Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le développement de l'agriculture biologique, notamment la mise en oeuvre d'un plan pluriannuel pour revaloriser le secteur, Rambouillet le 12 décembre 1997.

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Circonstance : Visite du ministre au Centre zootechnique de Rambouillet le 12 décembre 1997

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Cette visite du site de Rambouillet est l'occasion pour moi d'évoquer des sujets auxquels je suis particulièrement attaché et d'illustrer de façon très concrète le discours que je tiens depuis mon arrivée rue de Varenne dans mes fonctions.

Le développement de l'agriculture au cours des 30 dernières années s'est accompagné à la fois d'un fantastique accroissement de la productivité du travail, de succès considérables sur les marchés, en France, en Europe et dans le monde, mais aussi de déséquilibres territoriaux importants, d'une concentration jugée souvent excessive des exploitations et d'une rupture entre la production agricole et le territoire.

C'est ainsi que l'on a même assisté au développement d'une agriculture hors-sol, performante et dynamique, qui exprime le point d'aboutissement, sans doute temporaire, de ce processus.

Mon ambition n'est pas de condamner l'agriculture dite productive, tournée vers le grand large : l'agriculture biologique ne s'oppose pas à l'agriculture conventionnelle, elle est simplement différente comme le dit excellemment M. Riquois dans son rapport. Mon ambition est d'aider ceux des agriculteurs qui ne peuvent ou ne veulent se rattacher à ce type de production à choisir des modèles de développement où ils peuvent mieux maîtriser la production, la transformation, voire même la commercialisation de leur produit.

C'est ce que j'ai voulu dire lorsque j'ai parlé de restaurer le lien entre l'agriculteur et son produit. Cette ambition n'est ni utopique, ni ringarde comme certains le proclament. Elle est moderne car elle s'appuie sur une démarche où la volonté des producteurs de se donner à eux-mêmes des disciplines rejoint les nouvelles demandes de la société à l'égard de l'agriculture.

Le modèle alimentaire français, auquel tous les discours font référence, doit s'exprimer au travers de cette agriculture qui saura conjuguer une sécurité alimentaire irréprochable et la mise en valeur de nos terroirs par des savoir-faire respectueux de la diversité. L'objectif d'une occupation équilibrée du territoire c'est réussir le pari de conforter, de développer nos points forts en jouant mieux de l'extrême diversité de nos terroirs et en tirant un meilleur parti du savoir-faire de nos agriculteurs.

Pour cela, nous devons passer du stade du discours à celui des mesures concrètes. Alors qui mieux que le secteur de l'agriculteur biologique répond à l'ambition que je viens de défendre.

Tout d'abord un double constat :

- La demande de produits biologiques tant en France qu'en Europe explose. Cette tendance récente est considérée, aux dires d'experts, comme une tendance lourde du marché qui ne pourra que s'amplifier dans les années à venir. Le seul marché français estimé en 1996 à 4 milliards de francs, devrait atteindre 15 milliards à l'aube du prochain millénaire (le marché européen, au moins 10 fois supérieur, de l'ordre de 150 milliards de francs) ;
- Dans le même temps alors que la France représentait encore 60 % de la production biologique européenne en 1985 (60 000 ha sur 100 000 ha) elle ne représente plus en 1995 qu'à peine 10 % (100 000 ha dont 30 000 en conversion sur 1 000 000 ha).

Il serait donc paradoxal et inquiétant pour un pays comme le nôtre - promoteur de cette forme d'agriculture - de se voir marginalisé sur un créneau aussi porteur. Il nous faut réagir. Nous redonner les moyens de la reconquête en fixant un nouveau cap pour l'agriculture biologique ; reconquérir le leadership européen en s'appuyant sur un plan pluriannuel de développement.

L'agriculture biologique dispose en France de nombreux atouts qu'il est nécessaire de conforter pour satisfaire un marché en pleine expansion. Monsieur Alain Riquois, Ingénieur du GREF et président de la section « agriculture biologique » de la Commission des labels et des certifications a été chargé d'élaborer un projet pour la mise en œuvre d'un plan pluriannuel de développement et de promotion de l'agriculture biologique. Il vient de me remettre son rapport. Je le remercie du travail qu'il vient d'accomplir. De même que je veux remercier monsieur Bourdreux qui nous ouvre aujourd'hui les portes de la bergerie de Rambouillet. Je salue le dynamisme de son action au sein de cet établissement et la qualité de l'accueil qu'il nous réserve.

Le rapport de monsieur Riquois établit en premier lieu un constat : celui de nos insuffisances.

Aujourd'hui il y a environ quatre mille producteurs qui pratiquent l'agriculture biologique en France sur 120 000 hectares : la moitié en productions végétales (légumes, fruits, vigne, céréales, etc.), la moitié en élevage (viande ou lait).

Si le nombre des conversions à l'agriculture biologique s'est accru en 1996, après cinq ans de quasi stabilité, l'offre n'est pas encore en mesure aujourd'hui de répondre à la demande. La production française largement en tête en Europe jusqu'à la fin des années 1980 ne représente plus que 10% de la production de la communauté.

Les demandes d'importations de « produits bio » en provenance des pays tiers s'envolent : de 1993 à 1996, elles ont été multipliées par vingt.

Ce marché est en effet en pleine expansion en France car on assiste depuis deux ans environ à un changement d'attitudes en faveur des produits « bio ».

Plusieurs raisons expliquent à mon avis cette évolution. Tout d'abord une plus grande sensibilité du public à des aliments « naturels » mais également à des modes de production agricole plus respectueux de l'environnement grâce au travail de fond des pionniers de l'agriculture biologique. Ensuite on constate une meilleure mise en valeur de ces produits par la grande distribution. Il n'est pas une enseigne de grandes surfaces sans son rayon « bio ». Enfin les investissements effectués dans ce domaine par les grands groupes de l'alimentation et par de nombreuses PME proches des terroirs ont eu des effets certains.

Je vois comme un signe des temps le fait que les pionniers de la FNAB et de l'ITAB soient rejoints par les grandes organisations. L'APCA a pris à bras le corps ce dossier ; la FNSEA et la CFCA s'y intéressent de plus en plus.

Le président de l'association nationale des industries agro-alimentaires est lui-même président d'une entreprise de produits « bio ».

Mais ces manifestations d'intérêt et de sympathies n'ont pas encore permis de développer en France une production qui soit à la hauteur du marché et de ses perspectives.

C'est pourquoi j'ai décidé de prendre un ensemble de mesures afin de donner au cours des cinq années qui viennent, l'impulsion nécessaire.

L'objectif du plan que j'entends développer en agriculture biologique pour les cinq années à venir est d'aider l'agriculture biologique française à reconquérir une place dominante en Europe.

Cette place nous devons la conquérir d'une part, d'un point de vue qualitatif, en plaçant selon l'expression de M. Riquois, l'agriculture biologique au cœur de l'agriculture française, comme ferment et peut-être demain comme moteur du développement durable.

D'autre part d'un point de vue quantitatif il ne faut pas craindre de fixer des objectifs ambitieux en se fixant pour cap « 25 000 exploitations et 1 000 000 hectares en agriculture biologique pour 2005 ».

Pour atteindre un tel objectif, il est nécessaire de valoriser les atouts de l'agriculture biologique.

A mon sens, le principal atout est le territoire français lui-même qui présente à la fois de vastes étendues à faible densité de population et aux pratiques agricoles extensives, comme le Massif Central par exemple, et des zones plus peuplées disposant d'importantes structures agricoles mais sensibilisées aux excès de certaines pratiques intensives et disposant d'un marché important.

Le second atout est notre dispositif réglementaire et de contrôle qui sert d'exemple pour l'ensemble de l'Union européenne, et la politique de qualité qui l'accompagne. Ces deux éléments ont permis à l'agriculture biologique d'être reconnue avec ses spécificités par la plupart des acteurs du monde de l'agriculture et de l'agro-alimentaire mais également et peut être surtout par les consommateurs. Je veux saluer à cet égard le travail tout à fait remarquable réalisé par la commission des labels et des certifications et de sa section « agriculture biologique » en particulier.

Mais pour reprendre notre première place européenne en agriculture biologique il faut reconnaître nos handicaps et les combler. La faiblesse de l'organisation des filières, le manque de références technico-économiques, l'absence de coordination des aides sont autant d'éléments à prendre en compte.

C'est pourquoi, mes objectifs prioritaires seront les suivants :

1 - Le premier objectif est d'accompagner les agriculteurs qui choisissent la voie de l'agriculture biologique en leur apportant des aides réévaluées à la conversion et à l'adaptation.

Dès 1998, l'enveloppe concernant les aides à la conversion à l'agriculture biologique sera multipliée par 4. Elle sera portée de 15 MF/an à 60 MF/an ce qui permettra de passer de 600 à environ 2000 conversions par an.

Ces aides s'adressent, je vous le rappelle, aux agriculteurs désirant se convertir ou en phase de conversion et n'ayant pas encore obtenu le label « bio » pour la commercialisation de leurs productions.

Cette conversion a bien évidemment un coût et ce coût est actuellement particulièrement dissuasif dans le secteur des fruits, des légumes et des céréales. En effet, les agriculteurs se trouvent pendant quelques années dans une situation où le volume de leur production diminue, lorsqu'ils adoptent des techniques de productions biologiques, mais où ils ne peuvent pas valoriser leurs produits sur le marché des produits biologiques.

Il faut absolument accompagner tous ceux qui le désirent dans cette reconversion, en y consacrant les moyens financiers nécessaires.

C'est pourquoi, j'ai demandé à la Commission européenne que les aides nationales à l'hectare pour ces productions soient portées immédiatement au plafond européen.

2 - le second de mes objectifs est de mobiliser les offices interprofessionnels pour mieux organiser les filières de produits.

Il s'agit de filières de production encore jeunes, qui ont besoin de définir les règles du jeu, de structurer les interventions des différents partenaires, de mettre en place les outils d'organisation économique.

Dès 1998, 30 MF seront mobilisés sur les crédits d'orientation des offices. 15 MF concerneront les producteurs, les 15 autres seront destinés à la structuration des filières.

3 - le troisième est d'associer encore plus étroitement à l'agriculture biologique les organismes de formation et de recherche développement.

L'ANDA a créé en son sein un groupe de travail « recherche-développement bio » auquel participent l'institut technique de l'agriculture biologique et les autres principaux instituts techniques. Cette heureuse initiative est à poursuivre résolument. Les propositions faites dans ce groupe de travail seront prises en compte.

Au-delà de ces premiers acquis, je considère que nous avons, en matière de recherche, des efforts à développer. Il conviendra de mettre en place ce que l'on pourrait appeler un programme mobilisateur sur l'agrobiologie, liant les organismes de recherche, notamment l'INRA, les instituts techniques et les organismes de développement.

Au-delà, je retiens la nécessité de conforter et de développer dans les établissements d'enseignement des filières et des modules de formation. Des propositions allant en ce sens ont déjà été faites par des établissements : je veux les encourager et les multiplier. Il est clair que pour asseoir intellectuellement ces enseignements et ces recherches, nous devons disposer à terme d'un enseignement de haut niveau sur cette orientation afin d'irriguer notre dispositif de formation dans son ensemble.

Il nous faut une ou plusieurs chaires d'excellence en ce domaine.

4 - Il faut également valoriser les outils déjà disponibles.

Le logo AB est actuellement une marque collective dont le propriétaire est le ministère de l'agriculture et j'entends en améliorer la gestion et la promotion. Pour améliorer l'image de lisibilité du logo AB, le règlement d'usage, la traçabilité des produits et le contrôle de l'utilisation du logo feront l'objet de mesures dans les mois à venir.

L'observatoire économique de l'agriculture biologique a été récemment mis en place. Cet observatoire qui bénéficie de l'appui technique et financier du ministère de l'Agriculture associe l'APCA, la fédération nationale de l'agriculture biologique, Bioconvergence et la fédération nationale des centres pour valoriser l'agriculture le milieu rural et les régions. Il vient de publier ses premiers résultats. J'en tiendrai le plus grand compte.

En outre, en concertation avec le ministère chargé de l'Environnement seront prochainement lancés à titre expérimental des programmes d'actions régionaux concertés qui permettront l'application au niveau local des mesures nationales

5 - Afin de coordonner les actions dans le secteur de l'agriculture biologique et d'assurer le suivi du plan pluriannuel de développement dans le secteur, j'ai décidé de mettre en place un comité d'orientation et de suivi du plan de développement de l'agriculture biologique. Ce comité associera les principaux partenaires administratifs et professionnels concernés par la mise en place du plan et devrait permettre une coordination entre les différents offices.

Le comité fera part de ses recommandations au Comité Supérieur d'Orientation de l'agriculture.

Ce comité de coordination entre les administrations concernées et les professionnels de la filière agriculture biologique, ne constitue à mes yeux qu'une première étape.

Si l'on considère, comme je le fais, que nous ne sommes qu'au début d'un processus et que l'agriculture biologique est appelée à conquérir une place importante aux côtés de l'agriculture, baptisons-la, conventionnelle, il faudra que ce secteur se donne les moyens de son développement.

Ces moyens ne sont pas simplement financiers, la mobilisation des hommes autour d'un projet collectif est à l'origine de toute réussite. Pour que celle-ci se développe, il lui faudra trouver un cadre. Pourquoi ne pas envisager un jour la constitution d'un établissement qui permette le travail en commun permanent des représentants de tous les intervenants de la filière ? Pourquoi pas un institut national de l'agro-bio à l'instar de ce qui existe pour les appellations d'origine contrôlée, ou bien un office de l'agriculture biologique ?

J'ouvre cette piste de réflexion. Elle me paraît utile à suivre si l'on veut faire de l'agriculture biologique une filière « majeure » .

Voilà les jalons de la politique de développement de l'agriculture biologique que je vous propose de mettre en œuvre.

Ces perspectives s'inscrivent parfaitement dans les objectifs de la politique territoriale que j'entends mener, ainsi que dans l'affirmation d'une approche qualitative de l'agriculture et de l'alimentation.

Elles rejoignent donc les objectifs essentiels du projet de loi d'orientation agricole que je prépare actuellement.

Le lancement du plan de développement pour l'agriculture biologique est également un signal que je souhaite donner à l'ensemble des partenaires intervenant dans le secteur « bio » pour que chacun participe à son niveau à une meilleure organisation de ce secteur.

C'est le sens du prochain partenariat qui engagera la FNAB, Bioconvergence et l'APCA avec mon ministère.

Le fait qu'aujourd'hui, l'ensemble des partenaires soient présents est à mon avis le meilleur gage que l'on peut donner à la réussite de ce plan.