Texte intégral
TF1 - mardi 4 novembre 1997
TF1 : Quelle est votre réaction après l’intervention de L. Jospin ?
Nicole Notat : Le Premier ministre s’est engagé en première ligne, a pris des engagements très solennels. Je crois qu’il a touché un point très sensible que les routiers ne vont pas manquer de regarder avec beaucoup d’attention. Car, finalement, qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui ces routiers sont sur les barrages, sont sur les routes ? C’est bien sûr qu’ils ont toujours envie de voir leurs conditions de travail, leurs conditions salariales améliorées – depuis le temps qu’ils l’attendent ! – mais c’est surtout que de protocole en protocole, de fin de conflit en fin de conflit les décisions prises, les engagements pris, ne sont pas traduits, ou en tout cas, que partiellement traduits. Donc ils n’en peuvent plus. Ils ont été trop échaudés. Donc maintenant, bien sûr, ils sont attentifs au contenu des accords. Il faut des accords, il faut écrire sur le papier ces garanties. Mais ils sont très attentifs à la manière dont ce sera appliqué partout, dans toutes les entreprises, pour tous les salariés, ceux des marchandises bien sûr, mais aussi pour les transports de voyageurs, pour les ambulanciers.
TF1 : Dans quelle disposition d’esprit êtes-vous avant de vous retrouver autour de la table avec l’UFT demain ? Ça, c’est important ce soir.
Nicole Notat : Bah, vous savez, la CFDT, je crois, l’a montré : la CFDT, depuis deux mois, fait un travail dans cette profession pour réussir par la négociation. Car c’est par la négociation – je continue à le penser – que les choses peuvent être le mieux solutionnées. Mais quand il y a des partenaires de mauvaise foi, ou quand on ne peut pas arriver à un compromis équilibré, eh bien, il y a recours au conflit. Donc, demain, moi je serai attentive à une chose : d’abord, c’est qu’il y ait véritablement un accord. Et un accord, il y en a au moins les bases aujourd’hui. Donc, il n’est pas question que demain on reparte à la case départ, qu’on considère que tout le travail réalisé soit nul et non avenu. Ce serait un risque d’ailleurs qui ferait que les résultats pourraient être moins importants. Donc, demain, je pense que la CFDT – ce n’est pas moi directement, ce sont les responsables de la profession qui le feront –, auront à cœur d’aboutir à un accord, le plus possible, le mieux possible dans son contenu, avec le plus de gens possibles, signataires bien sûr. Mais si ce n’est pas possible d’élargir l’accord qui est en germe, qui a déjà été esquissé, eh bien, c’est celui-là qu’il faudra que le Premier ministre s’engage à faire appliquer, car, là, les routiers ne comprendraient plus.
TF1 : Alors, Madame, si l’accord existant est accepté demain par l’UFT, est-ce que vous allez lever les barrages. Ça intéresse tous les Français ce soir ?
Nicole Notat : Vous savez, la CFDT maîtrise tout à fait l’action qu’elle a conduite. La CFDT, sur le terrain, ne se trompe pas de responsables. Elle n’a pas du tout l’intention de prendre en otages des gens qui ne sont pas responsables. Elle est contrainte, aujourd’hui, à cette action, et elle souhaite, pour que ça puisse durer le moins longtemps possible – c’est simple ! pour que ça dure le moins longtemps possible – c’est que demain, un accord se dessine, un accord ferme qui permette de satisfaire les gens. Et surtout, j’insiste, qui donne des garanties, des garanties immédiates sur les salaires, sur le contrôle de la durée du travail, sur la manière dont les charges, les décharges de camion, les temps de repos, tout cela, va enfin être contrôlé, va enfin être vérifié, va enfin être régulé dans cette profession. C’est à la portée des négociateurs, à condition que tous le veuillent.
Ouest-France - Mercredi 5 novembre 1997
Ouest France : Après avoir jugé les résultats de la négociation « excellents » dimanche soir, la CFDT s’avère le moteur du conflit routier. Elle est débordée par sa base ?
Nicole Notat : Non. Il y a totale complémentarité entre l’action que les négociateurs mènent au sommet et la vigilance et la détermination dont font preuve les équipes CFDT sur le terrain. Le but recherché reste le même : que les résultats obtenus s’appliquent réellement dans toutes les entreprises.
Ouest France : Lionel Jospin a annoncé des mesures ?
Nicole Notat : Le message du Premier ministre, qui est monté en première ligne n’aura pas manqué d’être entendu par les chauffeurs routiers. Sa volonté et surtout les dispositions concrètes prises pour faire appliquer tous les accords passés comme ceux à venir seront un élément déterminant pour dissiper leurs craintes légitimes. Déjà tellement échaudés par les engagements pris et non tenus, les routiers CFDT maîtrisent cette action avec ce seul souci en tête.
Ouest France : À quelles conditions les routiers seraient-ils susceptibles de lever les barrages ?
Nicole Notat : Les routiers doivent sortir gagnants de ce conflit. Pour cela, il faut engranger les premiers résultats acquis par la négociation, en évitant le piège du redémarrage de zéro. Inciter les parties patronales absentes à rentrer dans le jeu de la négociation. Et élargir les résultats aux salariés du transport voyageurs et ambulancier. L’issue du conflit passe par l’obtention, pour les routiers, d’un salaire qui décroche significativement du Smic et dont l’application est garantie dans toutes les entreprises. Ainsi que par une durée du travail limitée et réellement contrôlée.
Ouest France : L’échec de la conférence du 10 octobre signifie-t-il un gel durable de la vie contractuelle ?
Nicole Notat : Officiellement, il n’y a plus de dialogue, mais je remarque que l’Association française des banques vient, paradoxalement, de faire une proposition d’ouverture de négociation intégrant le nouveau dispositif gouvernemental. J’entends que l’habillement est lui aussi prêt à rouvrir la négociation. Je constate que, sur le terrain, les accords Robien continuent à être signés. C’est la démonstration que le patronat n’imagine pas figer durablement le dialogue social. Le recul aidant, les patrons retrouvent le principe de réalité et se rendent compte que, les 35 heures négociées d’ici à l’an 2000, ce n’est ni l’erreur ni l’horreur économique.
Ouest France : Il n’empêche que le CNPF fait le mort…
Nicole Notat : J’ai le sentiment que la nécessité d’adaptation du CNPF, la redéfinition de son rôle sont réels. Il n’y a pas seulement la démission du président. Il y a une crise d’identité du CNPF. Mais je veux espérer que cette situation est de nature à favoriser une redéfinition des missions d’une organisation patronale confrontée aux mutations économiques, mais aussi aux problèmes plus généraux de la société.
Ouest France : Mais, si le CNPF se dote d’une président « tueur » …
Nicole Notat : Je n’y crois pas. Et même si cette étiquette pouvait être accolée au nouveau président, je crois que ce serait un élément supplémentaire pour que ce président s’efforce à démontrer le contraire.
Ouest France : Contre toute attente, l’assurance chômage est en déficit. Que proposez-vous pour la rééquilibrer ?
Nicole Notat : Ce n’est pas un dérapage des comptes de l’assurance maladie. C’est l’Arpe qui est victime de son succès. Il ne faut pas, pour autant, en brider le développement, mais on doit naturellement assurer son financement. De ce point de vue, je pense que la proposition de l’État – dans le cadre de l’élargissement de l’accès à l’Arpe qu’il souhaite – de ne financer qu’un tiers du coût dispositif, est insuffisante. Car cela laisse à l’Unedic le soin de supporter le maximum de la charge.
Ouest France : Le sommet du Luxembourg pour l’emploi s’annonce profil bas. Qu’en attendez-vous ?
Nicole Notat : Il est tout aussi abusif d’en attendre des miracles que de considérer qu’il ne sert à rien. Il y a des pistes qui méritent d’être explorées : le chômage de longue durée, l’activation des dépenses en faveur de l’emploi, la réduction du temps de travail. Mais la vraie question, aujourd’hui, pour l’Europe, est moins de proposer des décisions que de se donner les moyens de les appliquer. Elle a tendance à oublier, dès le lendemain, les décisions annoncées la veille. L’Europe souffre d’une insuffisance de réforme institutionnelle. Tant qu’il faudra l’unanimité de ses membres pour concrétiser ses décisions ce sera la paralysie.
Ouest France : La polémique sur les fonctionnaires vous interpelle ?
Nicole Notat : C’est une provocation. Le rapport incriminé fait partie de ces rapports qui existent dans les tiroirs et que l’on sort opportunément pour occuper l’opinion.
Sud-Ouest - Vendredi 7 novembre 1997
Sud-Ouest : Le projet d’accord proposé par l’UFT vous satisfait-il ?
Nicole Notat : C’est un projet qui intègre et améliore les avancées déjà obtenues dans les négociations avec l’UNOSTRA. Compte tenu des engagements de l’État à en contrôler et à en garantir l’application, les routiers n’apprécieraient pas que ces résultats leur échappent. Je tiens à rendre hommage aux routiers CFDT, qui ont mené cette action avec une grande maîtrise et un grand sens des responsabilités dans la négociation comme dans l’action.
Sud Ouest : Ce conflit des routiers était-il évitable ?
Nicole Notat : Je crois que oui. Il y a plus de deux mois, la CFDT routes avait attiré l’attention sur la mauvaise application des engagements pris après le conflit de 1996 et sur le risque d’un nouveau conflit. On n’a pas pris au sérieux ces déclarations. Peut-être certains, côté patronal, ont-ils voulu jouer la politique du pire. C’est un mauvais calcul. Car remettre les projecteurs sur cette profession, et donner l’image d’un patronat incapable d’évoluer et de faire évoluer les relations sociales, finit toujours par se retourner contre les entreprises et l’ensemble du secteur.
Sud Ouest : Croyez-vous, comme certains, à une volonté de revanche du patronat, après l’affaire des 35 heures ?
Nicole Notat : Je ne crois pas à cette version. C’est une explication facile, tentante, mais pas réaliste. Car les divisions et les blocages au sein du patronat des transports ne sont pas nouveaux.
Sud Ouest : Vous êtes en campagne pour les élections prud’homales. Quel objectif fixez-vous pour la CFDT ?
Nicole Notat : D’abord, sensibiliser l’ensemble des salariés à l’importance de ces élections. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la seule occasion, une fois tous les cinq ans, d’avoir leur mot à dire. D’abord sur le choix des conseillers prud’homaux, car, contrairement à ce qu’on croit trop souvent, les prud’hommes, ça n’arrive pas qu’aux autres. Et plus généralement sur la vie sociale.
Sud Ouest : Vous visez la première place ?
Nicole Notat : Ne rêvons pas. Dans ce genre d’élections, les mouvements électoraux sont lents. Mais il faut que les prud’homales soient, pour la CFDT, l’occasion de confirmer l’accroissement du nombre de ses adhérents, de ses bons résultats aux élections professionnelles, et de l’image satisfaisante que lui renvoient les salariés.
Sud Ouest : Envisagez-vous d’être candidate, comme Marc Blondel à Paris ?
Nicole Notat : Non ! Nous ne manquons pas de candidats, et la CFDT a déposé des listes complètes dans tous les conseils de prud’hommes. Si Marc Blondel est élu, il aura du mal à concilier ses deux fonctions. Il fera des semaines de soixante-dix heures au lieu de trente-cinq !
Sud Ouest : Justement, les 35 heures. Comment établir ce « rapport de forces » que vous appelez de vos vœux face aux patronat ?
Nicole Notat : Je constate que, malgré la situation anachronique de pause dans les relations sociales, certaines entreprises ou branches ouvrent des négociations, que d’autres signent encore des accords Robien. La meilleure manière de sortir des crispations actuelles est d’obtenir, à la mi-99, le maximum d’accords, une dynamique de réduction du temps de travail et de création d’emplois. Que le fait précède le droit, ce serait la meilleure situation possible.
Le temps viendra où le patronat devra reprendre le dialogue et la négociation. Ce n’est pas son intérêt que de se mettre hors-jeu des relations sociales. Quel que soit le prochain président du CNPF, il ne pourra pas faire autre chose que de renouer le contact.
La Voix du Nord - 12 novembre 1997
La Voix du Nord : Si un conflit comme celui des routiers donne l’impression d’un mouvement syndical fort, la France n’en connaît pas moins le taux le plus faible des pays occidentaux. Pourquoi ?
Nicole Notat : C’est vrai, mais cela ne date pas d’hier. La France connaît le plus faible taux de syndicalisation en Europe. C’est une réalité historique dans un pays où le syndicalisme a misé sur son influence électorale. C’est incontestablement un signe de faiblesse. C’est pourquoi, depuis dix ans, la CFDT concentre ses efforts pour accroître ses effectifs. Car un syndicat sans adhérents est une coquille vide.
La Voix du Nord : Lionel Jospin assure que le Gouvernement a tout fait pour éviter ce conflit des routiers ? Cependant, ne pouvait-il pas être évité ?
Nicole Notat : Bien sûr… Ce conflit était évitable si le patronat d’un côté et le Gouvernement de l’autre avaient d’avantage pris au sérieux les menaces clairement énoncées depuis des mois, par la CFDT notamment, quant à la colère des routiers face aux dispositions retenues l’année dernière et non appliquées. Il m’apparaît que tout le monde a laissé passer le temps jusqu’au 2 novembre, date ultime à partir de laquelle, faute de réponse, le conflit démarrait.
Je regrette que dans ce secteur, il soit impossible de gérer les conflits d’intérêts entre les chefs d’entreprise et leurs salariés autrement que dans le cadre d’un conflit ouvert. Non pas que les conflits ne doivent jamais exister. Mais je trouve déplorable qu’ils constituent la voie de passage obligée dans une profession pour faire avancer des revendications somme toute minimum. Cela étant dit, la CFDT se félicite bien entendu des résultats obtenus pour et par les routiers.
La Voix du Nord : À ce jour, la CFDT est la seule organisation syndicale à avoir signé le protocole d’accord. Ne prend-elle pas le risque de porter une lourde responsabilité ?
Nicole Notat : Oui, la CFDT porte une grande responsabilité. Mais cela lui procure une grande fierté. Si la CFDT a proposé d’engranger des acquis, c’est parce qu’elle se présentait en garante des réels résultats obtenus. Sans doute, dans toute négociation, l’ensemble des revendications n’est jamais atteint. Mais les routiers peuvent être fiers d’avoir su mêler mobilisation, détermination et sens des responsabilités dans l’action comme dans la négociation.
La Voix du Nord : Ce conflit aura-t-il, comme le dit Marc Blondel, un impact sur les élections prud’homales que vous avez déjà présentées comme un test pour la CFDT ?
Nicole Notat : Ce scrutin est un test pour tout le monde puisqu’il permet à quinze millions de salariés de s’exprimer pour choisir des conseillers prud’homaux ayant une étiquette syndicale.
La Voix du Nord : À la CFDT, nous n’avons pas géré ce conflit différemment du fait de la campagne. Jouer à cela aurait été très risqué. Nous avons privilégié l’application de mesures oubliées depuis le conflit précédent et nous avons recherché la solution par le dialogue.
La Voix du Nord : L’UNEDIC que vous présidez prévoit un déficit de près de 1,5 milliard de Francs en 1997 et en 1998. Comment y faire face ?
Nicole Notat : Ne parlons pas de déficit. Et remarquons que sur le régime de l’assurance chômage en tant que tel, il n’y a pas déséquilibre financier. Ce qui est en question, c’est le coût d’une mesure comme l’ARPE, l’allocation de remplacement pour l’emploi, en quelque sorte victime de son succès. Les partenaires sociaux se rencontreront avant la fin de l’année. C’est une question qu’il faudra regarder de près mais qui ne saurait mettre en cause l’existence et le développement de l’ARPE.
La Voix du Nord : Comment voyez-vous les négociations sur les 35 heures avec un Gouvernement qui hésite et un patronat qui rechigne ?
Nicole Notat : D’abord, les 35 heures ne sont pas pour nous une revendication « fétiche ». Nous avons toujours été partisans d’une réduction massive de la durée du travail, sans palier à 35 heures et dotée d’un véritable impact sur l’emploi. Avec la loi Robien, nous avons la preuve que la bonne voie est celle du changement d’organisation du travail. À condition qu’elle n’entraîne pas plus de contrats précaires que d’heures supplémentaires mais qu’elle soit combinée avec une réduction significative du temps de travail.
Il faut négocier les deux choses en même temps. Il faut régler la question de l’écart entre la durée effective et la durée légale. Notre but, c’est que l’entreprise comme les salariés y trouvent leur compte. Et nous nous élevons devant une déduction de la durée du travail qui serait une contre-performance ou une erreur économique pour l’entreprise. Les salariés ont tout à gagner d’une bonne santé et d’un meilleur développement des activités de leur entreprise. Une chance est à saisir. Le coche ne doit pas être raté…
La Voix du Nord : On ne vous a pas beaucoup entendu à propos des atteintes portées au budget des familles. Pour quelle raison ?
Nicole Notat : La CFDT pense qu’il faut, comme pour l’assurance maladie, opérer une réforme profonde de la politique familiale afin d’y mettre plus de justice et de solidarité. J’ai dit qu’avec la mise sous plafond des allocations familiales, décidée sans réflexion ni concertation, le Gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis.
Nous avons demandé en juin la suspension de cette mesure. En vain. Nous demeurons persuadés qu’il faut regarder la totalité des aides à la famille. Toutes doivent être revues pour y inclure plus de cohérence, de justice et de solidarité.
La Voix du Nord : Globalement, quelle appréciation portez-vous sur la politique sociale du Gouvernement ?
Nicole Notat : Je n’aime guère les appréciations globales. Quand le Gouvernement Jospin donne à la réforme de l’assurance maladie toute son ampleur, je m’en félicite. Et quand il développe à l’horizon 2000 un processus de réduction de la durée du travail, je m’en réjouis aussi.
Car c’est un signe de maturité politique que de poursuivre ce qui a été fait pas un autre Gouvernement dès lors que les décisions prises étaient fondées.
Je regrette le faux pas sur la famille. Mais le fait que cette mesure devienne temporaire a rectifié le tir. S’il existe un point noir du côté du pouvoir, il concerne son attitude à l’égard de ses propres salariés. Le contentieux sur les négociations salariales se fait lourd dans la fonction publique.