Interviews de M. Ladislas Poniatowski, porte-parole de Démocratie libérale, dans "Paris-Normandie" le 15 septembre 1997 et à RTL le 15 octobre, sur les emplois-jeunes, la politique de l'immigration du gouvernement, la réduction du temps de travail, le cumul des mandats.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Paris Normandie - RTL

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Paris-Normandie - lundi 15 septembre 1997

Paris-Normandie : À la suite de la dissolution décidée par le président de la République, la droite a perdu le pouvoir. À quelles conditions, à votre avis, peut-elle y revenir ?

Ladislas Poniatowski : Pour que la droite retrouve la confiance des Français, il faut d’abord qu’elle existe. Et qu’elle soit inventive. Elle me donne aujourd’hui l’impression que sa seule proposition d’avenir, c’est la fusion. C’est un peu faiblard, non, comme projet… Cette façon d’appeler à la fusion, vous savez, comme le disait De Gaulle à propos de l’Europe : fusion, fusion, fusion en sautant comme un cabri. C’est sympathique. Et c’est pathétique.
La priorité n’est pas là : le plus important, c’est l’union à droite. Cette histoire de fusion, c’est de la stratégie… la droite a mieux à faire. Elle a à se pencher sur les problèmes de fond.

Paris-Normandie : Sur quelles idées ?

Ladislas Poniatowski : De quoi parlent les Français ? Pas d’économie, pas d’inflation, pas d’euro. Leurs préoccupations sont ailleurs. Regardez ce phénomène frappant des Journées mondiales de la jeunesse : les Français parlent d’avenir, de spiritualité, de générosité. La classe politique doit faire un effort de réflexion sur le sens de ces préoccupations, tenir compte que, dans ce monde d’égoïsme, les gens pensent aux autres…
Vous savez, les hommes politiques sortent d’une campagne électorale. C’est la période où ils sont intensément au contact des habitants ; c’est la période où les politiques sont meilleurs. Je l’ai vu encore lors des universités d’été : les uns et les autres sont plutôt bons, alors, profitons-en…

Paris-Normandie : Le premier dossier que vous allez discuter à l’Assemblée nationale, c’est celui de l’emploi des jeunes. À ce sujet, il y a à droite, des gens enthousiastes, d’autres réticents, d’autres hostiles…

Ladislas Poniatowski : Les emplois jeunes, ça n’est pas nouveau. On les pratique déjà, sous d’autres noms. Dans ma ville, j’ai des emplois « CES » dont le système a, certes, évolué vers les « RmIstes » ou les chômeurs de plus de 50 ans. Mais le principe est le même : l’État paie une bonne partie du salaire. Ma crainte, c’est alors donc qu’on vide un panier – les CES – pour en remplir un autre – les emplois jeunes –.
Mais enfin, regardons cela de très près : c’est vrai que les emplois jeunes vont couvrir de nouvelles activités. Certaines m’intéressent, en tant qu’élu, comme les emplois attachés à la sécurité : la vie des quartiers, la drogue, l’accompagnement des enfants dans les cars ; ce sont des efforts de prévention qu’il faut accomplir. En revanche, dans la liste des activités qu’on nous propose, il y a aussi des emplois bidons.

Paris-Normandie : Le système proposé doit-il alors être amendé, amélioré ?

Ladislas Poniatowski : Il y a beaucoup d’aspects positifs dans les emplois jeunes. L’un des avantages, c’est la souplesse. Les contrats seront sur cinq ans, mais renouvelables tous les ans. Cela nous permettra de voir si le travail du jeune correspond bien à ce qu’on attend de lui.
Mais je crois que le défaut majeur, c’est la sortie. Cela sera un drame si on fait miroiter un emploi à un jeune qu’il n’aura pas au bout de cinq ans. La première difficulté, ce sera donc de ne pas susciter l’espoir.
La seconde difficulté de ce système concernera le niveau de qualification : nous risquons de ne pas pouvoir employer des jeunes ayant une certaine formation, le salaire n’étant pas forcément attractif.

Paris-Normandie : Les collectivités locales seront en première ligne. Celles gérées par l’opposition joueront-elles le jeu ?

Ladislas Poniatowski : Bien entendu. Toujours, dans le passé, nous avons profité des mesures anti-chômage, sans nous préoccuper de la couleur politique de ceux qui les ont créées. C’est un service pour la collectivité locale, il n’y a pas de raison de s’en priver.

Paris-Normandie : Pour autant, on ne règle pas la question du chômage avec ce traitement-là. Que faut-il faire pour enfin en sortir ?

Ladislas Poniatowski : Ma conviction, sur ce point, est claire. La France détient le record européen du nombre de fonctionnaires d’État et des collectivités locales – cinq millions de personnes – : cela grève le budget ; ce n’est pas en créant 350 000 emplois jeunes de « fonctionnaires » – car c’est cela, la réalité – que l’on allège les impôts.
La France est l’un des pays où les charges sont les plus lourdes. Une des bonnes mesures du gouvernement Juppé – il y en a eu –, c’était de commencer d’alléger impôts et charges, donc d’inciter ceux qui peuvent créer des emplois à le faire : hélas, l’avenir est obscur pour la poursuite de ces mesures.

* Régionales : une majorité stable

Paris-Normandie : Au printemps, auront lieu les élections régionales, première grande échéance pour le nouveau pouvoir, mais avec le même mode de scrutin. Vous le regrettez ?

Ladislas Poniatowski : Je regrette qu’on ne change pas le mode de scrutin et je remarque que pendant quarante-huit heures, M. Fabius a eu la velléité d’obtenir la modification, et que le gouvernement a enterré cette idée. Dans cette affaire, il faut que la droite ou la gauche puissent obtenir des majorités stables qui permettent de gouverner les Régions. J’espère, qu’au moins, on introduira une procédure permettant de voter le budget tant que ceux qui y sont hostiles ne présentent pas une solution différente, et une seule. Ce « 49.3 budgétaire » empêchera au moins que des alliances de circonstance, ou parfois contre-nature (la gauche et le FN en Haute-Normandie) ne paralysent le budget régional.

* Mandats : non au cumul

Paris-Normandie : Le Parlement discutera prochainement de la limitation du cumul des mandats et fonctions électives. Vous êtes pro ou anti-cumul ?

Ladislas Poniatowski : Il est sain qu’on interdise le cumul des mandats ou fonctions. Je sais bien qu’un député ou un sénateur à la tête d’une région ou d’un département a forcément plus de poids qu’un autre, et que c’est notre tradition, nos mœurs.
Mais il y a des pays comme l’Angleterre où, cumul interdit, les hommes politiques font carrière tantôt au national, tantôt au régional, ou successivement. Et après tout, dans les professions aujourd’hui, ne pousse-t-on pas à la mobilité, ne dit-on pas qu’il faut changer de métier deux ou trois fois. Franchement, ce non-cumul serait une mesure saine et j’espère que majorité et opposition trouveront un terrain d’entente là-dessus.

 

RTL - mercredi 15 octobre 1997

J.-M. Lefebvre : L’immigration : Mme Veil dit qu’elle voterait oui, si elle était parlementaire, aux projets de loi présentés, ce matin, en conseil des ministres par Mme Guigou et M. Chevènement. Et vous, M. Poniatowski ?

L. Poniatowski : Eh bien l’UDF votera : non.

J.-M. Lefebvre : Pour quelles raisons ?

L. Poniatowski : D’abord, je suis en train de me demander à quoi sert ce texte, à quoi servent ces deux textes ? Les textes ont été présentés, ce matin, en conseil des ministres, ils vont venir à l’Assemblée vers le 15 novembre. Or, pendant ce temps-là, je vous signale que le Gouvernement est en train d’examiner la situation des 120 000 clandestins qui ont fait une demande pour régulariser leur situation. Chevènement, cet après-midi, à l’Assemblée nationale a laissé entendre que pratiquement un sur deux serait régularisé.

J.-M. Lefebvre : Le chiffre est de 10 000, je crois ?

L. Poniatowski : Non, 10 000 sur 20 000. D’ici la fin du mois, 10 000 seraient régularisés sur les 20 000 examinés, donc d’ici la fin de l’examen des 120 000, c’est à peu près 60 000 – c’est le chiffre que nous connaissions dès le départ. À quoi sert un texte si, par ailleurs, on n’en tient pas compte et qu’on régularise ?

J.-M. Lefebvre : Et pourtant les lois Pasqua et Debré ne sont pas abrogées, et je me rappelle que, cet été, l’opposition n’avait pas été farouchement opposée à ce texte.

L. Poniatowski : C’est vrai qu’il y avait dans le texte Debré une ou deux lacunes concernant les sans-papiers. C’est tout à fait exact et donc il faut, je dirais, affiner. Il y a une autre raison pour laquelle je me demande si cela sert à quelque chose : surtout, est-ce que c’est le bon moment ? Vous avez fait allusion, tout à l’heure, aux mesures que le Gouvernement a prises en matière fiscale contre les familles. Je considère que notre pays, ou dans n’importe quelle démocratie, toute politique concernant l’immigration a forcément un lien direct avec une politique de la famille, une politique de la natalité. Je m’explique : plus vous aurez d’enfants français dans nos quartiers de nos villes, plus ce problème de l’immigration sera facile à faire accepter par les Français. Car le problème de fond est que grosso modo, chaque année, bon an mal an, c’est à peu près 100 000 immigrés que la France absorbe légalement. Et puis, il y a à côté le problème – on ne connaît pas le chiffre exact – des 30 000 à 50 000 clandestins. C’est cela qu’on essaye de régler comme problème. Je veux dire par là qu’on ne peut pas à une semaine d’intervalle, premièrement sanctionner la famille, comme le fait le Gouvernement actuel et, en même temps, vouloir régulariser des clandestins.

J.-M. Lefebvre : Pourtant, ce matin, M. Chevènement à la sortie – et je vous demande s’il a eu tort ou raison – s’est inquiété de l’effet justement de l’immigration clandestine sur l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale, justifiant la non-régularisation des sans-papiers en situation irrégulière ?

L. Poniatowski : Il a un discours de fond qui se tient, et puis il a un texte avec des mesures très précises – celles auxquelles vous avez fait allusion. Ces mesures m’inquiètent notamment pour trois points particuliers. Elles sont laxistes. Soyons clairs et nets : si nous sommes contre c’est parce que nous les considérons comme laxistes. Elles vont inciter plus d’étrangers à venir en France notamment avec les chapitres concernant le droit d’hébergement – c’est très important – et concernant la carte de séjour. Et puis, il y a une autre particularité sur ces textes. Ils vont inciter à multiplier les mariages en blanc. Car je vous signale que, dorénavant, avec le texte qui a été présenté, ce matin, il n’est plus exigé d’un irrégulier de justifier qu’il vit depuis un an, qu’il est marié depuis un an, ou qu’il vit en concubinage notoire depuis un an. Maintenant il n’y a plus aucune exigence.

J.-M. Lefebvre : En fait, vous êtes aussi critique que les organisations humanitaires antiracistes qui disent que cette loi ne va pas assez loin ?

L. Poniatowski : Non mais, comprenez-moi bien : je suis favorable à ce qu’il y ait une immigration dans notre pays. La France n’y coupera pas, et l’immigration zéro est une espèce de slogan totalement absurde. Mais si on veut expliquer aux Français, et leur faire comprendre, qu’il faut s’armer légalement pour accepter ces immigrés légaux, il faut absolument qu’en même temps on ait une politique, comme dans tous les autres pays, une politique sévère en matière d’immigration clandestine. Je vous signale que la France est un des pays qui expulse le moins de toutes les démocraties – on ne le sait pas, mais c’est le cas. Et donc je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas des règles fixes, et qu’il n’y aurait pas des sanctions contre ceux qui ne respectent pas ces règles.

J.-M. Lefebvre : L’opposition ne retrouve toujours pas ses marques ?

L. Poniatowski : Si. J’ai écouté M. Colombani tout à l’heure : c’est le contraire, il semblerait qu’à nouveau, elle vive. Je ne sais pas si c’est un problème de retrouver ses marques. Il y a une conjoncture de problèmes de fond et sur lesquels nous nous exprimons en ce moment assez fort : que ce soit sur le texte sur l’immigration, que ce soit les 35 heures et surtout les mesures contre la famille où, effectivement, là, il y a une très grande solidarité de toute l’opposition. Alors ce n’est pas une question de retrouver ses marques. Ce n’est pas une question d’être opposé systématiquement. Il y a deux, trois problèmes de fond qui arrivent en ce moment sur notamment le bureau de l’Assemblée nationale, et nous nous battons effectivement avec beaucoup de conviction.

J.-M. Lefebvre : Sur les 35 heures, le Premier ministre met en avant le respect de ses engagements. Est-ce que Jean Gandois a eu raison de dire qu’il a été berné ?

L. Poniatowski : Oui, il a eu raison. Attention, ça ne veut pas du tout dire que nous sommes, je ne suis absolument pas hostile aux 35 heures. Dans nos sociétés aujourd’hui, il est normal qu’on aille vers moins d’heures de travail et, d’ailleurs, il y a déjà pas mal d’entreprises françaises et étrangères dans lesquelles on travaille moins de 35 heures. Donc c’est une certaine logique. Ce qui est tout à fait anormal, c’est la méthode, c’est d’imposer vraisemblablement une loi généralisée qui va imposer ces 35 heures. Je crois très sincèrement – dans une période où vous avez des dizaines de milliers d’entreprises, grandes, moyennes, petites, des commerçants, des artisans qui sont en train déjà de pratiquement mourir sous les charges sociales – leur imposer demain ces 35 heures payées 39 ; même deux ans, c’est très court. Je trouve ça pas normal. Alors qu’est-ce qu’il a fait Gandois ? Il a réagi brutalement, il a tout simplement crié : « casse-cou ». Il l’a crié de manière très forte en disant : je n’admets pas la méthode. Et je pense qu’il a eu raison. Ça veut dire qu’aujourd’hui, le dialogue social est cassé. La volonté de dialogue de Jospin, on voit bien qu’elle est limitée, et il a besoin de renouer le dialogue social pour faire avancer ce dossier des 35 heures. Donc, il faut qu’il change de comportement. Dorénavant, il faudra qu’il dialogue, qu’il négocie. Et qui dit négocier, ça veut dire faire des concessions aux autres partenaires.