Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à France-Inter le 30 août, sur le débat au sein du PS relatif au rôle de l'Etat dans l'économie de marché face à la puissance des banques privées, le programme du gouvernement Jospin pour les 3 prochaines années, la baisse des impôts, les relations avec Les Verts et les élections présidentielles en 2002.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - L'objectif du plein-emploi en dix ans de chantier, masquera-t-il les différences publiquement exprimées de la gauche plurielle ? Les quelques mots de L. Jospin, hier, à La Rochelle, en écho aux déclarations de J.-P. Chevènement sur « la déliquescence de l'État et l'attentat contre l'intérêt national », après la décision du Comité des établissements de crédit de ne pas autoriser la BNP à prendre le contrôle de la Société Générale, sont-ils la reconnaissance d'un nouvel état de fait ?
A La Rochelle, L. Jospin a admis pour la première fois publiquement que dans une économie qui n'est plus administrée, le Gouvernement n'a plus les moyens d'imposer ses volontés au marché. Le réalisme de gauche, évoqué il y a un an par le Premier ministre, consistant à composer avec les règles du marché, est-il donc la ligne de démarcation en cette rentrée de septembre, entre ceux à gauche qui, comme M. Chevènement, dénoncent le recul de l'État où, je le cite, « les comités de banquiers irresponsables » et les partisans d'une nouvelle économie ou privatisations en chaîne et de fusions restructurent le capitalisme français ?
Et puisque la course à l'élection présidentielle est ouverte, quelle sera la part entre ce qui ressort du réalisme et ce qui ressort de la gauche ?

Il y a une ligne de partage ou pas désormais chez vous ?

- « Il y a une ligne de partage dans la société française d'abord. »

Q - Oui, non, mais chez vous, à gauche ?

- « Chez nous à gauche, il y a des lignes de partage sur beaucoup de sujets, et c'est normal parce que le débat fait partie de la vie. On évoquera peut-être la question de l'énergie, puisqu'il y a eu des déclarations des uns, des autres. Et puis il y a question par exemple, de restructuration, de la régulation du capitalisme. Est-ce que l'on peut revenir, au débat nationalisations-privatisations ? C'est-à-dire : pour constituer un ensemble bancaire fort, en France, faudrait-il renationaliser la BNP, la Société Générale, et pourquoi pas le Crédit Lyonnais ? Qui le dit, qui le veut ? Je ne crois pas qu'il y en ait beaucoup à gauche qui imaginent que ça irait mieux dans le pays s'il y avait un pôle public. Mais en même temps, question légitime : peut-on laisser le secteur bancaire français, privé dans sa totalité aujourd'hui, être utilisé, organisé, peut-être demain mis sous contrôle de grandes firmes multinationales ? Non. »

Q - Alors comment faire ?

- « Nous proposons une solution qui est de dire : « Est-ce que ça n'est pas avec un rôle sans doute plus fort dans la régulation par l'État, mais aussi dans un pouvoir donné aux salariés qui pourraient être aussi des blocs d'actionnaires dans leurs entreprises pour en définir, demain, l'avenir ? »

Q - Sauf que, tout de même, le discours que vous tenez ce matin, c'est ce qu'on appelle « le réalisme. »

- « Non, c'est un discours de synthèse, je le dis, et de réalisme. Parce que voyez... »

Q - Quand même ! Vous voyez bien qu'à gauche tout le monde dit que la gauche compose désormais avec le marché et que la restructuration du capitalisme français c'est la gauche qui vient de le faire.

- « On compose avec le marché parce qu'on ne va pas supprimer le marché ; on n'a pas annoncé que demain il n'y avait plus de marché, parce que la vie économique elle est organisée comme ça. Mais peut-on contrôler le marché, créer des contrepoids, faire quelquefois des forces contradictoires à celles des actionnaires ? On a bien vu d'ailleurs que « la démocratie », entre guillemets, des actionnaires, n'avait pas donné l'optimum économique et l'intérêt général. Donc il faut bien qu'il y ait, face aux forces du marché, qui ont leur vie propre, d'autres forces et d'autres organisations, dont l'État mais aussi les salariés. »

Q - Puisqu'on est parti pour dix ans, au passage, vous n'avez pas peur que les Guignols disent : « Putain dix ans ! » ?

- « D'abord moi je dirais, sans reprendre votre terme... »

Q - Je cite les Guignols !

- « ... d'abord : « trois ans » ; parce que ne brûlons pas les étapes. Il y a des élections législatives dans deux ans et demi - j'ai dit trois ans, je suis même optimiste, deux ans et demi. C'est cette échéance-là qu'il faut préparer. Mais en même temps le rôle d'un gouvernant, et notamment de L. Jospin, c'est quand même d'éclairer l'avenir. Il n'est pas là simplement pour gérer, ce que vous disiez, « la réalité » ; il est là pour afficher des objectifs et marquer une détermination. Et quand il dit, et quand nous disons, que le progrès peut reprendre un sens au début du siècle prochain, là, au moment où nous allons franchir, là encore, une étape très importante, est-ce que le plein-emploi ne peut pas devenir pour nous tous, dans cette société, en Europe, une perspective, un objectif, une volonté ? Nous nous disons que ça changera avec 15-20 années de crise. Faut-il encore qu'on en ait les moyens. »

Q - Non mais personne ne peut être contre le plein-emploi bien entendu, mais...

- « Mais c'est sur les moyens, une volonté d'y arriver. »

Q - Oui, d'accord, c'est sur les moyens d'y arriver. Il va falloir beaucoup, beaucoup de détermination car il y a quand même, quelques fortes figures en face de Jospin aujourd'hui. Chevènement...

- « J'ai cru que vous alliez me parler du Président de la République. »

Q - Non, non, attendez, je parle de ce qui se passe chez vous quand même.

- « Oui, oui, vous avez raison. »

Q - Chevènement c'est pas rien ; il se fait de plus en plus entendre, y compris d'ailleurs contre les Verts maintenant ! Vive le nucléaire !

- « Mais Chevènement il a toujours eu les mêmes idées, et de ce point de vue on ne peut pas lui faire le reproche d'en changer. Il a toujours été pour un État fort, il a toujours été pour le nucléaire. Bon. Il est dans un Gouvernement où il y a une autre composante, D. Voynet et les Verts, qui sont pour l'abandon du nucléaire. Et il est aussi allié avec nous, les socialistes, qui n'avons jamais été pour le Tout-nucléaire et qui avons toujours dit qu'il fallait diversifier les sources d'énergie. Ça ne veut pas dire qu'il faudra faire n'importe quoi le moment venu, sur les réacteurs nucléaires, mais ça suppose au préalable - et chacun peut le comprendre quelle que soit sa position aujourd'hui - qu'il doit y avoir un grand débat dans le pays. Parce que quand on prend des décisions qui engagent pas simplement trois ans, même pas simplement dix ans, mais 20, ou 30 ans, ça mérite de mettre toutes les données scientifiques, toutes les données économiques, toutes les données d'environnement sur la table. Je crois que c'est une exigence démocratique. »

Q - Et les propos sur « la déliquescence de l'État » ça énerve ou pas ?

- « Non, parce que c'est un vrai sujet par rapport à ce que vous disiez - le poids du marché, les forces multinationales. Quel doit être le rôle de l'État ? Est-ce que ça doit être un État qui perd progressivement toutes ses prérogatives, qui ne peut plus agir ? A quoi servirait la politique si on disait : "Eh bien, finalement, on veut conquérir l'État" et qu'il n'y a plus d'appareil ? »

Q - L. Fabius qui vous brûle la politesse sur la réforme des impôts ? C'est une rentrée agitée, hein !

- « L. Fabius est pour la baisse des impôts, il n'est pas le seul ; moi je n'ai jamais rencontré un homme politique qui était pour la hausse des impôts. Et si ça devait arriver quelquefois d'augmenter les impôts ils l'ont payé cher - souvenons-nous d'A. Juppé. Donc L. Fabius a raison, il dit : ''Il faut baisser les impôts." Le Gouvernement y pensait depuis plusieurs semaines. Il a donné acte à cette proposition qui était aussi la nôtre. Mais ce qui comptait ce n'était pas de dire : "baissez les impôts, baissez les impôts !" C'est de dire : "Quels impôts on baisse ? " Et moi je suis tout à fait satisfait que le Gouvernement ait baissé la TVA  et que s'il confirme ce choix, dès le 15 septembre il va y avoir dans notre pays une baisse de la TVA  de 20,6 à 5,5 % sur toutes les activités liées à la réparation du logement. Ça sera bon pour l'économie, ça sera bon pour le social, bon pour l'emploi, et bon pour la justice. »

Q - Vous êtes zen, vous contrôlez ! On va voir si vous contrôlez aussi ce qui se passe chez les Verts, parce qu'ils sont en train de monter en ligne.

- « Si vous dites: « Est-ce que vous contrôlez aussi ce qui se passe chez les Verts », « vous me cassez ma baraque », si je puis dire. Je ne contrôle rien du tout. »

Q - Vous avez bien vu quand même que la mauvaise humeur s'exprime, de plus en plus nettement, et notamment sur ce point un peu stratégique qui est la proportionnelle. "Vous aviez promis", disent-ils...

- « C'est vrai, on avait, dans nos réflexions à nous, de socialistes, imaginé qu'on pourrait introduire une part de proportionnelle dans le scrutin majoritaire. Aujourd'hui, on se rend compte que ça serait difficile sur le plan de la faisabilité, et en même temps qu'on a peut-être intérêt à maintenir l'idée de la majorité plurielle à travers le scrutin majoritaire. Mais ça suppose, si on abandonne cette réforme, qu'on donne davantage de place dans les circonscriptions aux candidats Verts. C'est ce que je leur dirai puisque nous allons nous rencontrer au début du mois de septembre. Je leur dirai qu'il faut regarder ce que nous avons fait - ensemble, relire nos accords. Mais aussi, si nous devons aller plus loin ensemble, d'abord faire une stratégie d'union pour les élections municipales, c'est-à-dire partager les futures responsabilités car nous sommes une majorité plurielle et c'est normal que chacun y prenne sa place et prenne sa part, de la responsabilité aussi. Et puis nous aurons les élections législatives. Et si nous ne faisons pas le mode de scrutin ainsi que nous l'avions pensé, l'introduction à la proportionnelle - je crois que maintenant c'est un fait, le Premier ministre l'a dit -, eh bien il faudra aussi donner davantage de circonscriptions aux écologistes. »

Q - Bon c'est la rentrée, c'est quand même une gauche plurielle très très plurielle, au moment où - c'est beau la formule de J.-M. Aphatie tout à l'heure : il y a eu le retentissant "non-dit" de La Rochelle -, L. Jospin est en marche pour la présidentielle.

- « Je ne suis pas sûr que c'était une véritable, une bonne interprétation, parce que vous savez, quand on est Premier ministre, ce qui doit compter, ce qui compte pour L. Jospin, ce sont les élections législatives dans trois ans. »

Q - Attendez, on ne dit pas dix ans impunément quand même ?

- « Si, on dit dix ans quand on est un responsable politique et qu'on veut dire au pays ce qu'on veut faire de ce pays dans dix ans »

Q - Alors ça veut dire qu'on voit loin pour soi et pour les autres.

- « Peut-être pour soi si on le peut et pour les autres. Parce qu'il y aura toujours une suite. On aurait pu dire aussi 20 ans, parce que je crois que la vie politique ne s'arrêtera pas dans dix ans. »

Q - Mais pourquoi pas dire plus simplement - et surtout vous qui avez plutôt une assez bonne liberté de parole ce matin : Jospin est en campagne ?

- « Mais parce ce serait absurde de partir en campagne quand on a gagné trois ans de législature. Ça n'est pas de soi que la gauche puisse gouverner au-delà de deux ans. Vous croyez que si on n'avait pas obtenu un bon résultat aux élections européennes, si aujourd'hui le chômage était en hausse, le Président de la République n'aurait pas réfléchi à une autre initiative ? On a gagné donc trois ans pour changer ce pays, eh bien écoutez, on va occuper les trois ans ! Et puis après on parlera d'autre chose. »