Texte intégral
Madame Arafat, Monsieur l’Ambassadeur,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui à l’Assemblée nationale, vous qui luttez pour les libertés d’opinion, de croyance et d’expression et qui en faites votre combat quotidien.
Ensemble, nous allons remettre ce prix des nouveaux droits de l’homme. En 1989, déjà année des droits de l’homme s’il en fut, j’avais eu l’honneur de remettre ce prix, ici-même. Presque dix ans ont passé et l’urgence qu’il y avait à défendre les faibles, les opprimés n’a pas disparu. Au contraire. C’est pourquoi je veux saluer l’action de Pierre Bercis et de son association « Nouveaux droits de l’homme ».
Rien n’est plus actuel. Rien n’est plus essentiel. Car ces droits ne sont pas un anachronisme qu’il faudrait réserver au siècle des Lumières, pas un musée que l’on ferait visiter aux enfants des écoles. Il faut en explorer les nouveaux terrains, les nouveaux espaces, espérer et préparer de nouvelles conquêtes dans un domaine qui doit toujours rester celui de la vigilance et de l’inventivité. Les droits de la personne humaine sont à la fois un combat et une création ininterrompus.
En cet instant cependant, notre plaisir se double d’émotion et de tristesse, car l’un des deux auteurs du livre distingué cette année par votre jury, « La Terre des deux promesses », Émile Habibi n’est plus des nôtres. Nous ne pouvons plus honorer que son souvenir, chercher à être fidèles aux idéaux de tolérance et de paix qu’il a exprimés à travers ses écrits, ses actes et ses paroles, espérer qu’ils se perpétuent dans la mémoire de ses amis, de ses proches et de ses lecteurs. Les messages forts ne disparaissent pas avec ceux qui les ont portés.
Depuis plusieurs décennies, sur une terre de conflits où les armes ont trop souvent eu le dernier mot, vous avez entrepris, vous-même Yoram Kaniuk, avec Émile Habibi, vous l’israélien juif et lui votre compatriote arabe, de faire le pari difficile, mais nécessaire, de vous tendre la main.
Dès 1947, dans un contexte que chacun connaît, Émile Habibi avait eu ce geste de réconciliation et de concorde, car, disait-il, « il n’y avait pas d’autre solution ». En 1967, au lendemain de la guerre des six jours, Yoram Kaniuk, vous avez fondé un comité d’intellectuels israéliens et palestiniens, car vous pensiez que la victoire militaire d’Israël vous donnait l’obligation de commencer à rechercher les chemins de la paix. À vingt ans d’écart, l’un comme l’autre, vous avez donc dépassé les brûlures du présent pour vous tourner ensemble vers un avenir que vous vouliez commun. Ensemble vous avez jeté les fondations d’un édifice dont les artisans illustres ont eu pour noms voici vingt ans Anouar Al Sadate et Menahem Begin, plus récemment Yasser Arafat, Shimon Pérès et ltzhak Rabin.
Au fondement de votre récompense, il n’y a pas seulement le symbole fort de votre rencontre, il y a aussi une écriture. Les intégristes brûlent les livres, excommunient les écrivains, les condamnent à mort. Le crime contre la paix commence par la volonté de tuer le désir de créer. Liberté de création, liberté d’expression, nous sommes au cœur de l’engagement pour tous les droits de l’homme, lié à celui pour la paix. La prise en compte des droits fondamentaux de l’être humain n’est pas séparable de l’aspiration des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Cinquante ans d’existence pour Israël et la sécurité réelle pour un État souverain dans des frontières sûres et reconnues. Cinquante ans d’existence pour les droits de l’homme et la liberté que peut légitimement revendiquer le peuple palestinien. Sécurité et liberté, tout est lié. Refus de l’arbitraire, respect mutuel, liberté des opinions, acceptation des traditions, valeurs démocratiques, rien n’est dissociable. Là est l’espérance…
Le message est simple, juste, évident. Mais il n’est pas facile. Après le grand espoir d’Oslo, de Washington et de Taba, après cette paix en marche, nous constatons que le processus s’enraye.
Les attentats en Israël, l’arrêt des négociations sur l’autonomie palestinienne, les retards dans le démarrage d’un règlement définitif des conflits régionaux, tout cela doit nous alarmer. Faudrait-il que les efforts déployés depuis deux décennies soient réduits à néant ?
Comme vous tous ici, je crois que les fils d’Israël et ceux d’Ismaël peuvent et doivent s’entendre. La France, en raison de son histoire, de sa place, sur la scène internationale, la France qui ne connaît aucun pays, ni aucun peuple qui serait son ennemi, peut tenir ce langage. Détermination à mettre fin aux activités terroristes, volonté d’appliquer résolument et sincèrement les accords de paix, dans leur lettre comme dans leur esprit, voilà ce que chacun doit démontrer pour que la confiance revienne.
Il ne s’agit évidemment pas de donner des leçons, mais de s’exprimer en ami sincère d’Israël comme des Palestiniens. C’était déjà la démarche de François Mitterrand à la Knesset, quand nul ne s’y rendait, comme vis-à-vis de l’OLP, quand tous lui tournaient le dos : elle reste d’actualité. La franchise et la sincérité excluent de s’exprimer avec cette « lèvre double » dont parle la bible. Il n’y aura pas de sécurité durable sans une paix juste. On ne peut faire la paix qu’avec ceux qui ont été vos ennemis.
Face à tant de blocages et tant de périls, les efforts de la diplomatie ne seront pas suffisants sans la mobilisation des sociétés civiles. N’est-ce-pas Théodore Herzl qui disait : « si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve ».
À l’aube du XXIe siècle, je veux donc croire que la terre des deux promesses connaîtra, bientôt, l’apaisement que réclament ses deux peuples et que veulent les citoyens du monde. Alors se produira la prophétie d’lsaïe : « Les nations transformeront leurs glaives en socs de charrue et leurs lances en serpes. Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre et l’on n’apprendra plus la guerre. » C’est le sens de ce prix et la raison pour laquelle je suis particulièrement heureux de vous remettre cette distinction.