Texte intégral
lundi 29 septembre 1997 - Journée football amateur, à Clairefontaine (78)
Messieurs les présidents,
Chers amis,
Je crois qu’il est symbolique et heureux que la première journée consacrée au football national, rassemble la famille du football amateur.
La période de concertation, au cours de laquelle nous avons reçu les différents acteurs du football français nous a convaincue que nous devions réunir, sous la forme de deux journées de réflexion, l’ensemble des partenaires : (dirigeants, élus, techniciens, joueurs).
Et nous y avons ajouté une symbolique, celle de faire précéder la journée consacrée au professionnalisme par la journée réunissant le monde dit « amateur ». En sachant, bien évidemment, que sous ce terme générique sont regroupés plusieurs statuts, l’amateurisme intégral, l’ancien statut promotionnel, et plus prosaïquement, tout ce qui n’est pas le plus haut niveau de pratique, mais qui touche près de 2 millions de licenciés et combien de milliers de non licenciés.
Madame, Messieurs, il s’agit dans mon esprit, de faire le point le plus objectivement possible sur la réalité de ce football des profondeurs, celui sans lequel, contrairement à ce qu’en pensent certains, il n’est pas de pratique de haut niveau.
Aujourd’hui sans doute, il serait vain de poursuivre un mauvais procès entre professionnalisme et amateurisme, non que ces termes ne recèlent pas des philosophies, des approches différentes, et que les défenseurs des deux philosophies n’auraient plus l’occasion de débattre.
Mais l’intrusion d’un troisième acteur, je veux parler du sport spectacle, à fortement modifié la donne.
Il ne fait aucun doute que l’ultra-commercialisation et la tentation du système à l’américaine des franchises, font courir le risque d’une nouvelle distribution du pouvoir. Et c’est en cela que nous demandons à chacun de réfléchir, en refusant la tentation facile d’une fuite en avant vers une logique exclusivement mercantile, au détriment des règles et de l’éthique sportive.
Le constat est partout le même : certes, jamais la popularité du football n’a été aussi grande, mais dans le même temps, l’afflux d’argent dans le sport, aspiré par le haut, déserte dramatiquement les niveaux inférieurs des ligues et surtout des districts.
Ceux que l’on appelle les petits clubs de ce pays, ne profitent pas de cette manne qui s’apparente parfois, ici et là, au gré de transferts démesurés, à une forme d’injustice et de frustration. Leur donner voix au chapitre telle est notre préoccupation.
J’ai davantage le souci d’écouter que d’imposer de ma faire une idée, à partir de ce qu’en disent les praticiens, ceux qui, au contact de la réalité, ont sans aucun doute des propositions à exprimer.
Pour ma part, je m’engage dans ce débat à partir de trois convictions essentielles :
- la première, c’est que le sport professionnel, et le football en particulier, doit absolument vivre et se développer en cohérence avec son volet amateur au sein de la structure fédérale, sous l’autorité de son président ou de ses instances élues. Toutes tentatives visant à l’éclatement de cette cohérence ne bénéficierait ni au professionnalisme, ni à la pratique amateur. À l’inverse, tout ce qui peut enrichir une cohérence entre ces deux niveaux, au sein de la structure fédérale, avec ce que cela implique de responsabilité publique, doit être encouragé ;
- ma seconde conviction, c’est que le football amateur, au niveau de ses structures de base, doit davantage bénéficier des investissements que concentre le football professionnel. Il sera de moins en moins compréhensible et acceptable que le football des quartiers, des communes et des villages, ce football qui donne toute son âme au plus populaire des sports de la planète ; ait de plus en plus difficultés ; au moment où l’image qu’il renvoie, à travers le professionnalisme, est celle d’un sport qui engloutit de plus en plus d’argent ;
- enfin, et c’est ma troisième conviction, nous avons, en tant que ministère, une responsabilité publique à affirmer. Je compte le faire de deux manières : d’une part, en redynamisant le sport pour tous à travers une révision de la loi de 1984 ; d’autre part, en travaillant, avec d’autres ministères, à l’élaboration d’un véritable statut du bénévole. Ces bénévoles, le football amateur en compte plusieurs milliers.
Ce sont des femmes et des hommes qui se dévouent sans compter. Mais, il faut bien le reconnaître, ces dévouements sont de plus en plus difficiles à obtenir. Il est donc indispensable que la société reconnaisse l’utilité de ces engagements bénévoles, et leur accorde un statut qui place ce dévouement au rang d’une vraie citoyenneté.
Madame, Messieurs,
Je ne viens pas devant vous avec la prétention de tout savoir, et de répondre à tous les problèmes et questions qui ne vont pas manquer de surgir au cours de nos débats.
Je suis ici pour écouter, apprendre, construire des réponses nouvelles, avec, j’en suis persuadée : l’ambition commune de servir les autres à travers une passion.
Que le débat qui s’ouvre aujourd’hui soit libre, que le débat qui s’ouvre aujourd’hui soit libre, que chacun s’exprime sur tous les sujets recensés et je sais qu’ils ne manquent pas.
Un dernier mot encore : le fameux arrêt Bosman n’a pas seulement changé le marché du football européen. Négociant à leur bénéfice, au propre comme au figuré, les conséquences du combat juste et gagné par un homme contre des pratiques arbitraires, certains présidents de grands clubs, une minorité en vérité, ont surtout fait de cet arrêt la promotion de la dérégulation.
Aujourd’hui, comme le 3 octobre prochain, nous pourrions réfléchir à une nouvelle manière, plus loyale, de faire jouer la concurrence sportive.
Des pistes s’ouvrent devant nous : je pense à la nécessaire solidarité du monde professionnel pour partager un peu mieux l’argent qui traverse le football avec les circuits d’initiation, de pré-formation et de formation. Je pense à l’instauration d’une direction nationale de contrôle de gestion à l’échelle communautaire, soucieuse de contrôler des dérapages incontrôlés de grands clubs européens.
Le football français, et je compte sur vous, doit pouvoir faire entendre sa voix originale.
Bon travail à tous !
Vendredi 3 octobre 1997 - Journée football professionnel, à Clairefontaine (78)
Madame,
Messieurs les présidents,
Messieurs,
Nous nous retrouvons sur la lancée d’une première journée fructueuse je crois, au cours de laquelle nous avions abordé les questions que se pose le football amateur. Mais aujourd’hui, nous parlerons de la pratique dans sa version haut niveau.
Merci d’avoir répondu à l’invitation conjointe lancée par le ministère et la Fédération française, cela confirme que nous partageons un certain nombre de préoccupations à l’heure où le football et le sport en général, dans la perspective ouverte par l’arrêt Bosman doivent réfléchir à leur devenir.
L’arrêt Bosman, faut-il le rappeler, illustre ce que nous appelons volontiers l’esprit de citoyenneté, qui conduit un homme ou une femme à ne pas accepter ce qui paraît inéluctable, la loi abrupte des choses.
Bien évidemment, ce combat citoyen n’a pas manqué d’être retourné, sinon détourné, par ceux contre lequel il était courageusement mené. Et ce qui voulait être un acte de dignité, a débouché sur l’actuelle dérégulation, dont l’expression la plus caractéristique est l’exode de nos footballeurs.
Cette journée consacrée au professionnalisme n’a pas seulement pour objectif de dresser des constats, mais bien d’envisager la perspective d’une modernisation de la loi 1984 sur le sport. Ce chantier fait l’objet d’une vaste concertation, et notre rencontre s’inscrit dans ce cadre.
Il me semble que pour le football, la voie de la sagesse consiste à essayer d’anticiper, avec l’idée de peser sur les événements, surtout lorsqu’ils paraissent bousculer la cohérence, au seul bénéfice d’intérêts extérieurs du sport, fussent-ils économiques. Sauf à considérer que le professionnalisme échappant à ses racines, ne serait devenu qu’un prétexte à faire du commerce. C’est en tout cas la limite que je refuse, et je réaffirme donc ma volonté de voir garantie précisément la cohérence de notre football sous l’autorité de la Fédération.
Du reste, la cohérence entre fédération et ligue nationale est définie par les textes. Et je m’empresse de féliciter le président Noël Le Graet pour le succès indiscutable qu’il a obtenu dans sa difficile mission d’assainissement du football professionnel.
Chacun s’en félicite, même si la vigilance doit rester de mise. Cela oblige aussi à bien regarder ce qu’est devenue la compétition sportive, depuis que la liberté des transferts est devenue un site de nouvelle jungle, ou les plus riches entendent faire la loi.
Bref ! Notre football ne peut pas vivre en marge, et il a aussi son mot à dire face aux dérapages incontrôlés.
J’attends donc que vous exprimiez votre sentiment sur l’évolution des structures juridiques du football professionnel, sur le maintien des subventions publiques, sur le marchandisage, sur la liberté de circulation des joueurs qui ne saurait se satisfaire de l’exode, sur celle des entraîneurs, sur la mise en place d’une direction de contrôle de gestion européenne, sur la défiscalisation du pécule, sur la mise en place d’une exception sportive au niveau communautaire.
Ne nous cachons pas que l’enjeu est ou bien la marche forcée vers la privatisation sans garde fous, ou bien une nouvelle définition, dans le sens de son renforcement, et de la cohérence de l’organisation de notre football.
Nous devons en débattre en pesant les choses.
L’économique ne doit pas s’emparer du temple, à des fins mercantiles.
Le sport n’est pas un produit, c’est de la pédagogie, de l’éducation, de l’enseignement, un lien social. Un lieu de citoyenneté reliant les hommes dans le respect des identités et des cultures.
Il n’a de sens que s’il vit de ses différences. Nous voulons qu’il soit compétitif, mais pas à n’importe quel prix.
Je m’engage dans ce débat avec modestie et détermination, sans prétention à avoir réponse à tout mais plutôt à vous faire part de pistes de réflexions sur les points qui nous apparaissent les plus sensibles.
1. Faut-il supprimer toute subvention publique des collectivités aux clubs professionnels, comme le prévoit la loi d’un précédent Gouvernement ?
Je ne crois pas que ce soit le bon choix. Je ne vous cache pas qu’une telle perspective peut rencontrer un écho favorable dans une bonne partie de l’opinion. Ce serait pourtant une grave erreur, à mon sens, d’aller vers un désengagement public total dans le financement du football professionnel. Et ce pour deux raisons majeures :
- la première est qu’il ne serait pas cohérent de plaider en faveur du maintien de la sphère professionnelle dans la structure fédérale et, en même temps, de pousser les clubs à une privatisation totale ;
- la seconde raison est qu’un désengagement public signifierait du même coup pour les clubs les moins riches une mise en état d’inégalité par rapport aux clubs plus fortunés. Il convient donc de réfléchir au maintien d’une intervention publique, en privilégiant la piste d’une aide directe à formation des jeunes talents.
2. Deuxième question : la future loi doit-elle permettre aux clubs professionnels que le souhaitent d’accéder au statut de société anonyme classique ?
Cette question est suffisamment sensible et complexe pour ne céder à aucun à priori. Le maintien du statut actuel ne serait pas plus satisfaisant qu’une fuite en avant ultra-libérale. Il nous faut donc travailler à un nouveau statut juridique qui ne pénalisera pas les clubs français par rapport à leurs voisins européens, tout en se garantissant, de manière extrêmement rigoureuse, de tout risque de concertation, et de manquement aux règles et à l’éthique sportive.
3. Faut-il autoriser les clubs à développer leur propre action de marketing de mercandising ?
En clair, faut-il supprimer l’article 11-2 de la loi de 1984 qui place ces activités commerciales sous délégation des fédérations ? Je souhaite, sur ce point, entendre tous les avis. Mon premier souci, là encore, est de ne rien faire qui puisse favoriser un professionnalisme en marge de la structure fédérale pour des raisons que j’ai rappelées. Par ailleurs, cette question ne doit-elle pas être abordée dans le cadre global des ressources d’un club, en liaison avec le maintien nécessaire des subventions publiques.
4. L’idée d’une direction de contrôle de gestion des clubs à l’échelle européenne est-elle pertinente ?
Je réponds oui sans hésiter et je compte faire de cette proposition l’une de mes priorités. C’est d’ailleurs la proposition que je présenterai officiellement mercredi prochain à mon homologue luxembourgeois, qui assure actuellement la présidence de l’Union européenne, en lui demandant que ce dossier soit débattu lors du sommet européen des ministres des sports, à la fin de ce mois à Strasbourg.
5. Par ailleurs, et afin de stopper l’exode des talents nationaux dans les championnats les plus riches, je dis clairement qu’il convient de revenir à une limitation du nombre de joueurs étrangers par club, en instaurant une exception sportive à la réglementation européenne actuelle. Ces exception, obtenue en grande partie pour protéger la diffusion d’œuvres cinématographiques, est parfaitement concevable s’agissant du spectacle sportif.
D’autres points vous préoccupent et nous allons en débattre franchement, ouvertement, amicalement, en nous réjouissant des convergences. C’est l’ensemble du débat qui, j’en ai la conviction, nous permettra d’avancer.