Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro" du 10 septembre 1999, sur sa volonté d'allier libéralisme et humanisme, de construire l'opposition, sur la "réussite en trompe l'oeil" de Lionel Jospin et sur la préparation des élections législatives.

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Le Figaro. - Dans la vacuité du discours politique de la droite n'avez-vous pas votre part de responsabilité ?

Alain Madelin. - Je ne crois pas que l'on puisse dire que les libéraux sont en panne d'idées, de propositions et de solutions. Au contraire. Mais il est vrai que les problèmes de personnes, les querelles de boutiques ont donné trop souvent le sentiment de l'emporter sur le débat d'idées et de propositions. Cela suffit maintenant. Et, puisque l'année qui vient est une année sans élection, il faut en faire maintenant l'année des débats et des propositions au sein de l'opposition. C'est ce à quoi les libéraux vont s'employer avec la volonté de jouer, plus que jamais dans ces débats, le rôle moteur qui a toujours été le leur. Et, sans attendre, nous lançons dès maintenant les débats de l'alternance ouverts à l'ensemble de l'opposition et à tous les français qui souhaitent cette alternance.

Le Figaro. - Depuis deux ans, vous ne cessez de répéter que vous ne sauriez passer pour le défenseur d'un libéralisme réduit à sa seule dimension économique. Sa dimension sociale et sociale serait tout aussi importante. Mais l'homme d'idées et l'homme d'action ne semble jamais se rejoindre. Le premier ne cède-t-il pas toujours le pas au second pour préserver des sièges, des voix ?

• « Il est vrai que depuis longtemps, je m'efforce d'expliquer que le libéralisme, avant d'être une approche économique, est d'abord un choix profondément politique aux dimensions philosophiques, éthiques, juridiques et institutionnelles. C'est le choix de la confiance dans l'homme, dans sa liberté et sa responsabilité. C'est en cela qu'il est un humanisme ; et c'est pour cela qu'il s'oppose à l'étatisme et au dirigisme dont les socialistes jouent aujourd'hui les prolongations.

Cela fait longtemps aussi que je ne me résous pas à la panne de l'ascenseur social et que je milite pour les réformes profondes qui nous permettront de sortir du carcan étatique et réglementaire qui étouffe l'initiative dans notre pays, qui gâche les chances et les talents et entretient la fracture sociale.

Quant à notre capacité de transformer nos idées en action, il suffit de regarder le chemin parcouru par les idées et les propositions qui sont les nôtres et qui, pour une large part, ont fini par s'imposer. Nos idées sont celles de la modernité, partout elles s'imposent dans le monde, même si elles ont, il est vrai, plus de mal à se frayer leur chemin en France. »

Le Figaro. - A la rentrée parlementaire, allez-vous saisir les occasions, telles que le dernier débat sur le Pacs, l'évolution de la loi Veil ou encore la révision des lois bioéthiques pour faire avancer DL ?

• « Je pense que nous pouvons apporter beaucoup à tous ces débats. Puisque vous faites allusion au Pacs, permettez-moi de rappeler que, si les députés de Démocratie libérale ont exprimé un refus clair de l'usine à gaz que constitue le projet du Pays, ils se sont montrés ouverts, compréhensifs et tolérants vis à vis du problème qui était posé à travers ce projet.

Au point même que, dans l'opposition, si j'ai bien compris les déclarations des uns et des autres, une fois le débat retombé, certains regrettent aujourd'hui de ne pas avoir adopté l'attitude qui a été la nôtre. »

Le Figaro. - Pensez-vous que Lionel Jospin puisse réussir au gouvernement et faire naître un socialisme « moderne » ?

• « La réussite de Lionel Jospin est une réussite en trompe l'oeil. Le gouvernement bénéficie aujourd'hui du retour de la croissance sans qu'il y soit pour rien. Celle-ci, faut-il le rappeler, est le résultat mécanique de la baisse des taux d'intérêt, elle-même engendrée par la maîtrise des déficits publics, politique pour laquelle j'ai toujours milité et que j'ai contribué à engager en 1995. Comme Michel Rocard à la fin des années 80, Lionel Jospin se montre aujourd'hui incapable d'utiliser les fruits de la croissance pour entreprendre les réformes dont la société française a besoin. Il se contente de gérer le présent sans préparer l'avenir.

Je ne crois pas au socialisme « moderne ». Les socialistes français ont certes évolué, mais ils ont toujours eu un train de retard par rapport à l'évolution nécessaire de la société. Dans les années 70, c'était avec le programme commun, ils voulaient une rupture totale avec l'économie de marché. Dans les années 80, ils nationalisaient quand ailleurs on privatisait. Dans les années 90, ils nous proposaient le douteux modèle d'économie mixte, celui qui nous a donné le Crédit Lyonnais. Si aujourd'hui les socialistes ont encore évolué, ils n'en restent pas moins attachés à vision étatique de la société française, à l'idée de réformer la société par l'État et par la loi, comme on le voit avec les 35 heures. Les choix de liberté, de confiance et de responsabilité leur sont encore étrangers. »

Le Figaro. - Que pensez-vous de la troisième gauche défendue par Daniel Cohn-Bendit ?

• « Je pense que Daniel Cohn-Bendit, qui connaît les réalités européennes, a conscience de l'archaïsme des socialistes français. Et il m'arrive de sourire en le voyant reprendre certaines de nos approches ou de nos propositions. Je mesure le chemin qu'il a parcouru depuis les utopies de mai 68. En fait, l'irruption de la troisième gauche illustre les contradictions de la majorité avec un Jospin écartelé entre les communistes et les Verts et une coalition baroque incapable de faire mouvement commun vers la modernité. »

Le Figaro. - Quel avenir voyez-vous à l'extrême droite ?

• « Je n'ai jamais cru à cette irrésistible ascension de l'extrême droite dans notre pays dont on nous rebattait les oreilles il y a encore à peine un an. On voulait faire tourner toute la vie politique exclusivement autour du Front national, et en fait au plus grand profit des socialistes. Aujourd'hui, l'hypothèque de l'extrême droit a été levée sur la vie politique, et je m'en réjouis. C'est une transformation considérable de la vie politique française qui fait que l'opposition a aujourd'hui toutes ses chances de gagner les élections législatives. C'est en tout cas clairement l'objectif des libéraux : assurer la victoire de l'opposition aux élections législatives, la préparer par les élections municipales en construisant une opposition ouverte, libérale, nationale et populaire. »

Le Figaro. - Pour Sarkozy, Chirac est le « candidat naturel » du RPR. L'est-il pour Alain Madelin et DL ? Ou DL doit-elle en « préparer » un autre ?

• « Si Jacques Chirac est à l'évidence le candidat naturel du RPR, il reste une référence pour l'opposition. Et celle-ci doit prendre garde à ne rien faire qui puisse l'affaiblir. En écartant toute idée de présidentielle anticipée dans ses déclarations du 14 juillet, le Président de la République a ipso facto donné aux élections législatives le rôle d'élections décisives pour l'orientation politique du pays et la dévolution du pouvoir. Là est notre priorité, et je ne veux rien faire, rien dire qui puisse compromettre notre victoire aux élections législatives en projetant aujourd'hui sur elles les éventuelles rivalités des élections présidentielles. »

Le Figaro. - La rumeur de votre candidature à Paris aux prochaines municipales revient régulièrement. Cette candidature est-elle envisageable ou pas du tout ?

• « Les libéraux constituent la deuxième force politique à Paris derrière le RPR. Il est légitime qu'ils travaillent à y renforcer le courant libéral, comme d'ailleurs dans l'ensemble de la région parisienne. Et l'élu breton que je suis, entend ne rien faire et ne rien dire qui puisse ajouter à une confusion parisienne qui me consterne.

Nous avons mieux à faire en nous opposant aux socialistes et en proposant la voie de l'alternance. »