Article de M. André Lajoinie, membre du secrétariat du comité national du PCF, dans "Regards" de novembre 1997, sur la participation de ministres communistes au gouvernement, la mutation du PCF depuis l'expérience de 1981 et le rôle des communistes au sein de la gauche plurielle, intitulé "Habilités à construire...".

Prononcé le 1er novembre 1997

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Média : REGARDS

Texte intégral

Entre 1981 et 1997, plusieurs éléments ont agi sur le comportement du corps électoral.

1. À l’origine, si le taux de chômage croissait, le pays, connaissait encore peu le chômage des jeunes, et notamment celui des jeunes diplômés. Nous vivions également, avec son lot d’illusions, un mouvement montant de contestation de l’ordre établi.

2. Aujourd’hui, la crise économique s’est considérablement développée et la crise politique touche tous les partis – la progression du taux d’abstention en témoigne. Il semble que la victoire de la gauche plurielle confère un peu plus de crédit à la vie politique, mais les sondages continuent d’indiquer que partis et syndicats sont loin d’avoir remonté la pente dans l’opinion publique.

3. Dans cette même période 1981-1997, le Parti communiste a entamé sa mutation. Il a tiré les leçons de l’expérience de 1981.

4. Lors des élections législatives de juin 1997, il est évident que les électeurs ne sont pas prononcés pour le projet politique que les communistes avaient imaginé. L’idée de fatalité de la crise, les « contraintes », pèsent plus qu’en 1981 mais les attentes de transformation sociale sont certainement plus massives et tenaces bien que moins clairement formulée, l’aggravation de la crise conduit donc ces deux effets contradictoires. Tel est le nouveau [illisible] mais aussi ses risques, dans lequel le Parti communistes doit agir, tout en développant sa mutation

La protestation comme seule fonction a ses limites

Le Parti communiste est cependant fort d’un acquis ; En 1997, la victoire de la gauche plurielle s’entend, naturellement, avec la participation de ministres communistes au gouvernement. Point de « réclamation », comme en 1981. Le vote du second tour, par exemple, plébiscite la participation communiste au gouvernement : dans les circonscriptions où les candidats du Parti communiste français figurent au second tour, ils réalisent un score égal ou meilleur comparé à celui des candidats socialistes face à la droite ou à l’extrême droite. Le message est clair : les communistes participent largement au rassemblement des forces de gauche. Comme tous les partis de la nouvelle majorité, le PCF doit, dès lors, assumer ses responsabilités au sein d’un nouveau gouvernement. Cela fait s’impose à la direction du Parti socialiste, comme aux communistes eux-mêmes, après un débat remarqué et contradictoire où la volonté des électeurs emporte la décision. Dans le cas contraire, il est évident que le Parti communiste se serait trouvé en difficulté, cantonné dans une fonction uniquement protestataire, relégué dans un rôle de « marchepied » pour d’autres formations politiques qui auraient été « plus aptes » à gouverner. La présence de trois ministres communistes ne dénature pas notre fonction de défenseur des plus modestes et des libertés ; Et ils le prouvent. Sur le fond, cependant, la protestation, comme seule fonction, a ses limites. Les expériences, ces dernières années, y compris face à la droite au pouvoir, l’on montré.

« Comprendre le réel et aller à l’idéal », disait Jaurès… Le Parti communiste agit pour la transformation sociale. Mais le processus est immédiatement engagé, à travers les luttes, l’exercice du suffrage universel et de la démocratie. Les enseignements, imposés par l’histoire, d’un parti pris du « grand soir », où il aurait suffi de la conquête du pouvoir et de la socialisation des grands moyens de production et d’échanges pour changer, ont été depuis longtemps tirés par le PCF. « Comprendre le réel » et aller vers la transformation sociale, cette citation de Jaurès conserve toute sa pertinence. Nous entendons combattre à tous les niveaux les projets néfastes et aider à faire avancer les points positifs y compris à l’Assemblée nationale. « Opposition constructive » : la formule avait fait couler beaucoup d’encre. Elle est toujours d’actualité mais, après la victoire de la gauche, il  nous faut imaginer des synergies entre les différents niveaux d’intervention qui nous sont maintenant ouverts, ministères, assemblées nationales, activité du PCF parmi et avec la population. Pour ce qui concerne les parlementaires communistes, leur marge de manœuvre, en 1997, est comparable à celle du Parti communiste dans son entier : elle dépend beaucoup de l’évolution du rapport des forces. Avec la particularité qui est la nôtre : le Parlement n’a pas retrouvé son pouvoir réel, la Constitution n’a pas été modifiée. Le mécanisme est toujours le même. Le gouvernement a le dernier mot, même s’il doit compter avec la pression populaire. Et l’intégration européenne le conduit à accepter les directives imposées par la Communauté européenne. Dans ces circonstances existe une réelle déperdition démocratique.

La crise politique n’a-t-elle pas pour source, en partie, le manque d’attention des organisations politique à ces questions ? Tous les partis politiques ne devraient-ils pas réfléchir aux attentes du peuple à l’égard du politique ? Oracles ou relais pour prolonger les luttes, concrétiser les espoirs, [illisible] sur le plan européen ? Quand des hommes politiques prétendent ne pouvoir agir sur les moyens à leur disposition ne contribuent-ils pas à l’aggravation de la crise politique ? Les communistes ont une fonction tribunicienne, certes, mais ils sont habilités à construire. C’est ce que le peuple attend d’eux.