Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe PCF à l'Assemblée nationale, à RTL le 31 décembre 1997, sur le mouvement des chômeurs et sur les propositions du PCF visant à augmenter l'allocation chômage dans le cadre du débat budgétaire (proposition de quadrupler l'impôt sur la fortune).

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Intervenant(s) : 
  • Alain Bocquet - Président du groupe PCF à l'Assemblée nationale

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL : Qu'est-ce qui pourrait désamorcer la colère des chômeurs, selon vous ?

A. Bocquet : Je crois qu'il faut faire droit à la juste revendication qui est exprimée par les travailleurs privés d'emploi qui ont, à juste titre, mis en avant l'idée d'une prime exceptionnelle pour les fêtes de fin d'année. Ils ont tout à fait raison : les communistes et les élus parlementaires les soutiennent bien entendu. On ne peut pas continuer dans une situation où des gens souffrent comme ils souffrent en pleine détresse. Nous sommes dans un pays où 11 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire gagne moins de 3 200 francs par mois. C'est dire que dans cette période de fête, ils ont droit à ce geste. Il faut donc, pour cela, mobiliser les fonds de l'Unedic. Il est anormal que l'Unedic ait mis fin à ces fonds sociaux qui permettaient les secours d'urgence. Et ensuite il faut aussi s'en prendre aux grosses fortunes. Nous sommes dans un pays où plus on est riche, plus on gagne de l'argent. À titre d'exemple : les 72 familles les plus fortunées de France ont vu leur patrimoine s'accroître en moyenne de plus 50 %en trois ans. Cela veut dire 128 milliards de Francs, c'est-à-dire la moitié du déficit de la France. Et en même temps, à l'autre pôle, il y a 1 % du patrimoine du pays que possède 25 % de notre population. Cela ne peut plus durer, il faut donc réduire ces inégalités. Déjà des décisions ont été prises dans le bon sens. Je pense à cette proposition de loi du groupe communiste qui va être adoptée en janvier, le 14, pour permettre aux travailleurs sans emploi...

RTL : Une de vos propositions.

A. Bocquet : Une de nos propositions. Une parmi tant d'autres.

RTL : Oui, mais c'est vous puisque M. Jospin vous a écrit.

A. Bocquet : Elle a ses limites mais elle permet quand même aux travailleurs de plus de 55 ans qui sont privés d'emploi de bénéficier d'un minimum de 5 000 francs, et qui est un acquis. Mais il faut aller plus loin.

RTL : Nous allons revenir sur tout cela parce que vous nous avez parlé de la réforme des Fonds sociaux de l'Unedic. Revenons tout d'abord au conflit lui-même. Vous dites : il faut donner ce que demandent les chômeurs. Mais le ministre de l'emploi, vous l'avez entendu, juge qu'il est impossible de dire oui au versement d'une prime de 3 000 francs, que c'est impossible financièrement.

A. Bocquet : Le ministre de l'emploi, M. Aubry, a proposé que les préfets réunissent des tables rondes, qu'il y ait des discussions pour avoir des secours d'urgence. Qu'on mobilise ces fonds. Or, on doit entendre ce mécontentement, cette colère des travailleurs qui sont au chômage et on ne peut pas s'en tenir à ce qui a été décidé par certains préfets. Je vois le préfet du Pas-de-Calais : il y a pratiquement des fins de non-recevoir. Ce n'est pas acceptable. Il faut respecter. C'est une question de dignité. Les gens qui ont été privés d'emploi ont été brisés - les jeunes par exemple qui ne trouvent pas de travail. C'est un engagement de la gauche.

RTL : Vous trouvez que les préfets ne peuvent pas faire assez. Vous trouvez que c'est insuffisant ?

A. Bocquet : Je pense que c'est insuffisant. C'est insuffisant. Je pense qu'il ne faut pas perdre du temps en conciliabule, il faut prendre des dispositions concrètes. C'est ce que demandent les travailleurs privés d'emploi. J'ai fait un calcul : nous avons proposés, nous le groupe communiste, dans le débat budgétaire - cela n'a pas été retenu - de doubler, et notre proposition est même de quadrupler l'impôt sur les grosses fortunes. Actuellement, il rapporte environ huit milliards. Si on le multiplie par quatre cela fait 32 milliards de francs et cela ne mettra pas Mme Bettencourt, la plus grosse fortune de France, sur la paille. Cela permettrait de donner à peu près 1 000 francs par mois de plus à trois millions de chômeurs dans le pays. Je crois que de l'argent, il y en a, et il faut prendre des dispositions concrètes pour aller le chercher et le donner aux travailleurs privés d'emploi.

RTL : Ce que vous venez de dire, cela veut dire que la lettre de de Jospin ne vous a pas tout à fait convaincue puisqu'il vous a écrit en vous disant que le gouvernement prépare un dispositif d'aide aux chômeurs ayant cotisé 40 ans et touchant le RMI ?

A. Bocquet : Je prends tous ces éléments comme des acquis, comme des choses intéressantes qu'il faut mettre au compte de l'action des salariés, des travailleurs privés d'emploi. Mais je pense que l’on doit aller plus vite. Il faut faire plus vite car on est - comme on l'a dit dans cette déclaration commune en avril dernier entre les communistes et les socialistes - en France dans une situation d'urgence sociale et je pense qu'on ne peut pas prendre de demi-mesure. Il faut régler les problèmes économiques et les mesures qui ont été prises pour créer les 350 000 emplois-jeunes de la part de l'État sont des mesures positives bien entendu.

RTL : Le chômage a légèrement baissé.

A. Bocquet : Absolument, et il faudrait que de ce point de vue, le privé prenne cet exemple en compte et fasse la même chose, puisqu'il était proposé de faire 350 000 emplois-jeunes dans le privé. Cela, ce sont des éléments positifs. Il reste que les chômeurs, notamment les chômeurs de longue durée - et on a vu dans les résultats de ce matin que les chômeurs de longue durée sont plus nombreux, la durée du chômage est plus longue -, eh bien on doit y répondre. On doit y répondre y compris socialement. Il faut à la fois régler les problèmes économiquement, mais en même temps il faut aussi apporter des éléments d'aide sociale pour ceux qui souffrent.

RTL : Vous nous avez dit tout à l'heure que vous étiez du côté des chômeurs qui manifestent.

A. Bocquet : Cet après-midi, dans ma ville, il y a eu une distribution pour les fêtes de la part du Secours Populaire, il y avait 740 personnes qui faisaient la queue. 740 personnes dans une ville de 17 000 habitants. Et c'est, dans ma région Nord-Pas-de-Calais, c'est un peu la situation qu'on rencontre partout.

RTL : Donc vous êtes du côté des chômeurs ?

A. Bocquet : Je suis du côté des gens qui souffrent. Je suis communiste, je suis de gauche, je suis dans la majorité plurielle pour que tous ceux qui souffrent dans ce pays puissent avoir une part de bonheur.

RTL : Est-ce-que vous êtes aussi du côté des casseurs qui sont parfois encadrés par la CGT ?

A. Bocquet : Moi, je ne suis pas pour la violence. Je condamne toute la violence. En même temps, la colère, on doit la comprendre. Les gens sont au bout du rouleau. Et en fait, la violence, elle est du côté de ceux qui décident de fermer les usines, de licencier, et de faire des profits fabuleux, parce que demain soir, je suis convaincu qu'à la Bourse de Paris, on va encore, comme d'habitude, avec les cotillons, faire la fête pour célébrer les résultats boursiers de cette année. Cela, c'est une réalité.

RTL : Est-ce-que politiquement, vous vous attendez à une année 1998 difficile au sein de la majorité plurielle ?

A. Bocquet : Moi, je suis dans la majorité plurielle pour construire, pour travailler, pour faire entendre la voix de tous ceux qui veulent que cela change dans le pays. C'est dans cet esprit que nous voulons continuer.

RTL : La politique actuelle va dans le bon sens ?

A. Bocquet : Il y a des décisions qui sont très positives. J'en ai souligné quelques-unes. Par contre, il y a des manques. Je pense au chômage, qui est un exemple patent. Je pense qu'il y a des mesures qui devraient être prises avec beaucoup plus de force. Je prends l'impôt sur les grandes fortunes, par exemple, on devrait, pour aider les gens qui sont en difficulté, prendre des mesures plus claires, plus offensives. Mais enfin, dans la majorité plurielle, chacun apporte sa voix, chacun apporte son originalité, sa spécificité. Nous considérons, nous, communistes, que nous devons contribuer activement à ce que le changement puisse se concrétiser. Et il faut entendre ce qui se passe dans le tréfonds du pays, il faut entendre tous ceux qui souffrent et en particulier les travailleurs privés d'emploi. En fait, si on a créé les conditions de changer dans ce pays, c'est pour faire reculer ce cancer de la société qu'est le chômage. J'ai conscience que cela ne se fait pas du jour au lendemain, je ne suis pas partisan du tout ou rien, mais en même temps, j'ai conscience qu'il faut aller très vite, prendre des mesures très faibles, pour avancer concrètement dans l'année 1998. Et les communistes apporteront leur pierre à cette construction-là.