Éditoriaux de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force Ouvrière Hebdo des 1er et 8 octobre 1997 et interview à France 2 le 5 octobre, sur les revendications de FO pour la conférence nationale sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de travail

Prononcé le 1er octobre 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de travail, avec les partenaires sociaux, à Matignon le 10 octobre 1997.

Média : FO Hebdo - France 2 - Télévision

Texte intégral

Date : 1er octobre 1997
Source : Force ouvrière Hebdo

Né(é) en 1944, il (Pierre) ou elle (Nicole) a commencé à travailler en 1958. Cela fera donc quarante ans dans quelques mois. Par définition, le travail que l’on occupait à quatorze ans était en bas de l’échelle hiérarchique. Depuis, il ou elle a connu les vicissitudes de la vie active, l’usure du travail, la peur du chômage. Toutes et tous n’ont pas eu la possibilité de « faire une carrière » d’assurer une promotion, et ce, pour des motifs divers.

Aujourd’hui, ils ont souvent des enfants ou des petits-enfants au chômage, ils les aident comme ils peuvent et aspirent à deux espoirs :
    - souffler un peu avec suffisamment de moyens qui permettent de vivre dignement ;
    - voir leurs enfants et petits-enfants vivre de leurs propres ailes, en travaillant.

C’est pour cela que Force ouvrière revendique le droit pour ces salarié(e)s de cesser leur activité, avec obligation pour l’employeur concerné de recruter en contrepartie, selon la règle simple : un départ – une embauche.

Ça coûte cher, peuvent objecter les personnes éprises de technocratie et de comptabilité. Et d’aligner ainsi des cumuls de chiffres destinés à effrayer les experts de la calculette.

De tels raisonnements ont parfois la froideur du cynisme :

Combien « vaut » un chômeur ?

Combien « vaut » le droit de cesser son activité ?

Combien « vaut » la satisfaction de voir ses enfants et petits-enfants trouver un travail ?

A contrario, il est possible d’opposer le coût des exonérations de charges patronales, le coût des avantages fiscaux dont bénéficient les titulaires de capitaux, le coût des actuelles aides à l’emploi.

S’il n’a jamais été dans notre esprit de négliger les réalités, nous savons aussi qu’à trop raisonner en termes comptables, on en fait rien, et qu’on en mettra jamais la dignité en équation ou en présentation comptable : débit-crédit.

Cette revendication présente d’autres avantages :
    - elle assure un lien entre les générations, le départ d’un « ancien » étant compensé par l’entrée d’un « jeune » ;
    - elle permet de rajeunir la pyramide des âges dans nombre d’entreprises et prépare ainsi l’avenir ;
    - elle devrait permettre à environ 150 000 jeunes de pouvoir trouver un emploi.

Dans son discours d’investiture, le 19 juin 1997, devant le Parlement, le Premier ministre a déclaré : tout salarié ou chômeur ayant cotisé quarante ans devrait pouvoir cesser son activité dans des conditions satisfaisantes.

Très vite, l’État ouvrira une négociation avec les organisations syndicales pour élargir les possibilités existantes ».

Le 10 octobre, à l’occasion de la conférence, ce sera une des revendications déposées par Force ouvrière.

Il ne serait pas concevable qu’elle n’aboutisse pas.

C’est une question de progrès et de principe.

 

Date : 8 octobre 1997
Source : Force ouvrière

Chaud ou froid ?

On parle beaucoup de la conférence du 10 octobre 1997, prenons le temps de quitter un moment son contenu pour un examiner le contexte, voire le statut.

La nature originale de ce type de réunion réside dans sa forme tripartite : gouvernement – organisations patronales – organisations syndicales. Placée sous la présidence du Premier ministre, chef du gouvernement, ce type de réunion a longtemps été marquée par la rareté, « l’exceptionnalité ». Historiquement ce furent essentiellement et quasi exclusivement des réunions à chaud, pour déterminer les conditions de sortie d’un conflit de grande ampleur, quasi généralisé : deux dates viennent à la mémoire : 1936 et 1968.

C’est ce que nous appellerons le premier cas de figure : réunion à chaud – acquis pour les salariés.

Examinons le second cas de figure : réunion à chaud – résultat mitigé pour les travailleurs – c’est décembre 1995.

Que s’est-il passé entre-temps ?

On peut déjà relever qu’à la différence de 1936 et 1968, 1995 est né en réaction à l’annonce gouvernementale sur la sécurité sociale ; le déclencheur n’est pas une revendication mais le refus de laisser détruire la garantie sociale la plus importante pour les salariés, même si, par la suite, les revendications se sont agrégées et élargies.

1995 est également né du mépris du gouvernement de l’époque sur les procédures et pratiques, indispensables en démocratie, de consultation, de concertation, de négociation.

1995 fut enfin l’expression d’un mouvement plus général de déséquilibre sur la place de l’État et des pouvoirs publics, dans une société de plus en plus imprégnée par le contexte international (de libéralisation, de déréglementation), et l’alourdissement de la sphère privée sur la sphère publique.

C’est d’ailleurs là le défi le plus important de la période actuelle : comment la démocratie, c’est-à-dire la volonté politique du peuple peut et doit être consolidée face une déréglementation privatisation croissante ?

Comment les pouvoirs publics peuvent et doivent s’imposer face à la logique des puissances financières et industrielles ?

Comment le long terme doit guider le court terme et non l’inverse ?

Arrivons maintenant au troisième cas de figure : réunion à froid – pas de résultat.

C’est ici le cas de ce que nous avons appelé ces dernières années les grand-messes dont la dernière, sur le thème de l’emploi des jeunes, eut lieu le 10 février 1997. Les justifications de telles réunions sont diverses, dont le souci, pour les pouvoirs publics, d’afficher des préoccupations sans pour autant se doter des moyens et marges de manœuvre nécessaires pour une quelconque concrétisation. C’est aussi la tentative, toujours renouvelée, d’aboutir à ce qu’on appelle, ici ou là, des pactes sociaux, c’est-à-dire un consensus (sous forme d’engagement) sur les efforts) partager pour conforter une logique économique présentée comme une contrainte, c’est-à-dire vis-à-vis de laquelle les pouvoirs publics considèrent qu’ils n’ont guère de liberté. Il va de soi que la notion de pacte ne peut convenir à une organisation syndicale soucieuse d’indépendance et de liberté de négociation.

Ce fut enfin l’expression d’un conservatisme patronal, qui n’a pas pu, ou voulu, par la négociation avec les confédérations syndicales, affronter l’avenir et faire vivre cet élément essentiel de la démocratie : la pratique contractuelle, le contrat collectif, au niveau interprofessionnel.

Comment ne pas relever que, mis à part l’accord créant l’ARPE et les accords destinés à faire vivre l’existant (UNEDIC – retraites complémentaires notamment), la négociation interprofessionnelle a nettement marqué le pas, malgré l’affirmation (que nous partageons) de 1995 de se réapproprier le dialogue social, et malgré les sollicitations syndicales, par exemple sur les heures supplémentaires et le travail à temps partiel. Au passage, et c’est important, le manque de dynamisme de la pratique contractuelle au niveau national (interprofessionnel et professionnel) prive les relations économiques et sociales d’un mode essentiel de régulation de la concurrence, de loyauté, au profit d’une logique de flexibilité, de déréglementation, de décentralisation, de dérogation.

Une telle logique entre en conflit avec les valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité. C’est ici qu’un débat comme celui entre égalité et équité, par exemple, prend toute sa signification.

Consciemment ou inconsciemment, les travailleurs et plus largement les citoyens, ressentent cette situation. Ils considèrent et craignent en même temps que les gouvernements ne soient pas en mesure de répondre à leurs aspirations, à leurs inquiétudes. C’est peut-être un des motifs expliquant les alternances politiques.

Dans ce contexte, comment situer la conférence du 10 octobre ?

Est-ce l’occasion exceptionnelle de créer un quatrième cas de figure : réunion à froid – résultats pour les travailleurs ? L’avenir nous le dira, en tout état de cause, certains éléments doivent être rappelés, d’autres énoncés.

Ainsi, comment ne pas considérer qu’au moins indirectement, cette conférence n’aurait pas lieu s’il n’y avait pas eu novembre-décembre 1995.

Pour une bonne part, cela explique les attentes des travailleurs et la médiatisation de cette conférence.

Jamais nous n’avons reçu autant d’appels ou de courriers, qui pour nous encourager, qui pour nous conseiller, qui, parfois, pour nous faire des reproches.

La conférence du 10 octobre sera donc lourde de signification quant à ses résultats.

Les pouvoirs publics, en l’occurrence le gouvernement, saisiront-ils l’occasion pour redonner sens à leur rôle ?

Certes, tout ne se réglera pas à la conférence et il ne serait pas sain qu’il en fût ainsi. Il est en particulier essentiel que les interlocuteurs sociaux sachent, eux, saisir l’occasion pour redynamiser la pratique contractuelle, au niveau national notamment.

Il ne s’agit pas non plus de ritualiser et banaliser ce type de réunion, qui doit conserver son caractère exceptionnel.

Mais c’est fondamentalement une occasion de « remette les pendules à l’heure », de remettre sur rail le progrès.

La conférence doit donc aboutir à des résultats et en permettre d’autres.
Force ouvrière a fait connaître clairement ses revendications, propositions et analyses.

Le « politiquement efficace » doit prendre le pas sur « politiquement correct », la volonté sur l’anesthésie, y compris au plan de la politique économique.

D’autant qu’il y a pratiquement quatre millions de gens qui attendent un emploi.


Date : 5 octobre 1997
Source : France 2

M. COTTA : Bonjour. Après quinze ans d’instruction, le procès PAPON ouvre dans trois jours, un procès qui devrait durer trois mois jusqu’en décembre, 115 témoins cités pour tenter d’aider la justice à rendre son verdict. Quelle est la responsabilité exacte de Maurice PAPON, secrétaire général de la préfecture de Bordeaux pendant la guerre, dans la déportation de 1 560 juifs de 1942 à 1944 ? Quelle connaissance exacte avait-il du sort qui leur était réservé ? Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cette émission avec les deux avocats vedettes du procès qui s’ouvrira donc mercredi, Jean-Marc VARAUT défenseur et Gérard BOULANGER, fête de file des parties civiles ainsi que d’autres invités. Tout de suite, Marc BLONDEL, le secrétaire général de FO, quelques jours donc avant l’ouverture de la Conférence nationale sur les salaires, l’emploi et la réduction du temps de travail. Marc BLONDEL bonjour. Merci d’avoir accepté de répondre aux questions que nous allons vous poser avec Éric IZRAELEWICZ du Monde. Alors en marge de la réunion du 10 octobre, dans l’attente de cette réunion, en prologue en quelque sorte, les syndicats ont assisté vendredi à une réunion dite de diagnostic économique. En gros, le diagnostic économique, c’est 3 % de croissance l’année prochaine mais 3 % ça fait 0,3 % de chômage en moins. Ce n’est pas suffisant. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Mais vous, Marc BLONDEL, vous dites que vous craignez qu’on vous enferme dans un cadre établi ?

M. BLONDEL : Je crois que vous avez bien fixé les choses en disant « assisté ». Nous avons assisté à une réunion au cours de laquelle le gouvernement, en la personne de Madame AUBRY, en la personne de Monsieur STRAUSS-KAHN ont expliqué les comptes de la Nation dans quelle situation sommes-nous, quelles sont les évolutions, la croissance éventuelle, le nombre d’heures supplémentaires effectuées en 1996, énorme, la tendance en matière salariale, combien le salaire représente de redistribution du produit intérieur brut, c’est-à-dire des richesses produites ou de la valeur ajoutée etc. Autant de choses que personne ne conteste.

E. IZRAELEWICZ (Le Monde) : Mais chacun des partenaires sociaux a pu donner son avis sur ce diagnostic.

M. BLONDEL : Mais si c’est un diagnostic, quel avis voulez-vous donner ? On constate. C’est les chiffres de l’INSEE d’une part, c’est la prévision d’autre part. Moi, je ne vais contester le travail de…

E. IZRAELEWICZ : Donc une des idées qui ressort de ce diagnostic, c’est que la croissance ne suffit pas ?

M. BLONDEL : Ça, tout le monde le dit, c’est devenu une évidence. Le problème, c’est surtout d’éviter de dire que la croissance ne suffit pas et qu’on la néglige. Elle est quand même indispensable. Elle est nécessaire absolument. Bon, on ne va pas aller sur les théories du club de Rome. Il faut de la croissance mais en plus, il faut l’accompagner. Or, ce que j’ai voulu dire, moi ou ce que mes amis ont voulu dire puisque nous avons envoyé nos responsables du secteur économique dans ce genre d’affaires, ce qu’ils ont voulu dire tout simplement, on ne nous fera pas faire de choix et on ne nous embarquera pas dans une planification sur trois, quatre ou cinq ans en disant « on fait telle chose mais c’est au détriment de telle autre chose ». Je veux garder la liberté du syndicat de pouvoir négocier à tous les niveaux et d’exiger en fonction des besoins.

E. IZERAELEWICZ : Donc, cela veut-il dire que vous ne voulez pas de loi-cadre qui fixe une date butoir précise ?

M. BLONDEL :  Si.

M. COTTA : Ne mélangeons pas si vous le voulez bien la préconférence et la conférence qui arrive. D’abord, un point de méthode peut-être. Vous avez toujours dit qu’il ne fallait pas ou que vous préféreriez qu’on ne fasse pas une grand-messe et qu’il fallait peut-être traiter les problèmes autrement. Alors est-ce qu’il fallait procéder… et comment ?

M. BLONDEL : Non. Pour l’instant… attendez, mon problème sur la conférence, c’est qu’elle devait avoir lieu avant la fin septembre. On peut me dire « dix jours, c’est rien », sauf que vous avez vu, le fait de l’avoir repoussée, ça a permis aux grands oiseaux de montrer leurs plumes, de dire…

M. COTTA : Les grands oiseaux, c’est les patrons ?

M. BLONDEL : C’est à la fois, les deux.

E. IZRAELEWICZ : Les patrons et les syndicats ?

M. BLONDEL : Mais chacun a joué plus ou moins un jeu de rôle dans cette affaire. Les patrons « Oh, c’est fini. On ne serait cru en 36 sans la grève. On va augmenter les salaires de 11 %, la masse salariale etc. ce qui est faut d’ailleurs, et puis tout ça va péter. Il ne va plus y avoir de possibilité économique de faire fonctionner le pays etc. ». D’un autre côté, les syndicats « les 35 heures, ça va nous résoudre ce problème de l’emploi ». Je regrette. Moi, je ne suis ni dans cette position, ni dans l’autre position. Je considère que ce n’est pas aussi grave que ça sur le plan économique. Ça peut très bien s’expliquer parce que ça n’a pas la portée que les patrons déclarent. Et de l’autre côté, je ne voudrais pas qu’on croit à une espèce de bulle qui, à un moment donné, elle est très jolie, quand elle va éclater, on va voir les réalités sont autres. Et en plus, je me refuse de considérer que la conférence, c’est les 35 heures. La conférence, c’est tout autre chose. Je rappelle qu’elle est une conférence sur l’emploi, sur les salaires, sur la durée du travail. Il me semble même que la durée du travail, c’est le troisième élément. Il faut commencer par l’emploi, par les salaires. Il faut relancer la consommation etc.

M. COTTA : Est-ce qu’on peut cerner un peu le problème ? Les 35 heures, Éric IZRAELEWICZ.

M. BLONDEL : Pourquoi voulez-vous absolument venir sur les 35 heures que je mets, moi, en troisième position ?

M. COTTA : On reviendra sur les salaires après. Justement, c’est pour s’en débarrasser.

M. BLONDEL : S’en débarrasser. Une confidence publique, c’est ce que Monsieur JOSPIN voudrait faire, s’en débarrasser.

E. IZRAELEWICZ : Ah, se débarrasser de la question des 35 heures ? Ah oui…

M. BLONDEL : Ça, c’est une petite méchanceté mais ce n’est pas pour vous Monsieur.

E. IZRAELEWICZ : Alors justement, Lionel JOSPIN a dit « 35 heures payées 39, c’est anti-économique ». Alors est-ce que vous, vous êtes d’accord ? Il l’a dit dans LE MONDE pardonnez-mois.

M. BLONDEL : Je comprends que vous soyez attaché à la vérité de votre journal mais Monsieur JOSPIN a fait sa déclaration d’investiture et dans sa déclaration d’investiture, il dit que ce n’est pas anti-économique.

E. IZRAELEWICZ : Donc, il a changé, vous voulez dire ?

M. BLONDEL : Je ne sais pas. Je fais un constat. Est-ce qu’il a changé d’une manière définitive ou est-ce que c’est une astuce ? Alors moi, je pense, je veux penser, je m’accroche au fit, je crois que c’est une astuce. Il a voulu un petit peu calmer la réaction du patronat qui déclarait ne pas venir. Il a fait semblant de croire que le patronat pouvait se dispenser de venir à une conférence sur l’emploi quand il y a trois millions et demi de chômeurs. Si le patronat fait ça, on va tous nous montrer du doigt. Donc, là, il a fait semblant de croire. Il a dit « c’est anti-économique » ce qui m’a fait sursauter, j’ai pris mon téléphone en disant « il faut savoir, Monsieur le Premier ministre, vous avez fait des déclarations, des promesses électorales, vous les avez confirmées par votre déclaration d’investiture. Maintenant, et là, je le dis solennellement, les gens attendent ». Ils ont trop promis pour changer leur position. Si le 10, il n’y a pas l’accrochage des 35 heures, eh bien, il aura des réactions, ça, c’est certain.

E. IZRAELEWICZ : Alors l’engagement qu’a pris Lionel JOSPIN, en tous cas, il a précisé son engagement. Il a dit « c’est 35 heures sans baisse de salaire ». Est-ce que vous pensez que c’est possible d’aller vers 35 heures sans baisse de salaire ? Est-ce que ça ne veut pas plutôt dire dans les propos qu’on peut entendre derrière « 35 heures sans hausse de salaires » c’est-à-dire un blocage des salaires, une modération salariale sur les cinq années à venir ?

M. BLONDEL : Si vous voulez y ajouter encore une hausse de surcroît, permettez-moi de dire qu’alors là, effectivement, vous allez faire sauter la marmite. Grosso modo, 35 heures, c’est l’heure 1 heures, c’est 2 heures 86 cela multiplié par 4, ça fait 11,44 %.

M. COTTA : Alors là, vraiment, votre calcul, pardon, on l’accepte mais…

M. BLONDEL : Pour une fois qu’il y a quelqu’un qui vous donne les chiffres vrais. Une heure, ça coûte grosso modo 2,86 %. Voilà. Donc, quatre heures, ça fait 11,44, voilà. Ceci étant, ça ne veut pas dire que les salaires vont augmenter 11,44. La masse salariale ne va pas augmenter. Ça veut dire que la masse salariale va rester constante. C’est bien ça que l’on dit. Ce n’est pas diminution de salaire. C‘est ça qu’on veut dire. Et quand on regarde de plus près, vous avez – mes camarades de la métallurgie ont fait une très belle étude là-dessus – les « postés », les semi-continus, les « temps partiel », les cadres, les gens de la catégorie V. Là, je comprends que ça soit de la technique. C’est-à-dire pratiquement 60 % du personnel de la métallurgie qui ne dépend pas de la durée légale, qui ne dépend pas des 35 heures. Donc, ça veut dire que ça ne jouerait. Ça jouerait pour 40 % et ça ne jouera pas de la même façon selon qu’on se trouve dans la métallurgie, dans le bâtiment ou alors dans le commerce.

E. IZRAELEWICZ : Est-ce que vous pensez qu’on peut avoir une loi –cadre qui s’applique à toutes les entreprises justement ? C’est-à-dire aussi bien aux petites et moyennes entreprises qu’aux très grandes entreprises ?

M. BLONDEL : Le problème de la dimension est un autre problème mais il existe. La loi-cadre, ça veut dire quoi ? La loi-cadre, ça veut dire, l’État, le gouvernement a le pouvoir de fixer la durée légale à 35 heures, ça sera ça la durée légale. Quand ? Je ne sais pas.

E. IZRAELEWICZ : Le plus rapidement possible, vous souhaitez, pour que ce soit efficace ?

M. BLONDEL : Si on fait le postulat d’essayer de créer des emplois, il faut que ça soit le plus rapidement possible.

E. IZRAELEWICZ : Avant l’an 2000 ?

M. BLONDEL : Avant l’an 2000, le plus rapidement possible. Si on peut, tout de suite. C’est ça qui peut créer un peu d’emplois car justement, moi, ce que je crains, c’est qu’on laisse supposer que ça va créer beaucoup d’emplois et ça en créera beaucoup moins qu’on ne le pense parce qu’il y a des gains de productivité, parce que etc. La loi, c’est d’abord 35 heures, ça, il a le droit. Ensuite, il faut qu’il renvoie aux discussions.

E. IZRAELEWICZ : Aux négociations dans les branches.

M. BLONDEL : Aux négociations dans les branches, c’est ce que je souhaiterais moi. D’autres souhaitent dans l’entreprise, d’autres souhaitent de manière interprofessionnelle… moi, je pense que c’est dans les banches parce que – je vais me faire comprendre en 35 secondes. Je sais que c’est long à la télévision, 35 secondes – dans un grand magasin où il y a des vendeuses, 250 vendeuses, si elles ne travaillent que 35 heures, si ça ne correspond pas à l’amplitude du magasin, pour qu’il y ait quand même du personnel quand les gens vont venir, il va falloir embauche. Eh bien, on ne peut embaucher qu’à temps partiel parce qu’on ne peut pas remplacer 25 vendeuses par 1 vendeuse. Ce n’est pas une question de temps. C’est en fonction de l’ouverture du magasin. Donc, ça va développer le travail à temps partiel. Je vous annonce la prochaine revendication : il va falloir régler le problème du travail à temps partiel. Mais ça veut dire en termes clairs, çà ne créera pas la masse d’emplois dont certains…

M. COTTA : Justement puisque vous disiez que les 35 heures…

M. BLONDEL : Moi, j’ai une idée pour créer des emplois.

M. COTTA : Dites-là alors.

M. BLONDEL : Elle est connue. Je pense qu’il faut que nous répétions ce que nous avons fait déjà pour les départs en retraite. On a fait l’ARPE (phon). L’ARPE, c’est la possibilité pour les gens qui ont 57 ans et demi de partir. Je l’avais expliqué d’ailleurs à cette antenne. Moi, je pense qu’il faut le faire maintenant pour les enfants, enfin pour les enfants, pour ceux qui ont commencé à travailler à 14 et 15 ans. Il y en a 280 000, 350 000 si on met les dames si on compte les années pour les enfants.

M. COTTA : Il faut mettre les dames. Ne les oubliez pas dans vos calculs.

M. BLONDEL : Mais je ne les oublie pas. Grosso modo, on pense qu’il y en aurait 40 à 50 % qui accepteraient de partir. Ça serait volontaire. Ça ferait à peu près 150 000 postes libérés. Et en contrepartie, on exige du patron qu’il embauche. C’est 150 000 postes de jeune.

E. IZRAELEWICZ : C’est 30 milliards d’après vos propres calculs ? C’est un coût de 30 milliards pour l’UNEDIC ?

M. BLONDEL : Chut ! Chut ! Ne dites pas ça ! Je disais 30 milliards. Je dis 35 maintenant.

E. IZRAELEWICZ : Vous dites 35 maintenant. Et qui peut payer ?

M. BLONDEL : L’État.

E. IZRAELEWICZ : Et le gouvernement a accueilli comment cette proposition que vous faites depuis un certain temps ?

M. BLONDEL : J’insiste. Je veux faire pression là-dessus. Le gouvernement a l’air d’accepter la chose. Seulement, je crois qu’il va essayer de nous la faire au meilleur prix. C’est pour ça que je dis 35 milliards.

M. COTTA : Alors en dehors de ces 35 heures, on a l’impression que l’autre priorité de la conférence pour vous, c’est donc les salaires. Vous demandez une augmentation de salaire pour redonner un petit coup à la consommation. Alors où est-ce que vous en êtes ?

M. BLONDEL : Qu’on se comprenne bien. Il y a une augmentation de salaire du SMIC de 4 % par Monsieur JUPPE. Il y a une augmentation de salaire de 4 % du SMIC par Monsieur JOSPIN. J’aurais mieux aimé qu’il ne donne pas 4 %.

E. IZRAELEWICZ : Mais vous savez que vous ne pouvez pas faire ce parallèle. L’inflation était beaucoup moins forte au moment où JOSPIN l’a décidée. Donc, en terme de pouvoir d’achat, la décision de Lionel JOSPIN est plus importante.

M. BLONDEL : Mais justement, vous vous méprenez sur mes intentions. Je pense qu’il est allé trop loin. J’aurais mieux aimé qu’il donne 3 % et qu’il redonne 3 % au mois d’octobre. J’aurais mieux aimé qu’il le fasse en deux fois. Il a fait 4 pour des raisons de politique et de présentation, pour ne pas être en deçà par rapport à Monsieur JUPPE. Maintenant, je vais lui demander 2 % d’augmentation supplémentaire et je vais surtout lui demander, surtout lui demander 2 % d’augmentation supplémentaires et je vais surtout lui demander, surtout lui demander qu’il incite le patronat – car il le peut, le code du travail lui permet – à tenir les réunions paritaires voire les commissions mixtes pour discuter des grilles de salaires de manière à répercuter l’augmentation du SMIC dans les grilles de salaires parce que maintenant, il y a de plus en plus de gens qui sont payés au niveau des grilles. Avant, il y avait une différence entre les minima, la grille de salaires et puis le salaire réel. Maintenant, c’est à peu près la même chose. On embauche à la grille. Donc, ça aura un effet sur les salaires directs. C’est le principe keynésien de relance par la consommation. Il faut faire ça pour accompagner la croissance de 3 %. Et après, comme adjuvant, il faut réduire la durée du travail. Il est possible comme ça, effectivement, qu’on morde de manière sérieuse dans le chômage. C’est quand même ça, je crois, l’objectif.

M. COTTA : Alors on passe peut-être, si vous le voulez bien, au bilan de l’action gouvernementale telle que vous le voyez jusqu’à présent. Les dispositions les plus controversées du projet de loi sur la sécurité sociale tournent autour de la mise sous condition des allocations familiales – moins de 25 000 francs par foyer de deux enfants – et la réduction de moitié de l’allocation pour garde d’enfant. Quels sont vos verdicts ? Quels sont vos jugements là-dessus sur des deux points ? Rapidement malheureusement.

M. BLONDEL : Je pense et j’ai un petit espoir d’avoir raison ou au moins ça s’oriente vers la position de mon organisation, je pense que le problème des allocations familiales devait se traiter sur le plan de la fiscalité à travers le quotient familial. On ne peut pas rentrer dans une condition de ressources parce que toute le monde pense à l’heure actuelle qu’un jour ça va arriver pour l’assurance maladie. Tout le monde pense ça. Ce n’est pas logique. Je pense qu’on devrait revenir… l’année prochaine, je suis persuadé qu’on pourrait revoir Madame Martine AUBRY là-dessus. Quant à l’autre problème, vous savez, il est relativement simple. Moi, je suis pour l’aide aux famille, je suis pour l’aide aux personnes en difficulté. Pa    r contre, je suis contre le fait qu’on paie de la domesticité – et je fais exprès d’employer le terme, il a une petite consonance péjorative mais c’est pour ça que je l’emploie – de la domesticité à des gens qui sont aisés ou – que sais-je ? – moi, à légaliser la possibilité pour les directeurs de grosse entreprise d’avoir un chiffre à la maison, d’avoir un jardinier etc. payé par l’entreprise etc. Donc, pour garder les enfants, c’est autre chose. Je n’ai aucune raison pour que le problème ne soit pas identique aux autres.

E. IZRAELEWICZ : Les emplois, quelle est votre réaction ? Parce que les emplois jeunes que Martin AUBRY a lancés rencontrent un très grand succès z priori. Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est un peu une fonction publique bis smicardisée et précarisée ?

M. BLONDEL : Oh mon dieu ! Venez, je vous donne une carte à FO et… Vous y allez un peu fort sauf que le premier constat que je veux faire sur les emplois jeunes, c’est que s’il y avait de l’embauche dans les entreprises, l’État ne fera pas ce genre de choses puisqu’il veut au contraire réduire le nombre de fonctionnaires. Vous avez vu le budget 24 000 dans la défense, plus de 500 aux finances.

E. IZRAELEWICZ : Mais au total, le solde est positif.

M. BLONDEL : Mais attendez, ça, je veux bien, le solde est… mais est-ce que les besoins ne justifieraient pas justement qu’il y ait plus de fonctionnaires ? Moi, je ne tombe pas dans les phénomènes de mode parce que je sais ce que c’est. On rouspète, on rouspète parce qu’il y a des fonctionnaires et le jour où il y a le feu, on oublie qu’il fallait des pompiers. Alors, je crois qu’il faut mieux regarder les choses. Ceci étant, alors je crois que là, l’État a fait une prouesse extraordinaire. Ils ont inventé un truc spécial. C’est particulier je dirais mais moi, je n’aime pas – il y en a peut-être qui aiment – ça s’appelle le contrat à durée indéterminée avec un terme. C’est tout à fait curieux. C’est un peu paradoxal. Ça ne peut pas vivre. Ça va exploser. Et c’est pour ça que je dis à tous ceux qui vont avoir ces emplois-là « syndiquez-vous très vite ». Syndiquez-vous parce qu’on va faire… si… on va prendre la position « à travail égal, salaire égal, conditions légales » et on va essayer de les faire titulariser ou la même pratique que le travail avec le voisin. Ça va être ça.

M. COTTA : Marc BLONDEL, dernière question. Les choses sont allées vite, pardon mais… Dominique STRAUSS-KAHN s’est prononcé en juillet dernier pour une réforme de « l’État Providence ». On entend aussi Tony BLAIR parler de réforme de « l’État Providence ». Quel est votre sentiment là-dessus ? Est-ce qu’on peut quand même en France trouver que l’État est trop présent et qu’il faut diminuer son rôle ?

M. BLONDEL : Attendez, attendez. L’État Providence, ce n’est pas l’État est trop présent. L’État Providence, c’est l’assistance. Ça veut dire qu’en fait, pardonnez-moi, c’est un mensonge éhonté. C’est les cotisations sociales, c’est nous qui nous le payons. C’est les entreprises qui paient, c’est pas du tout l’État. Ça devient État Providence – c’est un terme d’ailleurs économique – État Providence par ce que l’État nous l’a piqué mais il n’avait qu’à nous le laisser. Il en a fait un budget de l’État. Il a fait budget annexe de l’État. Il n’avait qu’à nous le laisser gérer et prendre en charge ce qu’il devait prendre. Il y aurait eu moins d’interventions de l’État. Maintenant, sur le fond – alors, grande discussion que je pourrais avoir par exemple avec Monsieur MADELIN…

M. COTTA : C’est votre conclusion aussi.

M. BLONDEL : C’est ma conclusion. Grande discussion que je pourrais avoir avec Monsieur MADELIN. Il ne faut pas se tromper. COLBERT est né avant nous. COLBERT et né avant nous et dans cette société française, COLBERT est intervenu et il a donné des habitudes y compris aux employeurs, aux patrons. Bien souvent, les patrons, pour savoir comment ils vont développer leur entreprise, ils regardent le budget de l’État et ils voient où ils peuvent s’inscrire – non pas pour avoir des aides – mais pour vivre et être payés par l’État. C’est vrai pour les plus grandes entreprises de ce pays. Je ne vois pas comment il pourrait y avoir un train à grande vitesse s’il n’y avait pas le financement bien entendu. Donc, c’est très clair. Nous sommes tous plus ou moins les petits enfants de COLBERT. On ne pourra pas devenir américain du jour au lendemain.

M. COTTA : C’est une bonne conclusion pour vous Monsieur BLONDEL. Vous restez avec nous pour la deuxième séquence de cette émission, le procès PAPON qui commence donc dans trois jours. Un procès qui est d’abord celui d’un homme, Maurice PAPON, un haut fonctionnaire qui a occupé pendant la guerre, sous Vichy, le poste de secrétaire général de la préfecture de Bordeaux avant de devenir par la suite préfet de police du général DE GAULLE et ministre du budget du gouvernement BARRE pendant le septennat de Valéry GISCARD D’ESTAING. Alors nous allons retrouver sur ce plateau les deux avocats principaux de la défense et de l’accusation, maître VARAUT et maître BOULANGER ainsi que Jacques DUQUESNE, auteur de « L’église catholique pendant l’occupation » qu’il vient de publier mais ça, c’est un autre sujet, « Le dieu de Jésus » chez GRASSET et l’historien Maurice RAJSFUS, auteur du livre « Les Français de la débâcle » aux éditions du Cherche Midi avant un rappel des faits par Jean-Michel MERCUROL.