Texte intégral
La Nouvelle République du Centre Ouest - jeudi 10 juin 1999
NR : Les Français semblent avoir été assez indifférents à la campagne électorale européenne. Que faire pour les motiver ? Faut-il changer le mode de scrutin ?
FH : Les élections européennes sont toujours un scrutin difficile et le mode de scrutin, que nous avions voulu modifier, favorise la dispersion et l'éparpillement des listes, en éloignant les électeurs des vrais enjeux.
Après le grand marché et la monnaie uniques, il s'agit de faire franchir à l'Europe une nouvelle étape. Celle de l'Europe de la croissance et de l'emploi, celle de l'Europe sociale, celle de l'Europe démocratique avec la réforme des institutions.
En siégeant au Parlement européen, nous pourrons peser, en cohérence avec l'action du gouvernement de Lionel Jospin, afin que l'Europe réponde mieux aux préoccupations des Français.
NR : Après l'Europe économique et l'Europe monétaire, vous privilégiez aujourd'hui l'Europe sociale. Le Kosovo a pourtant mis en évidence la faiblesse de l'Europe en matière de politique étrangère et de défense commune.
FH : Les deux objectifs ne sont nullement incompatibles.
Le sommet franco-allemand de Toulouse a permis de faire déboucher à Cologne une politique européenne de défense, fondée sur la constitution d'une capacité autonome d'intervention par rapport à l'OTAN. C'est la première leçon de la crise du Kosovo.
Il n'en demeure pas moins que l'Europe sociale reste la priorité des socialistes et des sociaux-démocrates européens. Car c'est cela, répondre aux préoccupations quotidienne de nos concitoyens.
C'est pourquoi nous souhaitons négocier un traité social qui ait la même force contraignante que les traités économiques et monétaires, que nous voulons un pacte européen pour l'emploi, qu'il faut engager des baisses ciblées de la TVA et lancer des grands travaux européens.
NR : Entre l'Europe des régions et l'Europe des États, l'Europe fédérale, vous plaidez pour une fédération d'États-nations.
FH : L'Europe est par définition une construction atypique, qui ne rentre pas dans les schémas classiques. Ce qui compte, à mes yeux, c'est que l'Union européenne puisse décider efficacement des politiques qui relèvent du niveau européen.
Pour cela, il faut élargir le recours au vote à la majorité, renforcer le rôle du Parlement européen pour qu'il joue pleinement son rôle de colégislateur et de contrôle de la commission.
Le Figaro - 11 juin 1999
Le Figaro : Pensez-vous sincèrement qu'une liste composée de socialistes, de radicaux et de chevénementistes puisse défendre une conception cohérente de l'Europe ?
François Hollande : « Le gouvernement de Lionel Jospin a une politique européenne cohérente et pourtant sa composition est plurielle. Pourquoi notre liste ne présenterait-elle pas le même caractère ? Le projet que nous défendons est celui d'une Europe qui donne enfin sa place aux seuls enjeux qui vaillent : l'emploi, la cohésion sociale et l'affirmation politique de l'Union. Nous n'avons souffert, dans cette campagne, ni d'une absence de mobilisation des différentes composantes de cette liste, ni de contradiction de propos parce que chacun avait bien compris que c'est l'Europe de l'avenir qu'il fallait préparer. »
Le Figaro : Mais à Strasbourg, entre ces différentes composantes, saurez-vous maintenir une cohérence particulièrement au moment du débat sur la réforme institutionnelle de l'Union ?
- « Nous siégerons dans le même groupe, celui des socialistes européens. S'agissant des institutions, j'ai considéré que ce n'était pas le sujet majeur. Il y aura nécessairement une adaptation avant l'élargissement. Cette réforme devra s'articuler autour de trois principes : élargir les domaines où le conseil des ministres peut intervenir à la majorité qualifiée, resserrer la composition de la Commission européenne, renforcer les pouvoirs du Parlement européen. Je souhaite même aller jusqu'à une Commission européenne afin de clarifier les compétences de l'Union par rapport aux États. Je ne vois pas qui pourrait ne pas souhaiter cette évolution. »
Le Figaro : Dans la confusion du débat entre les différentes listes en compétition, croyez-vous que votre message ait été identifié ?
- « Quel est ce message ? Mettre l'Europe sur ses véritables priorités, l'emploi, la croissance, le social. Je pense que nous avons été entendus. Donner plus de force encore à l'action du gouvernement Jospin en Europe. À travers le débat entre socialistes européens, chacun comprend bien qu'il est nécessaire que la voix des socialistes français et du premier d'entre eux, Lionel Jospin, soit davantage écoutée et prise en compte. Enfin, promouvoir une Europe de la volonté. Nous n'avons pas voulu mener une campagne européenne pour le plaisir de parler, pour émettre des slogans sans lendemain ou prendre date par rapport à une autre échéance. Nous, nous avons voulu faire du 13 juin une élection utile. Utile à l'Europe en la faisant avancer d'un pas plus ferme vers ses objectifs politiques et sociaux ; utile au Gouvernement qui a une conception de l'Europe à faire prévaloir ; utile aux Français parce que l'Europe est une part de leur avenir. Il serait légitime qu'ils s'en préoccupent davantage. Dans l'abstention se trouvent ceux qui sont indifférents à la construction européenne, mais se réfugient aussi les déçus de l'Europe. C'est à ceux-là qu'il faut s'adresser au-delà même du 13 juin. »
Le Figaro : Vous réservez votre ironie à la droite et vos attaques les plus cinglantes à l'extrême gauche. Parce que là est le vrai danger ?
- « Non, c'est une question de morale politique. J'admets toutes les critiques qui peuvent être portées sur la majorité plurielle. Je reconnais les efforts qu'il faut encore faire en matière de lutte contre le chômage et les inégalités. Mais je n'admets pas que l'on puisse mettre sur le même pied d'égalité la gauche et la droite. Ça, c'est le discours des populistes, de ceux qui veulent utiliser toutes les ressources de la démagogie, de l'antiparlementarisme. On ne peut pas proclamer la légitimité de la révolution et ne pas voter les réformes utiles ! »
Le Figaro : Pensez-vous que les élections européennes vont modifier le paysage politique français, changer les équilibres à gauche et à droite ?
- « Nous avons voulu donner une portée européenne à notre démarche. Je n'imagine pas que l'on puisse en tirer des leçons sur la formation d'un gouvernement qui se constitue au lendemain d'élections législatives. »
Le Figaro : Et à droite ?
- « La droite a, une nouvelle fois, fait l'étalage de ses divisions, et ces moments de vérité ont révélé une opposition incapable de défendre son bilan et de proposer un projet alternatif au nôtre. La question de sa recomposition intéressera, au premier chef, Jacques Chirac, qui n'a pas réussi à sauver l'unité du RPR et, a fortiori, celle de son camp. Je suis heureux que la gauche plurielle n'ait pas donné ce spectacle. »
Le Figaro : Vous avez dit que les « trois prochaines années » seront plus importantes encore. Quelles sont les priorités que, selon vous, le Gouvernement devrait se donner ? Devrait-il faire preuve de plus d'audace ?
- « Nous ne devrons pas nous tromper de scrutin. Le véritable rendez-vous pour la poursuite de notre action, c'est 2002, au terme de la législature. Nous ne serons reconduits que si nous avons réussi à vaincre le chômage, à donner confiance aux Français, à lutter contre l'angoisse et l'insécurité qui taraudent de nombreuses catégories de la population, si nous avons affirmé clairement le pacte républicain. Il faut continuer, ne pas relâcher notre effort de modernisation de l'économie et de cohésion sociale. Il nous reste aussi à donner aux Français une plus grande confiance à l'égard de leurs institutions. Il faut assurer le succès des 35 heures, faire voter la couverture maladie universelle, réformer la fiscalité - je suis très attaché à la baisse des impôts de consommation -, changer notre système de cotisations sociales, engager l'adaptation de nos systèmes de retraite, développer l'épargne salariale, assurer l'indépendance de la justice et réaliser le volet privé des emplois-jeunes grâce à une grande loi sur la formation professionnelle. »
Le Figaro : Quel souvenir allez-vous garder de cette campagne ?
- « Une campagne, c'est une suite d'obstacles. Celle-là n'a pas échappé à la tradition. L'important est de ne pas trébucher, de ne pas être ralenti, ne pas être déclassé ni mis hors-jeu. Et, surtout, il ne faut pas se détourner du cap qu'on s'est fixé, « construire notre Europe », même si des événements imprévus viennent nous distraire : l'actualité dramatique avec le Kosovo, comique avec le départ de Séguin, tragi-comique avec l'incendie d'une paillote. Il faut tenir bon, ne pas être prisonnier de la dernière émotion, de la dernière rumeur. Et saisir toutes les occasions pour revenir à l'enjeu européen. »