Texte intégral
Conseil européen de Luxembourg
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Marre.
Mme Béatrice Marre. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, la France a tout lieu, me semble-t-il, de se réjouir des principales conclusions du Conseil européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre dernier. Ce conseil, dit « Luxembourg 2 », a été un succès pour le chef de la majorité de gauche que vous êtes (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française), tout comme l’avait été le Conseil extraordinaire sur l’emploi des 20 et 21 novembre, dit « Luxembourg 1 ». Tous deux marquent en effet la consécration de la lutte acharnée que vous aviez engagée à Amsterdam, à peine nommé Premier ministre, avec votre ministre de l’économie et des finances, Dominique Strauss-Kahn, pour rééquilibrer l’Union européenne dans un sens plus économique et, surtout, plus social.
M. Bernard Accoyer. Attention les chevilles !
Mme Béatrice Marre. Le Conseil de Luxembourg, en engageant l’élargissement de l’Union européenne aux dix pays candidats de l’ex-Europe de l’Est et à Chypre, constitue, il faut le souligner, un pas décisif dans l’effacement de la fracture qui traverse l’Europe depuis plus d’un demi-siècle.
Toutefois, Monsieur le Premier ministre, des questions majeures, corollaires indispensables de cet élargissement, n’ont pas été totalement réglées à Luxembourg : questions institutionnelles, même si, pour la première fois, leur caractère préalable à l’élargissement a été reconnu ; questions financières et de réforme des politiques communes, notamment en matière agricole et de fonds structurels.
Mais on peut regretter que la proposition française de conférence européenne ait été refusée par la Turquie.
C’est sur la convergence des politiques économiques au cours de la troisième phase de l’union économique et monétaire que je souhaite, au nom du groupe socialiste, centrer ma question. (« Qui ! la question ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Vous avez obtenu que soit reconnue la pertinence d’une instance de concertation propre aux seuls pays membres de l’Union qui entreront après le 3 mai 1998 dans la zone euro. Ce compromis trouvé in extremis et en Conseil même, constitue sans doute, de notre point de vue, la plus importante avancée de Luxembourg. Encore souhaiterions-nous en mesurer la portée, et tel sera l’objet de ma question. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Le Conseil de l’euro, tel que défini dans la résolution finale du Conseil européen de Luxembourg, vous semble-t-il véritablement, Monsieur le Premier ministre, constituer le contrepoids indispensable, en termes politiques et économiques, à l’indépendance de la Banque centrale européenne, indépendance réaffirmée par ailleurs dans la même résolution ?
En deuxième lieu, ce conseil constituera-t-il, selon vous, un élément déterminant d’impulsion de cet outils majeur d’intégration européenne que constitue la monnaie unique ?
Enfin, sur un plan plus général, pensez-vous que l’on puisse parler pour l’avenir du Conseil de l’euro comme de l’embryon d’un gouvernement économique européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. Vaste sujet !
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Madame le député, avant de répondre à votre question, je voudrais, et chacun le comprendra, exprimer aujourd’hui, en pensant à votre collègue Henri Emmanuelli, mon ami, des sentiments de tristesse, de solidarité personnelle et de sympathie chaleureuse. (Les députés du groupe socialiste, dont certains se lèvent, applaudissement longuement. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Je ne sais si le sommet de Luxembourg est un succès pour le chef de la majorité de gauche, ainsi que vous l’avez dit en posant votre question car je ne m’attribue pas forcément chacun de ces termes, notamment le premier. (Sourires.) Mais il a été indiscutablement un très bon sommet pour la France et pour l’Europe. Telle est l’appréciation qu’a portée sur lui le chef de la délégation française, le Président de la République…
M. Charles Cova. Merci pour lui !
M. le Premier ministre. … comme que le Premier ministre que je suis, à l’occasion de la conférence de presse que nous avons tenue avec le ministre des affaires étrangères à Luxembourg, samedi soir.
Ce sommet a d’abord permis de préparer l’élargissement – élargissement aux pays de l’Est et du centre de l’Europe, – élargissement possible à Chypre, qui est une nécessité historique, qui doit réunir l’ensemble et la civilisation européens, mais qui suppose qu’un certain nombre de précautions soient prises.
C’est pourquoi est réaffirmée comme un préalable dans les conclusions du sommet, l’amélioration du fonctionnement des institutions de l’Europe, afin que celle-ci soit encore gouvernable lorsqu’elle comptera plus large que quinze membres.
Le cadre financier qui est évoqué prend soin de distinguer ce que coûtera l’élargissement et ce qui doit être réservé aux politiques communes menées à quinze, selon le principe de la double programmation, que nous avions proposé.
Enfin, le principe de la ligne directrice agricole est affirmé.
Le sommet a permis également de consolider l’Union économique et monétaire grâce à la mise en place, dans une résolution, d’un Conseil de l’euro, comme la France l’avait souhaité et comme nous l’avions proposé dès les premiers jours de juin 1997, réunissant les pays qui choisiront ensemble de se doter d’une monnaie unique.
Sera-ce un contrepoids à la Banque centrale européenne ? Oui, dans le sens où la Banque centrale sera indépendante, où elle aura simplement à régler la question de la monnaie et où les pays membres, représentants légitimes des peuples, ont à s’occuper de l’ensemble des champs de la politique économique – les revenues, les salaires, les investissements, la fiscalité, le budget – afin que l’effet d’intégration considérable d’une monnaie unique puisse être effectivement pris en compte par nos gouvernements.
Pourra-t-il donner une impulsion ? Nous l’espérons. Nous pensons qu’à partir du champ de problèmes que fera surgir la monnaie unique, le Conseil de l’euro pourra contribuer à fixer des orientations qui, par ailleurs, resteront de l’ordre des politiques nationales, comme nous le souhaitons.
Constituera-t-il un gouvernement économique de l’Europe ? Je rappellerai d’abord que nous entendrons que le Gouvernement de l’économie française, si je puis dire, reste à Paris. Nous n’envisageons pas d’agir dans le cadre d’une sorte de supranationalité économique. Le concept de gouvernement économique doit donc s’entendre comme la volonté des gouvernements des pays membres, représentants légitimes des peuples, dans un marché unifié commercialement et désormais unifié monétairement, de concerter leurs politiques économiques nationales pour donner des impulsions à l’Europe face à la Banque centrale.
Oui, je pense qu’on peut répondre positivement aux trois questions que vous m’avez posées.
Ainsi, une coordination des politiques économiques, selon l’article 103, que nous avions également proposée au sommet d’Amsterdam, étant introduite dans la résolution, tout comme une concertation sur les politiques de changes, sur la base de l’article 109, vous pouvez constater que le Conseil de Luxembourg a poursuivi la réorientation de la construction européenne que j’avais souhaitée et proposée au sommet d’Amsterdam au mois de juin dernier.
Nous allons donc, on peut l’espérer, bientôt entrer dans une union économique et monétaire plus équilibrée, conformément aux engagements que nous avons pris devant le pays.
L’emploi est bien au cœur d’une problématique économique nouvelle, grâce aux initiatives prises par la France depuis le mois de juin.
Dans leur très grande majorité, les États membres seront dans l’euro et la monnaie unique sera la monnaie de l’Europe, ou de l’essentiel de l’Europe, et non pas seulement d’un petit noyau.
L’Euro sera compétitif avec le dollar, tout en étant bien sûr une monnaie stable.
J’ajoute que les politiques économiques seront bien coordonnées sur la base de dispositions juridiques nouvelles comparables à celles qui fondent le pacte de stabilité.
Ainsi, en six mois, nous avons montré qu’il n’y avait pas de fatalité libérale en Europe et que l’on pouvait, par un effort patient de conviction auprès de nos partenaires, mettre l’Union au service de l’efficacité économique et de l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Tribunal pénal international
M. le président. La parole est à M. Daniel Marcovitch, pour une très courte question.
M. Daniel Marcovitch. Monsieur le Premier ministre, les déclarations de Mme Louise Arbour, procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, publiées samedi dernier par un grand quotidien du soir, mettent gravement en cause de gouvernement français. Mme Arbour reproche à notre pays et, semble-t-il, à lui seul, de ne pas coopérer comme il le devrait avec le Tribunal dans la recherche des criminels en vue de leur transfert à La Haye, et surtout d’empêcher les témoignages que pourraient apporter les officiers français ayant servi en Bosnie.
De son côté, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, M. Javier Solana, a rappelé, hier lundi, que les règles d’arrestation des criminels sont les mêmes pour tous les alliés engagés dans l’opération SFOR. Il a déclaré : « La première responsabilité de traduire ces criminels devant le Tribunal pénal international revient en priorité aux musulmans, croates et serbes. » « Tous les alliés », a-t-il ajouté, « partagent la même détermination pour que les criminels de guerre soient remis à la justice ».
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous apporter à la représentation nationale et au groupe socialiste, qui a soutenu en son temps les efforts engagés par un gouvernement précédent en 1992 pour obtenir la création de ce TPI, les éclaircissements qu’exigent les commentaires critiques faits par Mme Arbour et préciser le sens qu’il convient de donner à la déclaration de M. Solana ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, je comprends que l’opinion et la représentation nationale se soient émues légitimement de la gravité des accusations qui ont été portées contre les autorités publiques françaises et contre les soldats français par le président du Tribunal pénal international.
Je voudrais rappeler, comme l’a souligné auprès de Mme Arbour le ministre des affaires étrangères, qui n’est pas présent aujourd’hui en raison d’une réunion de l’OTAN, la contribution essentielle qu’a prise la France à l’origine dans la création du Tribunal pénal international. Je voudrais rappeler le rôle moteur de la France dans le rétablissement de la paix dans l’ex-Yougoslavie.
M. Jacques Myard. Et le rôle de Chirac !
M. le Premier ministre. Je voudrais rappeler le tribut payé par nos soldats pour ce rétablissement de la paix : 70 morts, 70 blessés. Je voudrais rappeler l’enjeu fondamental que représente la poursuite des opérations de maintien de la paix pour notre pays, pour la communauté internationale et pour la population de l’ex-Yougoslavie.
Sur l’imputation la plus grave qui a été publiquement portée par Mme Arbour et qui concerne l’arrestation des criminels de guerre, je voudrais dire ici solennellement le caractère inacceptable des allégations selon le quelles les criminels inculpés par le tribunal pourraient se sentir en sécurité dans le secteur de la SFOR contrôlé par le contingent français.