Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans "Libération" le 5 août 1999, sur son refus de changer de ministère en demeurant la seule représentante des Verts au gouvernement et sur l'extension de l'usine de combustible nucléaire (Mox) de la Cogema.

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Q - Malgré le bon score des Verts aux européennes, le remaniement ministériel n'a pas touché aux équilibres au sein du gouvernement. Une occasion ratée pour vous ?

C'est clairement un remaniement technique qui fait l'impasse sur cet événement électoral. Mais je suis d'accord avec Lionel Jospin quand il affirme qu'on ne change pas la composition d'une équipe à chaque élection particulière. Que ça bouge, c'est évident. C'est au moment des législatives, avec le renouvellement de l'Assemblée nationale, qu'on peut s'engager sur un programme pour une durée connue de tout le monde.

Q - Il y a quand même eu un signal envoyé de la part de l'électorat ?

Je n'ai pas insisté pour un rééquilibrage, mais j'ai tenu à dire aux autres composantes de la majorité qu'elles devaient entendre le message des électeurs. Je l'ai redit lors du dîner des chefs de parti à Matignon il y a quinze jours : ne croyez pas que l'aspiration à une meilleure qualité de la vie soit un problème mineur qui peut être sous-traité par les écologistes au ministère de l'Environnement. C'est une préoccupation qui monte en puissance dans toutes les couches de la société, qui concerne des domaines aussi variés que la qualité de l'air et la façon de se déplacer, la qualité de l'alimentation et les modes de production agricoles… Répondre à cette demande suppose une mobilisation interministérielle dans la durée.

Q - Avez-vous été entendue ?

Nous le verrons. Mais comme je l'ai dit à Lionel Jospin, l'aspiration à la qualité de la vie n'est pas une aspiration bourgeoise qui s'opposerait à la volonté de prendre à bras-le-corps les inégalités sociales. Ce sont les plus démunis qui vivent dans les environnements les plus dégradés. C'est quelque chose dont je n'étais pas consciente avant d'arriver au Gouvernement. Continuer à opposer la justice sociale et la protection de l'environnement me paraît complètement ringard.

Q - N'auriez-vous pas assez insisté pour revaloriser la représentation verte au Gouvernement ? Vous avez refusé le ministère de la Ville et celui de la Santé…

Les européennes ont montré une préoccupation à l'égard de sujets nouveaux mal pris en charge par les partis traditionnels. C'était aussi l'occasion deux ans après la constitution de ce Gouvernement, de prendre acte que des Verts, ce n'est pas le cirque, qu'ils comprennent la règle du jeu, qu'ils ne déstabilisent pas la majorité, qu'ils sont capables à la fois de s'exprimer et d'être cohérents dans leurs choix et dans la durée. Peut-être était-ce le moment de le traduire concrètement. La Ville, c'est un très bon sujet. Sauf que ce ministère, c'est plus une tâche d'animation interministérielle sans force de frappe bien considérable. Laisser l'Environnement pour avoir un ministère de la volonté politique où les actions ne sont mesurables que dans la durée, ce n'est pas évident.

Q - L'environnement, c'est un ghetto pour les Verts ?

Il ne m'est jamais venu à l'idée que les Verts étaient propriétaires ad vitam aeternam du ministère de l'Environnement. S'ils ont une vocation de parti généraliste, ils doivent aussi admettre que d'autres puissent traiter ce sujet. Il est parfaitement exact que Lionel Jospin ne m'a pas proposé de me retirer les dossiers de la chasse et du nucléaire sous prétexte de promotion. Il est trop malin pour ça. Mais il aurait fallu que sa proposition soit équitable. Je considère que le verre était plutôt à moitié vide. C'est pour ça que j'ai refusé. Soyons clair, si on m'avait proposé un poste de secrétaire d'État à la Santé avec un autre Vert au ministère de l'Environnement, j'aurais accepté.

Q - De mauvaises langues socialistes et écologistes suggèrent que vous voulez rester l'unique Verte au Gouvernement…

Pour éviter ce ragot, j'ai souhaité, avant de prendre ma décision, qu'elle soit élaborée collectivement avec l'ensemble des Verts. Yves Cochet et Guy Hascoët, qui étaient pressentis pour devenir ministres, ne souhaitaient pas un remaniement au détriment de dossiers essentiels pour nous. La proposition de Lionel Jospin était un rien cornélienne, puisqu'il me proposait de choisir entre deux Verts mais à des petits ministères ou un Vert à l'Environnement, avec pour moi, le risque qu'on me considère comme étant à l'origine de l'absence d'un autre Vert au Gouvernement.

Q - Les Verts ont aussi justifié leur volonté de ne pas être partie prenante du remaniement par la crainte de reculs sur les dossiers de l'environnement…

Je n'aurais pas aimé qu'on dise, tiens, Saint-Josse (1) a eu la peau de Voynet. Ce n'est pas parce qu'il y aurait eu un ministre socialiste de l'Environnement que tous les problèmes auraient été réglés. Un des éléments qui m'ont encouragée à ne pas bouger, c'est mon agression à Dole, évidemment une bêtise, un acte primitif, mais qui s'est produit dans un contexte de désinformation et de violence. Cet engrenage assez néfaste, où les hommes politiques sont paralysés devant les chasseurs et où les chasseurs peuvent colporter n'importe quelle rumeur sans que cela suscite des réactions, m'a fait réagir : moi, je veux avoir une chance de mener à bien le dossier chasse sérieusement et correctement.

Q - À propos de l'extension de l'usine de combustible nucléaire (Mox) de la Cogema, les Verts dénoncent un non-respect de l'accord Verts-PS qui prévoyait un moratoire…

Le nucléaire est l'un des dossiers sur lequel l'accord politique entre les Verts et le PS est le plus difficile à faire respecter. Et je mesure tous les jours qu'il n'y a pas au sein du Gouvernement de gens prêts à mouiller le maillot… Cette vraie difficulté tient au fait que le PCF n'est pas antinucléaire. Par contre, il y a une écoute réelle de Jospin sur la transparence et la sûreté. Je ne le sens pas prêt à couvrir des faits délictueux. De ce point de vue là, il m'a constamment soutenue. Pour l'usine Mélox, Dominique Strauss-Kahn a reconnu que la Cogema avait, sans autorisation, procédé à des travaux dans cette usine qui permettait de diversifier la production. Dès lors que les travaux était faits, mon combat était d'obtenir la garantie qu'on n'aille pas au-delà de la capacité actuelle de l'usine. Sur le nucléaire aujourd'hui, c'est comme pour les OGM (organismes génétiquement modifiés) hier : on ne peut pas me reprocher à moi seule de ne pas être en mesure d'obtenir des choses que des centaines de milliers d'électeurs ne demandent pas.


(1) Jean Saint-Josse, président de Chasse, Pêche, Nature et Traditions.