Texte intégral
Chers camarades,
C'est la rentrée ! Et la rentrée politique s'annonce cette année sous des auspices à première vue favorables.
I. – La droite. est décomposée. On avait cru que la dissolution manquée était pour elle la pire des choses possibles. Elle est tombée plus bas encore ces derniers mois. Il ne faut pas sans doute exagérer l'importance des scores réalisés par les uns et les autres aux élections européennes. Mais à travers les résultats se révèlent certaines tendances très profondes.
C'est d'abord l'affirmation à droite d'un courant souverainiste post-gaulliste, en rupture avec l'orthodoxie ultralibérale, européiste et atlantiste qui a inspiré la défunte UDF et à laquelle s'étaient rallier les principaux leaders RPR. C'est ensuite l'anarchie cacophonique qui règne dans les rangs de l'actuelle opposition et déconsidère chacun de ses responsables.
Aux élections des présidents des conseils régionaux comme aux élections européennes, nous avons assisté à la généralisation du sauve-qui-peut et du chacun pour soi, avec de très lourdes pertes pour les principaux dirigeants de Madelin à Séguin et de Sarkozy à Jacques Chirac lui-même.
Le Président de la République sort une fois de plus amoindri d'un affrontement dans lequel la liste qui faisait profession de soutenir son action n'a dépassé que de peu les 10 %. Son incapacité à s'imposer comme un vrai leader politique national est confirmée. Il ne lui reste plus que la force d'empêcher à droite d'autres personnalités qui, comme Philippe Séguin, auraient pu lui porter ombrage.
Bref, la triple crise de la droite, crise de leadership, de stratégie, d'identité, est lourde.
Crise de leadership : le leader institutionnel n'a plus d'autorité morale parmi ses pairs et sa base réelle, au sein même de la droite, n'a cessé de se réduire depuis 1995.
Crise de stratégie : le moyen de la reconquête du pouvoir est devenu une énigme alors même que le Front national qui faisait figure de verrou a explosé. L'exténuation politique de la droite se mesure au fait qu'elle n'a plus pour seul recours que de compter sur l'usure de la gauche ou la divine surprise d'un accident de parcours.
Crise d'identité : la contradiction entre ses composantes nationales et ses composantes libérales impliquerait une synthèse supérieure qu'aucun groupe, ni aucun chef, n'apparaît en mesure de mener à bien.
Sans chef et sans projet, telle est aujourd'hui la droite, trente ans après le départ du général De Gaulle.
La crise de la droite, en la paralysant, renforce la responsabilité de la gauche seule, aujourd'hui, à pouvoir prendre en charge le devenir collectif des Français et la projection de la France dans l'avenir.
Lorsque le Mouvement des citoyens a décidé de participer au gouvernement que préside Lionel Jospin, il avait placé au premier rang de ses exigences celle d'une rupture avec la désastreuse politique monétariste aggravée par le gouvernement Balladur et surtout celui d'Alain Juppé qui avait conduit l'économie vers l'asphyxie et le chômage vers des records. Avec l'euro hélas devenu inévitable, il fallait à tout prix éviter que les étrangleurs ne fassent d'un euro fort un garrot plus efficace encore que le sont le mark et le franc…
Comme nous l'avions posé en principe, l'euro n'a pas exclu les grands pays méditerranéens aux monnaies moins fortes que le mark le franc.
Nous constatons aujourd'hui que sa parité avec le dollar se situe à un niveau assez favorable. Depuis quelques mois, l'économie repart et le chômage régresse. Tel est le fait essentiel de cette rentrée politique, celui qui sert de toile de fond à tous les autres. La gauche a prouvé son aptitude à gouverner, à bien gouverner. Évidemment tout n'est pas rose ni simple dans ce tableau.
Il y a, dans l'immédiat, la question du partage des fruits de l'expansion. Dès lors que l'économie va mieux, que les caisses de l'État commencent à s'emplir, la gauche ne serait plus la gauche si elle laissait ces surplus disponibles pour l'accroissement des profits capitalistes, si elle n'utilisait pas ces circonstances favorables pour renforcer les politiques en faveur des plus démunis. Aujourd'hui l'augmentation du pouvoir d'achat par la revalorisation des salaires, notamment le Smic (en quatre ans le nombre de smicards a augmenté de 50 %), la revalorisation des minima sociaux doivent être les priorités gouvernementales. Et la loi de finances est faite pour traduire une politique de soutien à la consommation et de lutte contre les injustices.
Il y a la délicate question de la mise en place des 35 heures et de l'action que nous devons conduire pour que soient atteints du mieux qu'il est possible les objectifs de création d'emplois et pour éviter que l'opération ne soit dévoyée vers un accroissement de la flexibilité de la main-d'oeuvre préjudiciable aux intérêts des salariés. En tant que députés nous déposerons des amendements forts. Il y a aussi les tiraillements apparus au sein de la majorité plurielle du fait de certains leaders des Verts. La tête de certains aujourd'hui s'est mise à enfler. Ils oublient qu'avec moins de 50 % des votants, les élections européennes sont toujours l'occasion de feux de paille spectaculaires, comme naguère avec Bernard Tapie, et le fait d'y obtenir un peu moins de 10 % ne suffit pas plus qu'il y a douze ans pour leurs prédécesseurs à garantir une force stable et durable. Moins d'arrogance serait souhaitable.
Mais le problème avec les têtes de certains Verts, ce n'est pas seulement qu'elles enflent, c'est que leur contenu mangue de densité et de cohérence.
Nos partenaires Verts ont raison de s'alarmer, même s'ils ne sont pas seuls à le faire, des dangers de certains progrès techniques mal maîtrisés. Nous en avons de préoccupantes et récentes illustrations dans le domaine de la sécurité alimentaire et dans celui de la qualité de l'air.
Encore faut-il ne pas en ignorer les causes. Il faut être aveugle pour ne pas voir les ravages que fait la course effrénée au profit, nécessairement liée à la mondialisation ultralibérale telle que la dirigent les États-Unis avec le concours dévoué et actif de la technocratie bruxelloise. Préconiser une Europe fédérale dans ce contexte relève pour le moins d'une énorme contradiction ou une complicité coupable. Quand on voit les autorités européennes autoriser la reprise des exportations de viande de boeuf britannique alors que le fléau n'est pas éradiqué, quand on voit les États-Unis prétendre mettre en oeuvre tout leur arsenal de rétorsion pour forcer les autres pays à acheter leur boeuf aux hormones, ceux qui n'ont pas encore compris devraient enfin ouvrir les yeux.
Comment pourrait-on garantir le respect de l'environnement, de la vie, de la santé des consommateurs, des droits des travailleurs, de ceux des plus faibles et des plus démunis, si l'économie mondiale s'ouvre à une concurrence sauvage et sans frontière où le gagnant sera non pas toujours mais la plupart du temps celui qui abaisse ses coûts, en ne respectant ni l'environnement, ni la santé des consommateurs, ni les droits sociaux ?
Certains Verts n'ignorent pas cela et remettent en cause l'organisation du commerce international. Mais, avec l'arrivée récente et tonitruante de Daniel Cohn-Bendit, c'est tout un courant des Verts qui se prosterne aujourd'hui' devant la pensée dominante et devant l'ultralibéralisme à l'américaine, qui renonce à toute lutte anticapitaliste. Comme il faut bien masquer, ils se livrent à tout un tintamarre médiatique et recourent à la reprise incantatoire de quelques vieux thèmes éprouvés. comme celui du nucléaire. Disons-le clairement et avec force, nous ne sommes pas d'accord avec ce refus de, l'électronucléaire. Pourquoi priver la France d'atouts importants ? Comment lutter contre le CO2, la pollution de l'air et condamner une énergie propre ? Qui peut croire que les énergies nouvelles, même en renforçant leur développement, seront à la hauteur des besoins ? Les naïfs ne sont quand même pas si nombreux !
Faudrait-il prendre le parti des écologistes et laisser les pays en voie de développement, l'Afrique, s'enfoncer toujours plus dans la pauvreté et la misère ? Est-ce ainsi aujourd'hui qu'on se proclame de gauche et moderne ?
Ils en arrivent en fin de compte à une crispation forcenée mettant en cause le progrès lui-même au lieu de l'usage dévoyé qu'en fait le capitalisme au stade de la mondialisation ultralibérale.
Nous entendons aujourd'hui les leaders Verts, d'un jour à l'autre, surenchérir et se contredire à grands fracas. C'est le résultat de cet infléchissement sournois que certains tentent de faire subir à leur ligne politique. Il est évident que la gauche plurielle ne peut accepter de suivre les Verts là où Cohn-Bendit et ses partisans s'efforcent de les entraîner. C'est aux Verts de se déterminer et de choisir entre gauche plurielle et social-libéralisme. Ajoutons enfin qu'il est dommage de voir la personne du Premier ministre prise en otage des débats internes du parti Vert, qui doit se ressaisir dans l'intérêt de la majorité plurielle, comme le sien propre.
II. – Si la conjoncture est relativement bonne, nous savons tous que les tendances et les forces qui jouent sur le long terme le sont moins.
C'est vrai que la gauche est au gouvernement, c'est vrai qu'elle a plutôt la faveur de l'opinion publique. Mais, être au gouvernement, en France au seuil du XXIe siècle, dans un environnement international et européen particulièrement contraignant, c'est n'avoir que de très faibles marges de manoeuvre. Les économies des différents pays, et pas seulement de ceux de l'Union européenne, sont devenus étroitement interdépendantes et cette interdépendance a des répercussions directes sur le niveau possible des prélèvements fiscaux ou sociaux. Le choix européen lui-même largement influencé par des accords au niveau mondial prime maintenant le droit national dans les domaines déterminants comme le droit de la concurrence par exemple. Le parlement ne fait plus la loi, ne vote plus le budget que dans le cadre d'une souveraineté très limitée. Cette perte de pouvoir des instances nationales démocratiquement élues est un recul de la démocratie et de la République. L'idée même de démocratie va se dénaturant. Le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple est de moins en moins possible, puisque de plus en plus l'essentiel est dicté par les marchés et par des accords internationaux ou par des instances supranationales. Ce serait une grande illusion que de croire que la démocratie qui se délite au niveau national pourra revivre au niveau international où supranational. Sans parler des difficultés qu'il y aurait à organiser de vrais débats démocratiques entre des populations parlant des langues différentes, le système économique mondial ultralibéral n'est pas conçu pour s'orienter selon des décisions politiques mais pour obéir aux lois des marchés, c'est-à-dire en définitive à la loi de l'argent. Il n'est pas bien surprenant dans ces conditions que de larges fractions de la population et notamment de la jeunesse se désintéressent des institutions et des partis politiques et même de l'exercice du droit de vote. C'est le corollaire d'un système ploutocratique dans lequel le pouvoir véritable a cessé d'appartenir aux organes élus. On parle encore de démocratie, mais le contenu n'est plus le même. Il s'agit seulement d'une vague référence à un système protecteur des droits individuels. Les États-Unis ont connu bien avant nous une telle évolution. La vie publique se « judicise » et se « juridictionnalise », mais la montée apparente du pouvoir du juge, face à celui de l'élu, c'est surtout une illusion optique. Ce qui est en cause en réalité c'est le déclin du politique face au pouvoir de l'argent. Le champ du secteur public ne cesse de se rétrécir. Les privatisations vont bon train. La notion même de service public est attaquée et un ancien conseiller du président Mitterrand peut prophétiser qu'après l'ouverture à la concurrence des télécommunications, de l'énergie des transports pourrait venir bientôt le tour de l'éducation et de la santé. Dix-huit ans après les nationalisations de 1982, nous en sommes là ! Et la guerre des banques – après le passage de Péchiney sous pavillon étranger au cours d'un déjeuner à New York, nous apprend le Nouvel observateur, en attendant la bataille entre Elf et TotalFina – nous enseigne que l'intérêt national, celui des salariés concernés, des villes et des régions où se trouvent ces activités ne pèsent plus dans le plateau de la balance.
Pendant la guerre des banques, la référence à « l'intérêt national » dans un communiqué de la Banque de France – détails savoureux – a déclenché l'ire de la City et de certains journaux français qui se sont joints au concert. Libération par exemple, ironisant sur « un terme qui coquerique drôlement », Le Monde évoquant une « ligne Maginot bancaire ». Aujourd'hui, plus que jamais l'économie fonctionne souvent comme une idéologie qui a pour fonction de dépolitiser toutes questions que l'on baptise « économiques » et de déguiser par exemple les milieux financiers en « marchés financiers ».
Cette idéologie doit être décortiquée, expliquée, déconstruite. En l'espèce, la motivation des financiers par la « création de valeur » – sous-entendu pour les propriétaires actionnaires – est un pur discours de lutte des classes camouflant une « capitalisation de la valeur » et impliquant pressurisation sans limite des salariés et des fournisseurs.
Au nom de quoi, sinon d'un rapport de forces avantageux pour le capital financier, présenter les directions d'entreprise comme les mandataires du seul capital alors qu'elles devraient synthétiser sur le moyen terme les intérêts de toutes les composantes de l'entreprise : propriétaires, salariés, clients ?
Rappelons que la fusion justifiée par la création de valeur ne correspond pas à la réalité lorsque l'on sait qu'une méga-fusion sur deux est un échec en termes de rentabilité (mais pas pour les banques conseils anglo-saxonnes, qui la plupart du temps empochent dans l'immédiat, des commissions fastueuses). Elle correspond à une volonté d'accroître, comme dit J.-P. Fitoussi « la rente aux détenteurs du capital financier ».
Le triomphe de cette idéologie n'est que l'expression d'un rapport de forces mondial où les milieux financiers; dissimulés sous le concept écran de marché, jouent le rôle dirigeant.
Nous sommes des Républicains avancés et cette évolution est un défi mortel porté à la République Française car progressivement, c'est tout son contenu qui s'échappe. Encore un peu, il ne resterait plus qu'une coquille vide. Mais ne nous leurrons pas, cette évolution résulte largement de règles européennes et d'accords internationaux directement ou indirectement. Aucun gouvernement français, et celui auquel nous participons pas plus qu'un autre, ne peut faire comme si ces règles et ces accords n'existaient pas, comme si ce rouleau compresseur n'était pas en marche.
Le rouleau compresseur est économique. Il est aussi, vous le savez, politico-militaire et idéologique. Il est politico-militaire parce que la mondialisation ultra-libérale a besoin. d'un gendarme qui réprime brutalement les forces dissidentes, celles qui risqueraient de troubler le règne du pouvoir ploutocratique. Ce gendarme existe. Ce sont les États-Unis, assistés dans leur tâche par quelques alliés au rôle stratégique privilégié, comme la Grande-Bretagne ou la Turquie. L'ingérence érigée en doctrine permet d'intervenir sans l'accord des Nations unies et conforte le droit du plus fort derrière le paravent humanitaire. Il en allait de même à l'époque du colonialisme. Les droits de l'homme sont défendus si cette optique va dans le sens des intérêts américains. Ils sont bafoués ailleurs. Les Kurdes bénéficient de la sollicitude américaine en Irak. De l'autre côté de la frontière, ils sont abandonnés à la répression turque.
Au nom de la liberté religieuse, les Américains s'inquiètent lorsque la France et la Russie veulent freiner les exactions de certaines sectes. Mais ils ne trouvent rien à répondre au fait que certains de leurs bons alliés, comme l'Arabie Saoudite, pratiquent une intolérance absolue à l'égard' de toute autre croyance que la religion officielle.
Cet exercice du droit du plus fort qu'est devenu l'ingérence humanitaire est de plus inefficace comme le montre le triste sort du Kosovo. On ne rétablit pas la paix et la sérénité dans une région en larguant des tapis de bombes qui ne font qu'exacerber les tensions ni même en la faisant occuper par des troupes qui ne parlent pas la langue. À l'actif de l'intervention au Kosovo, il n'y a aujourd'hui que la substitution d'une épuration ethnique à une autre, et celle du pouvoir mafieux de l'UCK au pouvoir mafieux de Milosevic.
La place de la mondialisation ne passe pas seulement par la force des armes, elle s'exerce aussi par les idées. Quiconque met en doute que ce système soit le meilleur fait aussitôt l'objet d'un violent tir de barrage de la part de « l'establishment » intellectuel. Le récent lynchage médiatique de Régis Debray, à propos de la guerre du Kosovo, offre un exemple de ces procédés que met en oeuvre une « intelligentsia » dont l'ardeur révolutionnaire jadis soixante-huitarde s'est avec le temps reconvertie dans la dévotion à l'ordre mondial américain.
Le feu nourri dirigé contre Jean-Pierre Chevènement, dès sa sortie du Val-de-Grâce, est un autre exemple du bon fonctionnement de cette police idéologique. C'est tout un système de pouvoir qui s'est mis en place et qui ligote et contraint, chaque année un peu plus que la précédente, toute action politique. Ne cédons pas à l'illusion qu'il serait possible de faire immédiatement une grande politique de gauche à condition seulement d'être au gouvernement et de le vouloir.
III. – Une grande politique républicaine ne serait possible qu'à condition que l'étreinte se desserre. L'enjeu actuel de la politique n'est-il pas surtout de savoir ce qu'il est possible de faire pour desserrer cette étreinte, pour écarter le rouleau compresseur de la mondialisation ultralibérale ? Comment résister ?
Difficile projet, auquel il manque aujourd'hui d'être pris en charge par des forces assez puissantes et assez cohérentes. Pourtant, ne voyons-nous pas ces derniers mois se multiplier les signes d'une prise de conscience par des forces, et dans les milieux les plus divers, de ce que la mondialisation ultralibérale a de contraire aux intérêts d'une large majorité de nos compatriotes.
Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent sur ce thème, dans les milieux intellectuels, depuis plusieurs années. Mais nous voyons aujourd'hui certaines organisations agricoles en venir à mettre en cause l'Organisation mondiale du commerce. Il y a quelques mois, nous avions des grèves au niveau européen, des manifestations à Bruxelles.
Nous voyons dans un autre domaine et nouveau parti de Messieurs Pasqua et de Villiers, après avoir devancé l'alliance du RPR et de Démocratie libérale aux élections européennes, s'en prendre aux fonds de pension, cet élément clé du système, qui est l'un des articles de foi du crédo chiraquien. Nous voyons de larges milieux ruraux réagir à leur disparition programmée, dénoncer le rôle de l'Organisation mondiale du commerce. Bien sûr, toutes ces réactions se développent sans coordination ni cohérence. N'attendons pas de miracle du parti de Messieurs Pasqua et de Villiers. Observons ! N'attendons pas trop non plus que le score surprenant aux élections européennes du mouvement « Chasse, pêche, nature et traditions », débouche rapidement sur une force cohérente de défense de la ruralité, même si semble-t-il telle a été l'inspiration de nombre de ces électeurs.
C'est de la gauche républicaine qu'il faut attendre une opposition ferme et cohérente au système mondialiste ultralibéral. Nous en sommes loin aujourd'hui, où la gauche républicaine donne trop souvent l'impression d'être limitée à la seule expression du Mouvement des citoyens.
Mais le mouvement qui se développe dans la société trouvera-t-il sa traduction dans l'attitude des partis de gauche ? Je l'espère. Le Parti socialiste a longtemps entretenu les illusions et la confusion sur les thèmes de l'Europe et de la mondialisation. Mais l'expérience vient et les fruits n'en sont pas tous perdus. Pendant longtemps les socialistes français ont essayé de nous faire croire que des succès simultanés de leurs homologues britanniques et allemands permettraient une avancée vers une Europe sociale supranationale. Un meeting commun avec Blair et Schröder a clos la campagne des européennes : c'était l'une des dernières manifestations de cette illusion.
Mais depuis il s'est passé deux choses essentielles : Blair et Schröder ont signé un manifeste social-libéral et ont subi une déroute électorale. Jospin n'a pas signé ce manifeste et le Parti socialiste français a gagné les élections avec notre concours.
L'évolution du parti socialiste est-elle possible ?
Elle est souhaitable. Ce serait un atout important. La situation du Parti communiste, elle, apparaît préoccupante. Engagé dans un déclin qui semble inexorable, ce parti donne trop souvent l'impression de manquer d'une orientation politique claire. Le mélange sur la liste européenne du PCF de communistes et de non-communistes, de Maastrichiens et d'anti-Maastrichiens, de partisans et d'adversaires de l'intervention de l'Otan au Kosovo aura sans doute laissé une image d'incohérence plutôt que celle d'ouverture qu'il voulait donner.
Il faudra que nos camarades communistes se persuadent que la modernisation de leur parti ne passe pas nécessairement par l'acceptation passive, sous prétexte de réalisme, de la mondialisation ultralibérale et de l'Europe supranationale. Il faudra aussi que les communistes dans le cadre de la majorité plurielle choisissent de peser réellement sur le fond des choses au lieu de demander un peu plus de ceci ou un peu moins de cela. Ce n'est pas en se réfugiant dans la défense des minorités, en suivant la mode et les sondages, qu'il se sauvera. C'est en précisant son rôle face à la mondialisation ultralibérale, en liant comme il l'a déjà fait dans son histoire la défense des couches populaires et la nation qu'il pourra avoir un avenir.
Les partis de la gauche plurielle et le Mouvement des citoyens tout d'abord doivent être attentifs à tout ce qui dans le mouvement des idées va s'opposant à la mondialisation ultralibérale. Cette attention doit s'exercer au niveau national et au niveau international. dans le domaine économique et dans le domaine politique. À nous de nouer des contacts, d'entretenir des relations avec ceux qui dans les autres pays d'Europe commencent à développer les mêmes préoccupations : de plus en plus nombreuses sur notre continent s'élèvent les voix de ceux qui ne veulent ni d'une Europe supranationale étouffant les nations ni d'une Europe vecteur et instrument de la mondialisation ultralibérale.
À nous aussi de dénoncer l'arrogance, la brutalité et la violence des gendarmes de l'ultralibéralisme comme, par exemple, en Irak, où l'oppression économique et aérienne se poursuit dans des conditions qui appellent un mouvement de protestation de plus en plus large. Avec la rentrée, le gouvernement doit reprendre l'initiative. L'essoufflement momentané et peut-être durable de la droite ne dispense pas la gauche de prendre le souffle et la foulée rapide d'un coureur de demi-fond. Il y aura deux test majeurs dans les mois à venir. Le premier, celui du pilotage économique global et de la mise en réserve d'une politique « déflationniste » pour anticiper tout ralentissement de la croissance. On semble se satisfaire d'une prévision de 2,2 à 2,5 % en 1999 et de 2,5 à 3 % en 2000. mais au rythme de la diminution du chômage de 100 000 personnes par an il faudrait plus de deux législatures pour ramener de 2,7 millions à 1,5 million le nombre de sans-emploi. Or, la croissance est à la merci de n'importe quel événement !
Le deuxième, celui de la réorientation de la structure européenne de façon qu'elle cesse de ligoter toujours davantage les États nations. La France assurera la présidence de l'Union Européenne au deuxième semestre 2000 et c'est sous sa présidence que la conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions qui commence au début de l'année prochaine devrait être bouclée.
Vous le voyez, chers camarades, il y a du pain sur la planche pour le Mouvement des citoyens dans l'immédiat, dès lors que le MDC, avec une plus grande liberté de parole que Jean-Pierre Chevènement, assure une fonction d'équilibrage et de dynamisation de la coalition majoritaire et cela de façon continue depuis 1997. notre objectif doit être d'élargir l'influence de notre parti pour mieux exercer cette fonction de forment.
Quant à la suite, les débats de notre université d'été 1999, autour du thème « La Souveraineté du peuple dans la mondialisation du capital » en témoignent, notre choix se situe sur la ligne où se mèneront, se perdront ou se gagneront toutes les grandes batailles politiques du futur.
La lutte contre la mondialisation ultralibérale est une entreprise de très longue haleine. Elle doit se proposer des objectifs précis.
Ceux-ci sont dictés par la nature du processus. C'est à coups d'accords mondiaux sur le commerce et sur les investissements, et à coups de directives européennes qu'il se développe. Exigeons donc que l'élaboration des directives ne soit plus abandonnée à des technocrates irresponsables, car leur force contraignante est supérieure à celle des lois elles-mêmes.
Exigeons que les ministres des différents États et d'abord du nôtre, qui adoptent ces directives en Conseil des ministres de l'Union européenne, aient à rendre compte devant le Parlement.
Exigeons encore que les négociations des accords mondiaux sur le commerce et sur les investissements fassent l'objet d'une plus grande transparence et que les Parlements nationaux – le nôtre en premier lieu – en soient saisis.
C'est sans doute à ce prix que pourra progresser la réhabilitation du politique ; elle passe par la récupération par le Parlement du pouvoir de débattre et de décider sur les questions engageant profondément l'avenir.
Alors on pourra parler de retour de la citoyenneté. Alors, les élus pourront exiger que tout abaissement des obstacles aux échanges et à la circulation des capitaux soient accompagnés de mesures assurant efficacement la protection de l'environnement, de la santé, des droits des travailleurs et de la société.
La route est longue et l'adversaire paraît invincible. Mais l'avenir ne peut appartenir au type d'économie et de société qui semble en voie de s'imposer.
Dans chaque pays et au niveau international, les inégalités se creusent entre un petit nombre de super-privilégiés et des masses de plus en plus marginalisées. Les tensions s'accroissent, les révoltes se multiplient. Pour qu'un jour, elle trouve leur cohérence autour d'un projet de République sociale, apportons la contribution de notre lucidité et de notre résolution.