Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur les relations entre la France et l'Italie, notamment en ce qui concerne le calendrier de l'Union économique et monétaire, l'euro et l'Europe politique et sur les institutions, Paris le 19 novembre 1997.

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Circonstance : Visite de M. Romano Prodi, président du Conseil des ministres de la République italienne à l'Assemblée nationale le 19 novembre 1997

Texte intégral

Monsieur le président du conseil, Messieurs les ministres,

Mers chers collègues, Mesdames, Messieurs,

L’olivier est l’arbre de la Méditerranée. Il est symbole de sagesse, de culture et de ténacité. C’est pour l’ensemble des députés français, un honneur et une joie de vous accueillir, Monsieur le président, vous qui, à la tête d’une majorité et aussi plurielle, homme de dialogue, préférez expliquer et convaincre plutôt qu’imposer. Vous avez donné à l’Italie, ce pays ami où, avec la Grèce, tout a commencé, la culture de stabilité qui la fuyait et à ses voisins et alliés la confiance qu’ils lui demandaient. En notre nom à tous, je veux vous remercier chaleureusement d’être ici.

Certes ce n’est pas la première fois que nous recevons un hôte étranger illustre. Mais c’est la première fois que nous accueillons le chef d’un Gouvernement européen. Ainsi démontrons-nous notre volonté de nous ouvrir davantage sur cette dimension dans laquelle s’inscrivent de plus en plus nos travaux, et faisant avec vous le choix du sud et de la latinité, soulignons-nous la solidarité géographique qui doit naturellement unir Rome, Madrid, Lisbonne, Athènes et Paris.

Nous sommes sensibles à votre geste et davantage honorés encore que vous ayez souhaité vous exprimer en français.

C’est qu’il n’y a pas entre nous qu’une communauté d’intérêts. Avant d’être, pour la France, un partenaire économique essentiel, l’Italie est pour beaucoup de Français une seconde patrie, la « patrie du bonheur » disait Stendhal. Nous sommes des voisins, des cousins. Quand la terre tremble chez vous, nous le ressentons douloureusement. Quand il s’est agi d’aller là où les hommes risquent leur vie, à Sarajevo, en Bosnie ou autour de Tirana pour aider l’Albanie, Rome et Paris se sont retrouvés côte à côte. Il n’est pas jusqu’à nos institutions qui, du fait de la réforme que vous avez initiée, ne deviennent voisines. Nous pouvons d’ailleurs vous le dire puisque nous sommes entre amis, un Président et un Parlement tous deux élus au suffrage universel, cela peut réserver des surprises !

Italie et France sont confrontées à peu près aux mêmes problèmes d’adaptation, aux mêmes défis. Nous avons, vous comme nous, pour priorité absolue de lutter contre le chômage. Nous suivons avec attention l’entreprise de rénovation que vous conduisez dans votre pays pour assainir les finances publiques, développer l’économie et construire face à la mobilisation cette union sacrée de l’État, des citoyens et des entreprises que vous appelez le « système Italie ». Nous nous réjouissons de vos succès, non seulement en eux-mêmes mais aussi parce que, du fait de notre proximité, ils ont et auront des conséquences en termes de croissance et d’investissement, d’emploi et d’exportation sur notre propre pays. Ce qui vient renforcer et accroître le poids de l’Italie sur la scène internationale ne nous affaiblit pas, tout au contraire.

Nous partageons aussi certaines préoccupations. J’insisterai sur ce qui concerne l’avenir de l’Europe. Nos deux pays sui comptent parmi ses fondateurs ont vis-à-vis d’elle une responsabilité particulière. Ils doivent s’appuyer l’un sur l’autre pour faire prévaloir les vues qu’ils jugent les plus conformes à la vocation et aux intérêts de l’Europe, dans la coopération bien sûr avec tous les États membres. C’est pourquoi la France tient si fortement à ce que l’Italie bénéficie de la place qui lui revient dans toutes les dimensions de la construction européenne, en particulier l’Euro.

Mais la monnaie unique n’est pas l’unique question qui nous est posée. Fonds structurels, politique agricole, les équilibres internes à l’Europe se sont déjà modifiés. Demain ou après-demain, l’élargissement en affectera la configuration. L’Europe, pour préserver ce qu’elle est pour promouvoir ce qu’elle représente, a besoin de définir clairement ses orientations, d’accéder à l’efficacité dans tous les domaines. Il lui faut pour cela s’unir davantage.

Vous avez, Monsieur le Président, appelé l’Italie à une plus grande conscience de soi, « Italia fara da se », avez-vous dit, reprenant les mots fameux d’un grand italien. « Europa fara da se » pourrait être un excellent mot d’ordre. Les ensembles continentaux qui apparaissent en Amérique du Nord, en Asie et ailleurs, ne nous feront en effet pas de cadeau. C’est nous et nous seuls qui pouvons tourner le regard de l’Europe vers l’avenir, vers un mieux vivre et une plus grande solidarité. Or l’Europe n’est pas encore à la hauteur de ces enjeux. Il nous faut une seconde renaissance, je ne sais si je dois dire devant vous une autre « refondation », et elle ne s’accomplira pas sans un sursaut.

Une telle évolution implique que les Européens reviennent à l’essence même de leur projet commun, qui est politique. Je vous cite à nouveau : « Il faut donner une âme à l’Europe » avez-vous dit. Et encore « l’Europe politique représente ce qu’il y a de plus important dans la construction communautaire ». Mais pour atteindre notre espérance commune, la construction européenne doit évoluer dans au moins deux directions.

D’abord, les institutions. L’Italie a signé une déclaration avec la France et la Belgique. Nous en partageons les conclusions : sans résultats réels sur le chapitre institutionnel, un élargissement prématuré ne ferait qu’ajouter à la confusion et à l’impuissance. C’est l’avenir même de l’Europe qui se trouverait compromis.

L’autre condition est que les peuples et les citoyens qui la composent partagent le sentiment concret de l’Europe sert leurs intérêts, leur offre des perspectives et un espoir. Il ne peut pas y avoir d’un côté des critères de convergence économiques et de l’autre des espaces de divergences sociales. C’est pourquoi le tout prochain conseil extraordinaire sur l’emploi, s’il ne peut bien sûr pas tout résoudre, ne doit pas décevoir. L’Italie et la France ont besoin de l’Europe. L’Europe a besoin de la France et de l’Italie. C’est en particulier dans cet esprit que les députés français ont hâte de vous entendre.

Mes chers collègues, je suis heureux de donner la parole au Président du conseil des ministres de la République italienne, M. Romano Prodi.