Interviews de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale et ancien ministre de l'intérieur, à RTL le 13 octobre 1997 et dans "Le Parisien" du 16, et éditorial dans "La Lettre de la nation Magazine" du 31, sur les projets de réduction du temps de travail et de réforme du code de la nationalité, le procès de M. Maurice Papon et sur les accusations portées contre M. François Léotard dans l'affaire Yann Piat.

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Média : Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - La Lettre de la Nation Magazine - Le Parisien - RTL

Texte intégral

Date : lundi 13 octobre 1997
Source : RTL

O. Mazerolle : Pourquoi dire qu’il s’agit d’un oukase gouvernement sur les 35 heures alors qu’en fait, les modalités du passage aux 35 heures seront connues fin 1999, après dix-huit mois de négociation ?

J.-L. Debré : Je crois que la méthode du Gouvernement est une mauvaise méthode, qui consiste à dresser les uns contre les autres. Vous savez, dans cette affaire, il faut laisser un peu les choses retomber. La seule question importante que nous devons nous poser est : comment réduire, en France, le chômage ? Et croire on faire croire que la décision de ne travailler que 35 heures, c’est-à-dire de payer en heures supplémentaires les salariés qui travaillent au-delà de 35 heures, cela va entraîner une amélioration de l’emploi en France, est une erreur et c’est là où il y a un problème parce qu’on donne un faux espoir et on sème l’illusion. Regardez ce qui se passe à l’étranger, regardez les syndicats allemands, regardez ce que vient de dire le Chancelier Kohl, regardez les revendications d’IG-Metal : nulle part ailleurs, on parle de réduction du temps de travail pour créer des emplois.

O. Mazerolle : Il y a eu des réductions du temps de travail en Allemagne.

J.-L. Debré : Cela n’a jamais créé d’emplois. Face à la concurrence étrangère, du fait de la décision du gouvernement Jospin, les produits français vont coûter plus cher. Ils seront donc moins attractifs, moins compétitifs. De ce fait, les entreprises françaises sont obligées de réduire leur activité on de réduire leur nombre de salariés. Bref, la France ne réduira son chômage que si le coût de son travail devient plus compétitif. Il ne s’agit pas forcément de baisser les salaires, il convient par contre impérativement de réduire les charges qui pèsent sur les entreprises et sur les revenus. Et on s’oriente dans une autre direction. Je crois que là, on a semé l’illusion et on crée de faux espoirs.

O. Mazerolle : Tout de même, réduction du chômage d’accord, tout le monde le veut, néanmoins jusqu’à présent aucune recette n’a permis vraiment la réduction du chômage en France !

J.-L. Debré : Ce n’est pas tout à fait exact. Je crois qu’on ne le réduit pas du jour au lendemain. Il faut s’orienter, comme l’avait fait d’ailleurs A. Juppé avec les réductions d’impôt, vers une diminution du coût du travail. Or aujourd’hui, le Gouvernement, avec 50 milliards d’impôts supplémentaires, avec encore 20 ou 25 milliards supplémentaires pour la réduction du temps de travail, s’oriente dans un alourdissement des charges qui pèsent sur les entreprises et ne les met pas en situation d’être concurrentielles.

O. Mazerolle : Mais comment expliquez-vous cette contradiction du refus des 35 heures alors qu’en même temps, beaucoup d’entreprises sont passées aux 35 heures en France ?

J.-L. Debré : C’est là où la méthode Jospin est une mauvaise méthode. Je crois qu’il faut laisser aux négociations entre le patronat, l’encadrement et les salariés, dans chaque entreprise, le soin de délibérer et d’adopter le temps de travail et l’organisation du temps de travail qui convient à cette entreprise. Ce qui est absurde, me semble-t-il, c’est de fixer un carcan car on fait en sorte que les négociations ne peuvent avoir lieu dans un climat serein.

O. Mazerolle : L. Jospin dit, ce matin dans Le Parisien, qu’en France, si le Gouvernement ne donne pas d’impulsion, il ne se passe rien.

J.-L. Debré : Ce n’est pas mon sentiment et c’est une vision, me semble-t-il complètement erronée de la vie économique et de la vie politique française depuis longtemps.

O. Mazerolle : Vous croyez, comme le CNPF, qu’il y a eu un complot entre le Gouvernement et les syndicats ?

J.-L. Debré : Je suis incapable de vous le dire. Je ne sais pas. Je ne faisais pas partie de la négociation. Je crois simplement que lorsqu’on veut faire une telle réforme, lorsqu’on veut faire évoluer les choses, on ne va certainement pas à des affrontements, on cherche par la négociation, par la discussion et non pas par des ultimatums.

O. Mazerolle : La loi sur les 35 heures va être vote vraisemblablement par la majorité de gauche dans les six mois qui viennent. Pour les prochaines législatives, vous ferez campagne pour l’abrogation de cette loi sur les 35 heures ?

J.-L. Debré : D’abord, nous verrons le projet de loi et je ferai campagne pour la réduction des charges qui pèsent sur les entreprises pour leur permettre de créer des emplois.

O. Mazerolle : Oui mais il y aura une loi qui fixera les 35 heures...

J.-L. Debré : Eh bien, on verra que cette loi n’a créé aucun emploi !

O. Mazerolle : Donc, vous demanderez l’abrogation.

J.-L. Debré : Donc, je dirai qu’il faut aller dans une autre direction et cette autre direction, c’est la réduction des charges qui pèsent sur les entreprises.

O. Mazerolle : Et on vous dira peut-être « droite antisociale » ?

J.-L. Debré : On peut dire tout ce que l’on veut ! Moi, ce qui m’importe, c’est qu’on juge sur des résultats et non pas sur des mots.

O. Mazerolle : On a vu les familles défiler à Paris, samedi. Mais on voit que le Front national est en embuscade. B. Mégret était dans la manifestation.

J.-L. Debré : Oui, je regrette profondément qu’un certain nombre de partis politiques, ou que le Front national en particulier, essayent de récupérer ce problème. Vous avez vu que pour ce qui concerne le RPR, nous avons dit à nos députés qu’ils pouvaient naturellement, en tant que pères de famille, s’associer à cette manifestation mais qu’il fallait éviter toute récupération politique.

O. Mazerolle : Léotard-Y. Piat : est-ce que vous avez idée de ce que sont les officines dont parle F. Léotard et qui lui permet, dans le journal Le Monde, d’apostropher le chef de l’État en lui demandant d’assurer la transparence nécessaire ?

J.-L. Debré : Je ne sais pas ce qu’il veut dire. Moi, je suis profondément choqué par le fait qu’aujourd’hui, on peut traîner un homme dans le déshonneur sans rien prouver, par simplement des affirmations.

O. Mazerolle : C’est un soutien personnel à F. Léotard ?

J.-L. Debré : C’est un soutien à tous celles et tous ceux qui, aujourd’hui dans notre société, sont calomniés par un certain nombre de journalistes qui ne vérifient pas leurs sources.

O. Mazerolle : Donc à F. Léotard personnellement ?

J.-L. Debré : Donc à F. Léotard, donc à J.-C. Gaudin, donc à tous ceux qui sont calomniés.

O. Mazerolle : On n’a pas, jusqu’à présent, trouvé que le RPR soutenait vraiment abondamment F. Léotard. Et puis tout cela a rallumé une guerre entre le RPR et l’UDF.

J.-L. Debré : II n’y a aucune guerre entre le RPR et l’UDF. J’en veux pour preuve qu’avec F. Bayrou, nous réunirons, demain, l’ensemble des députés RPR et UDF pour travailler ensemble et pour toujours mieux travailler ensemble.

O. Mazerolle : Pour un parti unique ?

J.-L. Debré : Non, pas pour un parti unique, pour des formations qui travaillent dans la diversité mais qui travaillent ensemble.

O. Mazerolle : Parlons un moment de M. Papon. Sur le principe, puisque vous êtes un ancien magistrat également, est-ce que vous trouvez légitime et normal – si M Papon était condamné à l’issue du procès – qu’un condamné pour crime contre l’humanité reste en liberté ?

J.-L. Debré : Je vais vous dire plusieurs choses sur ce sujet. D’abord, je ne me prononce pas sur ce qui est reproché au fond à M. Papon. C’est de la responsabilité de la justice. Mais je suis choqué par son comportement.

O. Mazerolle : C’est-à-dire de le voir devant les caméras de télévision ?

J.-L. Debré : De le voir parader devant les caméras de télévision, je crois que c’est une erreur et c’est choquant. Nous avons, à l’égard de nos parents et nos grands-parents qui sont morts pendant la guerre ou qui ont été déportés, un devoir de mémoire et un devoir de justice. Le temps arrivera, mais il n’est pas encore arrivé, ou il faudra arrêter de visiter sans arrêt son passé. Enfin, je voudrais qu’aujourd’hui, on ne fasse pas une généralisation. De très nombreux Français ont eu, pendant cette période, – soldats de l’ombre, résistants, patriotes – un comportement exceptionnel, exemplaire et il faut être fier de ce comportement.

O. Mazerolle : Encore une fois, question de principe s’il est condamné, il pourra rester en liberté, cela ne vous choque pas ?

J.-L. Debré : Si. Je vous ai dit que cela me choquait.


Date : 31 octobre 1997
Source : La Lettre de la nation magazine

La politique d’immigration forme un bloc et il serait dangereux de dissocier voire de mettre en exergue un des éléments au détriment des autres : maîtrise des flux migratoires et assimilation des étrangers vivant régulièrement sur notre sol sont deux facettes d’une même volonté d’asseoir l’autorité de la République et non deux gestions autonomes de problèmes différents. De la même manière, le sens de la législation et l’action quotidienne des services de l’État doivent se compléter et non se contredire. C’est à l’aune de la cohérence intellectuelle et politique qu’il faut apprécier les orientations du gouvernement, et non sur la foi d’une simple intention ou d’une posture apparente de fermeté.

Le gouvernement socialiste souhaite un « consensus républicain » sur le sujet. Un consensus, cela se prépare, cela ne se décrète pas. Il aurait été mieux fondé à le réclamer aujourd’hui si l’opposition d’hier avait été plus responsable alors que nous posions les bases d’une véritable maîtrise des flux migratoires en 1993 et en 1997 ; si elle n’avait pris l’engagement devant les Français d’abroger l’arsenal de lutte contre l’immigration clandestine, si elle n’avait depuis quinze ans – des régularisations massives de 1981 aux lois Joxe de 1991 – fait preuve d’un laxisme permanent qui sonne comme un curieux prélude à se fermeté annoncée.

En dépit des mâles assurances du ministre de l’intérieur, je ne crois pas à la volonté du gouvernement d’endiguer l’immigration clandestine. Je donne acte qu’en l’état, certaines dispositions du texte qui nous est présenté – modification des certificats d’hébergement, allongement du délai de rétention, expulsion immédiatement des délinquants en situation irrégulière – sont acceptables. Elles risquent d’ailleurs de ne pas le rester longtemps, dès lors que le gouvernement devra se débrouiller avec une majorité qui lui est foncièrement hostile. Qu’on ne compte pas sur nous pour servir de route de secours à une majorité plurielle défaillante. L’opposition n’a pas vocation à servir de caution morale et politique aux reniements de M. Jospin. Reniements dont la dimension rhétorique et tactique n’aura d’ailleurs échappé à personne : aux uns, à gauche, on dit que tout a changé : aux autres, à droite, on dit que rien n’est changé. Le consensus, cela commence par la vérité et non par le mensonge. Le consensus, ce ne peut être un exercice d’équilibrisme, de double langage.

Or, les textes qui nous sont proposés oscillent entre fermeté et candeur, entre phraséologie républicaine et idéologie socialiste. Comment prétendre favoriser l’assimilation en revenant à l’auto-maticité de l’acquisition de la nationalité française pour toute personne née en France de parents étrangers ? Comment imaginer maîtriser les flux migratoires en facilitant le regroupement familial ? En créant un nouveau titre de séjour, la « carte de situation personnelle et familiale », aux conditions de délivrance imprécises ?

J’en oublierais presque l’essentiel : en donnant des gages de sa fermeté normative, le gouvernement veut faire oublier sa passivité dans l’action. Depuis six mois, qu’a fait le gouvernement socialiste pour maîtriser l’immigration irrégulière ? Il a arrêté les opérations de reconduite à la frontière, abusivement qualifiées de « gesticulation médiatique » : il a enclenché le processus de régularisation des sans-papiers dont on ne voit pas le terme ; il a ouvert la porte à une réforme du droit d’asile qui va engendrer un formidable « appel d’air » à une immigration nouvelle, rompant d’ailleurs avec les efforts de tous les gouvernements depuis 1990 pour donner à l’OFPRA les moyens d’agir justement et efficacement.

Et l’on voulait que l’opposition se taise, ou pire, qu’elle approuve ? Quand je vois le Premier ministre et le l’intérieur, je ne doute pas de leurs calculs électoralistes, mais je crains leur absence de fermeté. Quand je regarde leurs alliés, je mets en cause leur crédibilité. Quand je relis leurs engagements, je ne crois pas à leur sincérité.

Non, je n’ai pas confiance… et je ne fais pas confiance aux projets du gouvernement pour trouver au problème de l’immigration clandestine un règlement juste et durable.


Date : 16 octobre 1997
Source : Le Parisien

Le Parisien : Vous aviez déclaré que le rapport de Patrick Weil « allait dans le bon sens ». Or vous dites non à Jean-Pierre Chevènement…

Jean-Louis Debré : Avec ce projet de loi, le rideau de fumée est dissipé. J’avais dit que certaines dispositions du rapport Weil étaient équilibrées et raisonnables. Mais j’avais affirmé aussi que j’attendrai le texte déposé au Parlement.

Le Parisien : Que lui reprochez-vous ?

Jean-Louis Debré : Prenons l’exemple du droit d’asile, pour lequel les projets du gouvernement sont extrêmement préoccupants. Il y a, bien sûr, la réaffirmation de la notion de « réfugié politique », mais cette notion est considérablement étendue. Le statut de réfugié pourra être accordé à toute personne persécutée en raison de son action pour la liberté, que les persécutions émanent d’un État ou non. D’autre part, un débouté du droit d’asile pourra faire appel de la décision auprès du directeur de l’OFPRA (Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides) qui, à son tour, pourra saisir le ministère de l’intérieur.

Enfin, on crée encore un autre droit d’asile pour les personnes issues d’un État démocratique, mais qui se considèrent en danger. Bref, ces dispositions sont la porte ouverte à la vue sur le territoire français non seulement des réfugiés politiques authentiques mais de toute personne qui s’estime en danger. Cela n’est pas acceptable.

Le Parisien : Vous parlez d’un « reniement » des socialistes…

Jean-Louis Debré : Il y a quelques mois, ceux-ci mobilisaient les Français et suscitaient l’émotion des intellectuels à propos des certificats d’hébergement, dont j’avais souhaité confier l’attribution aux maires. « Méthode vichyste », disaient-ils. Pour trouver un peu d’apaisement, j’avais accepté un amendement confiant cette tâche aux préfets. Or, que font les socialistes aujourd’hui ? Ils le redonnent aux maires. Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui avaient manifesté doivent avoir le sentiment d’être trompés…

Et puis ce texte contient bien d’autres mesures inacceptables : suppression de la déclaration d’entrée sur le territoire français, du visa de sortie pour les étrangers, de l’obligation de résidence habituelle pour le renouvellement d’une carte de séjour, encouragement du regroupement familial et, enfin, automaticité de l’obtention de la nationalité française.

Les socialistes font une fois de plus preuve d’irresponsabilité, de laxisme et d’angélisme. Le gouvernement n’a rien compris au problème de l’immigration. Les socialistes n’ont qu’une stratégie : avoir en face d’eux non plus l’opposition RPR-UDF, mais le FN. Du coup, reprenant les vieilles tactiques de François Mitterrand, le PS essaie de faire monter le Front national. Il joue avec le feu.