Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, et interviews à "Eesti Paevaleth" et "Estonia", sur les relations entre la France et l'Estonie, la proposition d'une conférence européenne pour négocier les demandes d'adhésion à l'Union européenne et le soutien de la France à l'entrée de l'Estonie dans l'Union européenne, Tallinn le 4 décembre 1997.

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Circonstance : Voyage de M. Moscovici en Estonie, Lituanie et Lettonie du 3 au 6 décembre 1997-en Estonie les 3 et 4

Média : Eesti Paevaleth - Estonia

Texte intégral

Conférence de presse conjointe du ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, et du ministre estonien des affaires étrangères, M. Toomas Hendrik Ilves – propos du ministre délégué, à Tallinn. 4 décembre 1997

Cela fait plusieurs fois maintenant que nous nous rencontrons : le 28 octobre à Paris. Hier soir, le ministre nous a offert un dîner très amical et convivial. Nous avons eu un entretien officiel ce matin. Et je voudrais commencer par là, en disant que j'ai été reçu, ici, en Estonie, de façon exceptionnelle, puisque j'ai eu le privilège de rencontrer, outre M. Ilves, le chef de la diplomatie, le Premier ministre, le président de la République, dont la francophonie et la francophilie ne sont plus à vanter (nous avons eu un entretien pratiquement en tête à tête en français, et sans interprète, bien que nous ayons eu toute la journée une excellente interprète), le président du Parlement, le président de la Commission des affaires étrangères. Tout cela veut dire que cette visite a été honorée par les Estoniens, ce qui prouve l'attention que vous apportez à la fois aux relations bilatérales entre la France et l'Estonie et au rôle futur que vous entendez jouer dans l'Union.

J'évoquerai successivement deux points : les relations bilatérales et l'Union européenne.

Sur le plan bilatéral, je dirai que, politiquement, nos relations sont exceptionnelles, très bonnes. Le président Meri s'est rendu en France au début de l'année. M. Ilves est venu également en France. Me voilà aujourd'hui en Estonie. Un des premiers pays que je visite parmi les pays candidats. Il y a là tout un flot d'échanges qui veulent dire que nous avons l'intention de nous rapprocher encore. Et je rentre à Paris avec une invitation confirmée de M. Meri au Président Chirac. Je transmettrai le message, bien entendu, l'invitation au président de la République de venir en Estonie. Ces relations politiques sont le signe d'une relation très forte.

Elles sont fortes sur le plan culturel. Et je me réjouis que bientôt nous soyons à même de signer des accords sur le centre culturel, parce que c'est par la culture, c'est par le partage de la langue, c'est par le développement de l'enseignement, de l'enseignement des jeunes, mais aussi de l'enseignement des fonctionnaires, qu'on va pouvoir intégrer d'avantage les relations entre la France et l'Estonie.

Ces relations sont plus difficiles sur le plan économique, plus décevantes, je dirai. La France n'est que le treizième fournisseur de l'Estonie, même si ces statistiques sont à relativiser parce que certains flux passent par la Suède ou par la Finlande. Mais c'est une position insuffisante que de ne représenter que 1,8 % du commerce extérieur estonien.

Aujourd'hui a été signé un important contrat par la Sagem. Je m'en réjouis. C'est vrai que des hommes d'affaires m'accompagnaient, de Matra, de la Société générale, donc de l'industrie et du système bancaire. Je crois qu'il est très important que nous renforcions ces échanges commerciaux, industriels, financiers, économiques.

Il faut, pour cela, à la fois que l'Estonie se fasse mieux connaître en France et que la France se fasse mieux connaître en Estonie, sans doute pour mettre en place des systèmes publics qui aident les investisseurs. Il faut aussi que les chefs d'entreprises français fassent ce que ceux qui m'ont accompagné ont fait, c'est-à-dire qu'ils prennent leur bâton de pèlerin et viennent ici pour se convaincre. Mais c'est quand même un message important. L'Estonie sera demain, je vais y revenir, un pays de l'Union européenne. Il ne serait pas normal que son commerce ne se développe pas considérablement avec un des grands pays de l'Union qu'est déjà la France.

Quelques mots sur l'Europe. Je crois que c'est peut-être là où je suis le plus attendu. Ma visite est une visite des trois États baltes. Je commence aujourd'hui par l'Estonie. Je vais tout à l'heure, dans quelques minutes en Lituanie, puis en Lettonie. Et j'ai un message un peu compliqué à faire passer, même s'il est simple pour l'Estonie.

C'est celui de la conception française de l'élargissement de l'Union.

Nous pensons que tous les États candidats à l'Union ont vocation à adhérer. Je dis bien tous. Donc, un processus d'adhésion qui mette tout le monde sur la même ligne de départ. Que chacun ait sa chance. C'est pour cela par exemple que nous souhaitons qu'il y ait une composante multilatérale de !'élargissement qui serait une Conférence européenne, dans laquelle tous les États puissent parler des problèmes économiques, des problèmes de sécurité, des problèmes de drogue, des trafics de drogue, et nous attachons beaucoup d'importance à ce projet français. Nous souhaitons que pour tous les pays, il y ait des stratégies d'adhésion qui soient mises en place. Mais en même temps, nous reconnaissons que certains pays sont un peu plus avancés que d'autres, qu'ils ont déjà conduit des processus de réforme qui sont un peu plus aboutis. Et donc, nous reconnaissons qu'il est possible qu'il y ait une différenciation sous forme de négociations d'adhésion sous une forme plus rapide pour un certain nombre de pays.

De ce point de vue-là, la liste qui a été donnée par l'avis de la Commission publiée cet été, au mois de juillet, une liste de cinq pays plus un, avec Chypre, que je laisse un peu de côté, car son statut est plus complexe, nous paraît être une bonne base de travail pour Luxembourg la semaine prochaine. Et cela signifie que, si les Quinze en ont décidé ainsi, la semaine prochaine, l'Estonie pourrait se voir reconnaître le droit à l'ouverture de négociations pour l'Union européenne. Ce sera la position de la France. Elle sera exprimée clairement. Elle vise à dire à la fois que personne n'est exclu et tout le monde est concerné. Et en même temps, par réalisme, il faut que l'on puisse commencer un processus plus rapide avec cela.

Voilà, c'est une position extrêmement claire. L'Estonie peut compter sur le soutien de la France, mais cela n'est pas un soutien qui s'exprime contre les autres États baltes. Nous voulons que les trois appartiennent un jour prochain à l'Union européenne, même si l'Estonie a aujourd'hui, comme on dit en sport, une longueur d'avance.

J'ajouterai quelques mots. Le premier, c'est que commencer des négociations, ce n'est pas les conclure. Il ne faut pas tout confondre.

Donc, il y a encore des efforts à faire. Cela prendra du temps. Et nous connaissons ces efforts. Il faut poursuivre les réformes structurelles. Il faut être capable de se mettre complètement en conformité avec les exigences du marché intérieur. Il faut améliorer la situation de la minorité russophone. Il faut aussi, mais ce n'est pas une condition, que les relations avec la Russie soient stabilisées, car le jour où votre pays sera dans l'Union européenne, l'Estonie deviendra une frontière extérieure de l'Union. Il faut que tout cela soit garanti.

Alors, cela prend du temps. La Commission va y travailler. Le Conseil va y travailler. Et ces années qui nous attendent sont des années de négociations.

Vous avez beaucoup d'atouts, c'est certain. C'est pour cela d'ailleurs que des négociations s'ouvrent en même temps, l'adhésion aura lieu... je ne sais pas, dans trois ans, quatre ans, cinq ans… Il ne faut pas être pressé.

Il faut faire les choses correctement. Mieux vaut une adhésion qui prend un peu de temps et qui est réussie qu'une adhésion prématurée qui serait un échec. Donc, je crois qu'il faut faire cela avec beaucoup de détermination et en même temps beaucoup de sérénité.

Et mon dernier mot est pour les institutions européennes. Je dois rappeler la position française. Il ne pourra pas y avoir de conclusion d'un nouveau traité d'adhésion s'il n'y a pas au préalable de réforme des institutions européennes. Ce n'est pas un problème des pays candidats.

Des négociations doivent s'ouvrir. Elles doivent se poursuivre normalement. Mais pour les pays candidats eux-mêmes, il est indispensable que les institutions aient été réformées auparavant. Parce que votre intérêt, c'est d'entrer demain dans une Europe qui marche, qui fonctionne, qui peut décider. Voilà, pour résumer, le message.

J'ai conscience qu'il est compliqué. La semaine prochaine à Luxembourg, l'Estonie sera admise, j'en fais le pari, à ouvrir des négociations avec l'Union européenne. C'est sans doute le principal, et pour cela, il faut compter sur le soutien de la France dans ce Conseil européen.

Question : M. Moscovici, à présent, en Estonie, il y a plus de 100 000 citoyens russes et près de 300 000 personnes qui n'ont aucune citoyenneté. Est-ce que l'Union européenne ne s'inquiète pas de cette situation ? Est-ce que vous pouvez préciser l'approche de la France sur ce problème ?

Réponse : Je m'excuse de ne répondre qu'à une question, mais je pars pour la Lituanie, j'ai rendez-vous avec le président Brazauskas. Je ne voudrais pas commencer cette visite par un « incident diplomatique ». Il pourrait croire que notre préférence pour l'Estonie est trop forte.

Je réponds vite à la question, donc ! L'adhésion à l'Union européenne doit obéir à des critères, qui sont les critères fixés à Copenhague en 1993. Ce sont des critères de nature économique. Il faut effectivement être capable de se conformer de façon la plus adéquate aux règles du marché intérieur. Il faut avoir fait les réformes administratives et des structures nécessaires. Par ailleurs, il y a des critères politiques. Il s'agit que les pays qui adhèrent à l'Union soient des démocraties achevées. C'est quelque chose qui a toujours été un point commun aux pays de l'Union européenne. C'est, par exemple, au nom de ce critère-là qu'un pays comme la Slovaquie n'a pas été admis à négocier d'emblée.

Je ne veux pas en quoi que ce soit m'ingérer dans les affaires estoniennes. Je crois que le gouvernement estonien est conscient que la situation de la minorité russophone fait partie des sujets qu'il faudra traiter pour entrer dans l'Union européenne. Je ne veux, ni ne peux, en dire plus, mais je signale quand même que cela n'a pas été considéré par la Commission, et que cela n'est pas considéré par nous, comme un problème suffisamment majeur pour qu'il n'y ait pas de négociations d'adhésion. Mais, il faudra le résoudre, bien sûr.

 

Entretien du ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, avec le quotidien estonien « Eesti Paevaleth », à Tallinn - 4 décembre 1997

Eesti Paevaleth : Quelle est la position française sur la question de l'élargissement ?

Pierre Moscovici : Nous voulons l'élargissement. Il n'y a pas la moindre réserve sur ce projet, qui constitue un défi historique majeur. Et nous voulons un élargissement réussi. Il y a plusieurs éléments pour garantir le succès de ce processus. Nous avons fait des propositions.

D'abord l'élargissement est une démarche globale qui s'adresse à l'ensemble des pays candidats, à l'ensemble des pays dont la vocation européenne a été reconnue. C'est pourquoi nous avons proposé l'idée d'une conférence européenne qui serait l'expression multilatérale de l'élargissement, un cadre de dialogue et de coopération dans lequel nous nous retrouverions tous – les Quinze et l'ensemble des pays candidats – tout de suite. Cette conférence est tout à fait importante, pour nous, elle est le lieu où tous les pays, qui partagent désormais une communauté de destin prennent ensemble leurs affaires en mains. C'est-à-dire s'efforcent de mettre en œuvre des coopérations nouvelles sur tous les terrains de commun intérêt ; ce peut être des questions de sécurité, de lutte contre tous les trafics, des questions commerciales, de développement d'infrastructures, des questions environnementales, bref de tous les dossiers, même économiques, qui intéressent directement tous les pays d'Europe. En même temps, des différences existent et existeront entre l'état de préparation des uns et de autres. C'est un constat de réalisme. Avec les pays qui seront prêts, il faut ouvrir les négociations d'adhésion. Mais il ne s'agit pas d'une distribution des prix, ce n'est pas une sélection close, il faut au contraire garder une attitude ouverte, souple et pragmatique, de telle sorte que les évolutions à venir puissent être prises en compte, que tous les pays soient encouragés à poursuivre leurs efforts.

Eesti Paevaleth : Est-ce qu'une réforme interne de l'Union est nécessaire avant l'élargissement ?

Pierre Moscovici : Oui, avant le prochain traité d'adhésion. C'est ce que nous appelons le « préalable institutionnel ». Je voudrais faire toute la clarté sur cette question décisive, mais qui a pu susciter, ici ou là, quelques malentendus. Nous voulons une réforme des institutions. C'était, pour nous, un objectif central de la dernière Conférence intergouvernementale. Pourquoi ? Parce que, au fil des élargissements successifs, les institutions prévues pour Six n'ont suffisamment pas évolué. Aujourd'hui, à Quinze c'est extrêmement difficile, le processus de décision est enlisé. Élargir, à dix-huit, vingt ou plus, sans réformer c'est choisir le risque de la paralysie. Personne n'y a intérêt, ni les États membres ni les futurs États membres. Je milite pour une Europe capable d'affirmer son identité, de mettre en œuvre ses politiques communes, de peser sur les grandes questions internationales. Bref, pour une Europe qui marche, c'est-à-dire qui décide.

Nous souhaitons une réforme qui s'articule autour de trois points. Une Commission réduite retrouverait son rôle d'organe collégial de proposition. Le vote à la majorité qualifiée doit être étendu pour alléger le processus de décision. Cela serait d'autant plus facilité que les États membres retrouveraient au sein du Conseil un poids plus conforme aux réalités économiques et démographiques. Cette réforme, qui répond à une double exigence d'efficacité et de démocratie, est simple. Des discussions ont déjà eu lieu sur ce dossier. Il me paraît possible de régler cette question dans des délais raisonnables, c'est-à-dire rapprochés.

Quand je parle de « préalable institutionnel », cela signifie que nous voulons aboutir à un accord avant la signature du prochain traité d'adhésion. Ce n'est pas une condition au lancement du processus d'élargissement.

Eesti Paevaleth : Est-ce que la France approuve l'avis de la Commission de n'entamer des négociations d'adhésion qu'avec cinq des candidats d'Europe centrale et orientale ? En d'autres termes, est-ce que les États membres sont déjà parvenus à une position commune sur cette question, ou bien y arriveront-ils d'ici Luxembourg ?

Pierre Moscovic : Nous avons dit, dès le mois de juillet, à propos de l'avis de la Commission que c'était un travail sérieux et éclairé. Nous avons dit aussi que la décision serait prise au Conseil de Luxembourg, par les chefs d'État et de gouvernement. Dans quelques jours, ils lanceront le processus d'élargissement. C'est une décision historique.

Je suis convaincu que la question centrale n'est pas la liste mais la démarche adoptée pour le processus d'élargissement. Certains partenaires ont, un temps, pensé que les négociations devaient s'ouvrir avec tous les pays candidats à la fois. Je crois que cette position n'est pas réaliste. D'abord cette position ne serait pas conforme aux engagements que l'Union a pris à Copenhague, en définissant des critères qui sont des exigences minimales pour ouvrir les négociations, ensuite elle ne serait pas praticable : discuter avec tout le monde c'est négocier avec personne.

Eesti Paevaleth : Si, au Sommet de Luxembourg, les États membres décident de suivre l'avis de la Commission européenne, quel « lot de consolation » la France propose-t-elle pour les pays qui ne feront pas partie du premier cercle de négociations ?

Pierre Moscovici : Le dialogue, la coopération avec l'Union européenne ne se réduisent pas aux négociations d'adhésion : les accords d'association seront renforcés ; il y aura mise en place de stratégies de pré-adhésion. La Conférence européenne sera lancée. Donc dans tous les cas, quelle que soit la décision du prochain Conseil européen de Luxembourg quant à la liste, les relations entre l'Union et les pays candidats seront plus intenses, au niveau bilatéral, comme au niveau multilatéral.

Les choses doivent être bien claires. Les Onze sont sur la même ligne de départ et il y aura avec tous des pré-négociations, des pourparlers préparatoires si vous préférez. Quant à ceux qui seront mieux préparés, il y aura les négociations d'adhésion, sur un rythme plus soutenu. Personne n'a besoin d'être « consolé ». L'Union va s'élargir et tous les pays candidats feront partie de l'Union élargie. Les négociations d'adhésion vont s'ouvrir avec quelques pays, puis avec d'autres plus tard, la conclusion de ces négociations dépendra des mérites propres et de l'état de préparation de chacun des pays candidats. Rien n'est décidé à l'avance.

Eesti Paevaleth : Au cas où l'Estonie serait seule parmi les Baltes à être invitée à commencer les négociations d'adhésion, est-ce que, d'après vous, la coopération interbalte s'en trouverait affaiblie ? Est-ce qu'une fracture risquerait de se créer entre l'Estonie, d'une part, et la Lettonie et la Lituanie, d'autre part, en matière d'investissement notamment ?

Pierre Moscovici : L'approche que nous défendons et qui s'articule autour de la Conférence européenne vise précisément à ne pas provoquer de fracture entre les pays candidats. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont des pays différents, et ils appartiennent à une même région. Il y a une spécificité balte et je reconnais que nous nous sommes interrogés sur le choix d'un État balte, plutôt que trois. D'autres ont pu se demander pourquoi un État balte plutôt qu'aucun ! Il me semble que la proposition de la Commission doit être comprise comme un signe positif pour l'ensemble des pays baltes.

Encore une fois, même si les négociations d'adhésion ne s'ouvriront qu'avec les pays qui sont le mieux préparés, la dynamique d'intégration à l'Union se renforce pour l'ensemble des pays candidats. Dans un tel contexte, je ne vois pas pourquoi la coopération interbalte s'affaiblirait, c'est le contraire qui devrait se produire. Je crois que la logique est la même pour les investissements étrangers. D'ailleurs mon déplacement dans les trois pays baltes, durant lequel j'ai souhaité être accompagné par des hommes d'affaires, illustre cette conviction.

Eesti Paevaleth : Selon vous quelles sont les lacunes que l'Estonie doit encore combler, ou les problèmes qu'elle doit encore régler pour atteindre le « niveau requis » pour l'adhésion ?

Pierre Moscovici : À la suite de l'avis publié par la Commission en juillet dernier, qui constitue un instrument d'évaluation très précieux, les autorités estoniennes ont élaboré un plan d'action interministériel destiné à pallier les manquements constatés. Je ne vous apprendrai rien, si je cite, de mémoire, la nécessaire reprise de l'acquis dans les domaines économiques, du troisième pilier et de l'environnement, notamment, la formation des fonctionnaires, l'accélération du rythme de naturalisation des « non-citoyens »... Tous ces éléments seront discutés dans le cadre des négociations d'adhésion. Je crois qu'il faut dire que les négociations d'adhésion ne sont pas une formalité, c'est au contraire un exercice difficile, parce que de leur succès dépend une bonne intégration. Ces négociations, visent, à mon sens, à permettre aux pays concernés, de reprendre intégralement l'acquis communautaire. Sur cette voie, nous leur apporterons notre soutien déterminé.

Nous ne voulons pas d'une Union diluée ou de membre de seconde catégorie, personne n'y a intérêt. Je suis convaincu que l'Estonie partage ce point de vue.

 

Entretien du ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, avec le quotidien estonien russophone « Estonia », à Tallinn. 4 décembre 1997

Estonia : Quelle analyse fait la France de la situation et des perspectives de développement futur de l'Union européenne ?

Pierre Moscovici : Les mois et les années qui viennent sont marqués par des échéances cruciales pour l'Union européenne : la réalisation de l'Union économique et monétaire, la réforme des institutions européennes, le processus d'élargissement et la redéfinition des politiques communes. Ces rendez-vous sont décisifs parce que ils vont modeler l'Europe à venir probablement plus qu'aucun autre jusqu'à cette date.

Ces décisions majeures seront prises dans très peu de temps. D'ici à quelques jours, le Conseil européen de Luxembourg, le 12 décembre, lancera le processus d'élargissement. D'ici à quelques mois, un autre Conseil européen, le 2 mai, arrêtera définitivement la liste des pays de l'Union qui partageront une monnaie unique. Ces deux événements ont une portée historique au sens littéral du terme.

Dans les deux cas, c'est la personnalité politique de l'Union qui se renforce. Le processus d'élargissement, dont l'objectif est l'adhésion à l'Union de tous les pays candidats, est la réponse politique logique à la nouvelle configuration de l'Europe issue de la fin de la guerre froide et de la disparition de l'Union soviétique. Désormais les peuples et les pays d'Europe partagent une communauté de destin. C'est à ce constat que correspond la nécessité de l'élargissement. En même temps nous construisons une Union économique et monétaire, dont la visée politique, au-delà de l'achèvement économique que constitue la monnaie unique, est de tremper définitivement l'unité de l'Europe. À cet égard, je suis convaincu que les pays candidats devront à terme se poser la question de la monnaie unique.

Ainsi notre projet est double, nous voulons à la fois une Europe de la croissance et de l'emploi, une Europe sociale, fidèle à son modèle, et une Europe de la paix et de la sécurité, persévérante dans ses idéaux. Je suis convaincu que ce projet européen répond aux aspirations des citoyens et des peuples d'Europe.

Estonia : Quelle est l'approche française du processus d'élargissement ?

Pierre Moscovici : Nous voulons l'élargissement. Il n'y a pas la moindre réserve sur ce projet, qui constitue un défi historique majeur. Et nous voulons un élargissement réussi. Il y a plusieurs éléments pour garantir le succès de ce processus. Nous avons fait des propositions.

D'abord l'élargissement est une démarche globale qui s'adresse à l'ensemble des pays candidats, à l'ensemble des pays dont la vocation européenne a été reconnue. C'est pourquoi nous avons proposé l'idée d'une conférence européenne qui serait l'expression multilatérale de l'élargissement, un cadre de dialogue et de coopération dans lequel nous nous retrouverions tous – les Quinze et l'ensemble des pays candidats – tout de suite. Cette conférence est tout à fait importante, pour nous, elle est le lieu où tous les pays d'Europe prennent ensemble leurs affaires en mains. C'est-à-dire s'efforcent de mettre en œuvre des coopérations nouvelles sur tous les terrains de commun intérêt ; ce peut être des questions de sécurité, de lutte contre tous les trafics, des questions commerciales, de développement d'infrastructures, des questions environnementales, bref de tous les dossiers, même économiques qui intéressent directement tous les pays d'Europe. En même temps des différences existent et existeront entre l'état de préparation des uns et de autres. C'est un constat de réalisme. Avec les pays qui seront prêts, il faut ouvrir les négociations d'adhésion. Mais il ne s'agit pas d'une distribution des prix, ce n'est pas une sélection close, il faut au contraire garder une attitude ouverte, souple et pragmatique, de telle sorte que les évolutions à venir puissent être prises en compte, que tous les pays soient encouragés à poursuivre leurs efforts.

Estonia : Mais faut-il commencer les négociations à 5 + 1 ou y a-t-il une autre hypothèse ?

Pierre Moscovici : La décision sera prise dans quelques jours par le Conseil européen. Ce qui compte, me semble-t-il, c'est la démarche adoptée pour le processus d'élargissement et pour l'adhésion. Les choses doivent être claires. Les « Onze » sont sur la même ligne de départ, et des stratégies de pré-adhésion, des sortes de pré-négociations, seront développées avec tous. Avec les pays les mieux préparés nous ouvrons des négociations d'adhésion aussitôt, sur un rythme plus soutenu. Il est vrai que certains partenaires ont, un temps, pensé que les négociations d'adhésion devaient s'ouvrir avec tous les pays candidats à la fois. Cette position n'a pas été jugée réaliste : discuter avec tout le monde c'est ne négocier avec personne.

Estonia : Quelle appréciation la France porte-t-elle sur l'état de préparation de l'Estonie à entamer les négociations d'adhésion ?

Pierre Moscovici : L'avis publié par la Commission en juillet dernier constitue, comme vous le savez, un instrument d'évaluation très précieux. C'est d'ailleurs, me semble-t-il, en tenant compte de ce document, que les autorités estoniennes ont élaboré un plan d'action interministériel destiné à pallier les manquements constatés. Je ne vous apprendrai rien, si je cite, de mémoire, la nécessaire reprise de l'acquis dans les domaines économiques, du troisième pilier et de l'environnement, notamment, la formation des fonctionnaires, l'accélération du rythme de naturalisation des « non-citoyens »... Tous ces éléments seront discutés dans le cadre des négociations d'adhésion. Je constate, en même temps, que la forte cohérence de la politique économique mise en œuvre par l'Estonie porte ses fruits, tant en termes de stabilisation macro-économique que de mise en place d'une économie de marché. Le processus de privatisation a été conduit rapidement et avec détermination, les investissements étrangers sont importants.

Je crois qu'il faut dire que les négociations d'adhésion ne sont pas une formalité, c'est au contraire un exercice difficile, parce que de leur succès dépend une bonne intégration. Ces négociations visent, à mon sens, à permettre aux pays concernés de reprendre intégralement l'acquis communautaire. Sur cette voie, nous leur apporterons notre soutien déterminé.

Nous ne voulons pas d'une Union diluée ou de membre de seconde catégorie, personne n'y a intérêt. Je suis convaincu que l'Estonie partage ce point de vue.

Estonia : Quel est votre point de vue sur le rôle et la place de la Russie dans l'Europe de demain, et dans quelle direction s'orientent les relations entre la Russie et l'Union européenne ?

Pierre Moscovici : À la veille de mon arrivée en Estonie, et de mon déplacement dans les pays baltes, l'accord de partenariat entre la Russie et l'Union européenne est formellement entré en vigueur ce 1er décembre. C'est une coïncidence, mais j'y vois aussi le symbole d'une volonté politique claire de l'Union. La Russie et l'Union européenne sont des partenaires économiques et politiques majeurs et privilégiés. Ils le sont aujourd'hui et doivent l'être demain plus encore.

Le processus d'élargissement est une responsabilité que l'Union a prise dans la configuration nouvelle que j'évoquais, il y a un instant. Ce n'est pas une machine de guerre ni économique, ni politique. Nous ne déplaçons pas la frontière entre l'Est et l'Ouest de quelques centaines de kilomètres, la période des blocs est révolue. Il n'y aura pas de nouvelle césure sur notre continent. C'est pourquoi l'Union a engagé un « partenariat stratégique » avec la Russie, qui accompagne et complète le processus d'élargissement.

Je me félicite de l'entrée en vigueur de cet accord de partenariat et de coopération dont nombre de dispositions, notamment commerciales, fonctionnent déjà par anticipation. Cela a conduit au renforcement des relations commerciales entre l'Union et la Russie, pour laquelle le marché communautaire est très largement ouvert, comme en témoigne l'excédent commercial russe vis-à-vis de l'Union. Je suis convaincu que l'élargissement aura un effet d'entraînement pour les relations russo-européennes, tant dans le domaine économique et commercial que dans le domaine institutionnel.