Interview de M. François Hollande, nouveau premier secrétaire du PS, dans "L'Est républicain" le 3 décembre 1997, et article dans "L'Hebdo des socialistes" le 5, intitulé "La voix des militants", sur la nouvelle direction du PS, ses relations avec le gouvernement de Lionel Jospin et le rôle de la majorité plurielle, la lutte contre l'extrême-droite, l'emploi et les positions patronales sur le projet des 35 heures.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès du PS à Brest du 21au 23 novembre 1997-élection de François Hollande comme premier secrétaire le 27

Média : L'Est républicain - L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

L’Est républicain - mercredi 3 décembre 1997

L’Est républicain : En tant que premier secrétaire du PS, vous occupez un poste exposé. Comment concevez-vous votre rôle : est-ce celui d’un homme de confiance de Lionel Jospin, de gardien vigilant des promesses, d’interlocuteur qui dispose d’une totale liberté de langage y compris pour indiquer au gouvernement qu’il se trompe ?

François Hollande : Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement qui dispose de sa propre expression, qui a ses propres objectifs et qui met en œuvre une méthode qui lui est propre. Ceci étant, ce gouvernement est le nôtre. Son succès sera notre réussite et ses erreurs seront nos échecs. Nos destins sont communs et me semblent indissociables. C’est pourquoi, sans que cela nous conduise à perdre notre sens critique, personne ne comprendrait que nous n’apportions pas notre soutien au gouvernement. J’ajoute que le gouvernement ne réussira pas sans le Parti socialiste.
Il est arrivé aux socialistes d’estimer que certaines des décisions du gouvernement pouvaient être corrigées, amendées ou améliorées. Je pense par exemple à la discussion budgétaire où le groupe socialiste a considéré qu’il fallait faire attention à certaines catégories de Français, notamment les personnes seules, les familles modestes ou les retraités.
Le rôle du PS est de répondre aux interrogations des Français et d’anticiper les débats à venir. C’est aux socialistes de tracer des perspectives, de faire des propositions et de préparer l’avenir. De ce point de vue, nous ne changeons pas parce que nous sommes revenus au pouvoir.

L’Est républicain : Une élection législative partielle représente toujours une épreuve difficile pour la majorité en place. Redoutez-vous celle de Lunéville qui sera un premier indicateur des résultats de la politique de Lionel Jospin ?

François Hollande : D’abord, je note qu’à l’occasion des récentes élections partielles depuis le 1er juin, nos candidats ont souvent progressé par rapport aux précédentes consultations. C’est de bon augure pour le scrutin de Lunéville quand on se souvient de l’infime écart de voix qui séparait le candidat de droite de Michel Closse.
Je me réjouis que pour cette élection partielle, les forces de gauche aient été unies dès le premier tour, derrière Michel Closse. Cette dynamique de rassemblement a été à l’origine de notre succès de juin dernier. L’union qui s’opère à l’occasion de ce scrutin est le signe de la cohésion de la majorité parlementaire. Je soutiens pleinement Michel Closse dont chacun connaît ici le dévouement pour son département et pour sa ville.
Éloge de la majorité plurielle

L’Est républicain : Le projet de loi sur la nationalité n’a pas été voté par le PC et par les Verts, la majorité plurielle commence-t-elle à se diviser ?

François Hollande : La majorité plurielle, comme son nom l’indique, représente un ensemble cohérent qui se compose de quatre formations politiques conservant toutes leur originalité propre. La diversité est une richesse, pour autant qu’elle préserve l’harmonie de la gauche.
Cette majorité restera soudée si nous savons respecter nos différences, nos identités, nos histoires et nos cultures. Les écologistes et les communistes ont proposé une approche qui, sur certains points, était différente de la nôtre lors du débat sur le texte présenté par Élisabeth Guigou. Je respecte cette position même si je ne partage pas leur point de vue. Au bout du compte, le texte, avec son équilibre initial, a été adopté. C’est là l’essentiel.

L’Est républicain : Lionel Jospin a mis en garde l’opposition contre toute tentative d’alliance avec le Front national. Et vous, quel est votre sentiment ? Pensez-vous que, pour éclairer les Français, il soit nécessaire de brandir toujours ces arguments ?

François Hollande : Chacun doit prendre pleinement conscience de sa responsabilité dans la lutte contre le Front national. Le Parti socialiste a toujours été aux avant-postes du combat contre les idées véhiculées par l’extrême droite française. Si nous avons toujours soutenu, ou suscité les initiatives citoyennes qui entendaient combattre l’idéologie du Front national, nous savons que cela ne suffit pas. Si nous voulons faire reculer le Front national, il faut surtout lutter contre les causes de son développement. C’est ce que fait aujourd’hui le gouvernement en luttant contre le chômage ou contre l’insécurité.
Mais ce combat, nous ne pouvons le porter seuls. La droite a également un rôle à y jouer. La grande majorité de ses responsables sont désireux de s’opposer à l’extrême droite. Cependant, elle ne pourra y parvenir si elle donne le sentiment de glisser verbalement vers les thèmes de prédilection du Front national, si elle tente une nouvelle fois de faire de l’immigration une opération politique. Il existe une interrogation à droite sur l’opportunité ou non de faire des alliances avec le Front national. Cet automne, certains responsables politiques du RPR et de l’UDF ont clairement posé cette question. Ce n’est donc pas une manœuvre politique de notre part que de mettre en garde la droite contre cette tentation. Tant que la droite entretiendra une ambiguïté, elle perdra de tous les côtés. Chaque fois qu’elle sera d’une extrême clarté, nous nous en féliciterons.
Pas d’homogénéité patronale

L’Est républicain : Le gouvernement sera jugé sur les résultats qu’il obtiendra dans la lutte contre le chômage. À votre avis, est-il sur la bonne voie ?

François Hollande : Le gouvernement a pris conscience que la façon dont nous envisagions jusqu’alors la question du chômage n’était pas à la hauteur du problème. Depuis vingt ans, les gouvernements pensaient qu’il suffisait d’une croissance forte et d’un traitement social du chômage pour obtenir des résultats. La force du gouvernement repose sur son approche globale de la question de l’emploi.
Tout d’abord rechercher la croissance, à l’inverse de ce qu’avait fait la précédente majorité. Ce fut le sens des mesures budgétaires pour 1998 qui redonnent du pouvoir d’achat aux Français et aident à la relance de la consommation.
Ensuite, réduire la durée du travail, qui fut une promesse importante des socialistes et qui fera passer la durée hebdomadaire de 39 heures à 35 heures. Enfin, créer de nouveaux emplois. Les besoins sont immenses pour notre société en terme d’éducation, de service de proximité, de sécurité et de qualité de vie. Le plan emplois-jeunes du gouvernement répond précisément à la demande et représente à ce titre un élément majeur de la politique d’emploi du gouvernement.

L’Est républicain : Et sur les 35 heures, comment jugez-vous l’attitude du patronat ? Peut-être n’a-t-il pas tout à fait tort de craindre pour la compétitivité des entreprises ?

François Hollande : Tout d’abord, la position du patronat est loin d’être homogène face au principe de la réduction du temps de travail. Beaucoup de dirigeants d’entreprise ont été surpris par la violence des propos de M. Seillière et ne se reconnaissaient pas dans cette attitude excessive et politicienne. De nombreux chefs d’entreprise ont conscience du drame économique et humain qui résulte du chômage. L’intérêt pour le texte présenté par le gouvernement est beaucoup plus important qu’on ne le laisse croire de prime abord. Le futur président du CNPF est en effet sorti de son rôle en appelant à « déstabiliser » le gouvernement et à le faire « chuter » sur les 35 heures. Il est urgent que le CNPF se mobilise, avec l’ensemble des partenaires sociaux, pour tout mettre en œuvre afin que cette loi soit créatrice d’emplois. Pour sa part, le Parti socialiste s’y engagera pleinement.

 

L’Hebdo des socialistes - 5 décembre 1997

La voix des militants

Vous venez, par vos suffrages, de m’accorder votre confiance pour diriger le parti avec une nouvelle équipe, et je tenais à remercier tous ceux qui m’ont permis d’accéder à cette importante fonction.

C’est une lourde tâche qui m’échoit aujourd’hui et j’en mesure toute la difficulté, mais aussi le côté exaltant. Notre Parti, qui est le principal pôle de la majorité plurielle, doit savoir, au côté du gouvernement, répondre aux aspirations profondes des Français.

Je me réjouis surtout de la très forte participation qui, avec près de 75 % des adhérents, a prouvé combien la réforme qui avait été voulue en 1995 est parfaitement comprise et désirée par nos militants.

Vous avez eu la parole pour choisir les orientations à l’occasion du congrès. Vous avez eu la parole pour élire vos premiers responsables. Voilà une belle réussite de notre rénovation interne.

Ces résultats traduisent également le succès qu’a été notre congrès. Il a été l’occasion du rassemblement des socialistes, il a marqué notre attachement à l’union de la gauche, et l’image qui s’en est dégagée est celle de responsabilité face aux enjeux de demain et de fierté vis-à-vis de notre parcours de ces trois dernières années.

Nous venons d’installer les nouvelles instances de notre Parti. La direction et le Bureau national devront poursuivre l’œuvre de rénovation engagée par Lionel Jospin. J’ai donc souhaité une direction rajeunie, renouvelée et féminisée : près de la moitié du Bureau national sont des nouveaux membres, conscients de leurs responsabilités et motivés pour faire de notre Parti, un parti acteur de la transformation sociale.

Deux instances seront également installées prochainement. Un groupe de travail, conduit par Michel Debout et René Teulade, s’est constitué pour faire des propositions sur le Comité économique et social. D’autre part, j’ai demandé à Marie-Thérèse Mutin et à Alain Bergounioux de réfléchir à la forme que pourrait revêtir le groupe de vigilance sur la laïcité.

Nous avons trois ans pour relever les nombreux défis auxquels nous devrons faire face. Trois ans pour consolider notre implantation, trois ans pour enrichir le débat de nos propositions à travers notamment cinq conventions thématiques, trois ans pour être utile au gouvernement de Lionel Jospin.

C’est un long et passionnant combat qui s’engage. Mais je sais pouvoir compter sur chacun d’entre vous.