Texte intégral
Olivier Mazerolle : A l'occasion de la préparation de la deuxième loi sur les 35 heures, l'affrontement avec le patronat semble reparti. Le Medef tempête contre les impôts nouveaux et le diner Seillière-Aubry qui devait avoir lieu hier soir a été annulé.
Jean-Marc Ayrault : Je ne savais pas que M. Aubry et M. Seillière devaient dîner ensemble. C'est quand même très anecdotique. Simplement, il faut se rappeler que M. Seillière fait de la politique, un peu trop de politique, plutôt que de parler des entreprises. Et les entreprises, ce ne sont pas que les grandes entreprises. M. Seillière oublie que ce qui vient d'être proposé par le Premier ministre au Gouvernement, va améliorer la situation de 83 % des entreprises. C'est-à-dire les PME, les PMI, celles qui créent de l'emploi en France. Les grandes entreprises qui vont donc payer des taxes supplémentaires - plus de 50 millions de chiffre d'affaires - c'est peu d'entreprises au fond et souvent ce sont les grandes entreprises. Et on sait qu'en France il nous est souvent reproché de ne rien faire. Ces grandes entreprises augmentent leurs profits capitalistiques, leurs profits financiers mais créent peu d'emplois voire suppriment des emplois pour faire davantage de profits financiers.
Olivier Mazerolle : Elles tirent l'économie nationale en créant des investissements, en créant du travail qui produit...
Jean-Marc Ayrault : La question qui se pose aujourd'hui c'est la question du chômage. Et toute la politique du Gouvernement et de la majorité c'est de faire reculer le chômage. Et d'ailleurs ça se traduit dans les chiffres, il y a une baisse du chômage réel, mais il faut aller plus loin. Le Gouvernement Je fais de différentes façons : encourager la croissance, notamment par la consommation, et puis aussi en supprimant tout ce qui pèse sur le travail, tout ce qui pèse sur l'embauche. Et c'est vrai que lorsque l'on diminue des charges qui pèsent sur le travail ça 'va dans ce sens. D'ailleurs sur votre antenne, souvent vous l'évoquez. Vous dites que la France a des charges sur le travail qui sont plus élevées que chez nos voisins. C'est peut-être plus ou moins vrai. En tout cas l'effort qui est fait, par ce qui vient d'être annoncé, va dans ce sens. Nous avions déjà commencé par supprimer les cotisations des salariés pour financer l'assurance maladie qui est financée par un impôt sur l'ensemble des revenus, financiers - cela lait donc plus de pouvoir d'achat -, également la taxe professionnelle qui pèse sur les salaires et maintenant cette mesure concernant les cotisations patronales.
Olivier Mazerolle : Au global, puisque la baisse des charges sociales sera compensée par des impôts nouveaux, il n y a pas de baisse !
Jean-Marc Ayrault : Il y a un niveau constant des prélèvements obligatoires concernant la totalité des entreprises. Mais il y a, à l'intérieur, entre les différentes entreprises, une redistribution. Et la majorité des entreprises vont en bénéficier : 83 %. Celles qui font davantage de profits financiers effectivement vont être un petit peu plus taxées. Mais tout ça est quand même relatif. Je pense que ce qui est important c'est de bien voir que l'économie française a profondément bougé et qu'aujourd'hui il y a eu des mutations. On ne produit plus tout à fait de la même façon. Donc ces entreprises de main-d’œuvre, celles qui sont pénalisées par les charges, vont être favorisées. C'est-à-dire qu'on favorisera ainsi l'embauche. Et puis ça facilitera aussi les négociations des accords pour les 35 heures puisque vous savez que la proposition qui est faite c'est de lier cette aide avec des contreparties: la négociation d'accords pour les 35 heures.
Olivier Mazerolle : Vous avez entendu les objections de L. Fabius hier, qui a dit qu'il fallait d'abord maintenir la compétitivité des entreprises, et puis, surtout qu'il faudrait prévoir une baisse générale - une baisse et pas un maintien ! - des charges sociales et des impôts.
Jean-Marc Ayrault : Je ne suis pas non plus favorable à l'augmentation des impôts, ce n'est pas le cas puisqu'il y a un maintien global des prélèvements obligatoires...
Olivier Mazerolle : Oui mais L. Fabius dit : « baisse »
Jean-Marc Ayrault : On pourra envisager de baisser, mais déjà on est en train de moderniser le financement de l'assurance maladie, de la Sécurité sociale, en tenant compte de la réalité nouvelle des entreprises. Il ne s'agit pas de se lancer, de tout faire en même temps. Donc les idées de L. Fabius sont sans doute des idées pour le moyen terme. Mais ce que je constate, c'est qu'en 93 et 97 la fiscalité, les prélèvements obligatoires ont augmenté - c'était sous les gouvernements de droite - et qu'aujourd'hui elle est stabilisée. Donc nous amorçons la décrue des prélèvements obligatoires. C'est une bonne chose. D. Strauss-Kahn l'a confirmé encore hier à l'Assemblée nationale.
Olivier Mazerolle : La Corse : deux commissions d'enquête parlementaires ont été créées, l'une à l'Assemblée nationale où la gauche domine) une autre au Sénat où la droite domine. De cet affrontement partisan va jaillir la vérité ?
Jean-Marc Ayrault : Ecoutez, je crois que le Parlement doit faire son travail. Contrôler c'est son rôle, c'est sa mission. Donc c'est tout à fait normal. Mais ce que je ne comprends pas c'est l'exploitation politicienne dans laquelle l'opposition s'est engagée, et notamment la semaine prochaine avec le dépôt d'une motion de censure.
Olivier Mazerolle : M. Devedjian a dit hier aux socialistes : « on va mettre le paquet ! »
Jean-Marc Ayrault : Je pense que l'opposition devrait faire preuve de beaucoup plus de prudence sur un sujet qui est grave. C'est vrai qu'un préfet, des gendarmes qui mettent le feu à des paillotes ce n'est pas banal. Leur mission était de rétablir l'Etat de droit, on ne peut pas le faire en utilisant des méthodes de non-droit. Mais n'oublions pas l'essentiel : c'est la mort d'un préfet il y a un peu plus d'un an, dont il faut trouver les assassins. Ce préfet était quelqu'un qui aimait la Corse, il ne se promenait pas dans les rues avec 15 gardes du corps. Et il a été assassiné! Pensez-vous qu'il a été assassiné par les petits voyous de quartiers? Il a été assassiné, sans doute, par des gens qui avaient peur qu'il mette en cause des intérêts puissants, des intérêts mafieux ! Et donc c'est ça qu'il faut absolument casser et révéler. Et je pense qu'il faut rompre avec tout un système politique de complaisance à l'égard de certains nationalistes, et puis aussi des liens mafieux entre certains nationalistes et des forces qui finalement détruisent la Corse. Est-ce que vous permettez que je rappelle un épisode qui n'est pas banal ? C'était le 12 janvier 96 : la veille de la visite du ministre de l'Intérieur, 600 hommes cagoulés en armes font une conférence de presse. Le lendemain, le ministre n'annule pas sa visite. Est-ce que c'était de la complaisance ? Est-ce que c'était une humiliation acceptée ? En tout cas, ce ministre de l'Intérieur s'appelait J.-L. Debré - je note une chose : c'est que, mardi prochain il ne sera pas l'orateur de son groupe à l'Assemblée nationale -, et M. J.-L. Debré était ministre d'A. Juppé et était ministre de J. Chirac !
Olivier Mazerolle : N. Sarkozy trouve, qu'après un tel épisode le Premier ministre donnant comme seule explication: « j'ai été blessé, c'est un peu court. »
Jean-Marc Ayrault : Le Premier ministre s'est engagé dans une politique de fond, de modernisation de la vie politique et aussi de, développement économique, social et culturel en ce qui concerne la Corse. Mais cela passe par le rétablissement de l'Etat de droit. Et effectivement, ce qui s'est passé depuis plusieurs mois...
Olivier Mazerolle : Mais « blessé », ça n'explique pas tout, quand même ?
Jean-Marc Ayrault : Mais il n'est pas seulement « blessé. ». Je pense qu'il est choqué, parce que ce n'est pas comme ça qu'il conçoit le fonctionnement de l'Etat de droit.
Olivier Mazerolle : Et l'Etat laisse reconstruire la paillote !
Jean-Marc Ayrault : Des sanctions ont été prises immédiatement, et toutes les atteintes' à l'Etat de droit seront sanctionnées. Vous parlez de la paillote, Mme Guigou l'a annoncé à l'Assemblée nationale: ce sont des constructions illégales sur le domaine public maritime et…
Olivier Mazerolle : N'empêche qu'on les reconstruit !
Jean-Marc Ayrault : ... et il a été dit très clairement qu'elles devront être détruites après les vacances.
Olivier Mazerolle : Oui, bien qu'on les laisse être reconstruites ! M. Bonnet a des révélations à faire ?
Jean-Marc Ayrault : Ca, je ne sais pas, on verra bien ! En tout cas je souhaite que la vérité se fasse, s'établisse. Et ça c'est quand même très nouveau. Il y a quelques années, une affaire de ce genre aurait, été étouffée. Aujourd'hui la justice fonctionne, en toute indépendance, et ça aussi c'est l'acquis du gouvernement Jospin et de la nouvelle majorité.