Interview de M. Hervé de Charette, ancien ministre des affaires étrangères, délégué général du PPDF et vice-Président de l'UDF, à RTL le 5 novembre 1997, sur la candidature de M. Trichet à la présidence de la Banque centrale européenne et sur le conflit des routiers.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-P. Defrain : Nous commençons par la politique étrangère : notre correspondant en Allemagne, M. Leroy-Beaulieu…

H. de Charette : J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt (Voir commentaire de M. Leroy-Beaulieu, Ndlr). Et si je l’écoute, il va y avoir sport.

J.-P. Defrain : Que pensez-vous du communiqué commun de l’Élysée et de Matignon soutenant la candidature de J.-C. Trichet à la présidence de la future Banque centrale européenne ?

H. de Charette : Si vous voulez bien, ne parlons pas du choix de l’homme – la réputation de Monsieur Trichet comme grand financier international n’est pas à faire – mais parlons de la question de fond : faut-il qu’il y ait un candidat français pour diriger la future Banque centrale européenne ?

J.-P. Defrain : M. Moscovici, actuel ministre des affaires européennes, pense que c’est « naturel » – c’est son mot.

H. de Charette : Je vais dire quelque chose d’assez proche : c’est évident ! Et je n’imagine pas que la Banque centrale n’ait pas comme premier gouverneur un Français. Comme vous le savez, lorsqu’on a décidé de créer la Banque centrale, en même temps qu’on créait la monnaie unique, c’est-à-dire au moment de Maastricht, on a choisi le siège. Les Allemands ont fait beaucoup de pression. Le Chancelier Kohl et son gouvernement ont marqué avec beaucoup d’insistance qu’il fallait que ce soit en Allemagne. On nous a expliqué que le mark était la première monnaie européenne, que les Allemands n’étaient pas très chauds, bref qu’il fallait pour des raisons de fond, et pour de raisons de forme, absolument que le siège soit à Francfort. Il est de tradition dans la vie internationale que, lorsqu’il s’agit d’une grande instance, le siège appartient à un pays et le poste de responsable à un autre. Il y a, en Europe, deux monnaies importantes – puisqu’il n’y aura pas la livre, les Britanniques se tiennent à l’écart –, il y a deux grandes monnaies, et il va de soi que, si le siège est dans le pays de l’une des deux grandes monnaies, le gouverneur appartient au pays de la deuxième monnaie en question. Donc, il va de soi que le gouverneur est français. Je vais même aller un peu plus loin : j’espère que tout cela a été clairement mis sur la table par le Président Mitterrand en son temps, de telle sorte que M. Kohl n’aura aucune peine à accepter le candidat de la France.

J.-P. Defrain : Peut-être que cela sera au menu des discussions ce soir entre M. Chirac et M. Jospin puisque M Kohl est à Paris. Mais le ministre des finances allemand, M. T. Waigel, s’est prononcé farouchement contre cette candidature.

H. de Charette : J’espère que la France va tenir bon…

J.-P. Defrain : Oui, mais nous sommes en situation de cohabitation.

H. de Charette : Justement, j’encourage le Président de la République et le Premier ministre à tenir bon dans cette affaire, parce que franchement, je n’imagine pas qu’il puisse y avoir une autre solution.

J.-P. Defrain : Il faudrait qu’il y en ait un qui lâche quand même. Est-ce que la France peut aller jusqu’à la rupture avec l’Allemagne ?

H. de Charette : Lâcher quoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

J.-P. Defrain : Chacun a son candidat, il faudra bien qu’il y en ait un qui perde.

H. de Charette : Non, cela ne présente pas comme cela. Il faut que la France – je suis tout à fait confiant que tel est l’état d’esprit du Président de la République et je veux croire que c’est aussi celui du Premier ministre – fasse preuve dans un moment qui est significatif et important de sa capacité à décider, à marquer ce qui est l’intérêt de la France. C’est notre intérêt. C’est tout clair. Et c’est l’intérêt de l’ensemble des pays qui veulent la monnaie unique parce qu’on ne peut pas comment dire jouer sans la France. J’entendais votre reporter qui allait peut-être un petit loin dans la castagne verbale. Mais c’est pour cela qu’il faut être sérieux, raisonnable, calme mais déterminé.

J.-P. Defrain : Pour l’instant, nous ne sommes pas majoritaires puisque déjà même les Pays-Bas se sont prononcés contre la candidature M. Trichet.

H. de Charette : Si vous voulez qu’on entre un peu dans le détail : c’est normal que les Pays-Bas soient contre M. Trichet puisqu’ils ont réussi à nous "fourguer" M. Duisenberg, excellent cependant.

J.-P. Defrain : Nous « fourguer » ?

H. de Charette : Oui, dans des conditions qui, à l’époque, n’ont pas été très plaisantes pour la diplomatie française et dans lesquelles j’avais personnellement sérieusement tempêté. Enfin, bon ! II a été clair à l’époque que c’était pour diriger l’institut monétaire européen qui existe actuellement et qui sera remplacé demain par la Banque centrale et donc que cette décision n’impliquait aucune conséquence que ce soit pour la direction de la Banque centrale.

J.-P. Defrain : Alors qu’attendez-vous du Sommet franco-britannique qui s’ouvre demain soir ? Un nouveau contentieux entre les deux pays vient de s’ouvrir avec la grève des routiers puisque T. Blair, le Premier ministre britannique n’apprécie pas le blocus des routiers français et souhaiterait un petit peu plus d’énergie de la part du gouvernement français.

H. de Charette : Je crois que le Président de la République a rappelé qu’il fallait, en effet, assurer la libre circulation. Il faut parler de ce conflit. Je pense qu’on peut arriver à essayer d’en parler dans des termes compréhensibles par tous, acceptables par tout le monde. Moi, je comprends tout à fait que les routiers, salariés d’entreprises et exerçant un métier très difficile puissent avoir des doléances avec leurs employeurs. C’est la vie de toutes les entreprises du monde. C’est tout à fait normal. Ils ont le droit de grève comme dans tous domaines. Mais la question qui est posée est de savoir jusqu’où on peut transformer ce droit de grève en une prise d’otages des usagers et des tas de gens qui n’ont aucun rapport avec les transports en question. C’est là qu’est le problème. Cela n’existe pas seulement dans le secteur du transport privé. On voit cela dans le transport public et dans beaucoup de domaines. Nous ne pouvons, nous, les Français, continuer à avoir des pratiques sociales d’un autre âge. Alors aujourd’hui, non seulement, il y a des usagers qui râlent mais c’est de l’Europe qu’on vient nous dire : écoutez, ces mœurs-là nous, les Britanniques, les Allemands, les Hollandais, les Espagnols, il y a belle lurette qu’on ne fait plus comme cela.

J.-P. Defrain : Alors qu'elles pourraient être les conséquences si Bruxelles traînait la France devant la Cour de justice européenne, puisque M. Blondel craint une remise en cause du droit de grève ?

H. de Charette : II ne s’agit pas de cela. Et je ne pense pas que cela se terminera devant la Cour de justice européenne à l’initiative en tous cas de la Commission. Cela je ne le pense pas. Mais simplement, nous sommes interrogés. La société française doit adopter des comportements, je crois, plus modernes, plus adaptés à notre temps sans que cela enlève aux salariés des entreprises de transports le droit – c’est même un droit sacré, imprescriptible dans la vie sociale – de faire grève.

J.-P. Defrain : J’ajoute que vous partez demain pour le Proche-Orient : escale à Beyrouth et Damas.

H. de Charette : Oui, je vais à la fois présenter un livre que je viens de publier et je vais aussi rencontrer dans ce pays des hommes et des femmes qui nous aiment passionnément, qui aiment la France et qui attendent beaucoup de notre pays aujourd’hui où la paix paraît dans une impasse.