Interview de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, dans "Les Echos" le 1er juillet 1999, sur le rôle de l'Observatoire National du Commerce, la fusion récente des centrales d'achats, les magasins d'usine et le calendrier des soldes.

Prononcé le 1er juillet 1999

Intervenant(s) : 

Circonstance : Installation de l'Observatoire National du Commerce, à Paris, le 30 juin 1999

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

Q - Pourquoi ce nouvel Observatoire national du commerce ?

- « Le commerce est devenu l'un des premiers secteurs industriels en France. Son rôle dans l'économie est même devenu prépondérant, si l'on songe à la place centrale qu'il occupe dans le développement de la filière agroalimentaire, dans les problèmes de santé ou, encore, dans la vie de certaines branches économiques. Mais, jusqu'ici, le commerce a beaucoup souffert d'analyses approximatives. L'observatoire est né de la volonté du Gouvernement, et du Premier ministre en particulier, de disposer d'un instrument original pour donner à tous les acteurs une information pertinente. »

Q - Qu'en attendez-vous ?

- « Beaucoup. Il doit devenir une sorte de référence, d'autorité morale sur les questions du commerce… »

Q - … et plus précisément ?

- « Ses missions ont été définies par le décret du 27 novembre 1998. Il lui faudra examiner l'évolution des formes et du parc d'équipements du commerce, étudier les décisions prises par les commissions chargées d'autoriser les ouvertures de magasins, entreprendre les actions de coopération internationale qui seront utiles. »

Q - C'est vague…

- « Non, c'est vaste ! L'observatoire devra parler emploi, urbanisme et architecture des magasins, commerce électronique et de beaucoup d'autres choses encore : soldes, ventes au déballage, diversité des commerces dans les grandes agglomérations, relations entre fournisseurs et centrales d'achats… Par ses éclairages, je crois que l'observatoire peut nous aider à désamorcer les conflits. La richesse des données associée à un travail d'analyse sérieux peut améliorer sensiblement les termes du débat. »
 
Q - Désamorcer les conflits ? Les récentes fusions de centrales d'achats qui ont soulevé l'ire des industriels vous choquent-elles ?

- « Comme outil économique, non. En soi, aucune de ces concentrations - qu'il s'agisse de Lucie pour Leclerc et Système U, ou d'Opéra pour Casino et Cora - n'est choquante. Il s'agit seulement de modes d'organisation. En revanche, je comprends l'inquiétude de fournisseurs redoutant de n'avoir plus que deux ou trois clients. Plus il y a de centrales, et plus il y a de possibilités de pouvoir contrebalancer l'action de l'une - sur les prix, le volume des commandes - par celle de l'autre. Moins il y en a, et tout déférencement menace la vie même de l'entreprise. »

Q - Allez-vous agir comme le réclament les industriels ?

- « Qu'ils nous interpellent est normal. Mais avant que nous ne nous saisissions de la situation comme les industriels le demandent, je préférerais mettre tout le monde autour d'une table. Je crois beaucoup au rôle de l'État, comme médiateur et comme arbitre. »

Q - Il n'y aura pas donc de saisine des autorités de la concurrence ?

- « En toute hypothèse, le droit s'appliquera. Mais, avant toute chose, il faut que les acteurs se parlent. Ce qui me choque, c'est leur absence de solidarité économique. Ils ne se vivent pas comme partenaires, mais comme adversaires. Ils ont une vision extraordinairement individualiste des relations d'affaires. La solidarité économique sur un territoire donné est pourtant devenue un paramètre indispensable de la mondialisation. En Allemagne, c'est naturel. En France, ce n'est pas tout à fait incongru, mais presque. »

Q - Vous ne réformerez pas les règles de concurrence ?

- « S'il faut le faire, nous le ferons. Mais avant de changer tel règlement, tel décret ou telle loi, encore une fois, que les partenaires se parlent et débattent. Ce n'est qu'après cette étape d'échanges et de discussions que les pouvoirs publics verront ce qu'il faut faire. De grâce, ne raisonnons pas à l'envers. »

Q - Avec les magasins d'usine, vous n'hésitez pourtant pas à sévir…

- « Il est vrai que je viens de demander au préfet du Pas-de-Calais de faire un recours contre le feu vert donné à un projet de centre de magasins d'usine. Il y avait d'abord un problème de principe. Il n'est pas acceptable qu'une autorisation soit accordée par une simple commission départementale à un immense centre commercial susceptible de rayonner de la Belgique jusqu'à Paris. Et puis, je n'ai pris personne par surprise. Depuis 1997, j'attire l'attention des professionnels sur les critères à respecter pour la création de ces centres. Il faut que ce soient de vrais centres de déstockage et pas des solderies permanentes, qu'ils soient implantés dans des bassins d'industrie textile et qu'ils participent à la rénovation de centre-ville. À Coquelles, aux portes de Calais, aucun de ces critères n'était rempli. »

Q - Faut-il voir dans ce recours un coup d'arrêt ?

- « Ces centres sont pour la plupart de simples soldeurs permanents. En privé, les industriels nous disent fabriquer, parallèlement et dès l'origine, des produits pour les circuits de distribution classiques, et des articles pour ces pseudo-centres de déstockage. Tout cela contribue à déstructurer l'offre et à tirer les prix de l'habillement vers le bas. Ces centres incitent à l'écrasement des salaires et à la délocalisation des fabricants. En France, l'industrie textile perd 1 500 emplois par mois. Personne n'a rien à y gagner. »

Q - Le succès des soldes semble devenir un phénomène de société…

- « C'est vrai. Et cela aussi pèse aussi sur la santé de la filière textile. La dernière réforme n'a fait qu'aggraver les déséquilibres. Aussi, pour les prochaines soldes d'hiver, j'ai décidé de fixer une date nationale pour leur démarrage. Ce sera le 15 janvier, pour que les magasins puissent faire un vrai mois de décembre et un véritable inventaire. Cela permettra d'éviter que ne démarrent avant même les fêtes, des ventes dite « privées ». Seules les stations de sports d'hiver bénéficieront de dérogations, comme c'est la tradition. »

Q - Vous allez modifier la loi ?

- « Non. Je me contenterai d'envoyer une circulaire à tous les préfets. »
 
Q - Il n'y aura pas de loi Lebranchu comme vous en aviez caressé l'idée ?

- « Non. Le calendrier parlementaire ne le permet pas. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de réformes. Nous utiliserons toutes les possibilités qui nous seront offertes. L'indispensable réforme du Marché d'intérêt national de Rungis se fera, tout comme la modernisation du statut des coopératives de commerçants. »