Article de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "La Provence" le 13 octobre 1997, interviews à France 2 et RTL le 14, éditoriaux dans "Force ouvrière hebdo" les 15 et 22, interview dans "Le Parisien" le 15 et article dans "La Croix" le 25, intitulé "Eloge de la politique contractuelle", et communiqués de FO le 15, sur la réduction de la durée légale du travail à 35 heures, son application à la fonction publique et la position du CNPF.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale sur l¿emploi, les salaires et le temps de travail à Paris le 10 octobre 1997 et démission de M. Jean Gandois de la présidence du CNPF le 13

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - FO Hebdo - France 2 - La Croix - La Provence - Le Parisien - Libération - RTL - Télévision

Texte intégral

La Provence - lundi 13 octobre 1997

La Provence : Avec quelques heures de recul, quelles conclusions tirez-vous de cette Conférence nationale ?

Marc Blondel : J’étais nettement plus inquiet dans la nuit précédant ce rendez-vous… Mais quand je me suis réveillé ce matin, j’ai pensé que c’était là un sacré gâchis. Par la faute du patronat qui s’est totalement bloqué.

La Provence : Vous n’êtes pas satisfait de voir instituée par la loi la semaine de 35 heures ?

Marc Blondel : La question ne se pose pas ainsi. Lionel Jospin est parfaitement dans son droit et a joué pleinement son rôle. Le problème, c'est que le CNPF ne veut plus négocier. Or, si la réduction du temps de travail est une revendication permanente des salariés, elle ne pourra avoir ses pleins effets sur l'emploi que par la négociation. Si les patrons ne veulent pas embaucher, ils en ont les moyens. En multipliant les investissements destructeurs d’emplois, en délocalisant, en effaçant le coût des 35 heures par des gains de productivité. La réduction du temps de travail ne se traduit pas mécaniquement par des créations d’emplois. Je crains que l’on crée des illusions.

La Provence : Le processus annoncé par Lionel Jospin prévoit plusieurs étapes tout en différenciant les entreprises par leur taille. Cela va-t-il dans le bon sens ?

Marc Blondel : Encore une fois, si le patronat refuse de négocier, nous n’avancerons pas. Et plus nous perdons de temps, moins les effets sur l’emploi de cette mesure se feront sentir. Dès lors, pourquoi ne pas passer aux 35 heures tout de suite ?!

Une autre chose m’inquiète. Je crains que ce soient les grandes entreprises, bien organisées, qui s’emparent de cette mesure pour rafler les primes promises. La réduction du temps de travail ne serait alors qu’un élément de gestion, un peu à l’image de ce que nous constatons aujourd’hui avec la loi Robien. C’est plutôt les PME qu’il faut aider. Quant au seuil des dix salariés, il est excessivement dangereux. Je me demande même si cela est vraiment légal.

La Provence : Le blocage du patronat vous paraît-il irrémédiable ?

Marc Blondel : À la sortie de Matignon, j'ai cru deviner combien la détermination du CNPF était forte. Cela n'avait rien à voir avec les effets de manches qui ont précédé la conférence. Je sais bien qu'il y a des positions divergentes chez les patrons, mais quand Gandois parle c'est au nom du CNPF. Certains de ses proches ont même laissé entendre qu'ils pourraient quitter les organismes paritaires, comme la Caisse nationale d’assurance-maladie… C’est de la provocation ! Surtout quand ce sont les mêmes qui ont déjà annoncé leur volonté de casser la Sécu au profit des sociétés d'assurances privées (1). Cela dit, je ne peux pas croire que le patronat pourra longtemps se dérober. Ce n'est pas par cette attitude qu'il va gagner en popularité.

La Provence : La voie, à vous entendre, est très étroite…

Marc Blondel : Jean Gandois a quand même annoncé qu'il entendait faire des efforts en faveur de l'emploi des jeunes... La Conférence nous avait permis, avant le clash du CNPF, des avancées sérieuses. Le principe de discussions sur les grilles de salaires dans chaque branche avait été obtenu. De même, nous étions parvenus à nous entendre pour que soit étendu le bénéfice de l'allocation de remplacement pour l’emploi aux salariés ayant commencé à travailler à 14 ans. Le gouvernement avait même accepté de mettre de l'argent sur la table pour cette mesure. On ne peut donc pas en rester là. J'ai l'intention d'écrire au CNPF pour le mettre en garde sur les conséquences et les responsabilités qu'il prendrait à bloquer le système.

La Provence : Vous êtes particulièrement attaché à cette mesure…

Marc Blondel : Permettre à des gens qui ont commencé à bosser à 14 ou 15 ans et qui ont quarante ans de carrière derrière eux à cesser leur activité, ce n’est que justice. Surtout quand cela doit permettre l'embauche de jeunes pour les remplacer. Près de 150 000 emplois peuvent être ainsi dégagés. À la condition, là encore, que le patronat accepte de négocier. Il prendrait une très lourde responsabilité en faisant capoter ce dispositif.

La Provence : N’avez-vous pas d’autres regrets à l’issue de cette conférence ?

Marc Blondel : Bien sûr que si... les 40 000 francs d'aide promis par l'État pour l'Arpe sont insuffisants, mais la pompe était amorcée. Par contre, l'augmentation de 2 % du Smic que nous demandions est totalement passée à la trappe.

La Provence : Le 14 octobre s’ouvrent les négociations pour la fonction publique. Dans quel état d’esprit abordez-vous cette rencontre avec le gouvernement ?

Marc Blondel : Il est tout à fait logique qu'à leur tour les fonctionnaires demandent la semaine de 35 heures puisque telle sera la durée légale. L'autre revendication aura trait aux salaires, car le contentieux en la matière est lourd. Et cela concerne aussi le secteur nationalisé.

(1) Le secrétaire général de Force ouvrière fait là allusion à Denis Kessler, le président de la commission économique du CNPF, qui faisait partie de la délégation patronale. Denis Kessler est également l'un des principaux dirigeants du groupe d'assurances Axa-UAP.

 

France 2 - mardi 14 octobre 1997

F. Laborde : Vous venez évidemment commenter la démission de J. Gandois. C'est une surprise cette démission, quand même ?

M. Blondel : Oui, pour moi c'est une surprise. Dans la limite où M. Gandois – vous avez remarqué vendredi soir, samedi et dimanche – a affirmé que la position du patronat était de contester les 35 heures à l'an 2000, de contester le phénomène de la loi, je pensais qu'il avait pris une position suffisamment radicale pour satisfaire les plus durs des représentants patronaux. Je pensais d'ailleurs qu'il nous fallait intervenir pour influer et essayer de reprendre la discussion. Ceci étant, il a démissionné. Je connais M. Gandois, c'est un homme orgueilleux, c'est un homme décidé. Je suppose qu'il y a eu beaucoup de pressions pour qu'il reste et puis, une fois qu'il a annoncé sa démission, il l'a maintenue.

F. Laborde : Pour vous syndicaliste, il n’y a pas forcément de quoi se réjouir. C'est plutôt l'aile dure du CNPF qui peut l'emporter maintenant ?

M. Blondel : Oui. C'est un peu paradoxal puisque c'est au moment où, justement, le patronat était très dur et au moment où M. Gandois refusait la négociation – je me permets de rappeler que vendredi, lorsque nous sommes sortis et que j'ai expliqué que nous avions obtenu les voix en quelque sorte pour satisfaire nos revendications, mais il fallait les mettre en musique, discuter avec le patronat, etc. –, au fur et à mesure que j'expliquais cela, derrière, M. Gandois, faisait signe : « non, non, non ! ». Il venait de décider avec les siens que ça serait la rupture. Alors, il a annoncé la rupture. Et pourtant, je pense que c'était l'homme qui pouvait discuter. Et j'ai un peu peur que les conditions dans lesquelles il a démissionné, eh bien ça annonce tout simplement l'arrivée de quelqu'un qui va remettre en cause notre pratique – depuis, disons 30 à 40 ans, depuis 1950 environ – de négocier différentes choses. Non seulement les rapports sociaux pour le code du travail, anticiper sur le code du travail, pour la durée de l'emploi, pour l'ensemble des négociations interprofessionnelles, mais aussi la mise en place de régimes sociaux que nous gérions paritairement. Et il me semble, j'ai entendu dire que l'un de ceux qui seraient les plus durs à l'intérieur du CNPF, pose la question de savoir si le CNPF doit rester dans les organismes sociaux : Sécurité sociale...

F. Laborde : C'est D. Kessler, pour ne pas le citer, qui, effectivement, proposait de se retirer de cette cogestion...

M. Blondel : Madame, vous m'ennuyez en disant cela parce que – et c'est vous qui l'avez dit – moi, je vais vous dire : ce qui m'ennuie beaucoup, c'est que ce Monsieur parle plus comme le représentant d'une compagnie d'assurances qui voudrait se mettre en concurrence sur la sécurité sociale et remettre en cause le monopole de la sécurité sociale, que comme un représentant du patronat.

F. Laborde : Alors, AXA, compagnie d'assurances dans laquelle, effectivement, D. Kessler est vice-président.

M. Blondel : Vous faites de la publicité là, Mme Laborde ?

F. Laborde : Non, mais j'informe le téléspectateur. Simplement, qu'est-ce qui se passe concrètement aujourd'hui : tout est bloqué, il n'y a plus de négociation ? Avec la crise du CNPF, on interrompt tout dialogue ?

M. Blondel : Ce n'est pas « avec la crise du CNPF, on interrompt tout dialogue ». On devait discuter des salaires dans chacune des branches d'activité, sachant que, dans les branches d'activité, si on revoyait les minima, compte tenu que maintenant on pratique les minima – avant il y avait un écart entre les minima et les salaires réels, maintenant on pratique les minima –, c'eût été une augmentation de salaire pratiquement pour tout le monde si on avait fait ça. M. Gandois avait dit : « Non ! ». Ensuite, on devait mettre en musique la possibilité, pour les gens qui ont commencé à travailler à 14 et 15 ans, avec 40 ans d'activité... L'État dit : je vous donne 40 000 francs par poste de travail, nous disons que c'est insuffisant mais il fallait mettre debout la mécanique pour justement dire : vous voyez bien, on ne peut pas le faire, donnez-nous de l'argent pour compléter. Mais il fallait au moins qu'on arrive à discuter. Hop ! c'est gelé. Quant aux 35 heures, c'est même plus la peine d'en parler, dans la limite où il conteste. Et là aussi, il y a une très large ambiguïté. Je pense que, dans les quelques jours, ça va un petit peu s'éclairer. Le gouvernement n'a jamais dit - ou alors c'est une divine surprise pour moi – que la loi sur les 35 heures serait les 35 heures payées 39. Le gouvernement a dit « sans perte de salaire » mais il n'a aucune compétence pour le faire. Le gouvernement peut fixer la durée légale du travail, il ne peut pas fixer les salaires dans le privé.

F. Laborde : Ce que vous voulez dire, c'est qu'il n’y avait pas là de quoi démissionner ?

M. Blondel : À mon avis, il n'y avait pas de quoi faire un cinéma aussi important.

F. Laborde : Quelle était l'ambiance dans cette Conférence sur les salaires ? Est-ce que c'était tendu, est-ce que, au fond, ça s'est déroulé de façon un peu inhabituelle ? On pensait que ça pouvait durer plusieurs jours et puis, à la fin de la journée, il y a une loi ?

M. Blondel : Non, personne n'a envisagé de durer plusieurs jours. Ça, ce sont des fantasmes. Parce que, quand on a une réunion tripartite, on ne négocie pas véritablement. Le Premier ministre annonce la couleur en quelque sorte et ensuite, on intervient pour influer sur les choses. Mais ce n’est pas une véritable négociation, on ne passe pas à la phase pratique. C'est plutôt la forme qui est importante. Ça s'est très bien passé. Il y a eu quelques petits incidents de séance, notamment celui-ci : le Premier ministre lit son texte d'entrée, et dans le texte d'entrée, il dit : « Disposition par la loi pour réduire la durée du travail ». M. Gandois intervient en disant : « Écoutez, nous ne souhaiterions pas que vous distribuiez votre texte ». M. Rebuffel, qui représente les petites et moyennes entreprises, la cravate au vent, en fait un casus belli. Et moi, au nom des syndicats, je dis : « Je regrette, je souhaite moi, qu'on distribue le texte. Dans la limite où vous avez fait cette déclaration, Monsieur le Premier ministre, ça se saura ». Et M. Jospin, eh bien, contrairement à ce que j'espérais, donne satisfaction au patronat ! D'une certaine façon, je comprends M. Gandois quand il dit : « Eh bien, on m'a leurré », en ce sens que, M. Jospin faisant marche arrière, il pouvait espérer qu'il n'y aurait pas, en fin de journée, une disposition par la loi. Car si l'on croit ce que dit M. Gandois, il n'est pas contre les 35 heures, il est contre les 35 heures par la loi, voilà.

F. Laborde : Et vous, qu'est-ce que vous allez faire maintenant ?

M. Blondel : Moi, je vais mobiliser les gens. À partir du moment où vous ne pouvez plus avoir satisfaction par la négociation sur le tapis vert, à partir du moment où le patronat vous dit « il n'est pas question de négocier » ! Je commence depuis hier à faire une campagne sur les 14-15 ans, avec pétition, en réclamant la mise en place de ce système, etc. Si on ne peut pas négocier comme on le faisait traditionnellement, même parfois sans grand résultat, on est bien obligé d'aller le chercher par les réactions et par la force.

F. Laborde : C'est un échec pour la méthode Jospin, la démission de J. Gandois ?

M. Blondel : Je ne crois pas. C'est plutôt un grand risque maintenant pour les négociations sociales et pour la tradition française qui faisaient qu'il y avait un dialogue au niveau interprofessionnel.

 

RTL - mardi 14 octobre 1997

J.-M. Lefebvre : Les syndicats redoutent l'après-Gandois. Est-ce que les propos de M. Kessler, vice-président du CNPF, sont de nature à vous rassurer ? Pas de ligne dure ni de ligne molle, a-t-il dit. Donc il n'y a pas de tueurs à l'horizon.

M. Blondel : Je note que M. Kessler est un de ceux qui pourraient prétendre à la succession de M. Gandois. Ce qui signifie donc que M. Kessler commence déjà à – si possible – avoir le plus grand soutien possible à l'intérieur du CNPF, ce qui pourrait peut-être expliquer un abaissement dans ses propos. Parce que moi j'ai entendu M. Kessler dans la cour de Matignon expliquer vendredi soir qu'ils iraient, au besoin, jusqu'au retrait des administrateurs patronaux dans les organismes de sécurité sociale. Ce n'est vraiment pas ce qu'il a déclaré tout à l'heure. Il y a deux situations. Il faut dire que, depuis, il y a eu la démission du président Gandois.

J.-M. Lefebvre : Mais redoutez-vous cet après-Gandois ?

M. Blondel : Oui, et je vais vous expliquer pourquoi. J'ai été surpris par la démission de M. Gandois. J'ai considéré que M. Gandois avait pris une position très forte et très dure en condamnant le droit du Premier ministre de décider de la durée légale du travail – car il faudrait que l'on parle un peu techniquement de la portée des choses.

J.-M. Lefebvre : Mais nous n'avions pas tous compris cela M. Blondel. Est-ce le Premier ministre qui a scellé le destin de J. Gandois ? Car, pour le CNPF, c'est la loi annoncée par L. Jospin qui a rompu le dialogue.

M. Blondel : Ça c'est une question dialectique. Soyons clairs : quel est le pouvoir du Premier ministre ? De fixer la durée légale du travail. Quel est le pouvoir du Premier ministre ? De fixer le niveau du Smic. Tous ceux qui ont fait des histoires – et je l'ai déjà dit sur votre antenne, un jour de débat avec une dame qui mélangeait tout – avec les 35 heures payées 39 : ça, il ne peut pas le Premier ministre. Ça c'est un débat qu'il doit y avoir entre les organisations syndicales et le patronat. Mais il peut déclarer que la durée légale sera de 35 heures. M. Gandois a laissé percer un petit peu l'oreille dans un débat que j'ai eu avec lui à la télévision, quand il a dit : la France et la Belgique sont les deux seuls pays où il reste le Smic et la durée légale. On voudrait faire sauter la durée légale en Europe, et qu'il n'y ait plus de pays où il y ait de durée légale – j'indique, par exemple, qu'il n'y a pas de durée maximale du travail au Royaume-Uni. C'est très clair, ça c'est la thèse ultra-libérale.

M. Gandois prend cette thèse ultra-libérale, il l'affirme avec beaucoup de velléités. J'étais dans la cour de Matignon quand il l'a dit. Il faisait des dénégations quand je parlais, il dit :  je casse tout, je refuse de discuter sur les autres problèmes. Il prend la responsabilité de mettre en l'air la possibilité de faire partir les gens qui ont commencé à travailler à 14 et 15 ans ; et sachant qu'on va avoir la manne publique : il fallait qu'on mette ça en musique. Il dit : non, on ne fera pas ça, on bloque tout, etc. C'est la position la plus dure. Et puis il est démissionnaire quand même. Moi, je pensais qu'en ayant pris cette position-là, il était assuré du soutien de l'ensemble du CNPF. Ça veut donc dire que s'il démissionne – si j'ai bien compris – c'est qu'il y a des gens qui sont ultra-libéraux par rapport à M. Gandois. Donc j'ai une crainte.

J.-M. Lefebvre : C'est un scénario-catastrophe que vous venez de donner.

M. Blondel : Pas catastrophe, c'est une interrogation.

J.-M. Lefebvre : J'ai entendu le Premier ministre, cet après-midi, à l'Assemblée nationale, dire que la Conférence de vendredi restera comme une date importante, et non pas comme un échec, comme l'a dit l'opposition.

M. Blondel : Ce n'est pas parce que, du côté du patronat, les ultra-libéraux crient et font fort que la Conférence est un échec. Moi, je n'ai jamais dit que la Conférence était un échec.

J.-M. Lefebvre : Oui, mais vous craignez l'après-Gandois.

M. Blondel : Oui, parce que la Conférence a donné des voies, et il faut aller sur les voies. Pour réaliser de 39 heures à 35 heures, il faut négocier avec le patronat, or M. Gandois a dit : nous ne négocierons pas. Dans les entreprises qui voudront : OK ! mais nous ne négocierons pas. Pour soutenir, il fallait faire du keynésianisme et relancer la consommation, donc augmenter les salaires. Il fallait discuter dans les branches. Au début de la Conférence, M. Gandois dit : nous sommes d'accord pour discuter dans les branches, intégrer le Smic, refaire une hiérarchie, etc. Quand je dis qu'il faut un effet d'âge, et qu'on fasse partir ceux qui ont commencé à travailler à 14 ans, eh bien M. Gandois dit : nous sommes d'accord. Et puis, en sortant il dit : nous ne sommes plus d'accord avec ça. Ce qui veut dire que les effets de la Conférence proprement dit sont bloqués par le comportement de M. Gandois.

J.-M. Lefebvre : Diriez-vous qu'il y a un risque de voir, d'un côté, dans les mois qui viennent, un patronat de combat face à un syndicalisme de combat ?

M. Blondel : Je crains que ça va redéfinir les stratégies des organisations syndicales. Si nous ne pouvons pas négocier pour essayer de mettre en musique les voies qui ont été ouvertes par la Conférence, qu'est-ce qui me reste ? S'il n'y a plus de dialogue social à la française depuis le contrat collectif, etc., eh bien il me reste le gouvernement. Je vais donc faire pression sur le gouvernement qui va être tenté, voire être dans l'obligation d'interférer dans les choses. On va changer le syndicalisme dans ce pays si justement le patronat n'est plus l'interlocuteur traditionnel.

J.-M. Lefebvre : Il y a un communiqué de la Fédération nationale du bâtiment qui annonce qu'elle n'engagera aucune négociation paritaire au plan national sur la réduction du temps de travail.

M. Blondel : Voilà, c'est très clair ! Dès dimanche, j’ai eu un débat avec M. Gandois. En sortant, je lui ai dit : vous avez dit que vous sauvegardiez la négociation en ce qui concerne les jeunes : si je fais partir les gens qui ont commencé à 14 ans, c'est pour embaucher des jeunes. Vous ne pensez pas qu'on pourrait discuter cette affaire ? Je vais vous envoyer une lettre ! Et dans le couloir de la télévision en question il m'a dit : je vous répondrai – je ne dis pas qu'il avait dit oui. Ce qui laissait entendre qu'il y avait une possibilité d'ouverture de négociation, le faire revenir un peu sur la position radicale qui était la sienne. Maintenant qu'il démissionne... et s'il l'a fait – moi je connais l'homme, je le connais très bien : c'est un homme orgueilleux et quand il a pris une décision il ne reviendra pas dessus. S'il a démissionné – je ne vais pas dire qu'il a été contraint de le faire – c'est qu'il ne s'est plus senti en position de pouvoir influencer les choses. Donc il a considéré qu'il valait mieux qu'il parte. Et ça, ça peut être un gel terrible. Ça peut avoir des conséquences énormes si le successeur n'est pas un homme qui accepte le dialogue et la pratique de la négociation.

J.-M. Lefebvre : Les négociations dans la fonction publique, les 35 heures ?

M. Blondel : Oui, ça découle d'ailleurs de vendredi. Dans son discours de conclusion, M. Jospin a dit qu'à partir du 14, le Conseil supérieur de la fonction publique serait réuni pour examiner les conditions dans lesquelles certains des problèmes que nous avons traités pourraient être projetés. Alors ne cherchez pas, il va y avoir la durée du travail, bien entendu, il va y avoir aussi...

J.-M. Lefebvre : Les salaires...

M. Blondel : Bien sûr, les salaires, il y a un contentieux qui existe : on va y revenir.

J.-M. Lefebvre : Oui, d'accord, mais qu'attendez-vous pour 1998 puisqu'il y a eu gel des salaires et 1 % d'augmentation cette année ?

M. Blondel : Le problème ne se pose pas comme ça...

J.-M. Lefebvre : Si, pour les fonctionnaires, si.

M. Blondel : Non, mais il va y avoir les salaires, les 35 heures, et vraisemblablement des départs en retraite anticipée si on peut le régler aussi dans la fonction publique. Peut-être même d'ailleurs il y a un problème qui est commun, il y a des gens qui ont 40 ans de cotisations et qui en ont 20 dans la fonction publique, 20 dans le privé ; est-ce qu'il ne faudrait pas trouver un système, etc. ? Alors tout cela va faire l'objet maintenant de discussions. Je crois qu'aujourd'hui M. Zuccarelli en fait a ouvert le feu, simplement. Et je suppose qu'il sera très prudent en la matière.

J.-M. Lefebvre : Sur ce problème de la fonction publique : si le gouvernement fait un effort sur les salaires, serez-vous plus flexible sur le temps de travail ?

M. Blondel : Non, mais le problème ne se pose pas de la même façon dans la fonction publique que dans le privé. Qui crée des emplois dans la fonction publique ? C'est le budget : il faut de l'argent au budget pour créer des emplois. Donc le problème qui va se poser, c'est très clair. On va nous dire : la fonction publique – je vais faire sursauter les gens –, ce n'est pas la productivité. La fonction publique c'est pouvoir répondre aux besoins des citoyens. C'est plus de la disposition pour les citoyens qu'autre chose. Ce n'est pas du tout la même chose qu'une entreprise qui essaie de gagner des gains de productivité pour être compétitive. Il n'y a pas de concurrence dans la fonction publique. Donc les problèmes, notamment de réduction de durée du travail, on sait très bien qu'il faudra des compensations...

J.-M. Lefebvre : S'il y a moins de fonctionnaires ?

M. Blondel : Eh bien, s'il y a moins de fonctionnaires, ça ne se réalisera pas. Donc c'est clair, on n'atteindra pas l'objectif fixé. Puisque je rappelle quand même que tout ça, en principe, c'est pour l'emploi !

 

Force ouvrière Hebdo - 15 octobre 1997

Après la conférence

La conférence du 10 octobre sur les salaires, l'emploi et le temps de travail ne s'était pas trop mal passée. Nos revendications ont reçu des réponses dans la limite et la responsabilité de chacun, le patronat acceptant le débat.

C'était le cas pour la renégociation dans les branches d'activité des minima conventionnels. Il s'agissait de tenir compte des augmentations du SMIC pour ajuster à la hausse les grilles de salaires, sachant que, de plus en plus, les minima conventionnels sont, de fait, les salaires réels.

C'était le cas pour la mise en œuvre du droit, pour les salariés ayant commencé à travailler à quatorze ou quinze ans, de cesser leur activité, avec des embauches de jeunes et de chômeurs en contrepartie. Certes, l'effort gouvernemental annoncé était modeste, mais la pompe pouvait être amorcée. Pour FO, l'objectif, c'est 150 000 départs volontaires et 150 000 embauches.

C'était le cas encore pour l'engagement du gouvernement à relever rapidement le niveau de l'Allocation spécifique de solidarité, allocation des chômeurs en fin de droits gelée depuis juillet 1994.

En revanche, le gouvernement a fait la sourde oreille à notre demande de revaloriser le SMIC de 2 % au 1er octobre.

C'était aussi le cas de la durée du travail et de sa réduction, chacun s'accordant à dire que cela devrait donner lieu à des négociations induites sur les heures supplémentaires, le statut du cadre, la réglementation sur le travail à temps partiel... enfin, du pain sur la planche.

Puis le Premier ministre a annoncé le dépôt d'une loi à terme sur la durée légale du travail, ce qui a provoqué, à la sortie de la conférence, la colère du patronat, qui déclarait par ailleurs qu'il remettait tout en cause et qu'il ne voulait plus rien négocier, sur rien.

De fait, de quoi parle-t-on ? En annonçant les 35 heures pour le 1er janvier 2000 (ce qui relève de sa compétence juridique), le gouvernement décide qu'à compter de cette date les heures supplémentaires seront calculées à partir de la 36e heure.

Pour les salaires, il renvoie le problème aux négociations (1), car il n'a pas la possibilité légale de fixer les salaires dans le privé. La seule chose qu'il puisse faire concerne le SMIC, qui est de la compétence gouvernementale.

Si le patronat persiste, et refuse de négocier au niveau des branches, le risque est grand de voir se développer l'éclatement des situations selon les entreprises, ainsi que les pratiques de flexibilité, le recours accru à l'externalisation, les tensions sur les salaires et les conditions de travail.

Pour le reste, nous allons devoir faire pression sur le patronat pour qu'il accepte de négocier ; nous venons de lui adresser une correspondance pour tenter de renouer les fils.

S'il maintient son refus sur les minima conventionnels, il faudra que le ministère du travail, comme il en a la possibilité, convoque rapidement les commissions mixtes paritaires pour que s'engagent les négociations.

Pour l'amélioration de l'ARPE, il va falloir que nous mettions la pression. Tel est l'objet de la pétition nationale que nous lançons, et que nous vous demandons de diffuser et signer largement.

La liberté de négociation des salaires et des conditions de travail est un élément essentiel de la démocratie.

De même, les relations sociales ont permis la mise en place d'institutions et de régimes paritaires qui ont profondément marqué le progrès social et économique, et dont certains sont remis en cause à la suite du plan Juppé et des velléités des ultralibéraux.

De fil en aiguille, on constate ainsi que les tensions entre l'économique et le social s'exacerbent, le social tendant à devenir le terrain privilégié des ajustements destinés à conforter la compétitivité et les prétendues contraintes économiques.

Dans ces conditions, la démission de M. Gandois, qu'il ne nous appartient pas de commenter, et les problèmes internes au patronat que cela suppose doivent nous conduire à défendre le contrat collectif et la négociation à tous les niveaux.

À ce sujet, le choix du nouveau président et l'affirmation de sa politique en la matière seront déterminants.

Nous nous battrons donc, si nécessaire, pour imposer la liberté de négociation.

(1) Ce qui fut déjà le cas en 1982 lors du passage des 40 aux 39 heures.

 

Le Parisien - 15 octobre 1997

Le Parisien : Vous connaissez bien le CNPF. Comment décryptez-vous la démission surprise de Jean Gandois, son président ?

Marc Blondel, secrétaire général de FO : Il faut savoir que l'intervention de Lionel Jospin dans le dialogue social, lors de la conférence de Matignon, tranchait avec les situations exceptionnelles de 1936 ou de 1968. Le 10 octobre, nous n'étions pas en situation sociale exceptionnelle, et les patrons, qui voulaient jadis sortir de l'ornière, n'ont cette fois-ci pas accordé de pouvoir au Premier ministre. Ils se sont fâchés sur la durée du travail. Une simple anecdote : il y a eu un incident révélateur, le 10 octobre, après que le Premier ministre ait lu son document d'ouverture évoquant la loi. Jean Gandois, de manière courtoise, Lucien Rebuffel, de manière plus cravate au vent, lui ont demandé de ne pas distribuer à la presse sa déclaration. Lionel Jospin a préféré ne pas la publier. Jean Gandois a donc pu interpréter cela comme un recul. Dans ce sens, on peut comprendre qu'il se soit estimé « berné » au final. Mais de là à démissionner, j'ai été quelque peu surpris quand j'ai appris hier sa décision car sa position était suffisamment dure pour satisfaire les plus durs du patronat.

Le Parisien : Précisément, qui sont les « durs » du patronat ?

Marc Blondel : Il y a des gens sur lesquels je me pose des questions, notamment le vice-président économique. Que Denis Kessler pense que le patronat doive, à terme, abandonner les postes d’administrateurs sociaux ne m’étonne pas outre mesure. Il est le représentant de la première compagnie d’assurance privée en Europe, Axa. Comme son patron, Claude Bébéar, il pense qu’un jour ou l’autre la compagnie d'assurance sera en concurrence avec la Sécurité sociale. Il a donc intérêt à faire dégager les administrateurs patronaux, ne serait-ce que pour des problèmes de présentation et de moralité.

Le Parisien : Dans ces conditions, la succession de Jean Gandois à la tête du CNPF vous inquiète-t-elle ?

Marc Blondel : Oui ! Si c'est quelqu'un qui n'attache pas d'importance au dialogue social à la française et s'il n'y a plus de négociations sérieuses, les syndicats n’auront plus qu'un seul moyen : obtenir l’intervention de l'État. J’espère pourtant que le prochain président du CNPF ne remettra pas en cause la pratique du dialogue. J’attends de lui qu'il reprenne les dossiers bloqués par Jean Gandois. Et notamment celui de la réduction de la durée du travail qui, je pense, provoquera une montée du travail à temps partiel. Il faudra donc discuter les garanties au niveau interprofessionnel et essayer de faire, notamment, que les salariés à temps partiel n'en soient pas les victimes. Il y a aussi la question des heures supplémentaires et celle des cadres.

Le Parisien : Vous êtes relativement prudent sur le passage aux 35 heures, pourquoi ?

Marc Blondel : J’estime qu'il y a une ambiguïté entretenue sur ce dossier. Les patrons disent attention, cette mesure va faire grimper les salaires de 11,4 %. Certains syndicats considèrent qu'elle va automatiquement provoquer des embauches. J’affirme que la plus belle erreur serait de considérer que 35 heures, soit 10 % de réduction du temps de travail, permettront 10 % d'embauches. Cela c'est « meuh-meuh », je veux dire c'est la vache folle !

Le Parisien : Et sur les salaires, qu’attendez-vous ?

Marc Blondel : Le Premier ministre a fait ce qu'il pouvait faire : fixer la durée légale, mais il n'a pas fixé la compensation. En clair, Lionel Jospin n'a pas dit les 35 heures seront payées 39. Là, je trouve que le patronat en rajoute car il aurait pu ajouter nous payerons les 35 heures 35 ! Alors je me demande si on ne fait pas de l’« intox » dans cette affaire. Je crois qu'en faisant cela, le patronat a une démarche de caractère international, on lui a dit : « Ne vous laissez pas faire afin de ne pas mettre le feu dans les autres pays. » Précisément, FO défend le contraire et j'ai demandé au Premier ministre de parler des 35 heures à Helmut Kohl et à tous ses partenaires européens.

Le Parisien : Faut-il par ailleurs appliquer les 35 heures dans la fonction publique ?

Marc Blondel : Nous avons saisi le gouvernement du dossier hier au Conseil supérieur de la fonction publique. Il n’y a aucune raison pour que les 35 heures soient appliquées dans le privé et pas dans le public. S'il n'y avait pas de négociations dans ce sens, ce que l'on n’obtient pas autour du tapis vert, on essayera de l'obtenir par le rapport de forces.

Le Parisien : Comment jugez-vous la méthode Jospin qui, selon son expression, consiste à négocier avant de décider ?

Marc Blondel : Le Premier ministre nous a écoutés puis, au nom de l'intérêt général, il a décidé, je ne conteste pas sa méthode. De toute manière, il ne faut pas se faire d'illusions : en 1936, les patrons n'étaient pas d'accord, en 1968 c'était la même chose. Toutes les fois où il y a eu une avancée sociale, les patrons ont toujours dit que c'était la fin du monde.

 

Force ouvrière Hebdo - 15 octobre 1997

Dernière heure

M. Jean Gandois a annoncé, lundi 13 octobre, sa démission de la présidence du CNPF. Il a expliqué qu’il était – plus un négociateur qu'un tueur – et n'avait donc « pas le profil nécessaire pour défendre les entreprises dans les prochains mois ». Le soir même, FO réagissait ainsi :

Communiqué

La démission du président du CNPF, Jean Gandois, n'appelle pas de commentaire particulier de Force ouvrière, qui n'a pas l'habitude de s'immiscer dans les débats internes des organisations patronales.
Force ouvrière rappelle cependant que depuis de très nombreuses années, les relations sociales ont permis, par les conventions collectives, de concilier progrès social et économique, et ont créé des institutions gérées paritairement qui ont bien souvent servi d'exemple pour les autres pays. Force ouvrière confirme enfin que la pratique du contrat collectif est un élément fondamental de la démocratie.

Paris, le 13 octobre 1997.

 

Force ouvrière Hebdo - 15 octobre 1997

Les décisions d’actions de FO

Communiqué

Après la conférence du 10 octobre, la Confédération prend acte des engagements du gouvernement, dont certains répondent aux revendications de FO. Il s'agit plus particulièrement de faciliter la cessation d'activité des salarié(e)s ayant commencé à travailler à 14 ou 15 ans et ayant cotisé 40 ans avec en contrepartie des embauches, en particulier de jeunes. Pour FO, l'aboutissement de cette revendication permettrait de répondre à 300 000 aspirations : 150 000 départs et 150 000 embauches.

La Confédération approuve la volonté de relancer des négociations de branches sur les minima conventionnels, minima qui s'avèrent de plus en plus être des salaires réels.

Elle prend positivement acte de l'annonce gouvernementale d'augmenter l'allocation spécifique de solidarité destinée aux chômeurs en fin de droits et en attend une concrétisation rapide et significative.

Elle approuve la décision gouvernementale de faire voter une loi sur les 35 heures, durée légale hebdomadaire du travail.

Pour autant, elle considère que l'effort gouvernemental pour l'ARPE, est financièrement insuffisant, que l'engagement à relever le SMIC en cas d'échec des négociations sur les minima conventionnels n'est pas assez clair et regrette que le gouvernement n'ait pas répondu à la revendication d'augmenter rapidement le SMIC de 2 %.

Sur la réduction de la durée du travail, FO rappelle la nécessité d'ouvrir les négociations au niveau des branches pour définir les principes et pratiques indispensables au progrès social et économique.

La Confédération rappelle les dangers qui découleraient d'une décentralisation systématique des négociations, qui tend à éclater le tissu social, à développer les inégalités, à transférer les ajustements sur la sous-traitance, à développer la flexibilité et à baisser les rémunérations.

Elle émet les plus expresses réserves sur le principe de l'aide financière aux entreprises qui fait de ces dernières des assistées de l'État providence.

Elle s'inquiète d'un traitement différencié des petites entreprises et de la mise en place d'un effet de seuil important.

Elle rappelle enfin qu'une lutte effective et prioritaire contre le chômage appelle obligatoirement une modification de la politique économique axée sur un soutien de la consommation par une augmentation du pouvoir d'achat des salaires, retraites, pensions et minima sociaux, et une relance de l'activité économique. Pour FO, il est inconcevable que le dogme de la contrainte économique, monétaire et budgétaire, conduise à la flexibilité sociale et aux inégalités croissant dans la répartition des richesses.

La Confédération s'adresse solennellement au patronat pour que celui-ci définisse rapidement sa position vis-à-vis de la liberté de négociation des salaires et des conditions de travail.

Si le CNPF s'arc-boutait sur son relus de négocier, il prendrait la lourde responsabilité d'affaiblir considérablement un élément fondamental de la démocratie.

Force ouvrière est une organisation syndicale qui n'a pas à prouver son indépendance et sa liberté de comportement.

Dans ces conditions, et sans exonérer le gouvernement de ses responsabilités essentielles en matière de politique économique et sociale, la Confédération appelle ses fédérations, ses unions départementales et syndicats, à informer les salariés et chômeurs de la situation et à mobiliser les travailleurs.

Cet appel s'adresse également aux fédérations de la fonction publique et du secteur nationalisé, pour qu'elles fassent valoir les revendications en matière de salaires, de durée et de conditions de travail.

Dans l'immédiat, Force ouvrière appelle les travailleurs actifs ou chômeurs et les jeunes, à signer massivement la pétition pour que soient rapidement mises en place la cessation anticipée d'activité el l'embauche correspondante de chômeurs et de jeunes.

Paris, le 13 octobre 1997

 

La Croix - 25 octobre 1997

S’il est du rôle d’une organisation syndicale ou patronale de porter en toute liberté jugement sur une décision gouvernementale, dans le cas de figure qui nous préoccupe, le patronat non seulement conteste une décision (du moins la forme prise) mais entend élargir sa réaction en décidant de suspendre sine die toutes les négociations ; c’est sur le plan social, dans le contexte français, une véritable déclaration de guerre. On peut dès lors s’étonner de la force des déclarations patronales par rapport à l’objet du litige.

Car enfin, décider de la durée légale hebdomadaire du travail est bien du ressort des pouvoirs publics. C’est ce qu’a annoncé le Premier ministre en indiquant qu’une loi fixerait les 35 heures hebdomadaires au 1er janvier 2000.

Pour le complément, tout était renvoyé à la négociation au « niveau pertinent » (branches et entreprises), qu’il s’agisse des imbrications en matière de conditions de travail ou de salaires. Il faut en effet rappeler que, mis à part le Smic, le gouvernement n’a pas compétence pour fixer les salaires du privé.

D’une certaine façon, on peut penser que si le patronat, ces derniers mois, avait répondu à nos demandes de négociations sur les heures supplémentaires et le temps partiel et si l’accord du 31 octobre 1995 sur le temps de travail n’avait pas été ce que nous avons appelé un constat d’échec ou d’impuissance, la situation serait différente car le dialogue social aurait joué un rôle moteur, innovant comme disent les modernistes.

Peut-être aussi que le patronat, ces dernières années, s’était habitué à voir les gouvernements répondre à ses attentes, voire les devancer ?

À sa décharge, force est aussi de relever qu’en sollicitant directement certaines entreprises pour mettre en place, à leurs seuls niveaux, la durée du travail, le gouvernement a laissé percer une volonté de court-circuitage de l’organisation patronale.

Toujours est-il que la position dure et le blocage du dialogue, s’ils perduraient, risque de revêtir une connotation politicienne, et pas seulement au patronat.

Bien qu’ayant accepté, durant la conférence, de relancer les négociations sur les minimas conventionnels et de négocier rapidement, au plan interprofessionnel, la possibilité pour les gens ayant commencé à travailler dès 14 ou 15 ans et ayant 40 ans de cotisations de cesser leur activité avec embauches correspondantes, ces deux engagements ont été reniés dès la fin de la conférence.

La liberté de la négociation, la pratique contractuelle, sont des éléments intrinsèques de notre démocratie. Elles sont régulièrement contestées et bafouées dans les régimes autoritaires.

On ne joue pas impunément avec la pratique contractuelle, ce n’est pas un jeu mais un enjeu.

Comment, alors, ne pas voir dans la décision du CNPF le poids croissant de ceux qu’on appelle les ultralibéraux, pour qui tout ce qui collectif au plan social ne peut être que rigidité ? Ainsi, ce n’est pas non plus par hasard si des voix s’élèvent dans le patronat pour prôner le retrait des administrateurs patronaux dans les organismes paritaires.

Il est vrai, qu’en la matière, ils ont été aidés par le gouvernement précédent, et non encore démenti par l’actuel gouvernement, avec la réforme de la sécurité sociale. En fiscalisant progressivement son financement, par la CSG notamment, on retire aux partenaires sociaux la légitimité de leur rôle en la matière, légitimité liée au fait que la cotisation sociale est liée aux salaires, fait partie du salaire, à la différence de l’impôt. Le syndicalisme, du moins celui qui prône l’indépendance syndicale, n’a pas vocation à gérer le produit de l’impôt, qu’il s’agisse de la CSG, de la TVA ou de l’impôt sur le revenu.

Pour autant, si le patronat décidait de se retirer rapidement des caisses de sécurité sociale, ce serait laisser le champ libre aux assureurs privés qui veulent, eux, « casser » le monopole de la sécurité sociale, la mettre en concurrence en quelque sorte. Ces deux menaces, sur la pratique contractuelle et le paritarisme, fragilisent donc fortement un des éléments de notre démocratie.

Elles conduiront par définition le mouvement syndical à devoir politiser son action, de plus en plus de décisions se prenant au niveau des pouvoirs publics.

C’est ce que nous voulons éviter. Nous appelons donc le patronat à la raison et nous serons prêts à agir pour que les droits des travailleurs actifs, chômeurs ou retraités soient respectés.