Article de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "La Tribune" le 20 novembre 1997, sur la politique de l'emploi en Europe.

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Circonstance : Conseil européen sur l'emploi, à Luxembourg, les 20 et 21 novembre 1997

Média : La Tribune

Texte intégral

Ces 20 et 21 novembre se tient à Luxembourg, à l’initiative de la France, un sommet européen sur l’emploi. L’important, c’est la volonté exprimée par les gouvernements et la Commission européenne à l’occasion de ce sommet : volonté d’efficacité ou volonté de communication, réalité ou illusion ?

Des informations disponibles, il ressort que les thèmes avancés (esprit d’entreprise, « employabilité », formation, insertion) ne sont pas de nature à « révolutionner » la pratique établie. Ce sommet apparaît comme étant auxiliaire par rapport aux sommets habituels qui se sont surtout concentrés ces dernières années sur les questions économiques et monétaires, de Maastricht à Amsterdam, en passant par Dublin.

Politique restrictive.

Ces sommets ont imposé des critères économiques (déficit, inflation, taux de change notamment), qui constituent les fondements d’une politique économique de caractère restrictif. De ce point de vue, les récentes déclarations du chancelier Kohl méritent d’être soulignées. En affirmant, en effet, que le « combat contre le chômage est en premier lieu une tâche nationale », en faisant référence à la limitation des prestations sociales, le dirigeant allemand souligne, à sa façon, ce qu’on peut craindre du sommet de Luxembourg. Complémentairement, son ministre des Finances a souligné son hostilité à ce qui serait un objectif quantifié de réduction du chômage, rappelant qu’un tel objectif arrêté en Allemagne en 1995 dans le cadre d’un pacte n’avait pas été respecté, loin s’en faut.

Objectivement, force est alors de constater que ce qui demeure prioritaire et incontournable pour les gouvernements, ce sont les critères et conditions retenus pour la monnaie unique. Dans ces conditions, la prise en compte du social s’avère obligatoirement accessoire, qu’il s’agisse du chômage, de la protection sociale, de la réduction des inégalités sociales ou du niveau des salaires. Autrement dit, l’instabilité sociale est la conséquence de l’objectif de stabilité économique confirmé à Amsterdam.

La grille de lecture et la l’analyse de la Commission européenne est elle-même prioritairement guidée par le principe de la liberté de circulation, principe essentiel de l’idéologie libérale. C’est ainsi que pendant le récent conflit des routiers, le commissaire européen aux Transports s’est adressé aux organisations syndicales françaises pour leur demander de faire respecter ce principe, ce qui revient à interdire les actions des routiers, ou à mettre en place des corridors au profit du libéralisme. Un tel type d’intervention, sept mois avant la libéralisation complète du transport routier en Europe, donne à réfléchir. Comment ne pas penser, par exemple, au développement du dumping social initié par des grandes entreprises de transports européennes ayant investi ou créé de sociétés dans les ex-pays de l’Est où les conditions sociales sont, bien entendu, nettement inférieures. De fait, la priorité au libéralisme interdit les analyses et actions de complémentarité au plan européen.

Modèle américain.

Y-a-t-il une réflexion européenne en matière de stratégie industrielle ? Que reste-t-il du modèle européen lorsqu’il tend à copier le modèle américain ? À titre d’exemple, où en sont les grands travaux d’infrastructure décidés, reportés puis oubliés ?

Que penser des initiatives de la Commission européenne en matière de retraite complémentaires sous couvert de liberté de circulation des capitaux ? Favoriser la capitalisation revient, en effet, à sortir les masses financières du critère du déficit public. Dans la même logique, alors que l’imposition du travail est en France plus faible que dans les pays nordiques ou l’Allemagne, relativisant ainsi les à priori sur les prélèvements obligatoires, il est beaucoup plus important de rééquilibrer les poids relatifs du travail et du capital.

De fait, qu’il s’agisse de la protection sociale ou du service public notamment, la priorité accordée au principe de liberté de circulation et à la libre concurrence conduit à remettre en cause les structures qui fondent la solidarité et la cohésion sociale. Trop souvent, la subsidiarité est, de fait, utilisée comme une nouvelle forme de centralisme de type technocrate.

Force ouvrière participera à la manifestation initiée par des syndicats luxembourgeois à l’occasion de ce sommet. Nous irons avec revendications et sans illusions sur les résultats de celui-ci.

Entre les gouvernements qui considèrent que trop demander conduirait à l’échec et ceux qui ne veulent rien, la marge de manœuvre est plus qu’étroite : c’est celle du tout économique et financier. Certains avaient émis l’idée, y compris dans les milieux syndicaux européens, de définir à Luxembourg des critères sociaux quantifiés de même valeur ou importance que les critères économiques. C’est là ce que l’on pourrait appeler au mieux de la naïveté, au pire un leurre.

Du social ambitieux.

Comment peut-on en effet concilier politique économique restrictive et politique sociale ambitieuse ? L’expérience des dernières années montre en effet les effets dévastateurs du dogmatisme économique libéral sur le plan social. Les grands pays industrialisés (le G7 devenu G8 avec la Russie) ont décider de compléter leurs sommets par des sommets emplois (le prochain aura lieu fin novembre à Kobe au Japon) ; ceux-ci ont, pour le moment, contribué à définir les conditions du développement de la flexibilité.

L’Europe manque indubitablement d’une dimension politique et sociale. Son problème essentiel est celui de la non-Europe, sa dilution dans le marché roi. Le fait qu’une certaine élite, ou prétendue telle, affirme régulièrement depuis 1992 qu’être européen c’est obligatoirement accepter l’Europe du libre-échange, contribue indubitablement à affaiblir à la fois le débat et l’idéal européen. Avec près de 20 millions de chômeurs, les salariés européens attendent autre chose : ils attendent de l’Europe un espoir, non des contraintes.