Texte intégral
Entretien avec RFI (Paris, 27 octobre 1997)
RFI : L’actualité du jour, c’est cette sorte de prudence de Gordon Brown, le chancelier de l’Échiquier et sans doute de Tony Blair vis-à-vis de l’euro. On attend un petit effort de la part des Britanniques et finalement, il n’y aura pas d’adhésion dès 1999, peut-être en 2002, en tout cas, à la prochaine législature. Que faut-il en penser Monsieur Moscovici ?
Pierre Moscovici : Prudence, le mot est vite dit. Si on se replace quelques mois en arrière, il n’était absolument pas question que la Grande-Bretagne ne rejoigne l’euro. Et d’abord, avant les élections anglaises, il y avait un Gouvernement conservateur, celui de Monsieur Major qui était farouchement eurosceptique, tandis que là, comme le dit Gordon Brown, c’est la première fois qu’un gouvernement britannique se prononce en faveur de l’union monétaire.
C’est vrai qu’ils n’ont pas choisi l’option dite « big-bang », c’est-à-dire d’y aller tout de suite, il faut reconnaître aussi que les entreprises anglaises n’étaient pas forcément prêtes. On peut voir le verre à moitié vide ou bien à moitié plein. Moi, je préfère voir le verre à moitié plein. C’est effectivement quelque chose de très important qui est en train de se produire. La Grande-Bretagne se tourne vers l’Europe et le projet politique majeur du gouvernement de Tony Blair est bien de faire en sorte que la livre se fonde avec l’euro dès le début du prochain siècle. C’est quand même une nouvelle importante. Peut-être les marchés ou certains politiques attendaient-ils autre chose ; moi j’avoue que je ne suis pas surpris, compte tenu des évolutions des dernières semaines, de ce qu’annonce aujourd’hui Monsieur Brown.
RFI : Cela revient tout de même à dire aux agents économiques, aux entreprises, aux banques, préparez-vous à ce que la livre adhère à l’euro et nous vous dirons en 2002, lorsque le référendum aura eu lieu si vraiment c’était une bonne idée et si cela se fera. Est-ce que cela clarifie vraiment les choses ?
Pierre Moscovici : Essayons de comparer avec la position française. En France, on a voté pour le référendum de Maastricht le 20 septembre 1992, cela fait plus de cinq ans. On voit que maintenant la décision approche et que nos entreprises ne sont pas encore tout à fait prêtes même si elles ne sont pas en retard. Cela veut dire que l’euro demande quand même une acclimatation assez longue de l’opinion, des entreprises, or, je le répète, il y a encore six mois, nous ne parlions absolument pas de ça pour la Grande-Bretagne.
Il est logique à mon sens qu’ils prennent un peu de temps. Prennent-ils trop de temps, c’est une autre question. Je pense que c’est assez raisonnable. Quant au référendum, il est vrai que Tony Blair avait annoncé pendant sa campagne qu’il faudrait qu’il y ait un référendum britannique avant que la Grande-Bretagne ne décide de faire ce saut, qui est quand même un saut historique, de passer dans l’euro. J’observe quand même que le Gouvernement appelle à voter « oui » puisqu’il se prononce clairement en faveur de ces perspectives et qu’il lance un processus, notamment en direction des entreprises pour qu’elles se préparent à entrer dans l’euro. Au total, je crois quand même que le Gouvernement tient compte de son opinion qui est encore rétive, assez rétive…
RFI : Est-ce que ce n’est pas son principal problème aujourd’hui justement ?
Pierre Moscovici : C’est clair. Je suis allé à Londres le 16 septembre, j’avais rencontré à la fois le patronat britannique qui est extrêmement allant sur cette affaire, le CBI et notamment son président Colin Marshall, le président de British Airways, j’ai senti qu’ils étaient vraiment très volontaires avec en même temps conscience que les PME n’étaient pas prêtes et donc qu’ils souhaitaient qu’il y ait un délai plutôt d’un an que de trois ans, mais est-ce fondamentalement différent ?
J’avais rencontré aussi des membres du Gouvernement britannique qui affichaient ce programme politique, mais ils étaient très conscients qu’il fallait acclimater l’opinion. Il me semble qu’ils ont dû prendre conscience que les choses n’étaient pas encore mûres et ils se donnent du temps en affichant la couleur. La couleur, c’est tout de même d’y aller et d’aborder cette échéance positivement, c’est cela qu’il faut retenir.
RFI : Avez-vous un pronostic au bout de ces quelques années ?
Pierre Moscovici : Je n’ai pas de doute, à partir de moment où ce gouvernement s’affiche comme étant un gouvernement europositif, c’est ce qu’il fait, on le verra au cours de la présidence britannique au premier semestre 1998. De plus, c’est durant cette présidence que se fera l’euro, que se décidera l’euro – ils seront pour –, à partir du moment où il dit en 2002, j’y vais, à partir du moment où ils demandent aux agents économiques de se préparer, je pense qu’il a tout à fait la possibilité, la capacité de convaincre l’opinion et qu’au fond, les élections nouvelles de 2002, par hypothèse car on sait qu’en Grande-Bretagne, elles peuvent être anticipées, aux prochaines élections, la question qui sera posée sera double :
- voulez-vous que Tony Blair continue à gouverner la Grande-Bretagne ? Manifestement les Anglais n’ont pas l’air mécontents ;
- et est-ce que vous voulez que la Grande-Bretagne entre dans l’euro ? Il me semble que les deux questions couplées, il y a quand même de très bonnes chances que cela donne « oui ».
Moi je veux être optimiste.
RFI : Petit retour en France, pensez-vous que les entreprises, les agences sont véritablement prêtes à l’euro, il y a une quarantaine de personnalités qui ont signées un appel cet après-midi en France pour dire que ce n’était pas le cas et dire qu’il y avait urgence à ce que vous donniez le mode d’emploi comme si cela n’était pas fait.
Pierre Moscovici : Je reçois cet appel très positivement. C’est quelque chose qui est évidemment suivi par le Gouvernement, notamment par le ministère des finances. Mon sentiment c’est qu’en France, nous ne sommes pas en avance mais pas en retard. Nous sommes tout à fait dans les temps, qu’il s’agisse des entreprises, des particuliers ou des administrations et n’oublions pas que nous aurons une période de trois ans que les Anglais n’auraient pas eu s’ils avaient choisi d’entrer tout de suite, ils auraient été obligés de faire le « big-bang », nous aurons cette période de trois ans pour se préparer.
RFI : Eux auront le big-bang en 2002 ?
Pierre Moscovici : Oui, mais en même temps, ils se préparent et cela pourra aller plus vite et ils pourront aussi profiter de l’effet d’accumulation d’expérience que les autres monnaies auront eu entre temps. Oui, il faut se préparer avec vigueur et en même temps, la perspective deviendra plus concrète en mai 1998 et j’ajoute que le Gouvernement s’apprête à lancer une grande campagne de popularisation de l’Europe car les signataires ont raison, c’est avant tout les citoyens que l’on doit toucher.
RFI : Plus concrète en mai 1998, plus spécialement le 2 et 3, mais puisque c’est à cette date qu’aura lieu le sommet des chefs d’États pour annoncer la liste des entrants au sein des quinze. Il faut déjà penser à l’élargissement de l’Europe, il y a assez longtemps que l’on se réunit sur le sujet. Tout le week-end, les ministres des affaires étrangères en ont discuté, l’élargissement intéresse onze candidats et pour le moment, il n’y en a que six avec lesquels on a décidé de discuter. Pourquoi et sur quel critère ?
Pierre Moscovici : Pour l’instant, on n’a rien décidé du tout. C’est la Commission qui a rendu un avis au mois de juin dernier dans lequel elle fixait effectivement six pays qui lui paraissaient plutôt prêts. Nous n’en sommes pas encore à la décision. La décision, c’est le Conseil européen qui la prendra le 12 décembre à Luxembourg et j’y insiste parce que je sais que dans les pays de l’Est, on a l’impression que quand la Commission a parlé, c’est dit. Non, c’est un simple avis.
C’est un avis éclairé, un avis objectif, un avis important, mais c’est au Conseil, c’est-à-dire l’instance politique, de prendre ses responsabilités. On a commencé à en parler hier puisque c’était le conseil affaires étrangères, mais en formation informelle. Ce que la France a dit c’est que, pour elle, le processus est un processus global, évolutif. Nous ne souhaitons pas qu’il y ait de fracture a priori. Nous ne souhaitons pas notamment que les pays qui ne seraient pas retenus, prenons par hypothèse quatre se sentent excluent du processus. C’est pour cela que nous proposons quelque chose de particulier que nous appelons la conférence européenne, qui serait une sorte de composante multilatérale, dans laquelle il y aurait les quinze États membres actuels, plus les dix, tous. Dans cette conférence, on pourrait parler d’absolument toutes les questions, de sécurité, de politique étrangère, mais aussi des questions économiques et sociales. Pour nous, c’est très important que des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, qui sont des pays amis, des pays francophones, s’ils n’étaient pas retenus dans la première phase de négociations bilatérales puissent être dans une phase multilatérale. Nous y insistons beaucoup et de plus, Hubert Védrine a insisté sur un autre point ce week-end qui est que, pour nous, l’élargissement ne doit pas être décidé comme cela. Il y a plusieurs échéances concrètes qui se posent l’an prochain, l’élargissement, l’agenda 2000, c’est-à-dire les négociations financières, combien coûte l’Europe ? Quel est son coût ? Et comment peut-on le maîtriser ? Aussi la réforme de la politique agricole commune, la réforme des fonds structurels, et nous avons dit à nos partenaires, attention, à Luxembourg, nous souhaitons toute de même une approche globale de tout cela. Nous n’allons pas signer un chèque en blanc.
RFI : Vous disiez à l’instant les quinze plus les dix, au sein de cette grande conférence, mais il y a aussi Chypre et la Turquie, laquelle pose un vrai problème car les Allemands ne sont pas prêts à la voir participer à cette conférence alors que vous y êtes très favorables. N’y a-t-il pas un problème stratégique de fond entre ceux, en Europe, qui veulent que la Turquie ne soit pas désespérée finalement de rester à la porte de l’Union européenne et ceux qui pensent qu’il faut lui dire tout de suite qu’elle n’a pas vocation à adhérer à l’Union européenne.
Pierre Moscovici : C’est vrai, je distingue Chypre et la Turquie parce que Chypre fait partie des six pays candidats proposés par la Commission. En plus, il y a déjà un engagement qui a été pris en 1995 avec Chypre d’ouvrir des négociations en 1998.
RFI : En revanche, la Turquie est sujet de discorde entre les Français et les Allemands.
Pierre Moscovici : Cela a été un sujet sur lequel on a débattu ; la France a proposé, non pas que la Turquie soit considérée comme un pays candidat comme les autres, parce qu’il y a des problèmes spécifiques, les droits de l’homme, la question chypriote, elle doit être réglée par toutes les parties prenantes. Il y a aussi toute la question kurde et tous ces sujets-là, lorsque nous rencontrons le ministre des affaires étrangères turc comme nous l’avons fait avec Hubert Védrine, quand nous rencontrons le Premier ministre turc comme nous l’avons fait avec Lionel Jospin, quand le Premier ministre turc rencontre Jacques Chirac, nous leur parlons de cela. Il y a des progrès à faire, ce n’est pas un candidat comme les autres. En même temps, nous ne souhaitons pas que ce pays se détourne de l’Europe. Il a, et c’est reconnu depuis trente-quatre ans, une vocation européenne et c’est pour cela que nous souhaitons l’héberger dans cette conférence européenne, il y aura donc quinze États membres, dix pays candidats, plus la Turquie qui aura un statut particulier et on a un débat amical avec nos amis allemands qui eux sont plutôt pour un traitement bilatéral de la Turquie qui consiste à leur dire que nous pensons qu’ils doivent être dans le cadre bilatéral avec encore une fois, l’idée d’arrimer la Turquie aux valeurs européennes et aussi aux valeurs laïques.
RFI : C’est amical mais c’est complètement conflictuel. Cela peut bloquer, à terme, la façon dont on va vers les négociations d’élargissement à l’Est ?
Pierre Moscovici : Aujourd’hui, c’est amical parce que nous en sommes encore au stade informel. Nous aurons une discussion qui doit aboutir à des conclusions le 12 décembre et notre position aujourd’hui, c’est que la Turquie doit faire partie de la conférence européenne que propose la France. C’est ce que Jacques Chirac a pu dire à Monsieur Yilmaz ; c’est ce que Lionel Jospin a dit à Monsieur Yilmaz tout en rappelant des conditions, des avancées nécessaires en Turquie. Si la Turquie veut un jour entrer dans l’Union européenne, elle devra se conformer à ce que l’on appelle les critères de Copenhague qui ont été fixés, eux comme les autres, qui sont à la fois des critères économiques et des critères politiques.
RFI : Sur l’Algérie, hier soir, vous avez eu votre franc-parler. Vous avez estimé qu’il y avait eu un recul de la démocratie à l’occasion des dernières élections municipales. Est-ce que votre collègue des affaires étrangères vous en a tenu rigueur ?
Pierre Moscovici : Non, nous nous étions entretenus auparavant. Il m’a rapporté ce qu’il s’était dit dans ce que l’on a appelé le Gymnich de Mondorf. Ce que j’ai simplement souligné, c’est qu’il semblait que les élections – je ne parle pas de la démocratie en général – s’étaient déroulées dans des conditions un peu moins bonnes que les élections présidentielles, par exemple. Beaucoup d’observateur l’ont noté.
Entretien avec « France Inter » - Extraits (Paris, 31 octobre 1997)
France Inter : Pierre Moscovici, la tempête boursière se calme peut-être, mais personne ne peut savoir aujourd’hui si elle ne reprendra pas la semaine prochaine. À chaque événement de caractère planétaire, on s’aperçoit que l’Europe est dans l’incapacité d’agir ou de réagir. À chaque fois, on nous dit : « attendez l’euro ! » Est-ce que vous avez le sentiment que lorsque l’euro sera installé, l’Europe pourra agir sur ce type de fluctuation des marchés ?
Pierre Moscovici : Je pense qu’elle sera davantage à l’abri. J’ai le sentiment que le krach a touché d’abord l’Asie, ensuite les États-Unis, et enfin, et seulement par répercussion, l’Europe qui a d’ailleurs été plutôt moins affectée que les autres. Et c’est assez logique d’ailleurs, puisque nous avons moins d’échanges avec l’Asie que, par exemple, les États-Unis. D’autre part, il n’y avait pas eu au cours des derniers mois, même si la bourse avait beaucoup monté, de mouvements spéculatifs aussi forts qu’aux États-Unis, ce qui a fait dire par exemple à Monsieur Greenspan, le gouverneur de la FED, la banque centrale américaine, qu’il y avait eu une correction qui pouvait être salutaire. Je pense que dans le fait que l’Europe ait été, encore une fois, très relativement épargnée, il faut voir une certaine consécration d’une entreprise de stabilisation des finances publiques, qui est faite depuis quelques années, et d’un assainissement financier qui fait que nous ne sommes pas en si mauvaise posture…
France Inter : Quand Monsieur Greenspan a parlé, dans l’heure qui a suivi, les marchés se sont calmés. Or, aucune autorité en Europe ne pouvait avoir ce poids.
Pierre Moscovici : C’est exactement ce que j’allais dire. Nous sommes dans des conditions pré-euro, c’est-à-dire que nous sommes dans une situation où il y a déjà une stabilité entre les monnaies, créant un environnement plutôt favorable. Et je pense que demain, quand il y aura l’euro, nous sentirons avec beaucoup plus de sécurité que nous ne pouvons pas spéculer entre les monnaies européennes. Le jour où il n’y a plus de lire, plus de livre, plus de mark, plus de franc, mais un euro, par définition, on ne peut pas les acheter les uns contre les autres, et c’est quand même un facteur très important de spéculation qui sera supprimé. Et, le jour où il y aura en plus une banque centrale européenne, et non plus des gouverneurs de banques centrales qui s’expriment chacun dans leur coin, la Banque centrale européenne sera administrée par un conseil dans lequel chaque gouverneur de la Banque centrale nationale figurera, avec le principe « un homme, une voix ». Ce jour-là, je pense qu’il y aura un interlocuteur aussi puissant que Monsieur Greenspan.
Tout cela me fait penser que l’euro sera un facteur de stabilisation fort, un facteur de lutte contre la spéculation fort, et qu’en fait on ne souffre pas de trop d’euro, de trop d’Europe, mais de pas d’assez d’Europe. Et j’ai envie de dire : « vive l’euro ! » et rapidement.
France Inter : Vous parlez comme vos prédécesseurs, pratiquement.
Pierre Moscovici : Je suis ministre des affaires européennes. C’est un point commun avec eux.
France Inter : Est-ce que vous êtes toujours aussi convaincu que l’euro se fera dans les délais ? Dans les pays européens, en Angleterre, mais aussi en Allemagne, notre partenaire privilégié, le sentiment anti-européen et anti-euro est de plus en plus important. Est-ce que vous croyez qu’on va le faire dans les délais impartis ?
Pierre Moscovici : J’en suis absolument convaincu. Je crois que la question n’est plus de savoir si nous allons faire l’euro dans les délais, si nous allons respecter les critères. Les critères seront respectés. Plus personne ne parle, y compris outre Rhin, de report de la monnaie unique, et je crois que ce serait vraiment un désastre, très honnêtement. Reporter, cela veut dire renoncer, en pratique. En effet, pourquoi supporterait-on encore quelques années des disciplines qui ont déjà été ressenties péniblement ?
Nous allons faire l’euro à temps ; nous allons le faire avec les conditions prévues par le traité de Maastricht. Je ne crois pas qu’il y ait de doutes là-dessus. La grande question, c’est : comment vit-on avec l’euro ? Est-ce que cette Banque centrale européenne a en face d’elle un interlocuteur politique qui dialogue avec elle ? Nous parlions d’un gouvernement économique, nous parlons maintenant d’un eurogroupe. Que vont dire les politiques ? Quel type de politique économique vont-ils mettre en place en face, parce qu’il n’y a pas que la politique monétaire ? Il y a aussi la politique budgétaire. Il n’y a pas que Monsieur Greenspan aux États-Unis. Il y a aussi Monsieur Clinton. Il faut qu’en Europe, il y ait également un pouvoir qui soit capable de dire comment réformer la fiscalité, et aussi quel est le taux de change de l’euro par rapport au dollar, toute une série de question absolument fondamentales. Il faut qu’il y ait cet équilibre en Europe. Je suis persuadé que c’est là l’enjeu.
France Inter : Et vous le voyez se dessiner, cet équilibre ?
Pierre Moscovici : Je pense que les thèses françaises ont plutôt progressé. À Amsterdam, dont on parle trop et mal, nous sommes arrivés à la signature du pacte de stabilité. Cela venait de nos prédécesseurs. Il n’y avait que cela. Nous avons obtenu la signature d’une résolution sur la croissance et l’emploi. Nous avons obtenu un sommet sur l’emploi qui se déroulera à Luxembourg, sur lequel je suis plutôt optimiste…
Question : J’ai lu dans la presse quelques-uns de vos propos, alors si vous les infirmez, tant mieux, mais vous n’attendiez pas grand-chose de cette réunion de Luxembourg ?
Pierre Moscovici : J’en attends au contraire beaucoup. Ce que j’ai dit, c’est que là-dessus, il fallait ni pessimisme excessif, ni optimisme béat. Le pessimisme, il faut l’écarter, parce qu’avant que ce sommet existe, il y avait un scepticisme extrêmement grand, voire une hostilité de la plupart de nos partenaires. L’idée progresse que l’Europe peut être active pour l’emploi, qu’on peut avoir demain des objectifs à Luxembourg, sur le chômage des jeunes, sur le chômage de longue durée, sur la formation, sur la formation tout au long de la vie. Nous pouvons avoir ces objectifs au même titre qu’hier, nous avons eu les critères de Maastricht, qui eux étaient des critères purement financiers, purement monétaires, perçus comme des contraintes.
Donc, pas de scepticisme : franchement cela progresse, cela progresse beaucoup. Hier à Nantes, j’organisais une rencontre avec les partenaires sociaux, qui sont très demandeurs et très ardents là-dessus. Et en même temps, il ne faut pas être excessivement optimiste, parce que si nous disions demain, après Luxembourg : nous passons de l’ombre à la lumière, nous allons tout de suite avoir des centaines de milliers de chômeurs en moins, qui nous croirait ?
Je crois qu’il y aura une étape très significative et un début de renversement de la construction européenne, un début de rééquilibrage. C’est cela qui fait l’originalité d’un gouvernement de gauche par rapport à un gouvernement de droite, y compris sur l’Europe.
France Inter : J’ai bien écouté les explications de Dominique Strauss-Kahn et des autres membres du Gouvernement concernés. J’ai du mal à croire quand même, après ce krach, notamment en Asie, où cela a été un vrai krach, que la situation pourra rester sans conséquence sur la croissance française, et les performances de notre économie, qui dépend beaucoup désormais des exportations. Ne va-t-on pas prendre dans quelques mois une vague de retour ?
Réponse : Je pense que Dominique Strauss-Kahn s’est exprimé, il y a deux, trois jours, avant que ce krach ait pris une forme définitive. J’aurais tendance à dire effectivement que si on se limitait à ce qui s’est produit cette semaine, il a raison, complètement. Il n’y a aucune raison pour que, d’une part, ce krach ait un impact sur la croissance mondiale, deuxièmement pour qu’un dérèglement sur la sphère financière, puisque c’est de cela qu’il s’agit, ait un impact sur l’économie réelle, c’est-à-dire sur la consommation, sur l’investissement des agents. Donc, il a raison d’avoir aujourd’hui une attitude parfaitement rassurante.
Cela dit, ce sont des événements imprévisibles, et ils peuvent reprendre. Tout cela est surveillé, jour après jour. Le rôle du Gouvernement, c’est d’agir de telle façon qu’il y ait une lutte contre la spéculation, que les anticipations soient calmées. De ce point de vue-là, l’attitude de Dominique Strauss-Kahn, comme des autres points de vue d’ailleurs, est absolument fondée. Nous verrons quand même ce qui peut se produire. Si ces dérèglements devaient persister, il pourrait alors y avoir des ajustements. Mais il n’y a aucune raison de le penser aujourd’hui, aucune raison sérieuse, aucune raison de jeter un alarmisme quelconque. Je pense au contraire que la situation est en voie de stabilisation.
France Inter : Pour l’instant, personne ne peut dire si la confiance existe dans les milieux financiers, si elle va permettre effectivement que cette croissance se manifeste totalement et pleinement.
Pierre Moscovici : On observe des mouvements erratiques qui vont désormais dans le sens de la correction désormais.
France Inter : Je voudrais en revenir au sommet de Luxembourg. C’est bien joli de dire qu’on va fixer des objectifs en matière d’emploi par exemple, mais si c’est le seul résultat, les gens ne vont pas y croire puisqu’on n’est pas capable en France de les tenir tous seuls. On ne voit pas pourquoi, on serait capable de les tenir en Europe.
Pierre Moscovici : Précisons de quoi il s’agit à propos de ces objectifs. Il ne s’agit pas de dire – la Commission voulait le faire, mais je crois que ce n’était pas sage – que nous allons réduire le chômage de 12 % à 7 % en Europe. Je pense que nous le ferons honnêtement, y compris pour des raisons démographiques, c’est-à-dire que nous allons voir arriver sur le marché du travail dans les cinq, sept années qui viennent, des classes beaucoup plus creuses.
Mais ce n’est pas ce qu’il faut faire, parce que l’opinion se souvient qu’on lui a dit à un moment donné : on va réduire le taux de chômage, on va se battre sur la crête de deux millions, ou alors on va supprimer l’autorisation administrative de licenciement, ça créera 400 000 emplois. Elle est habituée à ce que des approches trop globales aient été démenties par les faits. Ce que nous voulons faire au contraire, c’est mettre en place des critères qui soient opérationnels, des critères qui comprennent des programmes. Il faut qu’il y ait des objectifs communs, il faut qu’il y ait des politiques qui soient mises en place, et ensuite à chaque Nation de faire comme elle veut. Je vais prendre un exemple très pratique : le chômage des jeunes. Nous avons un plan pour l’emploi des jeunes, les Britanniques en ont un autre, qui n’a pas la même philosophie. Mais ce qui compte, c’est que chacun identifie le problème, qu’on dise voilà, le problème, c’est l’emploi des jeunes ; le problème, c’est le chômage de longue durée ; le problème, c’est le taux de jeunes formés dans la population. Le problème, c’est quelle éducation permanente avoir tout au long de la vie. Bref, il ne s’agit pas d’avoir des critères abstraits. Cela ne serait pas crédible, et d’ailleurs à juste titre. Il s’agit d’avoir des critères qui soient des critères de moyens, des critères opérationnels, qu’on puisse à chaque fois, associer un objectif et une politique, une politique européenne et une politique nationale.
France Inter : Et après, on voit celui qui réussit le mieux et on adopte ses remèdes, parce qu’entre la France et la Grande-Bretagne, le moins qu’on puisse dire, c’est le grand écart ?
Pierre Moscovici : Non, ce n’est pas le grand écart. Je conteste cela. Je crois qu’on sous-estime beaucoup ce qui se fait actuellement en Grande-Bretagne. On fait comme s’il n’y avait pas eu d’élections, alors qu’en fait, il y a un changement de nature du Gouvernement anglais. C’est un gouvernement qui était hier conservateur et anti-européen. Il est aujourd’hui progressiste et européen.
France Inter : Mesure de flexibilité c’est le mot magique, c’est ce que dit Monsieur Blair devant le congrès du New Labour.
Pierre Moscovici : J’ai bien lu son discours, qui était d’ailleurs un discours d’ambition, qui signifiait qu’en fait la Grande-Bretagne demain voulait être un leader en Europe, c’est-à-dire exactement le contraire de ce que faisait Madame Thatcher, qui voulait être leader, mais hors de l’Europe et tournée vers les États-Unis. Donc, il y a un renversement de perspective absolu.
France Inter : Mais tout de même, ils rentreront dans l’euro en 2002, 2002…
Pierre Moscovici : Je crois que, là aussi, c’est un exemple de ce qui est en train de se passer : la flexibilité, au sens anglais, n’est pas ce que l’on entend par flexibilité, au sens français. Pour eux, il s’agit de dire : nous avons insuffisamment de contenu éducatif, nous n’avons pas assez d’adaptation de la main-d’œuvre. Nous n’avons pas assez de contenu en formation. Cela n’est pas notre problème. Donc, si l’on parle d’autre chose, si l’on parle d’adaptabilité, bien que ce soit un barbarisme épouvantable ou d’employabilité, on peut arriver à des positions communes. Si la flexibilité signifie dérégulation ou dumping social, nous y sommes opposés.
France Inter : Donc, la bonne version pour la flexibilité selon Blair, c’est ce que vous dites ?
Pierre Moscovici : Et je crois d’ailleurs que c’est ce qu’il entend par là. Hier, son conseiller pour l’Europe était à Nantes et c’est très clairement ce qu’il a dit. C’est vrai que cela a un impact sémantique considérable. Lorsqu’en France, on entend « flexibilité », on sort son fusil, on n’a pas tort. Mais, ce n’est pas exactement ce que nous dit le Gouvernement anglais. Quant à l’euro, je vois le verre plutôt aux trois-quarts plein qu’aux trois-quarts vide, parce que c’est quand même la première fois qu’un gouvernement anglais dit : « oui, nous sommes dans l’Europe ; oui, nous voulons faire l’euro et nous nous mobilisons pour cela ». Et d’ailleurs, je trouve singulier qu’on ait une exigence par rapport aux Britanniques qui serait du style : vous dites aujourd’hui, on rentre dans l’euro, on le fait en six mois. Nous, cela fait cinq ans que nous avons voté pour le traité de Maastricht. Nous avons mis cinq ans à nous préparer, nous ne sommes d’ailleurs pas encore tout à fait prêts. Et nous leur demanderions de faire une sorte de « big-bang ». Ils ont besoin d’un peu de temps. Mais, je vous fais un pronostic. Ils vont décider plus tard que nous d’entrer dans l’euro, sûrement en 2002, mais ils nous rattraperont très vite, et je pense que la livre dans l’euro, c’est plutôt pour 2003 que pour 2005.
France Inter : D’ici leur entrée dans l’euro, ils vont peut-être faire une ou deux dévaluations compétitives, comme ils l’ont fait par le passé, histoire d’affaiblir un peu les partenaires et de rentrer dans les meilleures conditions ?
Pierre Moscovici : C’est votre côté anti-européen qui vous fait dire cela. Je ne vois pas vraiment l’intérêt pour eux de le faire. Et d’autre part, je vous rappelle que les critères de Maastricht existent et que cela suppose notamment une période de stabilité monétaire avant de rentrer dans l’euro. S’ils ne la respectent pas, ils n’entreront pas, évidemment.
À partir de ce moment-là, la logique c’est d’entrer dans ce qu’on appelle le SME bis, mais qu’il y ait quand même stabilité des monnaies. Donc, je suis plus optimiste que vous, peut-être parce que je suis plus pro-anglais.
France Inter : Je voudrais revenir à l’emploi. Manifestement la méthode choisie par le gouvernement Jospin, c’est-à-dire la réduction du temps de travail et également la création d’emplois publics pour les jeunes, laissent sceptiques nos partenaires européens. Les Allemands n’y croient pas du tout ; les Anglais, c’est la même chose ; ils prennent une voie assez différente. Est-ce que ça ne vous inquiète pas ? Est-ce qu’on pourra harmoniser les politiques de l’emploi ?
Pierre Moscovici : Cela ne m’inquiète pas car je vois dans leur discours – encore que ce soit dit de façon très cachée – une petite contradiction. Les Allemands, les Anglais nous disent que l’emploi est une politique nationale. Nous, nous disons « coordination », mais en fait nous menons notre politique. C’est bien une politique nationale. Ce sont les trente-cinq heures ; c’est l’augmentation du pouvoir d’achat ; c’est le plan pour l’emploi des jeunes. Nous demanderons à être jugés à l’aune de nos propres résultats. J’ajoute, que les trente-cinq heures, puisque l’on en parle beaucoup, sont, selon moi, « eurocompatibles », à partir du moment où il n’y a pas de perte de compétitivité pour les entreprises, ce qui est le cas. Les choses ont été présentées d’une façon très caricaturale. Il n’y a ni de couperet, ni de mesures automatiques, mais bel et bien une loi qui fixe une orientation et des incitations financières. Je suis persuadé qu’à partir du moment où la loi sera connue – et les chefs d’entreprises ont raison de le réclamer –, alors s’ouvrira une vague de négociations très importantes, et les trente-cinq heures apparaîtront comme ce qu’elles sont, c’est-à-dire un mécanisme souple, et un mécanisme d’incitation et non pas un mécanisme contraignant. On peut très bien faire les trente-cinq heures en Europe, et j’espère que nous pourrons convaincre nos partenaires que cela marchera.
(…)
France Inter : Mais, dans le conflit des routiers, est-ce que vous êtes spectateur, ou acteur ? Et notamment, en tant que ministre des affaires européennes, est-ce qu’il peut y avoir quelque chose de fait pour que cette profession, qui est complètement dérégulée de fait, redevienne un peu plus raisonnable, et que le droit, la législation sociale, la législation sur la sécurité ne soit pas violée continuellement ?
Pierre Moscovici : Vous avez raison, c’est pour cela qu’avec Monsieur Claude Gayssot, nous avons pris des initiatives cette semaine pour qu’auprès de la Commission, on soit capable d’examiner une harmonisation, qui soit une harmonisation sociale par le haut, et non par le bas, qui soit capable de tenir compte des intérêts des transporteurs routiers français et éviter qu’on aille beaucoup plus loin. La concurrence dans un libre marché, dans un grand marché intérieur, cela ne signifie pas l’harmonisation par le bas. Si l’Europe n’était que cela, elle ne serait pas le bon modèle. Et c’est pourquoi nous nous battons. Nous nous battons pour ces valeurs-là. Et il faut qu’on sache que c’est la responsabilité des pouvoirs publics et qu’ils l’assument complètement. Il y aura d’ailleurs des réunions qui seront organisées à ce sujet-là au niveau de la Commission.
Cela ne résout pas le problème d’aujourd’hui.
(…)
France Inter : S’il y a un dossier sur lequel les hommes politiques français s’avancent à pas comptés, feutrés, discrets, c’est bien le dossier de l’Algérie. Personne ne veut dire aux Algériens clairement : vous dirigez un État qui n’est pas une démocratie ; l’État de droit n’existe pas en Algérie ; les élections que vous avez menées n’ont pas été dans le sens démocratique, etc. Il n’y a pas que les « barbus » qui assassinent. L’État est aussi un État assassin dans bien des cas. On commence à en avoir sinon des preuves, du moins des indices terribles. Alors, est-ce que le moment n’est pas venu de commencer à être plus direct, quitte à se voir « sonner les cloches » par les ministres algériens et par le président algérien, qui parle d’ailleurs tout à l’heure ? Est-ce qu’il n’est pas temps, pour les Français, d’avoir des hommes politiques qui leur disent : oui, nous pouvons lancer un appel solennel à l’État algérien pour qu’il accepte, sinon une négociation, du moins de regarder ce qui peut se faire avec d’autres, comme les Français qui connaissent bien l’Algérie ? Arrêter la guerre civile, en clair.
Pierre Moscovici : La situation est, quand même, éminemment complexe. Tout le monde peut avoir son opinion là-dessus, et chacun d’ailleurs, à la sienne, à titre personnel. Les partis politiques aussi s’expriment sur ce sujet. Ils ont, je crois tout à fait, leur mot à dire.
En même temps, je suis ministre d’un gouvernement, face à une situation extraordinairement complexe, que chacun doit comprendre. La première chose est de s’interroger pour savoir quelles sont les alternatives à la situation présente. Elles ne sont nullement évidentes.
Je pense encore une fois que ce n’est pas à la France – l’Algérie, ce n’est plus la France – de s’ingérer dans les affaires intérieures de ce pays.
Cela dit, nous exprimons chaque fois que nous le pouvons, et chaque fois que nous le devons, notre horreur devant ce qui se passe, devant le cycle de violence, devant le terrorisme, notre solidarité avec le peuple algérien, notre détermination de les aider, de les aider notamment sur le plan économique, sur le plan de la coopération. Nous suivons le processus démocratique qui se déroule. Nous en dénonçons, à l’occasion, les insuffisances. Nous souhaitons qu’il y ait des améliorations.
Je pense, en même temps, qu’il faut avoir une démarche prudente, et aussi, une démarche européenne.
De ce point de vue-là, le fait qu’il y ait une rencontre prévue fin novembre entre le ministre des affaires étrangères algérien et le président du Conseil actuel, Monsieur Poos, le fait qu’on en ait parlé, ce week-end à Mondorf, prouve que nous sommes concernés, et que peut-être de façon discrète, mais de façon réelle, nous agissons.
France Inter : Alors, les Européens font passer des messages au pouvoir algérien ?
Pierre Moscovici : Vous avez lu ce qui s’est passé ce week-end à Mondorf. Vous savez qu’une réunion est prévue. Elle n’est pas prévue pour faire passer des messages. Nous n’avons pas à les morigéner. Encore une fois, nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures. Nous sommes en train d’essayer de voir comment l’Europe et la France peuvent contribuer à améliorer la situation.
C’est cela notre responsabilité d’État. Ce ne peut pas être d’exprimer tel ou tel sentiment, telle ou telle colère, à partir d’analyses qui demandent très souvent à être confirmées, qui sont parfois aussi infirmées.
France Inter : Jack Lang organise le 10 novembre une grande soirée de solidarité avec l’Algérie. Vous trouvez que c’est une bonne initiative ? Est-ce que vous pensez que le Gouvernement devrait être à l’initiative de ce genre de manifestation populaire ?
Pierre Moscovici : Le Gouvernement n’est pas à l’initiative de ce type de manifestation. Il a l’attitude qui est celle que je viens de décrire, qui est une attitude avant tout de non-ingérence et de recherche de solutions pratiques, dans le cadre français et dans le cadre européen, en liaison avec les Algériens, et aussi, en comprenant ce que fait le Gouvernement, parce que le processus institutionnel est tout de même en progrès, même si ces progrès sont notoirement insuffisants. Donc, nous n’avons pas de leçon à donner. Nous ne le voulons pas. Pour le reste, que des partis politiques s’expriment, que des hommes politiques s’expriment, que des parlementaires s’expriment, c’est leur affaire.
France Inter : Est-ce que sur cette affaire, la cohabitation fonctionne bien ?
Pierre Moscovici : La cohabitation en matière de politique étrangère, je crois, fonctionne sans aucun accroc.
France Inter : Lionel Jospin est allé à Moscou. Tous les observateurs qui l’accompagnent semblent noter que Monsieur Jospin est tout à fait maître de son verbe et n’apparaît pas du tout comme un Premier ministre sous la houlette du président de la République en matière de politique étrangère. Est-ce que cela ne risque pas de gêner Monsieur Chirac ?
Pierre Moscovici : Vous me permettez quelques observations générales ?
La première, c’est que Lionel Jospin s’intéresse depuis longtemps et de façon passionnée aux relations internationales. Il est diplomate de formation.
La deuxième, c’est qu’il n’a jamais cru à la thèse du domaine réservé. Il s’est toujours exprimé avec une grande clarté en parlant d’un domaine partagé.
La troisième, c’est que nous sommes dans une cohabitation d’un type particulier, mais où très clairement on parle de tout et librement.
Et la quatrième, c’est que nous avons affaire à un homme d’État qui peut très bien s’exprimer à l’étranger comme il l’entend.
J’ai accompagné le président de la République à Moscou, et je n’ai pas eu non plus l’impression qu’il se sentait embarrassé par rapport au Gouvernement. Ce qui est bien normal puisque c’est le président de la République et qu’il représente la France à l’étranger.
France Inter : Et la cinquième, c’est peut-être que la gauche n’applique pas tout son programme en matière de politique étrangère. Je pense notamment à la coopération. Cela ne bouge pas beaucoup.
Pierre Moscovici : Attendez un peu. Nous avons pris des engagements en la matière. Nous avons pris une décision qui est importante : c’est que le secrétariat d’État à la coopération soit rattaché aux affaires étrangères.
Et par ailleurs, le secrétaire d’État, Charles Josselin a annoncé lui-même une réflexion qui est en cours sur les structures du ministère. Croyez-moi, les choses sont en train de changer. On le verra. Cela dit, c’est un sujet de cohabitation, vous avez raison de le suggérer en filigrane.
France Inter : Est-ce que cette cohabitation en matière de politique étrangère ne marche pas trop bien ?
Pierre Moscovici : Le président de la République est un homme qui a une grande chaleur humaine, qui est sympathique, et qui, en plus, est respectueux de ses ministres que, je crois, il apprécie sur un plan personnel.
Je pense qu’il les apprécie aussi sur un plan professionnel, ce qui n’est pas désagréable pour le ministre en question.
En même temps, les choses sont très claires : cette cohabitation n’est ni complicité, ni hostilité. Nous sommes dans un rapport de travail qui me paraît parfaitement normal, et je pense qu’il vaut mieux pour tout le monde, notamment pour l’image de la France à l’étranger, être capable de présenter un front uni.