Déclarations de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement, sur l'importance de la biennale Mitteleuropa pour la culture littéraire des pays d'Europe centrale et orientale, sur le renouvellement de la convention nationale entre l'Etat et GDF en faveur des vitraux, et sur l'avenir de la Salle Pleyel et de l'Orchestre de Paris, Schiltigheim le 11 octobre 1997, et Paris les 13 et 17 octobre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Catherine Trautmann - Ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement

Circonstance : Biennale Mitteleuropa de Schiltigheim le 11 octobre 1997. Renouvellement de la convention nationale en faveur des vitraux Culture-GDF, à la Sainte Chapelle de Paris le 13 octobre 1997. 30ème anniversaire de l'Orchestre de Paris le 17 octobre 1997

Texte intégral

Projet de discours à la Biennale Mitteleuropa de Schiltigheim - 11 octobre 1997

Mesdames et messieurs,
Chers amis,

Je me souviens en effet des débuts de ce qui allait devenir la Biennale Mitteleuropa de Schiltigheim. Sans vouloir le moins du monde faire de l’auto-ethnocentrisme, je ne peux cependant m’empêcher de noter certaines (fortes) coïncidences de calendrier : 1986, 1989, 1997, autant de dates qui ne me sont pas tout à fait indifférentes…

Mais, en revenant sur ces onze ans, c’est un autre parcours que je veux saluer : le vôtre, celui d’une idée qui a essaimé, éveillé des échos en Europe centrale et orientale, favorisé des rencontres qui resteront puisque des traductions, des livres en sont nés, qu’il s’agisse des poèmes inédits de Danilo Kis, d’anthologies de la poésie ex-yougoslave, tchèque ou slovaque ou d’autres traductions appelées à enrichir le patrimoine littéraire européen.

La biennale de Schiltigheim est une manifestation littéraire à la fois originale et nécessaire.

Originale : si l’on prend le mot au pied de la lettre, il signifie unique. Et de fait, je ne crois pas que les manifestations littéraires, non seulement bilingues mais plurilingues, soient nombreuses. On peut donc parler de l’originalité des rencontres de Schiltigheim.

Mais j’ajouterai un autre élément à cette originalité, un élément qui me paraît de première importance : biennale de Schiltigheim a choisi de privilégier les lectures à haute voix. J’ai toujours pensé que les livres sont des voleurs de voix et que c’est pour cela que lorsque nous les écoutons, ils nous captivent. Faire sonner les mots, entendre les langues, s’imprégner des rythmes des écrivains et des poètes, c’est pour reprendre Claudio Magris – qui fut l’un de vos grands invités lorsque parut son somptueux et bouleversant « Danube » – avoir une chance de connaître un peu moins mal ceux « qui sont de l’autre côté ».

C’est bien là que se situe la nécessité de la biennale Mitteleuropa.

En lançant des ponts par-dessus les frontières, en fracturant les zones de silence ou d’oubli, en faisant se rencontrer ici et ailleurs en Europe – puisque le principe de réciprocité entre vous et vos partenaires est désormais acquis – plusieurs formes d’expression – musique et chansons, écrits, arts plastiques – vous avez fait le choix de la multi culturalité européenne.

Mais de quoi d’autre est faite ce qu’on appelle la culture européenne, de quoi d’autre était faite Sarajevo, que de ces cultures plurielles – langues, pratiques, gestes de si longue mémoire que l’on pourrait les penser acquis si l’on ne savait combien ils sont fragiles et combien notre responsabilité, dans ce domaine, est grande : il s’agit de la vie.

Vous avez, cette année, fait le choix du thème des minorités, vous avez fait le choix de ce qui se trouve à la marge. Mais parce que nous sommes ici, en Alsace, nous savons tous ce qui peut naître de la marge : le refus du repli, l’ouverture, la tolérance.

C’est cet esprit que je veux saluer dans cette Biennale Mitteleuropa 1997 où se dessine, au fil du temps, un paysage culturel qui refuse d’être figé et qui, revenant parfois de loin, est neuf, non au sens de la nouveauté pour la nouveauté, mais du renouvellement.

 

13 octobre 1997 - Renouvellement de la convention nationale en faveurs des vitraux Culture – G.D.F.

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs,

André Chastel en 1958 disait du vitrail qu’il est « le facteur principal d’illumination et de coloration de l’espace architectural en Occident ». La France s’enorgueillit de posséder sur son territoire une part essentielle de ce patrimoine mondial. Mais cette richesse nous confère une lourde responsabilité : conserver, développer et enrichir une tradition artistique occidentale particulièrement complexe et fragile. C’est dire l’importance que j’attache à la convention nationale du mécénat pour la restauration des vitraux entre le ministère de la Culture et Gaz de France. Nous signons aujourd’hui une nouvelle convention après trois ans de partenariat qui, je le crois, a satisfait les deux partenaires.

Pour accueillir cet événement, le choix de la Sainte Chapelle s’imposait. Autour de nous, se dressent les plus anciens vitraux de Paris : bâtie pour recueillir des reliques de la Passion ramenées de Croisade par Saint Louis, la chapelle haute fut conçue comme un immense reliquaire à onze verrières, portant à sa quintessence l’architecture religieuse française du XIIIe siècle. Ce trésor est fragile : s’il a traversé les siècles pour nous enchanter encore, c’est sans doute grâce à une succession d’heureuses circonstances, mais également parce qu’un soin particulier fut d’emblée porté à son entretien. En 1248, par l’acte de donation des vitraux, Saint Louis en précisait déjà les moyens d’entretien et de financement ; cet acte fut régulièrement confirmé par ses successeurs. Suite aux destructions de la Révolution, Duban et Lassus dirigèrent, au milieu du XIXe siècle, une restauration générale du décor intérieur. Grâce à Gaz de France, nous poursuivons aujourd’hui cet effort séculaire.

Ce partenariat ne se limite évidemment pas à la Sainte Chapelle. Le patrimoine français en matière de vitrail est l’un des plus riches au monde, puisque l’on recense 80 000 verrières ; outre les verrières médiévales, nous possédons en effet un nombre encore plus important d’œuvres vitrées datant de la Renaissance, et surtout 60 000 spécimens du XIXe siècle. Ce patrimoine, soumis à l’usure du temps et aux agressions des hommes, est particulièrement fragile. Les vitraux ont en effet trop souvent été malmenés au cours de l’histoire, volontairement lors de leur remplacement par des vitres incolores au XVIIe siècle, mais aussi involontairement avec les imprudences commises par certains restaurateurs du XIXe siècle. L’action en faveur des vitraux nécessite une collaboration étroite des techniciens, artistes et historiens de l’art. Le ministère de la Culture et de la communication déploie depuis longtemps un intense effort pour la connaissance et la préservation de ces œuvres. Les premières protections datent du milieu du XIXe siècle, mais elles se limitèrent aux ensembles les plus importants. Progressivement ont été prises en compte des œuvres de moindre envergure ; cependant, les réalisations plus récentes, du XIXe et du XXe siècles, ne sont protégées que depuis une vingtaine d’années. Il convient aujourd’hui de conserver les œuvres les plus abouties artistiquement, mais aussi de valoriser tout ce qui compose de vie des Français.

Pour cela, le ministère de la Culture et de la communication mène un important travail de repérage et d’information : le recensement des vitraux anciens de la France, émanation du comité français du Corpus Vitrearum, a été rattaché aux services de l’inventaire général en 1979. Des spécialistes procèdent à l’étude scientifique de tous les vitraux afin d’établir une documentation textuelle et photographique accessible au public ; plus de 15 000 verrières ont déjà été étudiées.

L’État intervient aussi sur la restauration des vitraux classés. Les travaux sont effectués par un atelier de maître-verrier, en liaison avec le laboratoire de recherches des monuments historiques qui définit un protocole d’intervention, et sous la maîtrise d’œuvre d’un architecte en chef des monuments historiques ou d’un conservateur du Patrimoine.

La réalisation d’un vitrail repose sur un savoir-faire ancestral, qui utilise des techniques complexes, au confluent de la peinture, de la céramique et de la métallurgie. En favorisant le renouvellement de ce métier traditionnel et en suscitant des vocations, les partenaires économiques investissent aussi pour l’avenir. L’aide à la création représente un nouveau défi : elle constitue la grande nouveauté de notre nouvelle convention. Le soutien des pouvoirs publics, en ce domaine, n’a cessé de croître depuis la dernière guerre mondiale. Si, dès les années 50, la restauration de la cathédrale de Metz faisait appel aux créations de Jacques Villon et Marc Chagall, ce sont aujourd’hui de nombreux artistes qui collaborent régulièrement avec les maître verriers pour réaliser de nouvelles œuvres, à la demande du ministère, des collectivités territoriales ou du clergé.

Pour faire progresser cet immense chantier, le ministère n’est pas seul : il bénéficie désormais de l’engagement croissant de mécènes. Près du quart des actions du mécénat relève aujourd’hui de la sphère patrimoniale, contribuant au rapprochement entre activité économique et vie culturelle. Le patrimoine apparaît en effet comme un domaine de plus en plus valorisant pour de nombreuses entreprises, grâce à l’association de formes de mécénat très diversifiées : apport humain et technique, conseil scientifique, recherche technologique ou soutien financier. Essentiellement déclinées sur le plan local, ces opérations prestigieuses peuvent, grâce à leurs retombées médiatiques, s’inscrire dans une politique de communication interne et externe. Toute une entreprise se trouve ainsi mobilisée, en coopération avec les autres acteurs territoriaux, pour protéger et embellir le cadre de vie de la population.

Cette mission d’intérêt public devait logiquement rencontrer les projets de Gaz de France. Depuis longtemps, le développement de technologies spécifiques, le souci constant d’innovation comme la préservation de l’environnement constituent les priorités de cette grande entreprise nationale. Notre collaboration ne date pas d’aujourd’hui : dès 1989, elle a participé à la restauration de l’Ange au sourire de la cathédrale de Reims ; en 1992, Gaz de France s’associait à l’ambitieux programme du cercle de partenaires du Patrimoine à l’initiative de Christian Dupavillon : autour du laboratoire de recherche des monuments historiques de Champs sur Marne, neuf grandes entreprises décidaient de collaborer à la lutte contre l’altération du patrimoine par la pollution. Grâce à leurs compétences techniques et à des moyens financiers adéquats, elles ont permis le développement de six programmes de recherche, consacrés à la pollution en milieu rural et en milieu urbain, ainsi qu’à la recherche de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies. La même année était créée la fondation d’entreprise Gaz de France, destinée à soutenir tout projet visant à la sauvegarde de l’environnement et du patrimoine ; aujourd’hui notre partenaire dans le cadre de cette nouvelle convention.

Gaz de France a rejoint, en 1992, le ministère dans son action en faveur des vitraux ; c’était à l’occasion de la restauration du célèbre vitrail des « signes du zodiaque » de la cathédrale de Chartres, et l’opération avait été couronnée de succès.

Depuis, la première convention a permis le sauvetage d’autres œuvres inestimables : les baies du mur nord de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers, ou celles de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, par exemple. Pendant trois ans, Gaz de France a contribué à la restauration de 16 vitraux dans 14 régions. Le bilan est largement positif. Il aurait été dommage de ne pas poursuivre et étendre une aussi fructueuse collaboration. La nouvelle convention concerne 12 nouveaux sites. Surtout, elle encourage la création de nouvelles œuvres, où l’excellence artistique s’associera à l’innovation technologique, par l’utilisation de matériaux et de techniques mieux adaptés aux conditions actuelles d’altération.

À travers cette convention, c’est une nouvelle manière de concevoir notre cadre de vie qui se profile. Le programme d’actions arrêté par la convention nationale s’attache non seulement aux monuments majeurs du patrimoine national, mais aussi aux édifices plus modestes. Grâce à la coopération de délégations régionales de Gaz de France, des collectivités territoriales et des services déconcentrés du ministère, la valorisation du patrimoine de proximité devient l’affaire de tous : employés de l’entreprise, artistes, techniciens, acteurs locaux du patrimoine, habitants. L’action en faveur du vitrail s’insérera alors harmonieusement dans la politique globale du ministère : valoriser l’environnement de tout un chacun grâce à des initiatives culturelles locales. Cette politique prend toute sa signification dans le rapprochement de l’architecture et du patrimoine. En protégeant notre patrimoine, en encourageant et en perfectionnant des savoir-faire séculaires, nous faisons bien davantage qu’intégrer l’héritage du passé au monde contemporain : nous nous réconcilions avec notre cadre de vie en le réinventant.

Je ne saurai conclure sans dire un mot de la caisse des monuments historiques qui nous accueille ici aujourd’hui. Je voudrai saluer ses agents qui font un travail remarquable sur les projets de monuments et améliorent la qualité de la présentation et des visites dans les monuments. Ceci est particulièrement vrai ici, je le sais, sous la houlette efficace de Monique Delon.

Et je voulais aussi remercier et encourager tous ceux qui contribuent à valoriser et faire connaître les monuments : DRAC et conservation régionale, architecte en chef des monuments historiques, architecte des Bâtiments de France et services départementaux d’architecture, conservateur du patrimoine et bien sûr, donc la caisse des monuments historiques.

Merci donc à tous et merci particulièrement aujourd’hui à la fondation Gaz de France pour ce mécénat citoyen.

Je vous propose maintenant de signer publiquement notre convention.

 

30e anniversaire de l’Orchestre de Paris - 17 octobre 1997

L’Orchestre de Paris fête ses trente ans et, dans ces circonstances, permettez-moi, tout d’abord, de souhaiter à son chef et à tous ses membres un excellent anniversaire.

Cet orchestre, dans la force de l’âge, est doté d’un projet artistique et culturel cohérent. Il est porté par une équipe réorganisée et rajeunie. Bref, il semble vraiment au meilleur de sa forme. Cependant, je ne méconnais pas les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui, car il n’est toujours pas assuré de pouvoir développer ses activités dans un lieu fixe.

La permanence artistique et l’ouverture d’un projet au plus grand nombre nécessitent qu’une équipe soit identifiée à un lieu. C’est le cas de l’Orchestre de Paris, d’autant plus qu’il est difficile de faire vivre une formation symphonique dans un état de nomadisme permanent. À trente ans, c’est l’âge où l’on s’installe, même si on doit continuer à rêver et à faire rêver.

L’avenir de la salle Pleyel, où nous trouvons ce soir, a été pour moi l’un des premiers dossiers dont j’ai eu à me soucier dès mon arrivée rue de Valois. Je souhaite que la salle Pleyel conserve sa vocation musicale, car nul ne comprendrait qu’un tel lieu, habité par une telle charge symbolique et qui fut associé aux plus grands noms de la musique, puisse être abandonné à une autre destination que celle de servir cette discipline artistique.

Une solution peut être trouvée et je m’y emploie, afin que la salle Pleyel reste la maison de la musique et des musiciens. Mon cabinet et les services techniques du ministère travaillent à ce projet et si l’État doit s’impliquer, je souhaite pouvoir trouver un partenariat financier le plus large possible, qui appuie les efforts de mon ministère pour garder la musique à Pleyel et Pleyel à la musique.

L’Orchestre de Paris a besoin de ce lieu pour développer son projet artistique et culturel. Je sais trop combien il est difficile pour une équipe artistique, et plus encore une formation symphonique, de ne jamais pouvoir maîtriser à son gré l’utilisation d’une salle. Cette maîtrise va toujours au-delà de la seule organisation des répétitions ou des concerts.

Un orchestre doit aussi pouvoir habiter un lieu, à partir duquel il peut sereinement enrichir sa performance artistique, accueillir d’autres formations de niveau international, travailler à la conquête de nouveaux publics et diversifier ses activités. Une cohérence et une connivence se sont désormais installées entre la salle Pleyel et l’Orchestre de Paris. Il faut qu’elles soient durables. Je n’ose dire pour trente ans, mais après tout on peut concevoir qu’un nouveau destin s’offre à cet orchestre, dont heureusement on ne connaît pas le terme.

Vous fêtez ce soir vos trente ans, mais c’est à moi que vous faites un merveilleux cadeau en me permettant de vivre une nouvelle étape de votre histoire. Sachons la construire rapidement et résolument.

Et maintenant, que la fête commence.