Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RMC le 6 septembre 1999 sur les violences contre Mac Donald's, la détention de José Bové de la Confédération paysanne et la politique sociale du Gouvernement.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Un mot sur J. Bové, votre collègue de la Confédération paysanne, en détention depuis plusieurs jours. Est-ce qu'à votre avis, sa détention est, d'une manière ou d'une autre, une atteinte au droit syndical ?

- « D'une certaine manière, oui. J'ai deux observations à faire : la première, c'est que c'est un responsable syndical, j'oserais presque dire que c'est dans l'exercice de ses fonctions... »

Q - Oh !

- « … je dis bien « j'oserais presque dire », je nuance mon propos. Mais je veux dire que c'est trop facile de mettre les gens, comme ça, en détention. S'il a fait des choses qui - atteinte à la propriété, que sais-je ? - eh bien il fallait un jugement, il fallait le mettre au tribunal. Mais ne pas... »

Q - C'est un juge qui a décidé.

- « Que ce soit un juge qui ait décidé et que ce soit un jugement, il y a une différence. Or là, immédiatement, c'est pour des raisons tout simplement de précaution. Alors je considère qu'effectivement, sans demander que les militants syndicalistes ayant des responsabilités aient l'immunité - il n'y aurait aucune raison - on peut quand même s'interroger sur le zèle avec lequel on l'a mis en prison. Et je comprends qu'à son tour, pour répondre, il résiste un peu, y compris quand on lui dit : « Tu peux partir », il dit : « Attendez. » Et il en fait une affaire de caractère, de rapport de force, il a raison ! Maintenant sur le fond, moi je suis tout à fait d'accord avec eux. Vous savez, il se trouve que je suis un épicurien, enfin je pensais être un épicurien. Je me suis querellé - dans le bon sens du terme, on a un peu polémiqué - avec le maire de Millau, un jour, pour savoir si on devait boire le porto avant ou après qu'on ait mangé du roquefort. Moi je pense que le roquefort, je pense que le foie gras, ce sont des spécialités françaises et qu'il faut avoir le palais pour bien comprendre et goûter ce genre de choses. Et on ne met pas du coca-cola là-dessus, on ne boit pas du coca-cola. Alors dans le fond, pourquoi ne pas dire : « Vous avez raison les Américains, vous ne méritez pas de manger nos foies gras. »

Q - C'est du libéralisme à la Blondel.

- « Non, c'est pas du libéralisme. Je vais vous dire : c'est pas aussi désintéressé que ça. Compte tenu des moeurs américains, peut-être qu'ils nous achèteraient ça en douce, et ça serait la prohibition et peut-être qu'on en vendrait plus. Il faut jouer de tout dans ce genre d'affaire. »

Q - La politique sociale du Gouvernement. Est-ce que l'affectation de « la cagnotte », comme on dit - c'est-à-dire le surplus de recettes du budget 99 -, vous a paru bien distribuée ?

- « Le problème est relativement simple. Je dirais que c'est l'analyse qui nous conduit à faire des propositions d'un type particulier. Premièrement, les rentrées qui ont été plus basses, c'est sur la TVA. Ça veut dire que sur la consommation, on a estimé qu'on devrait avoir plus de rentrées. Les rentrées qui ont été les plus fortes, c'est sur le bénéfice des entreprises. Ma réaction est relativement simple : ça fait partie du contrepoids naturel. Je dis : « Il faut donner un coup de main non seulement aux salaires mais aussi permettre aux gens de consommer plus. » Alors la TVA est un des moyens. Puis on pourrait peut-être regarder un petit peu d'ores et déjà, au moment où on fait une grande démagogie sur les impôts, si les services publics correspondent aux besoins des gens. »

Q - Vous n'êtes pas pour une baisse d'impôts ?

- « C'est l'antienne de la gauche et de la droite. Ça devient du poujadisme, ça n'a même plus rien à voir avec l'analyse objectivée. Je n'entends plus maintenant quelqu'un dire : « Eh bien nous avons besoin... » Vous savez, on ne calculera pas la productivité des fonctionnaires, comme on semble le supposer... Je vais donner un exemple, c'est toujours le même : le pompier qui va sept fois au feu, c'est bien ; l'année suivante, s'il y va douze fois, il ne faut pas s'en féliciter : il a amélioré sa productivité mais il est allé douze fois au feu. Les conséquences, y compris en risques et en argent, sont peut-être plus grandes que les petits gains de productivité. »

Q - Donnez-vous quitus au Gouvernement sur la politique de l'emploi, c'est-à-dire tous les mois un peu moins de chômeurs. 300 000 chômeurs de moins dans l'année ?

- « Non, vous savez que j'ai des nuances quant à l'euphorie de Mme Aubry sur les statistiques de l'emploi. Si on regarde les statistiques de l'emploi et si on reste dans les données calculées selon l'ancien système, on a encore 3,3 millions de chômeurs. »

Q - Ça veut dire que le chômage n'a pas baissé ?

- « Mais ça veut dire qu'à mon avis il a baissé très modérément. En tout cas, ça ne remplit pas ce dont nous aurions besoin parce que les 3,3 millions de chômeurs existent maintenant depuis de nombreuses années. Je rappelle que c'est à partir de 75 ! Ça fait plus de 20 ans qu'on a commencé à avoir 400 000 chômeurs en France, ce qu'on n'avait jamais eu. Même en 1936, il n'y avait pas 400 000 chômeurs. Depuis, on s'est installé dans un chômage permanent avec tout ce que ça peut avoir comme effets directs ou indirects pour ébranler la société. On n'en parle pas, parce qu'il n'y a pas de pépins et tant mieux, je ne souhaite pas qu'il y ait des pépins. Mais moi je pense que notamment il y toute une série de jeunes... Un jeune de 25 ans à l'heure actuelle, soyons très clair, bien souvent il n'a pas vu son père travailler et lui-même se met dans la tête qu'il n'aura jamais du boulot. Bon. C'est très clair. Bon ! »

Q - Est-ce que finalement, Mme Aubry, qui est ministre de l'Emploi, de la Sécurité sociale, des minima sociaux, fait ce qu'il faut ?

- « Oui, elle fait ce qu'il faut. Ce n'est pas du tout ça mon point de désaccord. Elle fait ce qu'il faut, enfin ce qu'elle peut, elle essaye de faire au maximum. La vérité c'est que, compte tenu d'un certain laisser-aller du côté patronal, elle a le terrain très large et, moralité, elle décide tout. C'est ça qui m'irrite plutôt de temps en temps. Et puis elle a tendance non seulement à décider mais, y compris, si j'ose dire, elle déciderait de la revendication et de la façon de la satisfaire. Alors c'est quand même pas le rôle du ministre ! »

Q - Et « les dix ans » que le Premier ministre estime nécessaires pour résorber le chômage, ça vous paraît une…

- « Attendez. Là, on va quand même pouvoir en discuter, j'espère, avec lui, parce que résorber le chômage - il a parlé du « plein-emploi » – c'est le plein-emploi à quelle mode ? C'est le plein-emploi à la mode de M. V. Giscard d'Estaing qui, disait que 6 % c'est normal dans une société ? Alors, vous comprenez... On va voir, on va discuter un peu de ça. C'est déjà un aveu. »

Q - Un aveu de quoi ?

- « Le Premier ministre est réaliste et dit : « On ne peut pas résoudre ce problème des plus de 3 millions de chômeurs comme ça, en quelques mois, ou en quelques années. Moi je m'y attelle mais je ne réussis pas quand même autant que je le souhaiterais. Il me faut maintenant dix ans. » Alors chacun dira : « C'est électoral. » Mais ça c'est son problème. Moi je ne vois pas d'ailleurs pourquoi le Premier ministre n'aurait pas des ambitions électorales, c'est son droit le plus absolu. Mais il dit déjà : « Ne croyez pas qu'on pourra résoudre - comme il l'a vraisemblablement cru, et comme d'autres l'ont cru – le problème rapidement. Il nous faudra dix ans pour arriver à ça. » Maintenant, permettez-moi de vous dire : « Dans dix ans, quelle évolution nous aurons dans le domaine de la technicité et de la pratique ? Quel sera le contrat de travail, la nature du contrat de travail etc. » ? Moi je suis plus pragmatique que ça. »

Q - La deuxième loi sur les 35 heures. Vous avez un désaccord de fond avec Mme. Aubry sur ce point. Est-ce que vous demandez, ce matin, le retrait de la disposition sur la représentativité des syndicats ?

- « Oh ! Vous savez... »

Q - Et du vote dans les entreprises ?

- « Je vais être clair : l'histoire de la représentativité des entreprises - c'est-à-dire, on conditionnerait la signature d'un accord ou sa validité à un référendum - c'est jouer l'apprenti-sorcier, c'est le meilleur moyen pour dévaloriser la négociation collective. Et je m'étonne d'ailleurs d'être, non pas du côté syndical - nous sommes à peu près tous d'accord, sauf la CGT, qui, au contraire, demande cette disposition - mais y compris du côté patronal, si on y croit à la convention collective. Du côté patronal, on aurait intérêt à dire : « C'est un danger. » Mais ceci étant, c'est difficile à faire parler les patrons. Ceci étant, c'est clair, ça va mettre en cause des rapports sociaux ; ça donne plus de liberté à l'État bien entendu, ça lui permet de faire une politique beaucoup plus directive. Et ça, moi je pense que ça n'est pas toujours bon. »

Q - Vous êtes décidé à empêcher à tout prix cette disposition d'être votée ?

- « Pour moi c'est un casus belli. Alors c'est relativement simple, et il ne faut pas croire que c'est par autodéfense pour Force ouvrière, on soutiendrait aussi bien que les autres, ce n'est pas ça le problème. Mais manifestement, c'est dévaloriser complètement la négociation collective. Il n'y aurait pas eu de signature de texte en 40 ans si on avait fait ça. Parce qu'à la place d'aller autour d'une table et essayer d'obtenir quelque chose, on regarde celui qui va signer pour, après, faire une campagne contre lui, si ce n'était que pour un recrutement syndical. On va dire : « Regardez les pourris, ils se sont couchés ! Etc. » Et vous savez dans ce domaine la subjectivité est facilement de droit. »