Interviews de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Le Midi libre" le 11 mars 1999, "La Tribune" le 12 et dans "Le Figaro" le 24, sur son opposition à l'accord de principe conclu par les ministres européens de l'agriculture sur la réforme de la politique agricole commune ( PAC).

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MIDI LIBRE le 11/03/1999

Midi Libre : Les propositions de la réforme de la PAC font qu’on s’acheminerait vers un relèvement des quotas assorti d’une baisse des prix de 15 % du prix du lait. Quel est votre sentiment ?

Luc Guyau : On assiste à une évolution du ministre allemand. Je reste très prudent d’autant que rien n’est encore finalisé. Tout ce que je peux dire est que, si cette solution est retenue, elle n’est pas parfaite. Ce n’est pas ce que les producteurs laitiers souhaitent. Et, à ce congrès, on sent très bien dans les rangs des producteurs qu’une telle mesure ne peut être adoptée.

Midi Libre : Voulez-vous une telle réforme de la PAC ?

Luc Guyau : Je ne comprends pas pourquoi il faudrait adopter une telle réforme. Et, en plus, on ne peut accepter une réforme qui serait applicable en 2004. Car, dans ces négociations, c’est une telle démarche que Bruxelles voudrait nous faire avaler. Il faut savoir que, depuis ces dernières années, le secteur laitier a plutôt été sacrifié.

Midi Libre : Le lait n’est pas seulement votre cheval de bataille dans le cadre des négociations. Qu’en est-il pour les ovins et la viande bovine ?

Luc Guyau : Pour ces productions, il est indispensable d’avoir des signes forts sur les zones de montagne. Elles sont très exposées aux handicaps et on doit en tenir compte car ces zones doivent vivre. Dans le cadre de la politique actuelle de la montagne, les éleveurs laitiers notamment, sont obligés de jongler pour compenser les coûts de collecte.

Midi Libre : Quel choix faut-il faire entre les primes et les prix ?

Luc Guyau : Le prix de nos productions doit rester l’élément essentiel du revenu des agriculteurs. Dans certains cas, cela ne veut pas dire qu’il faut refuser toute évolution. Surtout pas.

Midi Libre : Et dans le cadre des OCM (organisation commune des marchés), quelle est votre position ?

Luc Guyau : Si on n’a pas un minimum d’encadrement, vu les aléas monétaires, financiers ou autres, ça ne peut pas aller, car il y aura des dérégulations. Elles seront fatales aux plus petits. Et ensuite, ce seront les moyens devenus petits qui seront touchés. Car le marché n’a jamais réglé les problèmes.

Midi Libre : Comment se préparent les négociations de l’organisation mondiale du commerce prévues en octobre ?

Luc Guyau : Il faudra être vigilant et défendre notre système et nos modèles régionaux. On peut avoir des spécificités. Il faut les mettre en valeur. Non, on ne veut pas plier et on est d’ailleurs capables de faire du lobbying.

La Tribune, 12 mars 1999

Luc Guyau est président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Il en appelle au Gouvernement et au chef de l’État pour « redresser la situation compromise » par l’accord de principe conclu à Bruxelles par les ministres de l’agriculture sur la réforme de la PAC.

Luc Guyau, interrogé par La Tribune, ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer l’accord de principe conclu par les ministres de l’agriculture des quinze sur la réforme de la politique agricole commune (PAC). Le président de la FNSEA juge cet accord « inacceptable » car « il ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons du rôle et de la place des agriculteurs ». Ceci, pour une double raison, observe-t-il : « D’abord, cet accord n’assure pas le revenu des agriculteurs, puisque les baisses de prix ne sont pas compensées intégralement. Ensuite, on fait dépendre un peu plus les agriculteurs des aides directes, donc du contribuable, en faisant croire aux consommateurs qu’ils vont bénéficier des baisses de prix alors qu’ils n’en bénéficient pas. » À l’inverse, Luc Guyau « souhaite le maintien du revenu des agriculteurs par les prix ». Bref, « quand on fait des baisses des prix, on les compense intégralement ». C’est à cette condition que la FNSEA « pourrait accepter de discuter de la baisse progressive des aides ».
Mauvais compromis laitier
Toutefois, Luc Guyau « reconnaît » que l’accord conclu à Bruxelles sur la réforme de la PAC contient « des avancées » par rapport aux premières propositions de la Commission européenne « notamment en matière de viande bovine, qui présente désormais un meilleur équilibre entre les productions intensives et extensives, même si nous restons très inquiets par le niveau très bas retenu pour un filet de sécurité en cas de crise ». En revanche, sur le lait, « le compromis est pire qu’avant parce qu’il s’agit de l’application certes différée de la proposition de la Commission, mais accentuée par les quotas supplémentaires qui seront distribués aux uns et aux autres d’ici à trois ans. C’est-à-dire qu’avec ces augmentations de quantités qui n’ont pas de débouchés dans l’immédiat, ce sera la baisse assurée des prix ». Enfin, sur les grandes cultures, le maintien de la baisse des prix de 20 % compensée à moitié « ne peut pas nous satisfaire car cette baisse aura des conséquences graves sur le revenu des producteurs ». Luc Guyau ajoute que, pour les oléo protéagineux, l’accord « n’assure pas la pérennité de ces productions ».
Manque de modèle
Ainsi « même si nous ne sommes pas dans la situation de demander la remise à plat de toute la réforme », Luc Guyau estime que « le Gouvernement et le président de la République doivent pouvoir redresser la barre » dans le respect « du modèle agricole européen défini par les chefs d’État au sommet de Luxembourg en décembre 1997 ». C’est bien là, d’ailleurs, que le bât blesse. Quel modèle agricole veut-on pour l’Europe ? Selon le président de la FNSEA, « les quinze n’ont effectivement pas défini suffisamment ce qu’ils veulent pour leur agriculture et la Commission nous sert un copyright de l’agriculture américaine ». Cependant, compte tenu de la crise politique en Allemagne, Luc Guyau ne « voit pas comment, dans deux semaines au sommet de Berlin, les quinze pourraient arriver sereinement à un accord global et acceptable sur l’agenda 2000 ». Et de lancer : « Mettons à profit les prolongations pour réajuster quelques éléments. »

Le Figaro, 24 mars 1999

Le Figaro Économie : Que signifierait, pour les agriculteurs, un « bon accord » à Berlin ?

Luc Guyau : Nous n’avons aucune illusion : un bon accord paraît difficile. Pour la simple raison que la négociation s’est engagée sur malentendu. Dans l’esprit de la Commission, il s’agit, en effet, de faire en sorte que l’agriculture européenne s’aligne sur les prix mondiaux. Ce qui est impossible. D’abord parce qu’une telle démarche entraînerait une forte baisse du revenu des agriculteurs sans, d’ailleurs, que les consommateurs en bénéficient. Ensuite parce qu’une telle remise en cause affaiblit l’Europe avant les négociations prochaines dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce.
Tout cela veut dire que, si le compromis élaboré à Bruxelles était officialisé ; il conviendrait de prendre des mesures nationales de compensation, même si celles-ci ne sont pas forcément d’ordre budgétaire. Dans l’état actuel des choses, il est impensable pour nous d’accepter des baisses aussi fortes des aides portant sur les céréales ou sur la viande bovine. Sans compter qu’une réforme du secteur laitier ne nous paraît pas, pour l’heure, indispensable.

Le Figaro Économie : Le ministre de l’agriculture, Jean Glavany, estime que les propositions actuelles visent à isoler la France. Les agriculteurs français se sentent-ils seuls par rapport à leurs collègues européens ?

Luc Guyau : en tant que président du Copa (1), j’affirme que l’inquiétude est partagée par l’ensemble du monde agricole européen. Et, si certains pays s’en sortent mieux que d’autres, la France, de par la richesse et la diversité de ses productions, se trouve plus exposée que ses voisins. Il faut aussi tenir compte des Britanniques qui continuent de faire bande à part. Mais le fait que des milliers d’agriculteurs allemands manifestent aujourd’hui à Berlin prouve bien que le malaise est partagé par la plupart en Europe.

Le Figaro Économie : Vous évoquez un durcissement de vos actions en cas d’échec ou de mauvais accord. Qu’entendez-vous par là ?

Luc Guyau : Il est bien entendu qu’un fiasco à Berlin nous obligerait à réagir. Dans cette affaire, les agriculteurs se battent pour leur survie. Ils ne saisissent pas les contradictions qui apparaissent entre la volonté très libérale de la Commission de jouer sur les marchés mondiaux et celle de la loi d’orientation française, actuellement en discussion au Parlement, qui entend favoriser la préservation de l’entreprise familiale et la recherche d’un équilibre paysager. Peut-on imaginer survivre, par exemple, avec une viande bovine à 8 ou 10 francs le kilo comme en Argentine ?

Le Figaro Économie : Vous estimez que la PAC revue et corrigée servira avant tout les intérêts américains. Pouvez-vous être plus explicite ?

Luc Guyau : Pendant que nous reculons, les Américains ne cessent d’avancer pour être en position de force lorsque reprendront les négociations sur le commerce mondial. Ils reprochent à l’Europe de trop subventionner ses paysans alors qu’ils en font autant, même si les mécanismes sont différents. Mauvais procès en vérité puisque, 270 milliards de francs sont versés aux sept millions d’agriculteurs européens. Il y aura 140 milliards qui bénéficient à 1,7 million de « farmers » américains.

(1) Copa (Comité des organisations agricoles)