop, à la fois dans certains articles et d’un point de vue culturel, la tradition idiote de Pasqua-Debré. Nous sommes toujours, et nous persistons à l’être, pour l’abrogation des lois Pasqua-Debré qui est à la fois une reconnaissance symbolique, politique, très forte de ce qu’il ne faut pas faire et puis, d’autre part, on déposera aussi des amendements pour, par exemple, éliminer les certificats d’hébergement qui ne servent plus à ce à quoi ils étaient destinés et puis pour passer, par exemple, de quatorze à sept jours en ce qui concerne la durée de la rétention administrative ; pour essayer d’éliminer ce que l’on appelle la double peine, qui est stupide, qui est incompréhensible ; et enfin, pour les mariages : est-ce que, au bout de deux ans, on s’aime moins qu’au bout d’un an ? On peut très bien devenir français par mariage au bout d’un an.

RMC : Vous qui connaissez bien les affaires sociales, M. Cochet, les 35 heures permettront-elles vraiment de résorber le chômage en France ?

Yves Cochet : Oui, si on le fait tel que l’a présenté Lionel Jospin à la conférence du 10 octobre, c’est-à-dire les 35 heures, voilà le premier principe ; une date butoir limite : 1er janvier 2000. Nous, nous aurions préféré 1er janvier 1999 parce que tous les trimestres, il y a quand même 200 000 chômeurs de plus. Tout le reste va être, d’une part dans la discussion sur ce que l’on appelle la compensation salariale – combien on va payer les gens qui feront 35 heures – et d’autres part, des aspects tels que les heures supplémentaires, le travail de week-end, le travail de nuit.

RMC : Combien d’emplois ?

Yves Cochet : Moi, je dis que si les 35 heures sont vraiment appliquées, c’est plus d’un million d’emplois en trois ans. Donc en 2003, on aura plus d’un million d’emplois grâce aux 35 heures.

 

Date : 25 octobre 1197
Source : Vert Contact

Éditorial : Premiers pas vers une fiscalité environnementale

L’examen de la première partie de la loi de finances a montré à quel point une véritable révolution culturelle reste à faire en matière de fiscalité environnementale. Certes une ouverture se dessine : c’est ainsi que nous avons obtenu du Gouvernement qu’il supprime la déduction de 50 % de la TVA perçue par les entreprises sur la consommation du gazole pour les véhicules qu’elles utilisent. Et nous pouvons aussi nous féliciter de vois adopté notre amendement rendant totalement déductible la TVA sur le GPL et le GNV. Sur les mêmes carburants, nous avons obtenu un abaissement de la taxe sur les produits pétroliers (TIPP). Enfin, devient déductible sans limitation la TVA sur l’électricité permettant de recharger les voitures électriques. Autant de grandes premières dans le domaine jusqu’alors vierge de la fiscalité écologique.

Reste que la France souffre d’une stupéfiante rigidité culturelle en matière d’arbitrages entre les taxes sur les produits pétroliers. À quoi bon augmenter de 8 centimes par litre les taxes sur l’essence et sur le gazole ? Cette hausse des taxes sur l’essence ne suffira pas à modifier l’état de fait actuel : les automobilistes paieront plus, sans que s’améliore le rapport qualité/prix des transports collectifs.

Lorsqu’une mesure fiscale est aussi une mesure de santé publique, il est inadmissible de la faire passer à la trappe, sous prétexte d’intimidation de la part d’un lobby routier. Pourquoi, du reste, ne pas proposer aux transporteurs des mesures compensatoires issues d’un fonds de péréquation qui pourrait être abondé, par exemple, par le fonds interministériel pour les transports terrestres et les voies navigables ? Ce fonds doit-il fatalement servir à approvisionner des infrastructures tourières lourdes ?

Ce premier volet du budget est celui des grands équilibres. L’audace voudrait que ces nécessaires et vertueux équilibres ne se chiffrent pas qu’en termes numériques mais aussi en termes qualitatifs et humains : qu’est-ce que l’équilibre, hors d’un environnement sain et de territoires habitables, en ville comme dans les campagnes ? Or, historiquement, le système fiscal français s’est construit dans la négligence absolue de ses éventuels effets sur les écosystèmes. Il y a là comme une béance : la fiscalité française ignore l’environnement. Tant que les coûts écologiques continueront à être considérés comme externes par les mécanismes de marché, cette situation, pour ne pas dire cet immobilisme, perdurera.