Texte intégral
Un Crédit lyonnais redressé, trois grandes banques encalminées dans une bataille boursière à l'issue incertaine.
Le contraste est frappant. Le secteur financier public, en plein désarroi en juin 1997, a été remis sur les rails. Des entreprises privées performantes ont choisi de confier leur destin au seul verdict des marchés.
Cela est le reflet d'une divergence dans la manière d'assumer et de conduire le changement.
En juin 1997, j'ai découvert avec effarement l'étendue du désastre du secteur financier public. La facture pour l'État – et donc pour le contribuable – représentait plus de 130 milliards de francs ! Plus surprenant : alors que la récession de 1993 était dissipée, la facture s'est fortement alourdie entre 1995 et 1997, passant, pour le seul Crédit lyonnais, de 50 à 100 milliards de francs.
Cette dérive n'est pas imputable aux prétendus méfaits de « l'économie administrée » que brocardent les chantres du libéralisme. Elle relève largement de choix faits à l'époque. Demander, par exemple, à la défaillance du Crédit lyonnais (le CDR) de tout liquider en cinq ans et multiplier les interventions politiques pour guider les choix de cession, c'était s'assurer d'une perte maximale.
Le Gouvernement aurait pu n'être qu'un syndic de faillite. Remettre de l'ordre, solder les comptes auraient été les maîtres mots d'une vulgate purement comptable. Cela n'a pas été son choix : Lionel Jospin a placé l'intérêt national au coeur de la stratégie du Gouvernement à l'égard du secteur public.
De cette exigence, j'ai tiré quatre objectifs.
D'abord, défendre les intérêts de l'État et du contribuable. Tout franc économisé sur ces sinistres est un franc gagné pour l'éducation ou la lutte contre l'exclusion. C'est pour cela que j'ai décidé une réforme du CDR : les interférences politiques sont bannies, la justice est saisie, les dirigeants sont indépendants. En deux ans, la perte totale engendrée par l'ensemble du secteur financier a été ramenée de 130 à environ 50 milliards de francs. C'est encore beaucoup trop mais cela montre qu'il était possible et nécessaire d'agir.
Ensuite, faire le pari de la transparence et du dialogue. Les privatisations arrangées dans le secret des antichambres ministérielles ne sont plus de saison. Pour la première fois, la transparence a été de mise, les syndicats ont été associés à tous les stades des cessions. Modernisation économique et modernisation sociale vont ainsi de pair.
Le troisième choix a été de renforcer notre secteur financier. Il fallait en assurer le sauvetage : le Crédit lyonnais, le GAN, le CIC, la Marseillaise de crédit et le Crédit foncier étaient tous menacés d'une mise en liquidation à la suite de décisions de la Commission européenne.
Il fallait aussi en assurer le développement. Je suis heureux que les cessions faites depuis 1997 aient conforté l'ancrage national de notre secteur financier et renforcé nos entreprises, quel que soit leur statut, public ou privé, mutualiste ou non.
Cela marque un changement par rapport aux privatisations précédentes. Laissées pour compte sur le marché, les entreprises concernées ont perdu leur indépendance (l'UAP ou les AGF notamment) ou se trouvent engagées dans des batailles boursières incertaines (BNP, Paribas, Société générale).
À l'inverse depuis deux ans, six entreprises ont retrouvé une perspective : le CIC, le GAN, la Marseillaise de crédit, la CNP, les Caisses d'épargne et le Crédit lyonnais dont la cession s'achève par un très grand succès populaire. 3,4 millions d'actionnaires lui ont fait confiance. Avec le prochain adossement du Crédit foncier, ce sont les sept levées d'une restructuration profonde de notre système financier.
Enfin, il fallait empêcher d'autres sinistres. Plus jamais cela : l'argent des contribuables ne doit servir qu'à l'intérêt général et pas à renflouer les errements passés des entreprises concurrentielles. Il en va de la confiance entre les Français et leurs dirigeants politiques. Plus jamais cela, cela veut dire renforcer les moyens de contrôle, développer le contrôle des conglomérats, créer des fonds de garantie, proposer une meilleure régulation européenne et internationale ou donner à la justice les moyens de son indépendance. C'est fait, grâce notamment à la loi du 25 juin 1999 sur l'épargne et la sécurité financière votée avec un large soutien de l'Assemblée.
Il y a plusieurs mois, j'ai proposé aux partenaires sociaux du système bancaire un « contrat de mutation ». Il s'agissait de rechercher ensemble les meilleures solutions pour réformer le secteur. Depuis deux ans, l'État a fait sa part du contrat.
Manifestement, ce contrat de mutation ne répond pas encore à la pratique du secteur bancaire. Celui-ci reste trop marqué par de vieilles ritournelles. Traditionnellement, tous les maux sont imputés au Livret A ou aux banques mutualistes. Plus récemment, l'État a été critiqué pour ne pas avoir « réservé » le CIC ou le Crédit lyonnais à telle ou telle banque. C'est oublier que c'est le Gouvernement précédent qui a interrompu la première cession du CIC alors que la BNP était en tête. C'est totalement méconnaître les principes de cession imposés par Bruxelles. Le respect du droit est une des conditions majeures du bon fonctionnement de l'État. Alors aujourd'hui dans l'Europe de l'euro, il est temps de dépasser ces vieilles polémiques franco-françaises.
Je crois à la nécessité de banques françaises fortes pour une économie française forte. Je crois aussi à un État actif et impartial. C'est au nom de cette double conviction que le secteur financier a été réformé et que nous pouvons tourner une page de l'histoire mouvementée du Crédit lyonnais.
C'est au nom des mêmes convictions que j'ai soutenu la démarche du gouverneur de la Banque de France dans la bataille qui oppose la BNP, Paribas et la Société générale. Dans le secteur public, nous avons montré que, par le dialogue, des solutions conformes à l'intérêt de tous pouvaient émerger. Les dirigeants des banques concernées n'y sont pas parvenus. Ils ont fait leur choix. C'est leur responsabilité. Les pouvoirs publics n'avaient pas le pouvoir d'imposer une solution. Ils avaient le devoir de proposer une négociation.
Leur responsabilité ne s'arrête pas là. Dans tous les pays, à commencer par les plus libéraux, les autorités bancaires veillent à ce que les batailles boursières ne dégénèrent pas en surenchères ruineuses, ni en situations confuses pour les entreprises et leurs salariés. C'est le rôle du comité des établissements de crédit dans les prochaines semaines.
Ceci montre l'importance qu'acquière la localisation. Il est essentiel de maintenir en France les centres de décision de nos entreprises. Mobiliser l'épargne nationale au profit de groupes français puissants, cela doit être notre réponse positive face à la mondialisation.
C'est ce qu'ont fait les établissements mutualistes en activant leurs réserves dormantes pour renforcer le secteur financier. C'est aussi le sens des mesures prises par le Gouvernement depuis deux ans en faveur de l'investissement en actions. Je poursuivrai cet effort : c'est une question d'intérêt national.