Interviews de M. Yves Cochet, député des Verts, à RTL le 14 et dans "L'Humanité" du 18 juin 1999, sur le souhait des Verts d'influer sur les politiques publiques notamment dans le débat sur les 35 heures et sur les orientations budgétaires du gouvernement, en particulier par la "fiscalité écologique" et la taxation des mouvements financiers en faveur de la lutte contre l'exclusion et le chômage.

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Média : Emission L'Invité de RTL - L'Humanité - RTL

Texte intégral

RTL : Lundi 14 juin 1999

Q - Elections européennes qui ont conforté la gauche plurielle avec les Verts qui deviennent la deuxième force politique de gauche. Souhaitez-vous, comme on l'entend depuis hier, une meilleure représentation au sein du Gouvernement ? Je vous pose cette question dans la mesure où les communistes sont derrière vous et détiennent trois portefeuilles ministériels. Légitimement la question peut se poser non ?

— « Elle se pose légitimement. Ce que je souhaite en tout cas moi, c'est une orientation des politiques publiques, en tenant compte beaucoup plus de ce qu'on propose nous, c'est-à-dire : l'environnement au sens très large – les transports, la lutte contre la pollution, les problèmes des déchets, les problèmes alimentaires et agricoles dont on a vu l'actualité et ces problèmes qui, paraît-il, nous auraient favorisé hier. Moi je l'évalue à 1 %. Donc certes il a joué mais pas plus de 10 %. Je crois qu'il y a quand même un vote structurel pour les Verts et les écologistes qui, principalement a joué en notre faveur. »

Q - Ce matin on laissait entendre à Matignon qu'une rencontre entre L. Jospin et D. Cohn-Bendit était envisageable dans les semaines qui viennent. Ça veut dire que vous pouvez attendre encore quelques semaines ou vous souhaitez quand même qu'une rencontre ait lieu plus rapidement ?

— « Je crois que le plus tôt serait le mieux car dans les semaines qui viennent il va y avoir la formation au Parlement européen de tous les groupes et puis la Commission également européenne qui va se mettre en place, avec M. Prodi. Donc je crois que le plus tôt serait le mieux. Maintenant il faut pour deux personnes qu'elles comparent leur agenda c'est tout. »

Q - Hier, D. Cohn-Bendit disait : « Je pense qu'entre L. Jospin et moi on a beaucoup plus de choses à se dire qu'entre L. Jospin et M. Chevènement ». Qu'avez-vous vraiment à vous dire ?

— « Il y a tous ces problèmes que l'on appelle « sociétaux » qu'on a déroulés pendant la campagne, qui ont été exprimés parfaitement par notre ami Cohn-Bendit : le problème des sans-papiers, le problème de la dépénalisation du cannabis, le problème de l'exclusion en général. On estime que la façon dont le Gouvernement s'y prend n'est ni assez juste et ni assez ferme. Il faudrait donc que là-dessus, les propositions certes européennes mais en même temps françaises puissent s'appliquer. »

Q - Mais vous allez le faire d'une façon diplomatique, vous allez le faire en disant : maintenant on est les deuxièmes donc il faudrait compter un petit plus avec nous, ou alors c'est un petit peu de chantage ?

— « Non on ne fait pas de chantage. Simplement on essaiera au cours, par exemple de la fin de la législature, pour ce qui concerne le Parlement français, d'avoir plus d'influence sur les projets de loi, en amont dans leur préparation – je pense à la seconde loi sur les 35 heures – que ce soit au moment du débat parlementaire, ou même au choix du calendrier des lois qui doivent être proposées au Parlement pour adoption et changer la société. Et je pense que Madame Voynet sera confortée au sein du Gouvernement pour avoir plus de voix. »

Q - Avez-vous le sentiment que la politique menée par la gauche, par L. Jospin, correspond plus à ce que vous pensez ou est-ce que ça épouserait beaucoup plus la politique européenne élaborée par T. Blair et G. Schröder ?

— « Nous, on est évidemment contre la ligne Blair-Schröder. Je ne pense pas que ce soit la tentation de L. Jospin, surtout après les résultats de Blair et de Schröder dans leur propre pays. Non, je crois que ce qui a été fait en France depuis 97 est bon, il faut continuer. Ceci dit, c'était sur un axe quand même PS-PC il faut bien le voir en termes politiques et sociologiques, alors que les Verts étaient considérés comme, disons, des amateurs dont on faisait un petit essai dans la vraie politique. Je crois que maintenant on a démontré qu'on existe furieusement et donc il faudra tenir compte de nous, que ça soit au Parlement, dans la rue, car nous sommes aussi un parti de contestation, mais aussi un parti de gestion donc y compris au Gouvernement. »

Q - Vous faisiez allusion au projet de loi auquel vous préfériez être plus associés, celui sur les 35 heures. Ça veut dire que vous n'êtes pas très favorables à l'idée d'une pause, d'un report d'un an, une mise entre parenthèses ?

— « Exactement. Je vois que Madame Aubry qui consulte, c'est bien normal, tous les partenaires sociaux depuis quelque temps, bon, semble hésiter, bien qu'elle n'ait pas parlé officiellement et on a des indiscrétions. Je crois qu'il faut appliquer les 35 heures pour les plus de 20 salariés, dès le 1er janvier 2000, avec donc une majoration des heures supplémentaires, dès le 1er janvier 2000 aussi. Les entreprises ont eu un an et demi pour négocier, on ne peut pas dire que c'est des questions qui n'aient pas été prévenues à l'avance. Le problème c'est qu'il y a peut-être une hésitation du Gouvernement. Je crois qu'une partie du résultat, y compris de l'extrême gauche comme de celui des Verts d'hier montre que, même si c'était pour des élections européennes, qu'il faut relativiser. Il y a quand même un signal de la part des électeurs ; ils veulent du changement, notamment social en France. »

Q - Et la régularisation de tous les sans-papiers qui en ont fait la demande, ça va être aussi une de vos préoccupations ?

— « On le demande depuis deux ans, on ne cessera de la redemander d'autant plus que ce problème va durer. On rejette dans la clandestinité, dans les circuits mafieux, le travail au noir, des gens qui ne demandent qu'à s'intégrer, ils sont là depuis 8 ou 15 ans ! Donc faisons-le ! »

Q - Ce soir on peut dire que les Verts ne peuvent plus se contenter de contrats symboliques ?

— « On veut en effet des changements dans les politiques publiques, des changements réels. »


L'HUMANITE : 18 juin 1999

Q - Comment appréciez-vous les propositions d'orientations budgétaires du gouvernement ?

Yves Cochet. Elles sont modestes et sans audace. En plus, elles ne correspondent pas suffisamment à ce qui a été exprimé lors des élections européennes. Nous voulons que soient mis en valeur des points nouveaux. Par exemple, sur la fiscalité écologique. Nous, nous sommes partisans de moins taxer le travail et plus les pollueurs. Il y a encore certaines entreprises ou certaines catégories comme les agriculteurs qui y échappent beaucoup. Cette fiscalité écolo permet un double dividende : d'une part elle incite les gens à être plus vertueux du point de vue écologique et d'autre part son rendement peut abonder les dossiers sociaux.

Il y a d'autres idées. Par exemple, avec d'autres collègues nous venons de créer, à l'Assemblée nationale, un comité ATTAC pour la taxation des mouvements de capitaux spéculatifs. Nous comptons bien poser la question de l'instauration d'une taxe sur les mouvements de capitaux spéculatifs qui jouent sur le marché des changes. Nous voulons aussi insister sur les minima sociaux. Il peut y avoir des marges de manoeuvres fiscales qui soient utilisées au RMI, qui soit étendus aux 18-25 ce qui serait à nos yeux un revenu de citoyenneté et non de l'assistanat envers les jeunes.

Q - Mais le gouvernement se fixe aussi des priorités sociales. La différence avec vous tient-elle seulement sur le constat de modestie du budget ?

Yves Cochet. On peut toujours avoir un discours plus ou moins juste sur le pacte de stabilité, il reste que l'on est enserré dans un carcan qui nous laisse peu de marge de manoeuvre. C'est en termes de restructurations budgétaires plus qu'en terme de croissance qu'il faut agir. Il y a peut-être des budgets un peu trop dépensiers comme le budget de la Défense nationale dont la restructuration n'est pas complète. Un seul exemple, parlons des milliards pour le laser mégajoule, installé près de Bordeaux, qui sert à mettre au point une simulation informatique d'essais nucléaires en laboratoires.

Q - Ces restructurations que vous appelez de vos voeux ne sont pas neutre, elles produisent des effets…

Yves Cochet. Elles peuvent en effet jouer sur la croissance. C'est pourquoi nous demandons que les subventions d'aides à l'activité soient versées plutôt aux entreprises qui font de l'emploi, ou aux individus les plus démunis… Alors que donner de l'argent aux entreprises, ça ne sert à rien. Elles sont déjà pleines de fric.

Q - Est-ce à dire que vous demandez des engagements plus ferment, pour un budget plus de gauche ?

Yves Cochet. Je dirais plutôt pour un budget plus social et plus écologique. Plus écologique parce qu'il y a ce besoin de qualité de la vie qui s'exprime. Et plus social dans la mesure où il faut vraiment lutter contre le chômage et l'exclusion. C'est la priorité numéro un. Ce budget montre qu'il n'y a pas assez de volonté politique de lutter contre le chômage et l'exclusion.