Texte intégral
Q. – Depuis quelques jours, je vous trouve le profil bas.
R. – En règle générale, chaque fois que je suis invité sur un média, radio ou télévision, j’accepte, je viens. Et si quelquefois il y a des périodes où on a le sentiment qu’on m’entend moins, c’est peut-être parce qu’on m’invite moins.
Q. – Ah, c’est simplement ça ! Comment estimez-vous que le conflit des routiers s’est déroulé, en tout cas comment il s’est terminé ? Estimez-vous d’abord que l’équipe Jospin s’est bien débrouillée pour son premier conflit social d’importance, sa première épreuve ?
R. – Je crois qu’il faut d’abord rétablir les réalités. Le conflit des routiers n’était pas un conflit entre les routiers et le Gouvernement, c’était un conflit entre les routiers et le patronat routier ; conflit dans lequel le Gouvernement a été amené à intervenir et à se positionner en tant que celui qui peut faire une loi – ce qu’il a annoncé –, celui qui a les moyens de donner des aides – et, à mon avis, ça, il l’a fait et, surtout, il l’a annoncé trop tôt. Bref, moi je pense que le Gouvernement a contribué à ce que le conflit aille vers une issue, cette issue. Par contre, lorsque nous la jugeons, notamment en ce qui concerne les concessions qui ont été faites par le patronat, eh bien nous disons : ça ne fait pas le compte.
Q. – Mais vous ne me répondez pas vraiment. Êtes-vous embarrassé pour me dire que le Gouvernement a mal joué ou bien joué, et d’autre part, l’ex CGT J.-C. Gayssot a-t-il été à la fois stratège et manœuvrier ? Lui donnez-vous un bon point ?
R. – Je vous répète que ce conflit est d’abord un conflit avec le patronat routier. J’imagine bien que beaucoup d’observateurs cherchent un peu à escamoter la responsabilité du patronat routier – j’espère que ce n’est pas votre cas.
Q. – Merci de le penser !
R. – Ce qu’a fait le Gouvernement, même si au début nous avons eu des explications – en langage diplomatique, on appelle ça "franc et direct" – parce que je n’ai pas apprécié, par exemple, que le Premier ministre air porté un jugement sur les premières propositions patronales, propositions que les routiers ont massivement rejetées, ensuite parce que je considérais qu’il fallait que le Gouvernement annonce plus vite la loi. Mais ceci étant, le fond du conflit reste quand même, avec un patronat particulièrement réactionnaire qui viole, qui a jusqu’à maintenant toujours violé les textes réglementaires et la législation du travail, qui impose à ses salariés des conditions de travail très dures.
Q. – Mais je ne saurai pas si J.-C. Gayssot s’est bien débrouillé ?
R. – Moi, je considère que J.-C. Gayssot fait partie du Gouvernement. J’ai toujours dit à mes interlocuteurs qui me posaient ce genre de question que je ne découpais pas le Gouvernement en tranches.
Q. – Donc, c’est Jospin et pas Gayssot ?
R. – C’est le patronat routier…
Q. – …On tourne en rond. Les attaques de caractère personnel et intime de M. Blondel à l’égard de Mme Notat, comment les prenez-vous ?
R. – Moi, je comprends tout à fait qu’il puisse y avoir de l’amertume après un conflit où, incontestablement, la CFDR a voulu jouer cavalier seul et a joué cavalier seul en créant finalement des ferments de vision qui ont hypothéqué ce conflit. Ceci étant, je pense que la crédibilité du syndicalisme aujourd’hui – et les salariés ont besoin de syndicalisme – doit véritablement conduire à ne pas confondre la polémique et les invectives. Tout ce qui peut porter atteinte à cette crédibilité du syndicalisme aujourd’hui est à rejeter.
Q. – C’est-à-dire que vous ne direz pas : mon boulot, ce n’est pas de faire l’amour avec les Premiers ministres, je ne suis pas homo, je me fous d’être reçu dans les salons.
R. – Ça ne fait pas partie ni de mon langage, ni de ma réflexion. Mais je pense, parce que la situation est sérieuse, parce que les salariés ont aujourd’hui à la fois besoin d’action collective et besoin d’organisations syndicales pour impulser cette action collective, qu’il faut que la polémique existe…
Q. – …Mais c’est peut-être la colère de Blondel ?
R. – C’est possible mais c’est à lui qu’il faut poser la question.
Q. – Mais vous, comprenez-vous ce langage macho ?
R. – Je viens de vous répondre, je viens de vous dire que personnellement, je considère que nous sommes dans une situation où la crédibilité du syndicalisme représente, à mes yeux, une importance qui doit absolument conduire à ne pas dériver et confondre la polémique et les invectives parce que c’est l’image du syndicalisme tout entier qui en souffre. »
Q. – Ne pouvez-vous pas réconcilier Blondel et Notat ?
R. –« Je veux bien essayer mais je ne suis pas sûr que ça fasse partie de mon champ du possible.
Q. – L’unité syndicale ou l’unité personnelle des chefs syndicaux.
R. – L’unité d’action syndicale, et pour les mêmes raisons, est à mes yeux trop importante, trop nécessaire, trop impérieuse pour qu’on se laisse aller, même s’il existe des désaccords.
Q. – Invitez-les à déjeuner tous les deux, s’ils acceptent.
R. – Je ne suis pas sûr qu’un repas, même s’il est bon, règle tout.
Q. – Le CNPF est en train de plébisciter le successeur de M. Gandois, E.-A. Seillière. Il est héritier, énarque, négociateur, diplomate, chef d’entreprise. On dirait que c’est vous qui l’avez choisi, Monsieur Viannet ?
R. – Héritier, baron, énarque, tout ça. Je pense que c’est une assez forte symbolique de ce que sont les options autour desquelles se détermine le CNPF aujourd’hui. Moi, je lisais dans une interview d’un journal du matin, qu’en définitive, M. Seillière considère que le dialogue social n’est vraiment important que s’il va dans le sens de l’intérêt des entreprises. Imaginons que les syndicats disent : le dialogue social nous intéresse uniquement s’il va dans le sens de l’intérêt des salariés. Cela va quand même être un dialogue social assez compliqué !
Q. – Il ne va pas défendre les syndicats, vous avez assez de voix pour ça.
R. – Je ne lui demanderais surtout pas ça.
Q. – Et vous lui demanderiez quoi ? Ce n’est pas le profil d’un tueur, à la rigueur il peut faire le méchant. Qu’est-ce que vous attendez de lui ?
R. – Je ne sais pas ce qu’on appelle le profil d’un tueur. Tout ce que j’ai pu lire ou entendre de M. Seillière me fait considérer que nous avons affaire à un partisan acharné du libéralisme et d’un libéralisme dont aujourd’hui les salariés font les frais. Et lorsque je vois sous sa plume qu’en définitive, le paritarisme aujourd’hui est quelque chose de dépassé, je me dis que nous allons quand même vers des rapports sociaux particulièrement tendus dans les semaines et les mois qui viennent, à un moment où, justement, compte tenu que nous avons cette loi cadre pour la réduction de la durée du travail, qui incite à ouvrir des négociations, il y aurait besoin d’un patronat qui prenne conscience que l’existence d’un volant de 5 millions de privés d’emplois dans ce pays représente un véritable point de rupture par rapport au devenir de la société française et que sa responsabilité est engagée.
Q. – Est-ce que vous avez été choqué ou malheureux d’apprendre que l’on doit à Lénine, à Staline, à leurs imitateurs, une tragédie de 85 à 100 millions de morts ?
R. – Ce sont des rappels qui font mal, ce sont des moments de l’histoire qui font mal. Pour autant, il y a des choses que je ne supporte pas. Et le fait de mettre sur le même plan nazisme et communiste, c’est quelque chose qui est complètement hors de mon champ de pensée et que je suis tout prêt à combattre.
Q. – Mais vous avez une pensée pour les victimes de Lénine, Staline, Mao et les autres ?
R. – Mais évidemment ! Comme j’ai une pensée pour toutes les victimes des grands drames de l’histoire et elle sont effectivement, hélas, très nombreuses.