Texte intégral
CFDT Magazine, octobre 1997
CFDT Magazine : Quel bilan la CFDT fait-elle des premiers mois du nouveau Gouvernement ?
Nicole Notat : S’agissant des sujets sur lesquels nous étions vigilants, la réforme de l’assurance maladie, l’immigration, la revalorisation du SMIC, l’action du gouvernement va dans le bon sens. Il a su faire preuve à la fois d’une bonne méthode et d’une bonne pratique.
Sur les allocations familiales, en revanche, nous restons sur notre faim. Nous considérons qu’il y avait matière à changer le système pour aller vers plus de justice et de solidarité dans leur attribution, mais le Gouvernement n’a pas à ce jour tenu compte des consultations. Quant à la réduction du temps de travail, nous sommes aujourd’hui dans l’expectative. Les prochaines semaines vont être déterminantes pour nous faire une idée complète des options que le Gouvernement retiendra en matière de politique de l’emploi.
CFDT Magazine : Le Gouvernement ne remet pas en cause la réforme de l’assurance maladie. Où en sommes-nous quant à son application ?
Nicole Notat : Observons d’abord que voilà enfin une réforme qui aura su résister aux aléas de l’alternance politique – preuve qu’elle doit être bonne ! Je remarque que la Cour des comptes vient d’en donner acte, constatant que pour la première fois s’amorce une réduction du déficit. En un an, celui-ci a diminué de moitié. Reste que la réforme est inachevée. C’est pourquoi la CFDT demande que soit franchie une nouvelle étape dans le transfert des cotisations sociales vers la CSG maladie de deux points au moins, ce qui aura pour effet d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés (la suppression, au 1er janvier 1997, de 1,3 point de cotisation maladie remplacé par 1 point de CSG déductible avait rapporté 0,35 % de gain de pouvoir d’achat). Pour nous, cette CSG doit garder un statut de cotisation et ne pas entrer dans le calcul du revenu imposable. Mais on attend également que le Gouvernement sorte de son mutisme sur la modification de l’assiette des cotisations patronales. Je souhaite qu’il n’oublie pas – et c’était dans les engagements du Parti socialiste – que la cotisation des entreprises porte aussi sur la valeur ajoutée, sur les richesses créées, et pas seulement sur la masse salariale.
L’agrément que le Gouvernement vient de donner à la convention passée entre la CNAM et les médecins généralistes, la mise en place progressive de filières de soins autour du médecin généraliste comme pivot du suivi médical, montrent que nous sommes toujours sur la dynamique de la réforme. Reste à mener la réforme hospitalière. Sur ce point, nous avions obtenu du précédent gouvernement la création d’un fonds d’adaptation qui faciliterait l’évolution de l’offre de soins vers des besoins nouveaux. Le Gouvernement actuel a repris cette idée. Mais l’enveloppe financière retenue (500 millions de francs) reste très insuffisante.
CFDT Magazine : Le Gouvernement a renoncé à l’abrogation des lois Debré-Pasqua sur l’immigration. La CFDT est-elle dans le camp de ceux qui lui reprochent de ne pas avoir tenu sa promesse ?
Nicole Notat : Si le souci du Gouvernement vise à rechercher, sur une question sensible, un consensus républicain, la CFDT l’encourage. Les partis de droite s’honoreraient d’y souscrire en renonçant aux figures imposées traditionnelles de l’opposition. La CFDT juge honnête et rigoureux le rapport que Patrick Weil a remis au Gouvernement. Il permet une remise à plat à partir de laquelle le Gouvernement pourra définir et modifier certaines dispositions législatives. En tout cas, cette approche débarrassée de tout dogmatisme ne fait pas le jeu du FN. Et en soi, c’est déjà un vrai changement. Au-delà du faux débat sur l’abrogation ou pas des lois Pasqua-Debré, la CFDT marque déjà son accord sur plusieurs points, notamment celui du retour au « droit du sol », et exprime en revanche son hostilité au maintien du certificat d’hébergement et au maintien de la « double peine ».
CFDT Magazine : Pourquoi la CFDT a-t-elle critiqué la mise sous plafond de ressources des allocations familiales, qui semble être une mesure de justice sociale ?
Nicole Notat : Nous sommes évidemment favorables à ce que soit instituée plus de justice sociale dans l’attribution des allocations familiales. Mais la décision retenue nous paraît ne pas tenir compte de la réalité des revenus des Français. Surtout, il nous semble que l’objectif serait mieux assuré si le Gouvernement s’attachait à réduire l’effet inégalitaire du quotient familial dans les aides aux familles. Nous ne sommes pas les seuls à le dire. L’UNAF (Union nationale des associations familiales) partage notre point de vue. Nous considérons avec elle qu’il faut que la politique familiale intègre et mette en corrélation les allocations versées aux familles et les réductions fiscales liées aux situations familiales. Nous avons été consultés sur cette question par le ministre des affaires sociales, mais nous attendons toujours de savoir ce que le Gouvernement entend faire de nos propositions.
CFDT Magazine : La réduction du temps de travail constitue un enjeu majeur de la conférence nationale que réunira le Gouvernement le 10 octobre. On sait que ce thème est cher à la CFDT. Alors, ce rendez-vous sera-t-il le bon ?
Nicole Notat : Pour la CFDT, ce rendez-vous sera le moment de vérité pour apprécier la manière dont le Gouvernement entend conduire une nouvelle politique de l’emploi. Aujourd’hui, il faut bien avouer que les incertitudes dominent quant à la vision que le Gouvernement privilégiera sur la réduction du temps de travail. La CFDT attend qu’il clarifie sa position, tant sont contradictoires les positions qui s’expriment.
CFDT Magazine : Avouez tout de même que les divergences de positions entre confédérations syndicales ne lui facilitent pas la tâche ?
Nicole Notat : Les divergences sur la manière de concevoir la réduction du temps de travail ne touchent pas que les syndicats. Le débat traverse aussi les partis politiques, et l’on cherche toujours, parmi les positions du patronat, laquelle s’imposera. Cela étant, il n’est pas certain que les différences d’appréciation entre syndicats soient des obstacles incontournables. Dans les entreprises, FO et la CGT signent des accords avec la CFDT. Nous parlerons de tout cela avec les autres confédérations syndicales que nous rencontrerons bilatéralement dans le cadre de la préparation de la conférence.
CFDT Magazine : Concrètement, qu’est-ce que la CFDT attend de cette conférence ?
Nicole Notat : Nous souhaitons d’abord qu’elle donne une véritable impulsion à une politique cohérente et dynamique de l’emploi. Que l’on cesse de se focaliser sur de faux antagonismes quant à la manière de relancer l’activité, notamment celui qui voudrait opposer salaires et emplois. La CFDT est persuadée qu’en réinsérant dans l’activité économique les gens privés d’emploi, on participe à la relance, à la croissance.
CFDT Magazine : La CFDT ne donne-t-elle pas tout de même le sentiment qu’elle fait passer au second plan les salaires au profit de l’emploi ?
Nicole Notat : Quand nous demandons le transfert de la cotisation maladie sur la CSG, nous demandons en même temps un financement plus juste de la Sécu et une augmentation du pouvoir d’achat des salariés. Lorsqu’on augmente, comme nous le souhaitions, le nombre de gens bénéficiant de l’ARPE, lorsqu’on embauche des chômeurs grâce à la réduction du temps de travail, dans les deux cas on redonne du pouvoir d’achat à ceux qui n’en avaient pas, ou si peu. Autrement dit on apporte une réponse salariale et une réponse à la question de l’emploi. Les deux ne s’opposent pas.
L’autre terrain sur lequel agit la CFDT concerne les bas salaires. On demande que s’ouvrent des négociations dans les branches professionnelles sur la revalorisation des minimas sociaux, négociations rendues indispensables après le coup de pouce donné au SMIC cet été. On le voit, la CFDT ne se désintéresse pas de la feuille de paie, et nous irons à la conférence nationale avec des propositions sur ces questions salariales.
CFDT Magazine : Oui, mais d’aucuns ont compris que, pour la CFDT, une réduction du temps de travail pouvait signifier la baisse des salaires…
Nicole Notat : Vous connaissez le dicton : quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage. Passons sur ce procès d’intention et examinons cette question trop sérieuse pour être traité à l’emporte-pièce. Dans la lutte contre le chômage et l’exclusion, il faut mettre toutes les chances de notre côté. La question de la contribution des salariés doit être mis sur la table des négociations. À nos yeux, elle n’est ni automatique, ni exclue. Les accords passés montrent que les négociateurs, en phase avec les salariés, ont su trouver des réponses qui incluent ou pas des formes de participation salariale. Dans certains cas, les salariés acceptent une contribution au financement de nouveaux emplois.
CFDT Magazine : Comme pour la participation financière des salariés, la CFDT est-elle prête à discuter aussi de l’annualisation, du temps de travail ?
Nicole Notat : Si, comme le montre l’analyse des accords Robien, des équipes CFDT ont accepté de négocier l’annualisation du temps de travail, c’est qu’elles ont estimé que celle-ci n’était pas source de régression sociale pour les salariés concernés. Indépendamment du fait que ces accords liant réduction et annualisation du temps de travail ont permis de créer des emplois, la précarité a reculé, les heures supplémentaires ont diminué, et les équipes syndicales ont alors un pouvoir accru de contrôle sur des formes classiques de flexibilité abusivement utilisées par les employeurs, notamment lorsqu’ils imposent du temps partiel.
CFDT Magazine : Quelle est alors la conception de la CFDT de la réduction du temps de travail ?
Nicole Notat : Nous sommes, à la CFDT, obsédés par le souci de l’efficacité. Or, celle-ci passe par une combinaison entre réduction du temps de travail et modernisation de l’organisation du travail. Notre vision consiste à lier les deux aspects parce que c’est la seule démarche qui permette de nouvelles embauches. Chacun y est gagnant : les salariés qui auront plus de temps libre, les entreprises qui pourront mieux s’adapter, et les chômeurs qui auront retrouvé du travail. Notre conception est bénéfique pour les salariés, qui peuvent négocier les formes diversifiées de temps libéré qu’ils souhaitent : semaine de quatre jours, capital-temps, congés supplémentaires, réduction progressive en fin de carrière, etc. Je l’ai souvent dit, en matière de réduction du temps de travail, la CFDT préfère le « sur-mesure » au « prêt-à-porter ».
CFDT Magazine : Qu’est-ce que la CFDT veut obtenir dans le cadre d’une nouvelle loi ?
Nicole Notat : Nous formulons deux principes. Premier principe, l’obligation de négocier de manière articulée RTT et organisation du travail. Second principe, qu’il ne soit pas mis de taquet à 35 heures, ce qui signifie qu’il faut laisser la possibilité de conclure des accords sur une durée inférieure. Nous posons également quatre conditions.
D’abord que la RTT soit massive et rapide partout où elle se met en place, qu’elle ne se fasse donc pas, comme certains l’imaginent, par étapes ou à doses homéopathiques. C’est pourquoi il faut fixer une date butoir aux négociations. Ensuite, nous disons que le financement de la RTT ne peut reposer sur les seuls salariés ni sur les seules entreprises. La troisième condition concerne l’obligation de créer des emplois en contrepartie d’un financement collectif. Nous voulons enfin que le passage obligé de la RTT soit la résultante d’accords.
CFDT Magazine : Une loi qui abaisserait, comme le réclame la CGT, le temps de travail de 39 à 35 heures sans perte de salaire, ne recevrait donc pas le soutien de la CFDT ?
Nicole Notat : Prétendre que du jour au lendemain on peut passer de 39 à 35 heures sans perte de salaire est une hérésie économique et un mensonge. Les Français le savent bien d’ailleurs, tout comme nous savons – l’histoire nous l’a enseigné – que cette vision est désastreuse pour l’emploi. Le lien entre réduction du temps de travail et création d’emplois n’a rien d’automatique, ceux qui le prétendent ont tort. Ils sous-estiment, par exemple, la capacité des patrons à imaginer des solutions pour digérer cette réduction, solutions néfastes pour les salariés. Plus de flexibilité, plus de rigueur salariale, productivité poussée, voilà les conséquences attendues d’une telle réduction qui aurait surtout pour effet de laisser les jeunes et les chômeurs à la porte des entreprises. Alors méfions-nous des vrais faux acquis. La véritable conquête sociale, c’est l’emploi.
CFDT Magazine : Le Gouvernement semble bien silencieux sur son rôle de patron de la fonction publique. On n’évoque guère la réduction du temps de travail pour les fonctionnaires. La CFDT en fait-elle son deuil ?
Nicole Notat : Non. Dans les fonctions publiques, il y a beaucoup à entreprendre pour moderniser leurs missions et combattre la précarité qui, contrairement à ce que l’on croit généralement, existe. Je ne vois pas pourquoi on exclurait des millions de fonctionnaires du changement social qui s’impose. La CFDT attend donc que des négociations s’engagent sur tous ces sujets, y compris celui de la réduction du temps de travail.
CFDT Magazine : Le plan emploi-jeunes du Gouvernement adopté par le conseil des ministres du 20 août dernier a suscité globalement l’approbation de la CFDT. Pour quelles raisons ?
Nicole Notat : Pour nous, ce projet de loi marque de la part du Gouvernement une démarche volontariste et ambitieuse pour l’emploi des jeunes. Nous saluons cette ambition qui consiste à faire émerger des activités ne relevant pas spontanément du marché. Nous saluons aussi l’importance des moyens financiers qui sont dégagés. Quand un gouvernement s’attache à régler un problème d’une telle ampleur avec autant l’ambition, la CFDT ne se réfugie pas dans un scepticisme de mauvais aloi. Au contraire, il nous faut réussir enfin ce pari.
Cela dit, nous ne sommes pas angéliques, et nous resterons attentifs à deux dérives possibles : une logique administrative qui prendrait le pas sur la mobilisation des acteurs, et la substitution de ces emplois nouveaux à des emplois de fonctionnaires non pourvus. Nous exercerons notre vigilance pour empêcher que l’approche quantitative ne l’emporte pas sur les exigences qualitatives. Et nous mesurons aussi le danger d’utiliser les aides financières à la création d’activités nouvelles pour remplacer, à l’image des CES (contrats emploi-solidarité), des emplois permanents non pourvus dans les fonctions publiques.
Il convient donc d’apporter des garanties notamment sur une sélection rigoureuse des projets, sur une transparence dans leur développement, leur suivi et leur évaluation, et rechercher leur pérennisation. Je dois dire qu’en ce qui concerne l’emploi des jeunes, nous avons, nous syndicats, à investir ce terrain. La CFDT compte bien prendre sa place pour que le pari soit tenu. Elle attend que le CNPF s’engage au cours de la conférence nationale pour qu’il le soit aussi dans le secteur privé.
CFDT Magazine : Le Gouvernement a renoncé à privatiser intégralement Air France, ce qui a provoqué la démission de Christian Blanc, son PDG. La CFDT critique-t-elle cette décision ?
Nicole Notat : Le sort fait à Air France, par rapport à la manière dont le Gouvernement a traité les autres entreprises, c’est une rupture, et c’est en tout cas pour nous une source d’incompréhension. À l’évidence, et quoi qu’en dise le Gouvernement, les raisons politiques ont pris le pas sur les considérations de réalisme. Le flou demeure quant au statut qu’il entend donner à Air France.
CFDT Magazine : Au-delà du cas d’Air France, la polémique est relancée sur la pertinence des privatisations. Quelle est la position de la CFDT ?
Nicole Notat : Nous n’avons pas de position dogmatique. Nous partons du constat que certaines entreprises de service public confrontées à la concurrence ou à la mondialisation de l’économie ont de nécessaires mutations à accomplir si elles veulent continuer de remplir des missions de qualité. Alors n’inversons pas les priorités. Il faut d’abord définir la stratégie industrielle et sociale de ces entreprises et, au regard des objectifs, décider d’ouvrir ou non – et si oui à quelle hauteur – leur capital. Les problèmes ne se posent pas de la même manière selon que ces entreprises ont ou pas des missions de service public. Dans le cas de Thomson-CSF ou du GAN, on voit bien que leurs activités sont essentiellement centrées sur un secteur concurrentiel, même si en matière d’armement l’État doit pouvoir conserver un droit d’orientation.
Ce n’est pas parce que l’État est actionnaire à 100 % qu’une entreprise est à l’abri de problèmes et qu’il n’y a pas de choix douloureux à faire, intégrant le cas échéant des réductions d’effectifs. On l’a vu avec le Crédit lyonnais. On peut aussi douter que si l’État détenait encore 51 % de Renault la décision de fermer Vilvorde n’aurait pas été prise.
CFDT Magazine : Alors la décision d’ouvrir le capital de France Télécom est bonne ?
Nicole Notat : À France Télécom, la fédération CFDT ne jugeait pas nécessaire l’ouverture du capital. Elle considère que le développement de l’entreprise France Télécom pouvait être réalisé dans le cadre du statut existant. Il serait injuste de pas noter que cette question fait l’objet d’un débat au sein de la CFDT, comme d’ailleurs dans les autres confédérations. Cela n’est pas anormal dès lors qu’il s’agit d’entreprises de service public qui ont, dans la culture française, une charge symbolique forte due au rôle qu’elles ont joué dans la relance économique de la France après la Seconde guerre mondiale, et qui tient aussi à l’attachement des Français pour des services publics accessibles à tous.
Cela étant, il est évident que la notion de service public est en évolution et que nous devons redéfinir, dans un contexte nouveau, les services publics auxquels nous demeurons attachés envers et contre tout. Ce qui caractérise un service public, c’est que chaque citoyen doit pouvoir bénéficier de l’égalité d’accès.
CFDT Magazine : La CFDT participera à une manifestation organisée par la CES (Confédération européenne des syndicats) au Luxembourg, à la veille du Conseil européen extraordinaire sur l’emploi qui aura lieu le 21 novembre. Quel sera l’objet de cette manifestation ?
Nicole Notat : Il faut d’abord rappeler le contexte de la construction européenne et comprendre notamment les exigences allemandes en matière de rigueur monétaire. En pleine période électorale, les Allemands s’apprêtent à abandonner le Mark, monnaie qui a forgé leur unité et fondé leur puissance économique, au profit de l’euro. Cela engendre forcément chez eux de légitimes inquiétudes. Mais, et Lionel Jospin a eu raison de le rappeler en juin à Amsterdam, la construction européenne ne peut pas être que monétaire. Elle doit intégrer la dimension sociale. À ce stade-là, je pense que l’avènement de la monnaie unique ne doit pas être considéré comme un aboutissement, mais au contraire comme la rampe de lancement. Il nous faut une Europe disposant d’un réel gouvernement économique, dotée d’institutions pouvant, grâce à des processus de décisions efficaces, enfin exercer leurs prérogatives notamment dans les domaines de l’emploi, des politiques industrielles et sociales. Cela n’est pas le cas aujourd’hui puisqu’il faut des décisions prises à l’unanimité.
Je suis persuadée que la réalisation de l’euro va débloquer le jeu politique parce qu’aucun chef d’État ou de gouvernement ne pourra alors se servir des critères de convergence comme d’un paravent. Le but de la manifestation organisée par la CES est de peser sur le conseil extraordinaire de Luxembourg pour que celui-ci engage réellement la réforme des institutions. C’est au prix de cette réforme que nous pourrons alors vraiment construire l’Europe sociale que nous attendons tous.
CFDT Magazine : Au-delà du score que réalisera la CFDT, qu’attendez-vous des élections prud’homales du 10 décembre ?
Nicole Notat : Naturellement, j’invite tous nos militants et adhérents à se mobiliser pour faire voter CFDT. La justice prud’homale est une justice proche des salariés. Il faut absolument la défendre en luttant notamment contre l’abstention qui caractérise malheureusement ce scrutin. Cette campagne, que nous souhaitons sereine et dépourvue de toute polémique avec les autres confédérations, sera l’occasion de faire valoir nos positions en les discutant le plus possible sur le terrain des entreprises. Notre meilleur atout, c’est notre choix d’un syndicalisme résolument réformateur, porteur de proposition concrètes. Je ne doute pas que les élections valideront notre démarche.
CFDT Magazine : Ne risque-t-on pas de voir les choix ambitieux de la CFDT mal perçus dans cette campagne électorale où la démagogie a souvent la part belle ?
Nicole Notat : Non. Les Français sont lucides. Ils perçoivent bien que nos positions, et surtout notre action, visent à changer réellement les choses. Cela va placer la CFDT, et pas seulement la confédération nationale, au centre du débat. Tout cela est le signe, et les militants doivent en être convaincus, qu’au total nos choix apparaissent pertinents auprès des salariés. Ils doivent garder le cap et démontrer l’efficacité de notre action.
Vous savez, la période est passionnante parce que nous entrons dans le vif des sujets, dans les exercices pratiques. Et franchement, à la CFDT, les exercices pratiques nous motivent particulièrement.
Le Parisien, 9 octobre 1997
Le Parisien : Selon vous, un accord est-il possible ou non demain à la conférence de Matignon ?
Nicole Notat : J’entrerai à cette réunion avec l’espoir que nous réussirons à faire de cette conférence un événement et donc que le rendez-vous ne sera pas manqué. Les questions traitées sont d’une actualité brûlante : les salariés et les chômeurs, en particulier, ne comprendraient pas que gouvernement et partenaires sociaux ne trouvent pas les voies de politiques plus efficaces en faveur de l’emploi. Pour la CFDT, la vraie conquête sociale, les vrais résultats qui doivent sortir de la conférence, c’est l’emploi !
Le Parisien : En dépit des positions tranchées du patronat opposé à la réduction du temps de travail, vous êtes apparemment optimiste !
Nicole Notat : Je ne suis ni pessimiste ni optimiste, à ce jour, car je mesure combien les positions restent éloignées. Je vois aussi la prudence du gouvernement sur ses propres options. Mais je n’imagine pas que ce dernier, qui est à l’initiative de la réunion, ne donne pas en fin de conférence les lignes de force qui éclaireront le jeu. Demain soir, il faudra que chacun ait le sentiment d’avoir participé à la définition d’une politique nouvelle, en particulier pour la réduction de la durée du travail.
Le Parisien : Concrètement, qu’attendez-vous de Lionel Jospin ?
Nicole Notat : Des règles du jeu claires qui s’inscrivent dans la durée. La partie qui se joue sur l’emploi exclut des changements de logique tous les quatre matins.
Le Parisien : Une telle assurance implique nécessairement le vote d’une loi ?
Nicole Notat : Il faut une loi, c’est obligatoire ! Le Premier ministre s’est engagé dans sa déclaration de politique générale sur le principe d’une loi fixant les 35 heures légales avant la fin de la législature. Ce texte devra fixer non seulement la date du passage à la réduction légale, mais en amont il doit permettre l’ouverture des négociations qui la précéderont.
Le Parisien : Le Gouvernement pourrait donner un an aux partenaires sociaux pour négocier la réduction du temps de travail. Ce délai sera-t-il suffisant ?
Nicole Notat : Pour avoir le maximum d’efficacité sur l’emploi, la négociation ne doit pas être limitée aux seules 35 heures. Il faut aussi s’attaquer à l’organisation du travail : les deux doivent être discutées de manière combinée. Voilà pourquoi il faudra du temps aux négociateurs patronaux et syndicaux, au moins un an, pour que la discussion produise le maximum de résultats. L’idéal serait que les faits précèdent le droit, c’est-à-dire que cette négociation aboutisse dans les entreprises au moment où le Gouvernement réduira la durée légale du travail.
Le Parisien : Mais les négociations peuvent aussi s’enliser. Que ferait alors la CFDT ?
Nicole Notat : Il dépendra de la loi et de ce qui sortira demain soir de la conférence sur l’emploi que les négociations ne s’enlisent pas. Il faut notamment que les patrons voient dans les moyens mis par l’État à leur disposition un intérêt pour eux. De même, il y a aussi un intérêt pour les salariés à travers l’emploi et l’amélioration des conditions de travail. C’est donc l’occasion d’un bon donnant-donnant ! En cas d’échec des négociations, en revanche, les entreprises se verraient imposer les 35 heures légales, si c’est 35 heures. Mais je ne peux pas imaginer qu’elles s’amusent à jouer la politique du pire…
Le Parisien : Pour abouti, toute négociation implique des concessions. Le patronat préconise, par exemple, l’annualisation du temps de travail, c’est-à-dire un calcul sur l’année et non plus sur la semaine. Êtes-vous prête à le suivre sur ce terrain ?
Nicole Notat : Je dis chiche au patronat ! Aujourd’hui, l’organisation du travail est très rarement négociée. Résultat : des heures supplémentaires sont abusivement utilisées, voire non payées, et pas seulement pour les cadres. Il y a aussi des contrats à temps partiel ne permettant pas de vivre décemment, de l’arbitraire dans l’utilisation des contrats précaires… Ce sont des formes de flexibilité qu’une partie du patronat pratique. Pour toutes ces raisons, l’organisation du travail doit être revue. Nous sommes prêts, nous syndicalistes, à mettre notre nez dans ces affaires-là. L’annualisation du temps de travail, pour la CFDT, c’est moins de précarité pour les salariés. Nous réclamerons des contrats à temps partiel qui ne soient pas des sous-contrats de travail. De même, les heures supplémentaires ne doivent pas être utilisées que lorsqu’elles sont vraiment nécessaires. Nous regarderons sérieusement les horaires des cadres et des salariés qui dépassent couramment les 45 heures sans avoir le moindre paiement supplémentaire.
Le Parisien : Pour résumer, la CFDT entend négocier la réorganisation du travail dans le cadre d’une rééducation du temps de travail ?
Nicole Notat : Oui, je le répète car c’est l’intérêt des salariés ! En combinant réduction de la durée du travail et réorganisation du travail, on garantit un effet « emploi ». Rien ne serait pire que d’imaginer ce que j’appelle « le progrès social illusoire » pour les salariés et l’emploi sacrifié ! Les salariés savent déjà ce que signifierait un passage imposé aux 37 heures ou aux 35 heures : le même travail sans autre embauche ! Une réduction de la durée de deux ou quatre heures avec la même organisation du travail serait le scénario catastrophe : un faux progrès social, la dégradation des conditions de travail et l’emploi sacrifié. Nous n’en voulons pas.
Le Parisien : Vous réclamez donc la souplesse sur toute la ligne.
Nicole Notat : Nous voulons que la réduction soit possible sur la semaine : quatre jours hebdomadaires, par exemple, quand c’est adapté, oui ! Mais la réduction doit être aussi possible sur l’année. Des accords pour les 32 ou 33 heures accompagnés de réorganisation du travail existent aujourd’hui. Résultat : les salariés se retrouvent avec vingt jours de congé supplémentaires par an, ça les intéresse ! Notamment les cadres pour qu’une réduction hebdomadaire n’a pas de sens.
Le Parisien : Souhaitez-vous une aide spécifique de l’État pour favoriser la réduction du temps de travail ?
Nicole Notat : Bien sûr. Si l’État annonce les 35 heures, il faut qu’il amène de l’argent pour aider les entreprises les plus imaginatives à rentrer dans le dispositif de la réduction du temps de travail. Elles seront gagnantes au moment où seront arrêtées les 35 heures légales.
Le Parisien : Et les salaires ? La CFDT n’est pas contre une contribution des salariés en cas de diminution de la durée du travail !
Nicole Notat : Nous n’avons pas une vision totalitaire sur la question salariale. D’ailleurs, nous sommes sûrs d’une chose : elle n’est pas l’obstacle principal à l’aboutissement de bonnes négociations dès lors qu’il y a une aide extérieure de l’État. Nous remarquons que certains accords n’ont pas d’impact sur les salaires. D’autres prévoient une modération et les salariés acceptent des gels de traitement pendant deux, trois ans. Enfin quelques accords ont même été acceptés avec une petite perte de pouvoir d’achat en échange d’embauches. D’une manière générale, je ne souhaite pas que la loi s’occupe des salaires, c’est aux négociateurs de le faire.
Le Parisien : Une autre mesure devrait être abordée à la conférence : la préretraite à 56 ou 57 ans…
Nicole Notat : Pour favoriser l’emploi, il y a la réduction de la durée du travail, on l’a vu, mais aussi, l’ARPE, les « préretraites contre embauches », qui permettent un départ avant soixante ans après quarante années de cotisation, compensé par une embauche de jeune. Tous les syndicats réclament la généralisation de cette mesure. Une étape doit être franchie et la conférence devra en dessiner les contours.