Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à Europe 1 le 16 décembre 1997, sur le débat à l'Assemblée nationale, l'attitude des Verts concernant le projet de loi Chevènement sur l'immigration et les prévisions de l'OCDE sur une baisse du chômage.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi sur l'immigration à l'Assemblée nationale commencé le 4 décembre 1997

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : Dans moins d’une demi-heure, vous serez à Matignon chez le Premier ministre en compagnie des responsables du travail et de la tactique parlementaire. Lionel Jospin va-t-il féliciter les députés PS pour leur assiduité dans le débat sur l’immigration ?

F. Hollande : Le débat dure maintenant depuis plus de 10 jours. C’est un débat long, trop long, que la droite veut prolonger au-delà du raisonnable.

J.-P. Elkabbach : C’est son rôle !

F. Hollande : C’est son rôle, peut-être. Je ne suis pas sûr que ce soit sa fonction et je ne suis pas sûr que ce soit utile pour le pays. En tout cas, elle a choisi non de s’intéresser au contenu même du texte, mais au délai que prendrait le texte pour être voté. Alors, je crois qu’on doit reconnaître que l’assiduité des socialistes, de la gauche d’une manière générale, a été maximale, car il a fallu siéger la nuit ; il a fallu siéger le dimanche. Je pense que lorsqu’il y a quelques manquements il y en a toujours – ça tient surtout à la longueur du débat beaucoup plus qu’à sa qualité.

J.-P. Elkabbach : 10 jours : ils se fatiguent vite !

F. Hollande : Vous vous rendez compte de ce que c’est, dix jours, dix nuits, le week-end ? Ce ne sont pas de bonnes manières, d’ailleurs : il eût mieux valu avoir un véritable débat sur un texte plutôt qu’un véritable combat. La droite a voulu engager un combat, pas un débat. Sur un texte aussi important que l’immigration, c’est dommage.

J.-P. Elkabbach : Beaucoup de gens sont choqués, la presse aussi : on voit un Jean-Pierre Chevènement – comme disait François d’Aubert – comme un général sans troupes : 14 députés PS en séance livrés à une opposition qui était plutôt mordante. On dirait que vos députés ne croient plus à la loi Chevènement, ou alors, qu’avant les régionales, ils en ont honte.

F. Hollande : On prend un moment du débat. Quand on arrive à un moment de la nuit, on peut se retrouver aussi peu nombreux. La droite n’était pas d’ailleurs beaucoup plus flambante. Mais ce qui compte, c’est que le texte ait pu être discuté avec un grand nombre de députés – là, mal discuté, parce qu’il est dommage quand même que sur un texte comme celui de l’immigration, on puisse s’envoyer des invectives, on puisse faire des suspensions de séance permanentes, faire des incidents de procédure, plutôt que de regarder les dispositions elles-mêmes du texte. Je pense que la droite s’est mise sur un mauvais terrain. Elle pense qu’en allant sur le terrain du Front national, elle va récupérer ses électeurs. C’est sa stratégie. Il est dommage que ce soit le Parlement qui en paye finalement le prix.

J.-P. Elkabbach : Entre l’obstruction RPR-UDF et la stratégie de l’escargot de Jean-Pierre Chevènement, quand la loi sera-t-elle finalement votée ?

F. Hollande : J’espère qu’elle sera votée mercredi. Elle devait être votée aujourd’hui. Si c’est encore plus long, si les escarmouches continuent, ce sera à la fin de la semaine.

J.-P. Elkabbach : Alain Madelin propose ce matin dans Le Figaro un référendum sur la nationalité. Votre réponse ?

F. Hollande : Ce n’est pas Alain Madelin qui propose ce référendum : c’est Jean-Marie Le Pen depuis maintenant plusieurs années. Je vois qu’Alain Madelin lui a repris cette proposition. Chacun appréciera la qualité de son imagination.

J.-P. Elkabbach : Et votre réponse, c’est… ?

F. Hollande : C’est non, bien sûr. Ces questions-là, notamment la nationalité, qui sont des questions complexes, difficiles, qu’on ne peut pas résoudre par un oui ou un non. C’est absurde !

J.-P. Elkabbach : Les Verts sont plutôt absents dans le débat ; ils sont assez humiliés qu’on ne retienne pas leurs arguments ; ils promettent de voter contre. Les communistes promettent de s’abstenir, une fois encore. La majorité plurielle est en train de devenir singulière.

F. Hollande : D’abord, on verra au moment du vote qui vote et qui ne vote pas. Je crois que les Verts veulent une autre orientation pour ce texte, voudraient ouvrir plus largement les frontières. Nous leur disons que ce n’est pas possible, que ce n’est pas ce que nous avons dit durant notre campagne électorale, ce que nous avons acté ensemble et qu’il ne peut pas être question de faire un texte qui ne corresponde pas à ce que nous avons dit au moment des élections à nos électeurs. Nous leur disons : « N’essayez pas de prendre un texte différemment de celui du Gouvernement », c’est-à-dire « N’essayez pas de changer la logique même du texte : essayez de l’améliorer, de l’enrichir, pas d’en changer la nature ».

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que vous pouvez vous passer d’eux ?

F. Hollande : Le débat ne se pose pas comme ça. S’ils se passent de nous, on se passera peut-être d’eux au moment des élections régionales. C’est à eux d’apprécier quelle est leur solidarité. Je pense qu’il est normal que nous essayions de trouver les formes de dialogue sur ce texte, avec eux comme avec d’autres. Mais on ne peut pas non plus imaginer – ce n’est d’ailleurs pas imaginable – que les Verts ne votent pas ce texte. Ils ne sont que sept, mais ce n’est pas le problème de leur nombre : c’est celui de la qualité de leurs votes.

J.-P. Elkabbach : À terme, vous espérez que tout le monde vote oui ?

F. Hollande : Oui. Ce texte a été approuvé par le Gouvernement, la majorité. Il est donc normal que tout le monde se retrouve derrière ce texte. Il faut aussi que chacun fasse des efforts, écoute les positions des uns et des autres, prenne certains amendements.

J.-P. Elkabbach : Vous leur dites quand même qu’ils ne peuvent pas être dedans et dehors ? Il faut quand même s’assurer du soutien des partenaires de la majorité.

F. Hollande : Oui. Il faut d’abord être logique par rapport aux engagements qu’on a pris ensemble devant le pays. C’est un texte d’équilibre. Il faut qu’il reste un texte d’équilibre.

J.-P. Elkabbach : Au moment où le RPR et l’UDF se mobilisent et cherchent à en découdre ! Vous avez vu que le RPR adopte un R de combat.

F. Hollande : Oui. Le RPR est réduit au R. Vous avez raison de le dire !

J.-P. Elkabbach : Je n’ai pas dit « réduit » !

F. Hollande : C’est un rassemblement, comme si nous on était un P, un Parti, sans qu’on dise quelle est la qualité de ce rassemblement ou l’épithète de ce parti. Eh bien, un rassemblement, on doit dire avec qui et pour quoi faire. Je note que la République n’est plus l’objet du rassemblement. C’est un sujet sans objet, le RPR. C’est un sujet qui cherche son objet. Mais s’il ne s’occupe pas de la République, nous, on s’en préoccupera.

J.-P. Elkabbach : Vous ne croyez pas que votre majorité exagère quand elle dénonce une sorte de collision entre l’opposition et le Front national ?

F. Hollande : Je note simplement ce qui se dit à l’Assemblée nationale ; je note comment se comportent les candidats dans les élections partielles : ils adoptent les postures, quelquefois les discours, les mots de ceux qui sont à l’extrême. Je crois que ce n’est pas bon pour la démocratie, ce n’est pas bon pour eux et pour lutter contre le Front national. Chacun tirera les leçons le moment venu.

J.-P. Elkabbach : L’OCDE annonce que la reprise économique va s’accélérer en France, au point que le chômage pourrait refluer en 1998 de 12,5 à 12 %, et mieux encore en 1999, à 11,5 %, comme en 1995. Croyez-vous ces prévisions ?

F. Hollande : En tout cas, je préfère des prévisions comme celles-là que des prévisions contraires. Le chômage va peut-être baisser. En tout cas, c’est la prévision que fait l’OCDE. C’est aussi l’estimation que peut faire le Gouvernement. Il faut au moins qu’on arrive à cet objectif-là : faire baisser sensiblement le chômage au cours des prochaines années. C’est possible. L’OCDE le reconnaît. À nous d’accompagner ce processus. Ne restons pas passifs : il faut faire les emplois-jeunes ; il faut faire la réduction du temps de travail ; il faut surtout soutenir la croissance. On voit bien que c’est la croissance qui permet de créer des emplois.

J.-P. Elkabbach : Vous croyez aux prévisions de l’OCDE, mais tenez-vous également compte de la condamnation par l’OCDE des 35 heures imposées par la loi ? Elle dit que ça ne créera pas d’emplois, que ça n’aura pas d’effet sur l’emploi et que vous êtes en train de gâcher vos chances.

F. Hollande : L’OCDE fait des prévisions, annonce une baisse du chômage, n’est pas pour les 35 heures – elle n’a jamais été pour des solutions de ce type. Néanmoins, malgré les jugements qu’elle porte sur notre choix des 35 heures, elle fait des prévisions de baisse du chômage. Je ne retiendrai que cela !

J.-P. Elkabbach : Les prévisionnistes de l’OCDE en tout cas donnent raison aux chefs d’entreprise et à M. Seillière qui va être élu tout à l’heure président d’un patronat qui a l’intention de ne plus gémir, de ne plus pleurer, de ne plus prier.

F. Hollande : Oui. D’ailleurs, je n’ai pas eu le sentiment qu’il se mettait en prière ces dernières années. En tout cas, on ne leur demande pas non plus de partir en guerre : on peut, entre la prière et la bataille, se comporter comme des citoyens laïques et responsables.

J.-P. Elkabbach : Demain, le Premier ministre va entamer une tournée africaine de cinq jours, du Maroc au Mali. Avec le président de la République, il partage donc la politique étrangère et l’Afrique. Comme dit Alain Resnais, « On connaît la chanson » : ce qui est à moi est à moi ; ce qui est à lui est à nous. C’est ça ?

F. Hollande : Et ce qui est utile pour le pays est profitable pour tous. Quand Jacques Chirac, comme il le dit lui-même, fait le super-VRP dans les Émirats Arabes unis, tant mieux si ça peut provoquer un surplus de ventes à l’extérieur ; quand Lionel Jospin va en Afrique, va au Maroc pour essayer de défendre nos positions, je m’en félicite. Finalement, c’est peut-être ça, la cohabitation : être deux pour être plus fort à l’extérieur.

J.-P. Elkabbach : Encore une fois, vous arrondissez tout, vous avez réponse à tout !

F. Hollande : Non, je n’ai pas réponse à tout ! J’essaye de voir ce qu’il y a de mieux dans notre pays.

J.-P. Elkabbach : Il n’y a pas d’aspérités dans la politique ?

F. Hollande : Il n’y a pas d’aspérités sur la politique extérieure, vous l’avez constaté à Luxembourg ce week-end où on a réussi à avancer sur des positions européennes communes. Je ne me suis pas plaint.