Article de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, dans "Option finance" du 21 juin 1999, sur la deuxième loi sur les 35 heures, notamment le contingentement et le taux de majoration des heures supplémentaires, intitulé "Le Bureau".

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Média : Option finance

Texte intégral

Souvenons-nous. Un rêve démiurge voulait qu'un Bureau central de planification fixe, entreprise par entreprise, à la fois les prix des inputs et des outputs et les quantités produites. Cela permettrait d'assurer l'allocation optimale des ressources disponibles, et d'éradiquer le chômage. On sait ce qu'a engendré cette approche : des économies inefficaces, des rationnements permanents, des progrès technologiques inexistants, un taux de croissance très faible et un chômage caché considérable. L'approche par le Bureau a conduit les économies planifiées à la ruine.

La première comme la seconde loi sur les 35 heures s'inspire de la même démarche. Ce sont les pouvoirs publics – en l'occurrence le Gouvernement et le Parlement – qui vont fixer l'horaire légal de travail, ainsi que le contingent d'heures supplémentaires, le taux de leur majoration, le déclenchement du repos compensateur. Et ce sont les pouvoirs publics qui fixent le salaire minimum interprofessionnel, distribuent les aides aux entreprises méritantes qui appliquent leurs décisions. La justification avancée par les défenseurs des 35 heures est la même que celle qui a conduit à mettre en place la planification. Le Bureau sais, décide, ordonne, contraint, vérifie, sanctionne.

La première loi n'a pas créé d'emplois, en dépit des communiqués glorieux émis par le Bureau. Comme dans les économies planifiées d'antan, l'essentiel est de sortir des statistiques gonflées à bloc, célébrant les succès de la ligne conduite par le Bureau.

Qu'importe la réalité.

Le contingentement des heures supplémentaires au-delà de la durée légale du travail par le Bureau aboutit à ce que les entreprises se verront allouer un volume d'heures supplémentaires contraignant. Pour certaines d'entre elles, dont l'activité est relativement peu marquée par des variations intra ou interannuelles importantes, ce contingent sera large. Pour d'autres, au contraire, qui connaissent des variations saisonnières ou cycliques d'activité, ce contingent d'heures supplémentaires sera contraignant, et ne leur permettra pas de faire face à l'évolution de leur carnet de commandes.

Quant à la fixation par la loi du taux de majoration des heures supplémentaires, elle est ubuesque. En économie, l'équilibre de l'offre et de la demande de travail dépend du côté des salariés de l'arbitrage travail-loisir et de la désutilité marginale du travail, et du côté des entreprises de la productivité marginale du travail, de son coût et des possibilités de substitution capital-travail, Aussi la rémunération du travail, qui assure l'équilibre entre l'offre et la demande, relève d'une approche contractuelle, à la limite conventionnelle, où l'entreprise négocie avec le ou les salariés concernés la rémunération éventuelle des heures de travail marginales, qui équilibre la désutilité marginale du travail du salarié et l'utilité marginale de l'entreprise qui peut faire face immédiatement à une variation de son activité.

Croire que la loi puisse se substituer sans problème à ce rapprochement singulier, décentralisé, des intérêts des salariés et des entreprises relève des fantasmes du Bureau. Par son intervention sur les prix et les quantités d'heures supplémentaires, il va perturber gravement le fonctionnement du marché du travail, en dés-incitant les salariés à travailler et les entreprises à embaucher. Il prétend que ce faisant il va augmenter la demande de travail des entreprises. Argument typique du Bureau : il connaît les préférences des salariés, l'ensemble des fonctions de production et des cycles d'activité des entreprises, dont il imagine qu'elles sont toutes identiques ! Le Bureau n'a que faire des effets d'incitation ou de désincitation des salariés : l'offre de travail est supposée inélastique au taux du salaire. Le Bureau caresse même le projet de taxer les heures supplémentaires au-delà de leur majoration : il espère récupérer des ressources provenant du travail des salariés qui acceptent de travailler davantage pour subventionner le loisir de ceux qui travailleront moins ! Le bureau n'a que faire des fonctions de production et du degré de substitution capital-travail : il postule que les facteurs de production sont complémentaires. Peut-être faudra-t-il aussi demander au Bureau l'autorisation justifiée, en trois exemplaires, d'investir ? Et attendre, après la visite de l'inspecteur du travail, celle de l'inspecteur d'investissement ?

Dans une économie moderne, la loi devrait se limiter à fixer la durée maximale du travail. Cela relève de l'ordre public. La durée effective du travail et sa rémunération ne devraient relever que de l'accord contractuel entre les parties. Un cadrage peut être effectué à la hauteur des entreprises ou à celle des branches. Comme par hasard, la plupart des pays développés ne connaissent pas le concept de « durée légale » du travail, ni celui de contingent d'heures supplémentaires, ni celui de « majoration légale des heures supplémentaires ». Mais il est vrai que ces pays font davantage confiance aux entreprises et aux partenaires sociaux qu'aux vertus d'un Bureau Omnipotent ?