Texte intégral
Madame l’Attorney general,
Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs et délégués,
Je souhaite à mon tour féliciter Madame Janet Reno d’avoir pris l’initiative de nous réunir pour cette session ministérielle. Je la remercie chaleureusement, ainsi que tous ses collaborateurs, pour la qualité de l’accueil qui nous a été réservé. Je le fais en mon nom et en celui de ma délégation, mais aussi en celui du ministre français de l’intérieur, Monsieur Jean-Pierre Chevènement. Celui-ci aurait voulu être parmi nous, mais est retenu à Paris par le débat parlementaire, et est représenté par Monsieur Claude Guéant, directeur général de la police nationale.
C’est la première fois que nous nous réunissons, au sein du P8, dans cette « configuration » que les Européens connaissent bien et qui a fait ses preuves. À Bruxelles, le dernier conseil des ministres en charge de la justice et des affaires intérieures s’est tenu à la fin de la semaine dernière. Il a d’ailleurs évoqué, entre autres, la cybercriminalité. Je vois, dans cette convergence de préoccupations et d’intérêts, un gage d’efficacité.
Nos travaux se concentreront d’une part, sur la lutte contre la criminalité de haute technologie, d’autre part sur l’extradition et l’entraide judiciaire. Ces deux sujets représentent des enjeux déterminants des années à venir. Ils concernent, dès aujourd’hui ou à terme, tous les pays du monde. À ce titre, il importe que le P8 délivre à la communauté internationale un message politique très ferme, comme il l’a fait en 1996, sous présidence française, dans les domaines du terrorisme et du crime organisé.
Nous vivons actuellement un processus historique exceptionnel, la mondialisation, c’est-à-dire le développement de réseaux de toute nature – économiques, bancaires, culturels, religieux, etc. – à l’échelle de la planète.
Évolution positive en ce qu’elle améliore les communications entre les hommes et semble génératrice de croissance économique, la mondialisation a son revers et présente plusieurs dangers.
Je pense d’abord au risque de « contournement » des États, soit par la mise en question de leurs frontières physiques devenues transparentes aux flux des échanges, soit par l’affaiblissement de leurs normes juridiques devenues inapplicables dans des cadres nationaux trop étroits.
Mais je pense aussi à l’émergence d’une criminalité nouvelle, transnationale et de mieux en mieux organisée, qui prospère dans les vides juridiques de la mondialisation et des insuffisances des systèmes destinés à faire respecter la loi contre les nouveaux prédateurs internationaux.
Cette criminalité, ce sont d’abord les citoyens qui la subissent. Ils constatent, comme nous tous, la montée en puissance des grands trafics, de la drogue, des véhicules volés, des matières premières ou même les trafics d’organes ou de personnes. Ils ressentent un besoin de sécurité accru face à cette montée en puissance des mafias, ils savent l’atteinte aux libertés publiques que représente la grande corruption.
Les entreprises sont, elles aussi, touchées par ces nouvelles formes de délinquance internationale, notamment dans la sûreté de leurs échanges et la sécurité de leurs transactions.
Le défi qui nous est posé est donc clair, c’est celui de la capacité des États à maîtriser les processus pervers de la mondialisation et à assurer la protection des personnes et des biens dans un environnement criminogène international nouveau. Si nous nous révélons incapables d’y répondre, nous perdrons une part de notre crédibilité et subirons, dans nos pays, un affaiblissement du jeu démocratique.
Pour lutter contre ces phénomènes, nous devons partir d’un constat : aucun pays ne peut prétendre lutter seul contre ces menaces globales que sont la criminalité organisée, le terrorisme, la drogue ou le blanchissement d’argent. La coopération internationale est aujourd’hui une voie obligée.
Cela ne signifie nullement que la responsabilité de chaque État soit diluée dans le cadre d’une lutte par nature collective. Nos gouvernements ont, en effet, l’obligation d’adapter leur législation et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour combattre ces menaces transnationales.
Pour prendre l’exemple du crime de haute technologie, le droit français n’a pas besoin d’une modification de ses dispositions relatives aux infractions. Ces dernières sont en effet indépendantes de l’éventuel système électronique qui a permis de les commettre. Le juge français garde ainsi la pleine capacité d’appréhender les détournements d’Internet à des fins délictueuses, que ce soit au niveau des contenus véhiculés sur le réseau ou au niveau des piratages informatiques.
En revanche, il est clair que la difficulté concerne la répression de tels agissements. Une réflexion est en cours à Paris pour savoir s’il faudra redéfinir, entre autres, le régime des perquisitions, des interceptions de données, des visites domiciliaires ou des saisies de matériels informatiques.
Quoi qu’il en soit, l’adaptation des législations nationales ne permettra pas de régler la question de la répression de délits structurellement transnationaux.
Nous avons commencé à mettre en œuvre une coopération internationale devenue indispensable dans plusieurs enceintes multilatérales.
Dans le cadre de l’Union européenne, nous avons franchi des pas significatifs depuis l’adoption du traité de Maastricht. Je pense notamment à la nouvelle convention d’extradition que nous avons adoptée en septembre dernier et qui va considérablement renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme.
Pour ce qui est de l’entraide judiciaire entre les quinze, nous négocions actuellement une nouvelle convention, afin de « moderniser » l’ancienne convention de 1959 du Conseil de l’Europe. Je relève d’ailleurs que le projet en cours de discussion fait une large part aux questions de « nouvelles technologies ».
L’Europe est ainsi le premier cadre dans lequel nous souhaitons définir et appliquer un régime harmonisé d’extradition et d’entraide judiciaire. Mais cela ne nous empêche nullement de concevoir des instruments bilatéraux adaptés à nos relations avec nos autres partenaires.
En ce sens, le communiqué que nous allons adopter reflète parfaitement notre ligne d’action. Ses dispositions concilient en effet le respect des approches nationales dans un domaine du droit qui est au cœur des questions de souveraineté, et la nécessité de rendre plus rapides et efficaces nos moyens d’entraide et de coopération.
De plus, ces lignes d’action apparaissent particulièrement adaptées à la criminalité de haute technologie.
Qu’il s’agisse d’Internet ou du satellite, les nouveaux réseaux ne connaissent plus de frontières. Pour autant, une régulation efficace est une condition essentielle de leur développement. Nous devons viser la définition d’un régime juridique internationalement reconnu, fut-il minimal.
Là encore, nous ne partons pas de rien.
Le Conseil de l’Europe a créé, au début de l’année 1997, un comité d’experts sur la criminalité dans le « cyberespace ». Il est chargé d’élaborer un projet de convention internationale sur ce thème.
L’organisation de coopération et de développement économique élabore des instruments sur le commerce électronique et la cryptographie dont certains ont des répercussions immédiates dans le domaine de la criminalité « high tech ».
Enfin, l’Union européenne a initié depuis plusieurs années une réflexion sur la société de l’information. Une première vague réglementaire a visé à établir un cadre commun pour la protection des consommateurs, la protection des droits de la propriété intellectuelle et de la vie privée.
Plusieurs autres initiatives peuvent être relevées. Ainsi le conseil télécommunications des quinze s’est-il encore saisi au tout début de ce mois de la question du chiffrement et des signatures numériques afin de préciser le futur cadre juridique communautaire adéquat.
Le communiqué, les principes et le plan d’action que nous allons adopter s’inscrivent en bonne place dans cet ensemble de coopérations. Plusieurs de nos collègues s’étant exprimés avant moi, et dans les meilleurs termes, sur ces textes préparés par nos experts, je n’insisterai que sur deux points.
D’abord, la relation entre l’État et le secteur privé dans l’élaboration des nouvelles réglementations. C’est une question importante car l’opinion publique a souvent l’impression que, de plus en plus, le marché des nouvelles technologies tend à dicter sa loi à la puissance publique.
Je voudrais simplement rappeler une expérience française, celle du Minitel qui est un réseau informatique qui équipe la plupart des foyers français. Elle montre qu’un dialogue permanent entre gouvernement et entreprises permet de mettre en œuvre un système très sûr à de nombreux égards.
Je pense notamment à la protection des fichiers nominatifs obtenue grâce à la coopération entre les ministères concernés, les serveurs privés et une commission nationale indépendante dite « informatique et liberté ».
Je pense aussi à la sécurisation des transactions commerciales obtenue notamment grâce à la coopération entre France Télécom et les banques. Il faut savoir, par exemple, que grâce à l’utilisation des terminaux de Minitel capables de lire des cartes bancaires « à puces », le pourcentage de transactions commerciales informatiques remises en cause par l’acheteur ou par le vendeur est quinze fois plus faible sur le réseau Minitel que sur le réseau Internet.
Ainsi la sécurisation des réseaux relève-t-elle d’abord de notre volonté, à un niveau gouvernemental. II n’appartient pas au secteur privé de se substituer au pouvoir politique pour désigner le point de rencontre entre expansion économique et intérêt public.
Le second aspect de nos travaux sur lequel je souhaite insister concerne la coopération des services répressifs dans la lutte contre la criminalité de haute technologie.
D’ores-et-déjà, nous savons tous que des problèmes essentiels vont se poser au niveau des enquêtes : difficultés liées, par exemple, à la volatilité des données informatiques ou aux durées extrêmement courtes de certaines transmissions.
Les services répressifs auront donc à faire preuve d’imagination pour parvenir à répondre « en temps réel » à des infractions qui peuvent à la fois être très graves, mais ne laisser que peu de traces. Le plan d’action que nous allons adopter va dans ce sens et l’on ne peut que s’en réjouir.
Pour autant, la mise en œuvre de solutions répressives nouvelles ne pourra se faire que lorsque nous disposerons d’un cadre légal de coopération parfaitement adapté. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. Il suffit d’évoquer la question de la saisine d’urgence des services répressifs nationaux par leurs homologues étrangers. Elle pose, par exemple, la question de la responsabilité des policiers agissant dans ce cadre, ou encore celle de l’État confronté aux dommages financiers causés à une entreprise dont les données informatiques auraient été « gelées » par erreur à la suite d’une telle demande.
Je rappelle donc ici que le Gouvernement français souhaite que l’adaptation du cadre légal précède celle des méthodes de coopération des services répressifs et non l’inverse.
Cela ne nous empêche pas, au contraire, de nous engager dans cette course de vitesse contre les délinquants qui disposent d’un matériel à la pointe de la technique et possèdent des connaissances scientifiques de haut niveau. Un effort important devra être fait dans tous les pays pour former des personnels répressifs capables de répondre à ces pirates d’un genre nouveau. Sans doute serait-il d’ailleurs intéressant de comparer nos programmes de formation en ce sens.
Mesdames et Messieurs, chers collègues,
La sécurité est devenue une préoccupation majeure de nos concitoyens. Notre collègue britannique nous a confirmé que la lutte contre la criminalité serait un des thèmes essentiels du prochain Sommet de Birmingham. Nous ne pouvons que féliciter la future présidence de ce choix.
Les huit se sont penchés depuis plusieurs années sur ces questions. L’adoption des quarante recommandations sur la criminalité au sommet de Lyon a marqué une étape importante de nos travaux. Leur mise en œuvre progressive a permis d’améliorer considérablement la coopération entre les services répressifs de nos pays.
Pour autant, le sommet des huit doit garder sa vocation, celle d’une instance d’impulsion politique. Je souhaite ainsi que la préparation de Birmingham permette d’appréhender les phénomènes criminels de façon globale et dans leur universalité.
Notre réunion d’aujourd’hui est une étape importante de cette préparation. Elle confirme clairement que nos gouvernements ont décidé de « prendre le taureau par les cornes » pour lutter contre des délinquants d’un genre nouveau. Il nous appartient de mettre rapidement en œuvre les moyens de lutter contre les « cybercriminels ». Rien ne serait plus dangereux, pour les citoyens comme pour les États, de faire d’Internet une zone de non-droit. Les évolutions du monde, si positives soient-elles pour le développement des échanges, ne peuvent avoir pour prix de laisser les peuples démunis face à l’explosion de toutes les formes nouvelles de la criminalité.