Interview de M. Hervé de Charette, président du PPDF et président délégué de l'UDF, dans "Valeurs actuelles" du 28 août 1999, sur "l'éclipse totale" de la droite au lendemain des élections européennes et la nécessité de restaurer "l'esprit d'initiative et la notion d'autorité" dans tout projet de société.

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Média : Valeurs actuelles

Texte intégral

Q - Quels enseignements tirez-vous à droit, du résultat des européennes pour l'avenir de l'opposition ?

HERVÉ DE CHARRETTE. Ces élections n'ont pas failli à la tradition : elles ont favorisé les initiatives séparatistes et découragé les grands partis de gouvernement.

Cela signifie qu'un grand scrutin national à la proportionnelle, dépourvu d'enjeu politique immédiat, a encouragé l'expression libre des humeurs et des sensibilités politiques du moment. J'observe néanmoins que ce scrutin ne fournit pas d'indications explicites sur la façon dont les Français souhaitent que le pays soit gouverné demain. Le jeu reste très ouvert.

Q - À ce sujet, que vous disent vos électeurs de Saint-Florent-le-Vieil et des Mauges quant à leurs attentes vis-à-vis de la droite ?

Dans cette vieille terre de traditions qu'est l'Anjou, je ne cesse de rencontrer des hommes et des femmes qui sont doublement consternés : par les défaites successives de l'opposition et par l'impression de désordre politique qui domine à droite.

Cela fait pas mal d'années que la droite française va mal. Nous vivons, depuis deux ans, quelque chose qui ressemble à une éclipse totale. Nos électeurs en tiennent pour premiers responsables – à juste titre !  – les dirigeants politiques de la droite eux-mêmes. Et ils sont de plus en plus nombreux à avoir envie de sortir de ce que l'on appelle, désormais, “la bande de totalité”…

Rappelez-vous : il y a vingt ans, toute l'opposition, la droite et le centre réunis, représentait près de 45 % des voix au premier tour des élections. Désormais, nous naviguons entre 35 et 38 %. C'est dans cette chute, qui a évidemment fait les affaires du Front national et qui explique aussi les succès du PS, que réside tout notre problème.

Le leitmotiv habituel c'est que la cause unique de tous nos malheurs serait à trouver dans les défauts d'organisation de l'opposition. Du coup, depuis de trop nombreuses années, nous ne parlons plus que de cela : l'organisation ! En réclamant toujours plus d'union, mais sans la faire évidemment, de sorte qu'il n'est toujours question que des hommes.

Q - Il semble qu'à droite, le leadership naturel de Jacques Chirac soit de plus en plus contesté…

On entend en effet de plus en plus de critiques contre le président de la République dans les rangs de l'opposition. C'est bien joli, mais cela fait le jeu des socialistes ! Il serait temps d'en prendre conscience… La seule voie pour l'opposition, c'est de se rassembler autour du président de la République. Il a besoin de nous. Nous avons besoin de lui.

Au fond, la sagesse voudrait sans doute que l'on imagine une sorte de conseil des familles de l'opposition, qui rassemblerait ses dirigeants, au sens le plus large du terme, et qui nous permettrait de nous retrouver tous, en respectant nos différences – fini le temps du nombrilisme, du mépris, des oukases… – et en ayant à l'esprit que cette grande famille a besoin de travailler main dans la main, pour s'attacher à résoudre les problèmes quotidiens de nos concitoyens.

Q - Où en est l'UDF, à la veille de son université d'été ?

Elle s'est bien sortie des élections européennes : tant mieux, c'est une bonne nouvelle ! François Bayrou a remporté un succès à la fois personnel et collectif. En même temps, il nous fait rester lucides : les plus européens, au sein de l'opposition, sont aussi les moins nombreux. C'est un sujet de réflexion qui doit alimenter nos ambitions, bien sûr, mais aussi notre modestie.
Au sein de l'UDF, le PPDF que j'anime existe comme une sensibilité, un courant, dont l'objectif est d'affirmer les idées de la droite modérée.

Q - Et comment voyez-vous l'avenir du RPR à court terme ?

L'opposition, pour gagner, a besoin d'un RPR en bonne santé. Je souhaite donc évidemment que cette formation retrouve ses marques, désigne ses dirigeants et fonctionne normalement.

J'ajouterai, puisque la question semble se poser à certains, et au risque de paraître incongru, que je crois personnellement plus que jamais à l'actualité du gaullisme et des valeurs qu'il incarne.

Q - Mais sérieusement, vous voyez le général de Gaulle rester une minute à l'Elysée après le résultat de la dissolution de 1997 ?

 (Rires.) Eh bien, oui, les choses évoluent… Franchement, la cohabitation d'aujourd'hui est un sale temps pour nous, et un sale temps pour la France. Je sais bien que cela plaît, si l'on en croit les sondages : les Français auraient, paraît-il, l'impression d'être gouvernés au centre. Moi, cela me déplaît souverainement. Mais c'est ainsi, on vit avec…

Q - Quels sont, selon vous, les sujets prioritaires sur lesquels l'opposition est attendue par ses électeurs ?

Je crois que nous devrions avoir à coeur de démontrer que l'opposition est à la fois gestionnaire et visionnaire, en particulier pour traiter deux problèmes lancinants : les difficultés de la Sécurité sociale et la réforme de l'État.
Et puis il faut que nous soyons porteurs d'un projet de société. Je perçois pour ma part deux interrogations centrales, qui recouvrent de manière horizontale toute la société française : comment donner plus de place à l'initiative individuelle, alors que nous sommes en train de nous socialiser à grande vitesse ? Et comment restaurer, de manière à la fois ferme et raisonnable, la notion indispensable d'autorité ?

Q - Concrètement, que proposez-vous pour la Sécurité sociale ?

Nos concitoyens veulent conserver un degré élevé de protection sociale. Et il ne faut pas laisser penser que l'opposition a dans l'idée de réduire cette protection, alors même qu'elle a été très largement entamée sous des gouvernements de gauche, depuis 1981.

Notre objectif doit donc être de concilier le maintien d'un niveau de protection élevé et les principes de liberté et d'initiative.

Dans le domaine de la maladie, je suis inquiet des attaques incessantes de Mme Aubry contre les médecins, le corps médical et la recherche. Nous devons échapper à cette médecine socialisée qui est en train de se mettre en place : une médecine moins bonne, et naturellement scindée en deux, avec d'un côté les riches qui réussiront toujours à s'en sortir, et de l'autre les pauvres…

Q - Et concernant la réforme de l'Etat ?

C'est un sujet capital. Avec les thèses libérales, voire ultra-libérales, nous avons donné l'impression que nous étions des ennemis de l'État. Dans un pays où la tradition étatique est très forte et où un salarié sur trois est fonctionnaire, cela revient à donner des verges pour se faire fouetter.

Mon idée est différente. Je suis attaché au rôle de la puissance publique, à sa fonction de régulation politique et à sa mission de protection des plus faibles. Il y a dans ce domaine une tradition française : vouloir la passer au fil de l'épée pour faire plaisir aux Anglo-Saxons n'est à l'évidence pas la bonne solution.

Il reste que notre État ne s'est pas modernisé. Nous avons connu beaucoup de ministres de la Réforme, mais bien peu de réformes en vérité. Si bien que l'État français est aujourd'hui profondément inadapté au monde dans lequel nous vivons. On multiplie les structures, on les empile – communes, agglomérations, département, syndicats de départements, régions, inter-régions, État, Europe… –, il faudra bien faire des choix !

Q - Dans le mille-feuilles que vous décrivez, quelle serait la couche à attaquer en priorité ?

Le département, sans hésiter. Mais en faisant preuve de suffisamment d'intelligence pour ne pas procéder avec l'idée d'enlever, mais avec l'idée de rendre le système administratif plus performant.

Q - Vous semblez avoir “la pêche” en cette rentrée…

Je pense que la vraie source de tous nos malheurs, c'est que nous avons perdu le contact avec la société française. Retrouver ce contact, tel est le véritable enjeu du travail politique que nous avons à accomplir dans les dix-huit mois qui viennent, d'ici à la fin de 2000, c'est-à-dire avant les grandes échéances qui se profilent, municipales, législatives et présidentielle.

Et ce d'autant plus qu'il n'y a plus vraiment de raison d'alimenter le pessimisme ambiant. Si l'on veut bien constater la chute de la maison Le Pen, je crois que l'opposition devrait considérer les échéances à venir avec un optimisme raisonnable. Après tout, si nous avons perdu en 1997, c'est à cause des soixante-quatorze triangulaires au second tour avec le FN. Or cette situation ne se représentera probablement pas…

Je ne prétends pas que la bataille sera facile. Je dis simplement qu'elle ne se présente pas dans des conditions aussi noires que l'on veut bien nous les dépeindre en tout lieu. À nous de traiter les sujets, de mouiller notre chemise et d'y aller.