Texte intégral
MTV 1 - 17 novembre 1997
MTV 1 : Que représentent les résultats du référendum ?
Pierre Moscovici : C'est un message d'abord d'une adhésion exceptionnelle à l'OTAN : les Hongrois ont voté massivement 85 % de oui. C'était extrêmement impressionnant. Au-delà de cela, je crois que cela a une signification par rapport à l'Europe : cela veut dire que le Hongrois aspire vraiment à se rapprocher de ce que vous appelez le partenariat euro-atlantique, mais aussi de l'Union européenne. Je crois que parmi les pays de l'Union européenne, il faut l'entendre comme cela. En tout cas, je l'entends comme cela. C'est un appel à l'Union européenne, un souhait d'adhérer vite également à l'Union.
MTV 1 : Qu'est-ce qui se serait passé si on avait voté non ?
Pierre Moscovici : Vous n'avez pas voté non. Les Hongrois ont voté oui massivement. Quand on a fait 85 % de oui, cette hypothèse du non n'existe même pas. Et donc, je crois qu'il y a, au contraire, un appel extraordinc1.irement fort. 85 % de oui à un référendum, c'est absolument inédit, cela signifie que le pays tout entier, le peuple, la classe politique adhèrent à cette perspective de l'OTAN, d'une part, et sans doute aussi, à la perspective de l'Union européenne. Alors, je crois qu'il faut qu'on en tienne compte en Hongrie, qu'on sache qu'il faut qu’il y ait une mobilisation forte qui suive ce référendum et qu'on en tienne compte aussi dans les pays de l'Union européenne pour préparer cette adhésion, notamment par des négociations. C'est ce que je suis venu dire à mes amis hongrois aujourd'hui : bienvenue dans l'OTAN, bienvenue à la table des négociations pour l'Union européenne dès le début 1998.
MTV 1 : Vous avez dit : il faut faire des réformes internes. C'est avant l'intégration ou après ?
Pierre Moscovici : L'Union européenne a besoin de réformes, des réformes de fonctionnement, des réformes des institutions parce que les choses ne marchent plus assez bien. Et cela, il faudra le faire avant qu'on finisse d'élargir l'Union européenne, parce que si cela ne marche pas bien à quinze, cela ne marchera pas bien à dix-huit ou vingt-et-un ; mais qu'on soit sûr que cela ne retardera en rien l'adhésion de la Hongrie parce que je pense que s'il ne s'agit que de quelques réformes pratiques, concrètes, limitées que les Quinze peuvent prendre très vite, et j'espère qu'ils vont les prendre très vite. Donc, la Hongrie pourra commencer à être à la table des négociations début 1998, pour ensuite négocier en fonction de ses mérites propres et des réformes qu'elle fera. Je crois qu'elle pourra entrer au moment voulu, au début du siècle prochain, dans une Union réformée, une Union qui marche. C'est très important car, si l'Union ne marchait pas, ce ne serait pas un service à rendre aux Hongrois, ce ne serait pas non plus d'ailleurs un service à rendre ù ceux qui sont actuellement dans l'Union que de la voir continuer comme cela. Merci.
Magyar Televizio 1 - 17 novembre 1997
Magyar Televizio 1 : Est-ce que c'est votre première visite en Hongrie ?
Pierre Moscovici : Oui.
Magyar Televizio 1 : Avez-vous aimé la Hongrie ? Que savez-vous sur la Hongrie ?
Pierre Moscovici : Oui. Cela me donne envie de revenir. C'est trop court parce que ce sont des visites. Vous savez, on passe, on a des rendez-vous.
Magyar Televizio 1 : Monsieur le ministre, voulez-vous dire quelque chose sur la position de la France en ce qui concerne l'élargissement de l'Union ?
Pierre Moscovici : La France est favorable à l'élargissement de l'Union. Je crois que c'est maintenant une perspective qui est une perspective politique véritablement historique. D'autres élargissements concernaient des pays de l'Europe de l'Ouest, mais là, s'il s'agit de s'ouvrir à des pays qui sortent de 40 ans de vie difficile avec le communisme, qui se tournent vers nous et je crois que nous n'avons absolument pas le droit de dire « non ». Nous ne voulons pas dire « non ». Donc, l’élargissement est une perspective historique à laquelle nous sommes tout à fait favorables. Il faudra du temps. Il faut en même temps que vos pays soient capables de supporter le choc d'une économie qui est pleinement une économie de marché puisqu'il y a en Europe un grand marché intérieur, mais cela se fera. Je pense que cela se fera pour la Hongrie plus tôt que pour beaucoup d'autres.
Magyar Televizio 1 : Pensez-vous commencer l'élargissement avec tous les pays candidats ou bien seulement avec les meilleurs ?
Pierre Moscovici : Il faut être pragmatique en la matière. Il faut que tous les pays candidats sentent qu'ils sont concernés par le processus et il faut qu'ils sentent qu'ils ont tous une vocation à entrer un jour dans l'Union européenne. C'est pour cela que la France propose qu'il y ait un cadre multilatéral à la négociation, ce que nous appelons une Conférence européenne. En même temps, il faut être, je le disais, être réaliste, pragmatique. Certains pays sont en avance. Il faut commencer avec eux des négociations bilatérales approfondies rapidement. Donc, c'est avec cinq pays plus un, le sixième étant Chypre que se commenceront probablement ces négociations. Cela va être décidé à Luxembourg, le 12 décembre, et la Hongrie sera évidemment l'un de ces six pays.
Magyar Televizio 1 : Quelles sont les réformes qui sont nécessaires, votre avis, avant l'adhésion ?
Pierre Moscovici : Il faut être capable, d'une part, d'absorber le choc que représente l'économie de marché, sur un marché qui maintenant va assez loin et aussi d'être harmonisé sur le plan des structures, les structures de l'État, les structures de la fiscalité avec les autres pays de l'Union et, à mon sens, connaissant la situation de la Hongrie, il faut aussi, avant tout, maîtriser l'inflation au cours des années qui viennent, sans doute aussi réduire un peu le déficit, avoir un système de protection sociale qui soit conforme à ce qui est un système de protection sociale européenne, et sans doute aussi modifier le système fiscal de telle sorte qu'il soit harmonisé avec ceux de l'Union. Cela ne se fera pas demain. Mais c'est le type de réformes structurelles auquel il faut se préparer pour être un jour membre de l'Union européenne sans quoi, vous savez, cela peut ne pas être une bonne affaire d'avoir à affronter d'autres qui sont plus compétitifs que soi.
Magyar Televizio 1 : Il y aura, à la fin de cette semaine à Luxembourg, une conférence qui concerne les problèmes de l'emploi. Qu'estimez-vous nécessaire de faire, s'agissant de la situation du chômage en Europe ?
Pierre Moscovici : D'abord, il faut une prise de conscience. Tous les problèmes européens sont maintenant un problème commun qui est le chômage de masse, les taux de chômage qui sont supérieurs à 10 %. Donc, il est temps maintenant de fixer la lutte contre le chômage, la lutte pour l'emploi parmi les objectifs de l'Union. Jusqu'à présent, c'était surtout l'extension du marché, la concurrence, des finances publiques maîtrisées ou la politique monétaire commune, avec la perspective de l'euro qui est extrêmement importante. Il faut y ajouter une dimension qui est celle de l'emploi pour avoir une Europe, qui soit une Europe de la cohésion sociale, une Europe qui lutte contre le chômage. Donc, si, à Luxembourg, tous les pays d'Europe affirmaient qu'ils ont une véritable volonté commune avec des objectifs communs en termes d'emploi, ce serait déjà un très beau résultat.
Magyar Televizio 1 : Quel est le contenu de l'accord que vous venez de signer ?
Pierre Moscovici : C'est un accord d'assistance financière, certes modeste, mais qui manifeste l'amitié de la France et de la Hongrie.
Magyar Televizio 1 : Vous connaissez probablement le résultat du référendum sur la Hongrie en ce qui concerne l'adhésion à l'OTAN. Quelle est votre opinion sur cette question ?
Pierre Moscovici : Je crois que c'est un résultat extraordinaire : 85 % dans un pays démocratique, c'est un résultat formidable. Il faut voir, qu'en France, par exemple, le vote sur le traité de Maastricht a été de 51 % contre 49 % et je crois que ce vote a une signification très forte. Il signifie que les Hongrois veulent adhérer à l'OTAN et au-delà de cela, il veut dire que le pays, que le peuple, se tournent tout entier vers cc que vous appelez l'Alliance euro-atlantique. Il y a la partie atlantique qui est l'OTAN, mais je crois qu'il y a une signification aussi qui nous concerne davantage, nous Européens, c'est que les Hongrois veulent adhérer à l'économie de marché, à la démocratie, au système finalement, au modèle social européen. Ce référendum prouve cela avec beaucoup d'éclat. Il faut en tenir compte. C'est un signe politique très fort et je le reçois comme tel. C'est pour cela que je suis venu premièrement, féliciter, aujourd'hui, mes amis hongrois, premièrement les féliciter de ce résultat qui est superbe, deuxièmement leur dire que la France soutenait la candidature de la Hongrie à l'Union européenne, puis troisièmement, espérer que, entre nos deux pays, la France et la Hongrie, les relations qui sont déjà exceptionnelles, se développent encore à la fois sur le plan politique, mais aussi et peut-être surtout sur le plan économique. Nous avons beaucoup à apporter à la Hongrie. Elle a beaucoup à nous apporter et moi, dans ce référendum, je vois un peu tout cela.
Magyar Nemzet - 17 novembre 1997
Magyar Nemzet : Sur votre proposition de faire une Conférence européenne, quel type de conférence souhaitez-vous élaborer, et sur quels sujets ?
Pierre Moscovici : Le processus d'adhésion à l'Union européenne des candidatures concerne aujourd'hui onze pays qui sont des pays d'Europe centrale et orientale qui, pour la plupart, viennent du communisme et en sont sortis. Ce que nous pensons aujourd'hui, c'est qu'il faut une adhésion qui comporte des modalités différenciées pour les pays qui sont les plus avancés dans leur transition, la Hongrie, la Tchéquie, la Pologne sont de ceux-là, la Slovénie sans doute, l'Estonie probablement. Donc, pour ces pays-là, il faut qu'il puisse y avoir des processus de négociations bilatérales qui commencent tout de suite au début 1998. Les autres ne sont pas prêts mais il faut aussi une composante multilatérale qui associe les Quinze plus les Onze et nous y ajoutons la Turquie. En effet, je crois qu'il faut penser aux Roumains, aux Bulgares, aux Baltes. Ceux-là aussi sont sortis du communisme. On ne peut pas leur dire tout à coup qu'il y a une nouvelle division de l'Europe entre ceux qui vont être dans l'Union et ceux qui ne vont pas y être. Il faut que la perspective soit ouverte à tous. C'est pour cela que la France milite pour cette Conférence européenne qui soit un espace où l'on débat de toutes les questions, à la fois les questions politiques, les questions de sécurité, les questions institutionnelles, les questions économiques. Donc, nous souhaitons qu'il y ait dès le début de l'année 1998 une réunion de cette Conférence au niveau des chefs d'État et de gouvernement. J'ai l'impression que c'est en bonne voie et que nos partenaires acceptent maintenant cette perspective.
Magyar Nemzet : À quel niveau ?
Pierre Moscovici : Celui des chefs d'État et de gouvernement.
Magyar Nemzet : Et où ?
Pierre Moscovici : C'est à la présidence anglaise de l'organiser.
Nepszabadsag - 17 novembre 1997
Nepszabadsag : Quelles sont les différences entre la politique européenne de l'actuel gouvernement et celle de son prédécesseur ?
Pierre Moscovici : Je crois que la différence essentielle est notre volonté de faire de l'Europe un espace de solidarité et de cohésion sociales, et non un simple lieu de libre-échange. Cette différence a de nombreuses traductions. La plus importante aujourd'hui, alors que la prochaine échéance cruciale est le passage à l'euro - nous prendrons la décision dans quelques mois, en mai 1998 - est la préoccupation du gouvernement de Lionel Jospin de rééquilibrer la construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. Nous avons insisté sur ce point dès le Conseil européen d'Amsterdam, en juin, immédiatement après les élections françaises.
À notre initiative plusieurs résultats ont déjà été obtenus : un nouveau chapitre emploi dans le traité, la reconnaissance du rôle des services publics, l'intégration dans le traité du protocole social, refusé par les Britanniques à Maastricht. Nous avons obtenu, aussi, un Conseil européen extraordinaire sur l'emploi, qui va se tenir à Luxembourg, dans quelques jours, les 21 et 22 novembre exactement. J'attends de ce Conseil des résultats concrets qui manifesteront que l'Europe a décidé de s'engager plus fermement dans cette voie. Dès le début, nous avons, également, milité en faveur d'une coordination étroite des politiques économiques des pays qui auront en partage la monnaie unique. Nous sommes, désormais, d'accord avec notre partenaire allemand sur cette approche. La décision appm1ient m1x Quinze qui devront trancher au Conseil européen de décembre. Je suis optimiste d'autant que je suis convaincu que c'est la meilleure garantie pour le succès de l'euro, la seule façon efficace de joindre nos efforts pour une politique de croissance et un moyen de répondre aux attentes des opinions publiques.
Nepszabadsag : Selon vous, quelles réformes doivent précéder l'élargissement et pourquoi ?
Pierre Moscovici : Nous voulons l'élargissement. Il n'y pas la moindre réserve sur ce projet, qui constitue un défi historique majeur. Et nous voulons un élargissement réussi. Là aussi les décisions qui permettront l'ouverture du processus seront prises en décembre, c'est-à-dire très bientôt.
Il y a plusieurs éléments pour garantir le succès de ce processus. Nous avons fait des propositions. D'abord il faut que la discussion que nous devons avoir sur le cadre financier de l'Union s'inscrive dans la perspective de l'élargissement et la prenne en compte. Ensuite l'élargissement est une démarche globale qui s'adresse à l'ensemble des pays candidats, même si nous savons qu'il y a et qu'il y aura des différences entre les niveaux de préparation des uns et des autres. C'est pourquoi nous avons proposé l'idée d'une Conférence européenne qui serait l'expression multilatérale de l'élargissement, un cadre de dialogue et de coopération dans lequel nous nous retrouverions tous - les Quinze et l'ensemble des pays candidats - tout de suite. Enfin il y a ce que nous appelons le préalable institutionnel.
Je voudrais faire toute la clarté sur cette question décisive, mais qui a pu susciter, ici ou là, quelques malentendus. Nous voulons une réforme des institutions. C'était, pour nous, un objectif central de la dernière Conférence intergouvernementale. Pourquoi ? parce que, au fil des élargissements successifs, les institutions prévues pour Six n'ont suffisamment pas évolué. Aujourd'hui, à Quinze c'est extrêmement difficile, le processus de décision est enlisé. Élargir, à dix-huit, vingt ou plus, sans réformer c'est choisir le risque de la paralysie. Personne n'y a intérêt ni les États membres, ni les futurs États membres. Je milite pour une Europe capable d'affirmer son identité, de mettre en œuvre ses politiques communes, de peser sur les grandes questions internationales. Bref pour une Europe qui marche, c'est-à-dire qui décide.
Nous souhaitons une réforme qui s'articule autour de trois points. Une Commission réduite retrouverait son rôle d'organe collégial de proposition. Le vote à la majorité qualifiée doit être étendu pour alléger le processus de décision. Cela serait d'autant plus facilité que les États membres retrouveraient au sein du Conseil un poids plus conforme aux réalités économiques et démographiques. Cette réforme, qui répond à une double exigence d'efficacité et de démocratie, est simple. Des discussions ont déjà eu lieu sur ce dossier. Il me paraît possible de régler cette question dans des délais raisonnables, c'est-à-dire rapprochés.
Enfin, quand je parle de « préalable institutionnel », cela signifie que nous voulons aboutir à un accord avant la signature du prochain traité d'adhésion. Ce n'est pas une condition ni au lancement du processus d'élargissement, ni à l'ouverture des négociations d'adhésion. Je le répète, cela va se faire dans les prochains mois, nous y sommes et engagés et attachés.
Nepszabadsag : Combien de temps prendra le processus d'élargissement ? Quand les premiers pays d'Europe centrale et orientale pourront-ils entrer dans l'Union européenne ?
Pierre Moscovici : Je vais vous répondre très franchement : je ne le sais pas. C'est à l'évidence un processus qui s'inscrit dans la durée. Il connaîtra des différenciations et certains pays rejoindront l'Union avant d'autres. Nous avons fixé des critères, économiques et politiques, les critères de Copenhague, du nom du Conseil européen de juin 1993, qui nous permettent d'apprécier si un candidat est prêt pour l'ouverture des négociations d'adhésion, mais ils ne donnent aucune indication de date.
De même une fois ouvertes, avec tel ou tel pays, ces négociations doivent être conduites à leurs termes, selon leur logique propre, à leur rythme. Il n'y a pas, là non plus, de date butoir. Je sais que le Président de la République lors de sa visite en Hongrie avait parlé de l'an 2000. C'est un vœu que je partage. Nous sommes disposés à accueillir la Hongrie, comme les autres pays candidats, nous savons aussi qu'elle est mieux préparée que d'autres, mais je ne crois pas que nous puissions prendre un engagement quant à la date.
Nepszabadsag : Comment voyez-vous les relations bilatérales, politiques, économiques et culturelles, entre la Hongrie et la France ?
Pierre Moscovici : Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui en Hongrie, pays qui a su renforcer ses liens amicaux avec la France et devenir un de ses partenaires importants au sein de la future Union européenne élargie.
Sur le plan économique, comment ne pas se féliciter du dynamisme de nos investisseurs en Hongrie ? La France occupe la troisième place dans votre pays, avec près de 10 % du total des investissements directs étrangers cumulés. Vous savez par ailleurs que la France occupe désormais une place plus importante dans les échanges extérieurs de la Hongrie, comme en témoignent les contrats signés par la Lyonnaise des Eaux, Matra, Monetel, Gec-Alsthom et la CGE. Nous espérons vivement que la France pourra continuer à participer, tant sous forme d'investissements que de contrats d'équipement, à la modernisation de la Hongrie.
En ce qui concerne le domaine culturel, enfin, deux pays de culture comme la Hongrie et la France ne pouvaient que s'accorder à développer leurs échanges. Nous nous réjouissons de l'importance de la présence culturelle française en Hongrie, marquée notamment par le dynamisme de notre Institut culturel à Budapest.