Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, en réponse à une question sur les sanctions prises à l'encontre des Serbes et l'éventualité d'une intervention militaire dans l'ex-Yougoslavie à l'Assemblée nationale le 21 avril 1993.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Député,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Je ne referai pas ici l'histoire, ni l'histoire ancienne, ni l'histoire récente. Nous sommes confrontés à une situation que vous connaissez bien et face à cette situation le Gouvernement, depuis qu'il est en fonction, a choisi le langage de la clarté et une attitude de fermeté.

Nous sommes partis d'un constat : le seul instrument aujourd'hui à notre disposition pour laisser à la paix quelques chances, c'est – malgré ses imperfections, malgré le décalage qu'il comporte d'ores et déjà avec la situation sur le terrain – ce que l'on appelle le plan Vance-Owen. Et nous avons donc tout fait pour que ce plan puisse être signé par toutes les parties concernées. Nous avons exercé les pressions diplomatiques nécessaires et nous avons été, je crois que l'on peut le dire, en flèche dans le domaine des sanctions.

C'est ainsi que nous avons obtenu avec nos partenaires bien entendu le renforcement de l'embargo sur le Danube ; c'est ainsi qu'a été mise en œuvre la résolution 816 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur l'exclusion aérienne au-dessus de la Bosnie et c'est ainsi que nous avons travaillé à la préparation de la résolution sur le renforcement des sanctions à l'encontre de la Serbie.

À Tokyo, lors d'un voyage que j'ai fait la semaine dernière, certains de nos partenaires, les Russes et les Américains, nous ont demandé de différer l'application de cette résolution au motif que des évolutions positives devaient se produire du côté serbe. Nous avons été sensibles à ce langage. La réponse à cette ouverture a été l'assaut contre Srebrenica et dans ces conditions la France s'est immédiatement manifestée au Conseil de sécurité des Nations Unies pour obtenir dans des conditions difficiles – il n'était pas évident d'éviter le veto russe – le vote de la résolution 820 qui décrète des sanctions d'une exceptionnelle sévérité à l'encontre de la Serbie.

Depuis le vote de cette résolution, qui est intervenu le 18 avril, nous nous sommes mis en mesure de l'appliquer effectivement dès qu'elle sera exécutoire ; c'est-à-dire dès le 26. Les Douze se sont concertés à ce sujet, le COREPER s'est réuni, nous en reparlerons à Copenhague samedi et dimanche prochains et le Comité des sanctions des Nations Unis s'en est également occupé.

Notre ligne est donc claire c'est la politique des sanctions dans toute sa clarté et dans toute sa fermeté. La question qui se pose aujourd'hui et qui nous est posée sur le plan international est de savoir si cette politique des sanctions n'est pas d'ores et déjà inefficiente et vouée à l'échec.

Et on parle ici ou là de la phase militaire de réaction à ce qui se passe en Bosnie. Soyons là aussi lucides et sans hypocrisie. Que pourrait être cette phase militaire ? Une intervention massive terrestre ? Tout le monde l'exclut, ce serait un nouveau Vietnam ou un nouvel Afghanistan. La levée de l'embargo sur les fournitures d'armes à la Bosnie-Herzégovine ? Je sais que cette thèse gagne du terrain, aux États-Unis en particulier. Je voudrais en souligner les risques : c'est la fin immédiate de l'action humanitaire. Cela supposerait un redéploiement de nos soldats à qui je tiens à rendre hommage pour le courage dont ils ont fait preuve durant toute cette période ; ce serait également la tentation pour les Serves qui sont aujourd'hui les mieux armés et les Croates, ne l'oublions pas, qui ont repris l'offensive au cours des derniers jours de liquider la résistance musulmane tant qu'elle ne serait pas mieux armée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Bref, ce serait l'internationalisation du conflit et une conflagration générale dans les Balkans. Reste l'hypothèse d'une frappe aérienne sur des objectifs terrestres, qui pose aussi beaucoup de questions. Nous sommes en train d les étudier, et je tiens à dire très solennellement que toute hypothèse cela exigerait une décision, une résolution formelle du Conseil de sécurité des Nations Unies.