Article collectif de Mme Marie-Hélène Aubert et MM. Yves Cochet, Guy Hascoët, Noël Mamère et Jean-Michel Marchand, députés Verts, dans "Vert contact" le 20 décembre 1997, sur les raisons de leur boycott lors du vote sur le projet de loi Chevènement sur l'immigration à l'Assemblée nationale le 13 décembre, intitulé "Immigration : rien n'est réglé".

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Circonstance : Retrait des députés Verts lors du vote sur le projet de loi sur l'entrée et le séjour des immigrés à l'Assemblée nationale le 13 décembre 1997

Média : Vert contact

Texte intégral

Pourquoi les députés Verts ont-ils refusé de voter sur le projet de loi Chevènement ?

Quand on ne veut pas ouvrir la porte à laquelle vous frappez, il est plus sage de partir sans insister. C’est ce que nous avons fait dans la nuit de vendredi 12 à samedi 13 décembre en quittant l’hémicycle de l’Assemblée nationale, dégoûtés par les refus à répétition du gouvernement et de la commission des lois opposés à la quasi-totalité de nos amendements. Ceux-ci n’avaient qu’un seul objectif : améliorer le texte du gouvernement et en éliminer les dispositions inacceptables qui fragilisent les étrangers régulièrement installés sur notre sol. Après quarante heures de vaines batailles, écœurés d’entendre, pour seules réponses : « Rejeté », « Défavorable », nous avons décidé de ne plus participer à cette mascarade parlementaire. À quoi cela sert-il, en effet, de s’évertuer à faire des propositions constructives à un gouvernement qui a décidé de ne rien modifier d’essentiel à son texte et qui a préféré la précipitation à la consultation ?

Si nous sommes des « angéliques » et des « irresponsables » – selon la rhétorique « amicale » du ministre de l’intérieur –, nous n’avons pas vocation à devenir des Don Quichotte. Surtout quand les moulins à vent contre lesquels nous nous battons prennent la forme détestable du mépris.

Franchement, nous aurions préféré rester, en contribuant à un débat de fond (qui n’a jamais eu lieu) et, finalement, ne pas voter contre ce texte, si le ministre et la commission avaient accepté des ouvertures sur le droit d’asile, la durée de rétention, la double peine et le rétablissement de la voix délibérative de la commission de séjour. Sur ces quatre points forts, dont la modification aurait fait évoluer « l’économie » du texte, rien, pas une avancée, pas une réponse positive, pas un geste. Au contraire, des allusions permanentes à notre côté « excessif », « généreux », au « danger » qu’il y aurait à nous suivre sur ce terrain miné qui fait le jeu de l’extrême droite, etc. Bref, nous nous sommes bel et bien fait instrumentaliser par un ministre et une commission tout heureux de nous avoir trouvés pour tenir la posture de « l’équilibre ». En somme, entre les écologistes boutefeux et leurs alliés communistes réformateurs d’un côté, et une droite qui ne résiste pas aux tentations du pragmatisme et de la modération étant incarné par le ministre de l’Intérieur, dans le rôle du père Fouettard faisant la chasse aux « pourfendeurs des valeurs républicaines », lesquels ne faisaient que proposer de revenir aux dispositifs Joxe et Badinter.

La méthode est astucieuse, mais limitée. D’abord parce que les valeurs républicaines ne sont pas prisonnières de l’idée de Nation telle que la conçoit le ministre de l’Intérieur ; elles peuvent aussi « habiter » dans une idée de la Nation accrochée à l’Europe, comme nous le disons depuis longtemps. Ensuite parce qu’il y aura d’autres Saint-Bernard et d’autres manifestations liées aux insuffisances, pour ne pas dire aux renoncements, de ce texte qui s’est arrêté au milieu du gué et qui manque de courage politique.

C’est la raison pour laquelle, avec les associations concernées, les députés Verts ont décidé de mettre en place un « comité du suivi » de cette loi, afin d’évaluer ses conséquences sur la vie des immigrés et leur statut dans notre pays, et de travailler, avec les parlementaires de la gauche plurielle qui le voudront, à une refonte de l’ordonnance de 1945 qui, de toute façon, s’imposera un jour ou l’autre.

Ce texte nous laisse à la fois le goût amer de l’inachevé et le sentiment d’un gâchis. Nous avons beaucoup travaillé avec les associations et les experts, nous avons beaucoup consulté, en recherchant les meilleurs moyens législatifs pour la stabilisation et la sécurité de ceux qui sont entrés régulièrement chez nous, et pour le respect de la dignité de ceux auxquels il faudra bien demander de partir. Jamais nous n’avons demandé l’ouverture totale de nos frontières, parce que le problème n’est pas là. La seule chose qui nous intéresse, c’est le droit à l’installation : comment le fixer ? Quelles limites lui donner ? Comment maintenir en état de marche notre formidable machine à intégrer ? … Autant de questions qui ne peuvent trouver leur solution dans un seul texte, mais dans l’ensemble d’une politique qui touche à la ville, à l’éducation, à la coopération, pour ne citer ici que les secteurs clés.

Parce que les lois Pasqua-Debré n’ont pas été abrogées comme nous nous y étions engagés devant le pays, parce que le texte du ministre de l’Intérieur ne fait que bricoler ces lois iniques au nom d’un « équilibre » qui nous paraît dangereux, nous ne participerons pas au vote. À regret, mais sans état d’âme, parce que nous ne faisons que respecter nos engagements.