Interview de M. Claude Allégre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, à RTL le 5 septembre 1999, sur la politique de l'enseignement, la rentrée scolaire, le système scolaire et les réformes de l'enseignement secondaire, la politique de la recherche, notamment le projet du synchrotron les OGM, la protection de l'environnement et la mondialisation.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - RTL

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Olivier Mazerolle : Bonsoir Monsieur Allègre, c'est la rentrée, la rentrée des classes demain pour plus de 12 millions d'élèves et la rentrée politique aussi. Lionel Jospin s'est fixé un objectif, le plein emploi dans la décennie qui vient et un moyen, une large alliance politique qui irait des exclus aux classes moyennes. L'école et la gauche, voilà donc les deux thèmes de ce Grand Jury de reprise, retransmis en direct sur RTL et sur LCI, avec ce soir la participation d'Anita Hausser et de Patrick Jarreau. LE MONDE publiera l'essentiel de vos déclarations dans son édition de demain. Alors commençons si vous le voulez bien par la rentrée scolaire, elle est calme, sous le signe de la sérénité, elle tranche avec l'animation des rentrées précédentes, pas de petites phrases, pas de protestations. Est-ce qu'après ALLEGRE 1 on entame l'air ALLEGRE 2 ?

Claude Allègre : C'est à vous de juger mais je crois que j'avais dit, depuis que je suis arrivé que, il fallait faire un certain nombre de choses très vite et puis après il fallait les faire rentrer dans la vie. Moi, je fais pas de grandes lois, je fais pas de grandes structurations, j'essaye de changer l'éducation nationale dans la réalité de tous les jours, en remettant depuis le début l'élève au centre du système éducatif. Alors ça a conduit à énormément de réformes, je vais pas vous les égrener, on va les mettre en place et cette rentrée elle se place dans un contexte très particulier. Premièrement, abaissement du nombre d'élèves, moins 35.000 élèves dans le primaire et deuxièmement la déconcentration de la gestion des personnels. Et donc je pense que tout devrait se passer correctement sur le plan de la structure. Maintenant on est toujours avec un tel nombre, vous vous rendez compte quand même c'est un million d'enseignants, 880.000, et donc si ici ou là il manque un enseignant…

Olivier Mazerolle : Attendez tout de même, sur la méthode quand même, un de vos amis, Alain Etchegoyen, a écrit un livre là, à la fin de l'année dernière, il dit mais Claude Allègre, c'est un physicien, alors il répond un peu à la méthodologie de sa discipline parce qu'en physique c'est du désordre que naît l'ordre, finalement le désordre c'est la vie, alors c'est fini cette méthode-là.

Claude Allègre : Je ne sais pas ce qu'il a écrit, je vous répète que c'est pas du tout fini. Moi je suis une certaine méthode, j'ai entrepris des réformes avec essentiellement pour les élèves. Cette année, je l'avais annoncé depuis le début, je vais m'occuper davantage des personnels de l'éducation nationale pour mettre en place ces réformes. Voilà j'ai pas d'état d'âme par rapport à ça.

Anita Hausser : Les professeurs ne font pas grève mais on est très frappé par le nombre de livres de professeurs que nous avons reçu et qui expriment un désenchantement, une tristesse terrible, pas à cause de leur métier mais à cause de leurs élèves, à cause du système, enfin, on a l'impression que c'est la grande déprime ?

Claude Allègre : Non, je crois que d'abord ceux qui écrivent ne représentent pas la grande majorité des professeurs, ils représentent une certaine catégorie. Moi j'en ai lu qui était moins pessimistes que vous mais ces professeurs, je pense, traduisent l'inquiétude d'un monde qui est en train de se bouleverser. Nous sommes dans le plus grand changement pédagogique que l'histoire ait connu.

Anita Hausser : Enfin quand les élèves se cassent la figure ou cassent la figure aux profs c'est pas du bouleversement pédagogique ?

Claude Allègre : C'est aussi ça, c'est aussi ça, c'est aussi ça, c'est-à-dire que premièrement pendant très longtemps on a vécu sur une école qui sélectionnait, pensez quand même que dans les années 60, il y avait 20 % d'une classe d'âge qui avait le bac, 20 %. Maintenant vous en avez 65 %, donc on a changé complètement d'objectif dans l'enseignement. Deuxièmement, on est en train de vivre l'introduction des nouvelles technologies dans la vie de la classe et la manière de faire la classe demain ne sera pas la même qu'aujourd'hui. Moi, je crois que c'est une période formidable pour les enseignants parce qu'ils vont avoir à inventer, à introduire ces nouvelles technologies, à participer, à fabriquer ce changement, mais chaque fois qu'il y a un changement il y a une inquiétude.

Olivier Mazerolle : Mais les professeurs en question justement dénoncent un peu cette nouvelle forme de pédagogie, ils ne sont pas contre les nouvelles formes de pédagogie mais enfin ils disent : maintenant on en arrive à avoir un Bac qui signifie plus grand-chose. Là, deux d'entre eux ont publié un livre qui est atterrant, enfin on voit des copies présentées au Bac mais avec un niveau de français qui ne serait même pas admissible en 6e. Comment peut-on arriver en terminale avec un niveau de langage pareil ?

Claude Allègre : Ceux-là ils ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Le ministre, moi j'ai toutes les caractéristiques que vous voulez mais pas celui d'être un laxiste. Ce que j'essaye d'introduire dans l'éducation nationale c'est plus de rigueur. Quand je m'efforce qu'il n'y ait pas de classe enseignant, quand je m'efforce que les leçons soient bien sues, c'est pas du tout dans ce domaine-là. Moi je suis pas, j'ai lu dans un de ces livres, c'est assez affolant d'ailleurs parce que j'ai lu dans ce livre : « le ministre donne des instructions pour(...) » J'ai jamais donné la moindre instruction pour recevoir le Bac.

Olivier Mazerolle : Mais c'est le système alors, c'est qui, c'est l'administration ?

Claude Allègre : Jamais, jamais de la vie. Je pense que quand l'année dernière, j'ai dit que petit à petit, j'ai dit que ce système. Mais moi j'ai pas d'objectif de 60 % de reçus. Ceux qui sont capables d'être reçus sont reçus, plus il y en aura et plus la France se portera bien, mais pas en faisant des passe-droits ou en acceptant un certain nombre de choses.

Patrick Jarreau : Mais quand même Monsieur Allègre, voilà c'est votre troisième rentrée scolaire, ça fait deux ans que vous faites l'expérience de ce système que vous connaissiez bien avant évidemment mais à la place où vous êtes, on a envie au fond, parce que on voit bien que le ton, y compris le ton que vous avez ce soir n'est pas celui que vous aviez il y a un an et encore moins celui que vous aviez il y a deux ans. Est-ce qu'il est possible tout en étant ministre d'avoir un peu un langage de vérité et de nous dire qu'elle est l'expérience, quelles conclusions au fond, provisoires encore vous tirez de ces deux années, de tentatives pour réformer, bousculer, dégraisser le mammouth, etc. ?

Claude Allègre : Pas de tentative, les réformes on les fait, il y a eu des oppositions, elles sont faites. La réforme du lycée est passée, les différentes, la réforme du collège qu'a fait Ségolène Royal est passée, la réforme du primaire est passée, l'introduction des nouvelles technologies est passée. Vous savez quand même, vous avez vu un résultat la semaine dernière dans la presse, un sondage, nous étions huitièmes en Europe pour l'utilisation des nouvelles technologies. On est numéro 1. Ça c'est pas fait comme ça. Donc, je pense que les choses se font, simplement j'ai dit que j'avais trouvé un système qui était fortement accroché, j'ai cru dire, à cette époque, je maintiens.

Olivier Mazerolle : Il l'est un peu moins maintenant ?
 
Claude Allègre : Ben oui, il va mieux, bien sûr qu'il va mieux, bien sûr qu'il va mieux et c'est pas la grande majorité des enseignants qui est en cause, mais dans un système centralisé, c'est comme un moteur, dans un moteur si vous avez quelques grains de sucre le moteur s'arrête, dans un système centralisé si vous avez quelques défauts, le moteur fonctionne pas bien et c'est ce que j'ai trouvé en arrivant, alors en même temps, en même temps, parce qu'on est, je reviens là-dessus, parce qu'on est en période mutation, il y a d'abord une inquiétude pour certains, pour d'autres il y a une nostalgie du passé incontestablement, il y a une nostalgie d'un état qui n'est plus celui-là. Dans certains de ces livres j'ai regretté certaines phrases qui ne sont pas très bien pour des enseignants, si vous les avez lus tous, il y a des problèmes un peu…

Patrick Jarreau : Évidemment c'est pas juste de faire l'amalgame parce qu'ils disent des choses très différentes, mais globalement vous vous sentez en accord avec ce qu'ils disent ou est-ce que vous trouvez qu'ils exagèrent ?

Olivier Mazerolle : Mais qu'est-ce qui vous choquent dans ces livres ?

Claude Allègre : Ce qui me choque c'est qu'il y a des livres, par certains de ces livres il y a des choses qui sur le plan de la discrimination raciale ne sont pas dignes d'un enseignant, je le dis clairement. Et c'est pas tolérable. Mais bon c'est des exceptions.

Olivier Mazerolle : Mais par exemple, quand un de ces enseignants déplore que l'éducation nationale ne participe pas vraiment à l'intégration parce que suite à des accords passés avec certains pays et notamment du Maghreb, il y a des enseignements de langue arabe qui se font à l'école, vous trouvez que c'est légitime qu'ils protestent ou pas ?

Claude Allègre : Non mais attendez que l'enseignement de l'arabe se fasse à l'école, nous avons trois millions de personnes d'origine musulmane dans notre pays ça me parait une chose tout à fait normale qu'on enseigne l'arabe, on a jamais enseigné l'arabe en substitution du français, pas plus qu'on l'enseigne le breton en substitution du français. Je veux dire qu'il y a une seule langue qui est obligatoire et ça le restera, c'est le français. Maintenant qu'on s'ouvre sur les langues régionales, qu'on s'ouvre sur les langues étrangères, ça ça me parait par contre un enrichissement. Là, honnêtement, je ne crois pas que ces livres soient représentatifs de ce système d'enseignement, des enseignants dont la grande majorité n'est pas ?

Patrick Jarreau : Vous ne reconnaissez pas du tout le système éducatif dans ces livres ?

Claude Allègre : Je dis pas que c'est des caricatures parce que pour certains, par exemple, il y a des choses très émouvantes. Les enseignants qui se sont faits agressés c'est naturellement, moi je compatis et je comprends leur détresse. Simplement je fais remarquer que je tolère pas ça et que l'on poursuit, on prend les sanctions qu'il faut et que on aide, on va aider, en tous les cas j'ai donné de telles instructions les enseignants qui sont dans cette catégorie mais les lycées très difficiles, les collèges très difficile c'est une minorité, et si c'était pas une minorité notre plan violence n'aurait pas eu d'effet or il a eu de l'effet. Donc il ne faut pas, bien sur tous ces actes il faut les condamner, il faut faire en sorte de les prévenir, il faut changer ces problèmes de sécurité, mais je voudrais dire aussi que c'est pas l'école qui va résoudre le problème de la sécurité dans ce pays. Le problème de la sécurité c'est un des grands problèmes que nous avons devant nous comme toutes les sociétés modernes, l'école est un élément parmi d'autres. Donc il ne faut pas penser, pas plus que l'école n'est responsable du chômage, l'école n'est pas responsable de la violence.

Olivier Mazerolle : Ne parlons pas simplement de ces livres mais je me souviens d'un point de vue qui a été publié par un de vos amis, Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique dans le Monde, au printemps dernier, oui pour vous soutenir mais il faisait un constat terrible. Il disait : « les élèves ne savent pas s'exprimer, ils sont incapables de résumer un texte, d'autres disent il n'y a pas de maîtrise de la langue, il y a un manque de culture, pas de repère historique, pas de repère géographique ».

Claude Allègre : Monsieur Mazerolle, pourquoi croyez-vous que je fais des réformes, parce que si tout était bien je ne ferais pas de réforme. Je vous ai déjà dit, ici même, que les programmes étaient délirants et non sus et que le lycée light était en oeuvre actuellement parce que, à force de bourrer les programmes finalement il y avait une déstructuration de l'esprit et c'est ce qu'a dit Pierre-Gilles de Gennes ce jour-là dans cet article parce que tous les scientifiques qui font de la recherche aujourd'hui et qui sont professeurs d'université voient bien ça. Donc on a, c'est une illusion qu'on s'est donné depuis des années. Pourquoi ? Et bien parce que les choses ont changé. Pensez une chose, du temps de Jules Ferry, il y avait une vingtaine de lycées en France et c'est pourquoi on a fait un concours national pour recruter les gens. Aujourd'hui, vous savez qu'au jury d'agrégation on fait, au jury du CAPES, on fait 32 jurys dans certaines disciplines, 40 jurys dans d'autres. Ça n'a plus rien à voir. Donc la mutation formidable qu'a subi cet enseignement et bien il faut le faire. Il y a un sondage de l'éducation nationale qui dit que 60 % des professeurs sont professeurs parce qu'ils aiment leur discipline et seulement 20 % parce qu'ils aiment s'occuper des enfants. Et bien je crois que ça c'est en train de changer parce que lorsque je fais ça dans les classes, dans des tranches d'âge différentes j'ai une réponse différente chez les jeunes enseignants et je le dis franchement, je pense que j'ai un immense espoir dans ce pays, dans la jeunesse de ce pays et dans les jeunes enseignants. Il y a vraiment une transformation formidable, des gens qui prennent à bras le corps toutes ces transformations du système pédagogique, c'est eux qui feront la transformation, moi je peux être un catalyseur…

Anita Hausser : Parce qu'avant ça ronronnait ?

Claude Allègre : Non, j'ai pas dit que ça ronronnait, je pense simplement qu'avec un système dans lequel ultra centralisé et cette année on a fait la décentralisation rappeler vous l'année dernière on m'a dit « Vous allez vous planter, ça marchera pas, etc. », on me l'a fait cette fameuse décentralisation dont tout le monde parlait depuis des années, dont quand on dit qu'on fait des réformes on les fait, mais un système centralisé où il partait des décisions de la rue de Grenelle qui tombaient sur les gens, les gens éloignés de cette chose-là, des programmes de plus en plus contraignants et bien ce que nous essayons de faire c'est l'inverse, c'est de libérer l'initiative et l'imagination des enseignants. Moins de circulaires, des programmes allégés dans lesquels il y a des initiatives des enseignants, par exemple en français pour choisir les oeuvres et puis l'aide à l'élève, la grande chose c'est quand même l'aide à l'élève. Nous on établit, au lycée, au collège, à l'école, l'aide individualisée, c'est-à-dire les leçons particulières payées par l'état. C'est quelque chose…

Olivier Mazerolle : Alors là il y a des critiques, parce qu'on dit oui l'aide à l'élève en 6e – 5e et seconde, et les autres classes ? Pas besoin d'aide ?

Claude Allègre : Non, Monsieur Mazerolle, on commence par une classe parce que ça va avec la modification des programmes. On fait la seconde cette année, l'an prochain on fera première et terminale.

Anita Hausser : Pourquoi est-ce qu'on commence seulement en seconde ?

Claude Allègre : On commence avant, on commence au collège et l'an prochain on fera troisième et quatrième. Attendez, parce qu'il faut mettre les choses en place méthodiquement. Toujours on fait quelque chose, il y en a jamais assez. Il faut…

Olivier Mazerolle : Parce que l'idée est bonne alors tout le monde a envie que ça se fasse sur une grande échelle.

Claude Allègre : Et bien l'idée est bonne il faut, mais là aussi l'idée est bonne, je le crois, l'idée est même, c'est même une mutation historique. Pensez qu'aujourd'hui nos amis italiens eux font l'inverse ils autorisent les cours particuliers payants dans les lycées. Ils autorisent l'organisation, nous on va vers quelque chose de très social puisque on paye les cours particuliers aux élèves. Mais il faut savoir comment on le fait. Il faut l'expérimenter, encore une fois je vous répète ce que je dis, je ne crois pas aux règlements, aux lois pour changer la vie. Je pense que le changement de la vie se fait sur le terrain, petit à petit par les expériences. Donc on expérimente cette nouvelle manière de faire, il faudra l'ajuster, probablement il y a des choses qui ne se passeront pas bien, des choses qui se passeront bien. Regardez il y a deux ans nous avons commencé les emplois jeunes, on a été plus vite que tout le monde, 65.000. Tout le monde a dit « mais comment il y a pas de circulaires, il y a pas ci ». Ces emplois jeunes, tout le monde est content maintenant si je les supprimais ça serait la révolution. Donc faisons passer les choses dans la vie, faisons, évitons les décisions venant du lot, mettons-nous proche des gens et c'est pourquoi la déconcentration qui est simplement une première étape maintenant, il suivra la déconcentration des rectorats, il faut que les gens soient plus libres, il faut que les gens soient plus maîtres de leur décision.

Anita Hausser : À quel niveau est-ce que les initiatives doivent être prises, au niveau des professeurs, au niveau des lycées, au niveau des… ?

Claude Allègre : Au niveau des professeurs, au niveau des lycées, le projet d'établissement qu'avait lancé Lionel Jospin et qui n'a pas été dans la plupart des cas mis en pratique c'est quelque chose d'essentiel. Pourquoi est-ce que vous croyez que je fais rentrer les professeurs deux jours et demi avant les élèves ? Pour qu'ils puissent discuter du projet d'établissement, pour qu'ils puissent se coordonner car demain le travail il sera en équipe. Si vous voulez, les frontières des disciplines s'estompent de plus en plus, on ne sait plus exactement où on est parce que les progrès de la science sont tels que tout change. Vous ne pourrez pas être un bon enseignant si vous êtes tout seul, livré à votre classe et dans votre solitude. Vous serez un bon enseignant si vous travaillez en équipe, si vous coopérez avec les collègues, si vous donnez pas les devoirs en même temps des deux, mais surtout si vous coordonnez vos enseignements. Quand on parle de Victor Hugo, il vaut mieux qu'en histoire on parle du XIXe, il vaut mieux qu'en science on parle de ce qui se passait au XIXe siècle. Il y a des coordinations importantes, c'est indispensable aujourd'hui.

Olivier Mazerolle : Alors en ce qui concerne le lycée, il y a tout de même d'autres demandes qui sont faites. Vous aviez évoqué la possibilité d'arriver à un maximum de 30 élèves par classe au niveau de la seconde. Alors on en est où de ce point de vue-là ?

Claude Allègre : Je voudrais Monsieur Mazerolle vous rappeler un chiffre. Il y a actuellement, la France a le meilleur encadrement au lycée du monde. On a un enseignant pour 12,5 élèves. Bien, et nous avons tous les moyens pour qu'il y ait 29 élèves par classe au maximum. Mais c'est pas toujours gérer comme ça parce qu'on préfère faire des classes sur certains sujets de trois élèves ou de quatre élèves alors évidemment après quoi il y a d'autres classes qui ont 35 élèves.

Olivier Mazerolle : Qui « on », en l'occurrence ?

Claude Allègre : La gestion, je dirais, la gestion.

Olivier Mazerolle : Ça c'est très abstrait. Il y a des êtres humains derrière la gestion, non ?

Claude Allègre : Mais c'est difficile de changer les habitudes. Quand vous êtes prêt du terrain, quand vous dites par exemple que il n'y aura pas de cours de russe de deux élèves, ça parait évident à tout le monde, mais il faut résister aux parents d'élèves qui ont leurs gamins qui suivent du russe, bon donc non pas que j'ai rien contre le russe simplement on peut pas se mettre à gérer l'éducation nationale en faisant du russe, vous savez qu'on enseigne 36 langues quand même dans l'éducation nationale, je veux dire on enseigne, autrefois on enseignait quatre langues, cinq langues maintenant on atteint 36. Donc il faut un peu de rationalité parce que, une des choses, moi je suis très solidaire de ce que fait le gouvernement. Je l'ai été sur le chômage, les emplois jeunes, vous le verrez cette année avec les concours d'entreprises innovantes et les créations d'entreprises innovantes, je suis très solidaire dans la maîtrise des déficits publics, je suis très solidaire dans la modernisation et la modernisation c'est les nouvelles technologies, c'est les réseaux, c'est tout cela, moi j'essaye de me tenir là-dedans. Or, je maintiens, pour qu'il y ait un grand service public, et je suis très attaché au service public, il faut que ce service public, on ne dise pas « ah ben dans le service public on arrose le sable ». Donc il faut qu'il soit impeccable et c'est pour ça que vous m'avez vu pousser quelques hurlements l'année dernière sur le problème du Bac où il y avait des examinateurs qui n'étaient pas venus parce qu'il faut que le service public soit impeccable, c'est pour ça que lorsque pour faire passer le Bac on lâche les enfants le 4 juin dans la rue dans les collèges, c'est pas admissible ça. Il faut que le service public soit impeccable, soit innovant, soit très bon et je crois qu'on est capable de le faire. Moi je voudrais vous dire que la rigueur qui peuvent choquer certains, c'est le témoignage de ma croyance profonde dans le service public. Si je pensais que c'est fichu, que le service n'est pas bon, etc. pourquoi voudriez-vous que je me batte comme ça. Je me bat parce que je pense qu'on peut atteindre tout ça. On a tous les moyens.

Anita Hausser : Est-ce que vous pouvez échouer aussi ?

Claude Allègre : Moi, je considère jamais dans ma vie, jamais que je vais échouer, jamais.

Anita Hausser : Et quand ça tangue vous vous dites ça passe ou ça casse ?

Claude Allègre : Non, je pense que, moi j'essaye de faire des choses méthodiquement, je vous ai dit, je me suis impliqué sur le chômage, je me suis impliqué sur la sécurité, le plan violence, la violence qui montait dans les établissements maintenant est en légère décroissance, je me suis impliqué dans les nouvelles technologies, je me suis impliqué dans la réforme de l'État par la déconcentration, par également la féminisation, vous savez quand même que quand je suis arrivé il y avait pas une seule directrice qui était une femme dans cette maison, il y avait 18 directeurs, bon il y en a la moitié maintenant qui sont des femmes, le directeur du CNRS est une femme, le directeur du conservatoire des arts et métiers est une femme et ça continuera, donc moi je suis un certain nombre de choses. Sur le plan international, on s'est fixé de doubler le nombre d'élèves étrangers qu'on va accueillir en France, on a fabriquer une agence qui s'appelle « Edufrance », on a fait des salons, on voit déjà que les étudiants asiatiques cette année vont augmenter très fortement et donc c'est l'influence de la France dans le monde, moi je me place dans ce contexte-là, je me place pas dans le contexte de l'échec, mais si vous me dites que la bataille pour le service public d'éducation, maintenant qu'on est dans la mondialisation, que l'éducation devient un produit important puisque les succès se font sur l'intelligence et sur l'innovation, que il va falloir se battre pour sauver ce concept de service public d'éducation, alors je vous dis oui, mais je vous dis que si nous échouions, ce que je n'envisage pas une minute, je pense que la république, le régime dans lequel nous vivons, le régime dans lequel je suis attaché, auquel je suis attaché parce qu'il donne l'égalité pour tous, l'égalité des chances, l'égalité devant la vie, la justice, et bien cette république elle s'effondrerait. Et donc je pense que nous menons, je veux pas exagérer, je pense que nous menons un combat extrêmement important. La justice n'est pas menacée de privatisation, l'armée n'est pas menacée de privatisation, mais on voit dans un certain nombre de service public la privatisation arriver et on entend maintenant des sirènes sur le plan de l'enseignement, il suffit de regarder autour de nous, y compris en Europe. Quand on décide de confier les établissements publics qui ne marchent pas bien au privé tout en payant la même cotisation qu'aux établissements publics, on voit bien qu'il y a une menace.

Olivier Mazerolle : Alors Monsieur Allègre, justement-là, vous touchez un point très très sensible parce que beaucoup d'enseignants quand même disent « nous ce qu'on voudrait faire c'est transmettre le savoir, transmettre notre discipline afin de donner des points de repère à nos élèves, mais par la force des choses parce que pour beaucoup parmi eux ne sont pas au niveau nous sommes condamnés à faire du social ». Alors quel objectif donnez-vous aux enseignants du service public, de faire du social, de transmettre le savoir ?

Claude Allègre : D'abord je voudrais vous dire que l'école c'est certes transmettre le savoir mais ce n'est pas seulement cela. C'est former des esprits à être autonome dans la vie, c'est former des citoyens, c'est former quelqu'un à résonner, c'est pas fabriquer des gens qui sont capables d'ingurgiter et de recracher. C'est pas ça du tout l'école. Le savoir ; et dieu sait que je suis partisan qu'il y ait des savoirs de référence, ce n'est qu'un support pour permettre le raisonnement, c'est ça l'école. Alors la deuxième chose, je vais vous, alors le problème, vous me dites du social. Il y a toujours, l'élitisme a toujours existé. Quand vous regardez les débats au cours de la révolution française, sur l'école, parce que c'est une grande période de débats, il y a deux siècles à peu près, et bien vous voyez qu'il y avait des gens, les optimistes pensaient qu'on arriverait à ce que 15 % de français sachent lire et puis les pessimistes disaient » : il n'y en aura que 5 %. Bon, donc cette…

Anita Hausser : Maintenant il y en a 75.

Claude Allègre : Oui, il y en a 70 % qui savent lire, parce que vous allez vous dire qu'ils maîtrisent pas le français qui savent lire même s'il y a encore des cas d'illettrisme dans ce pays. Donc le progrès, croire que l'homme est perfectible, croire que la plus grande quantité d'hommes est perfectible, ça c'est une croyance fondamentale d'une option politique qui est la mienne et qui par parenthèses est celle aussi des chrétiens. Alors vous pouvez penser que c'est pas ça qu'il faut faire, il faut avoir le raisonnement de l'exclusion. Moi je crois par exemple que beaucoup d'élèves qui ne se réunissent pas en classe, c'est parce qu'ils ne sont pas motivés et c'est pourquoi la grande chose que nous essayons de faire avec Ségolène Royal, c'est de faire rentrer la notion d'égalité dans la diversité et je crois que c'est un des grands tournants. On croyait que l'égalité c'était l'uniformité mais c'est pas vrai, c'est une erreur, c'est une erreur fondamentale. Si vous décidez que les maths sont essentiels pour juger l'intelligence, vous recrutez des matheux, c'est bien pour les matheux, mais vous avez des matheux qui sont bons en maths, qui sont pas bons dans d'autre chose, donc il faut reconnaître la diversité des disciplines, la diversité des talents, la diversité des situations et c'est ce que nous essayons de faire, et c'est ce que je crois la grande révolution des nouvelles technologies, c'est que vous pourrez aller prendre des menus à la carte. Alors vous me dites, il y en a qui regrette le temps jadis. Oui sûrement, sûrement, il y en a qui regrette le temps jadis. Je dis simplement que la philosophie, il faut être à la fois ouvert et rigoureux. Moi j'ai jamais dit à un enseignant et écoutez, je suis professeur, renseignez-vous personne pourra vous raconter que je fais un laxisme quelconque. Il y a un examen, on fait passer l'examen, il n'y a pas de transaction, si quelqu'un sait pas lire, il sait pas lire. Je vais pas lui dire « ah oui pas c'est parce que ces parents ont eu ceci, etc. »

Olivier Mazerolle : Il passe en classe du dessus quand même ?

Claude Allègre : Non, mais je vais vous dire une chose, ça c'est le laxisme d'un certain nombre d'enseignants qui laissent passer ça. Je ne donne pas ces instructions. Je donne les instructions inverses et quand Lionel Jospin, dans le primaire, avais mis les cycles qui n'ont pas été appliquée par Monsieur Bayrou, je suis obligé de le dire, c'était pourquoi les cycles, c'était quoi, c'était que quand un élève est faible en lecture ou faible en maths, il ne redouble pas mais on lui donne des cours particuliers pour rattraper son retard en maths. Or, on laisse passer effectivement des élèves qui savent, c'est pas qui savent pas lire, ils lisent à peu près, alors ils arrivent au collège, ils savent pas bien lire, les profs du collège disent c'est pas notre travail d'apprendre à lire et ils peuvent pas faire un problème de maths parce qu'ils le comprennent pas. C'est vrai tout ça, c'est vrai tout ça, et ce que nous voulons c'est moins de choses mais mieux su, par exemple la lecture doit être sue, et ça veut dire recentrer les programmes du primaire. Au lieu de, j'ai dit à un moment quelque chose qui m'a valu une certaine, disons ire de certaines personnes quand j'ai dit « il vaut mieux apprendre à lire que visiter des usines de betteraves ». Oui, je pense que oui. Il faut revenir sur les fondamentaux, parler, lire, écrire, compter. Voilà l'école primaire. Et puis apprendre un peu de géographie, un peu d'histoire. Mais on a rendu ça beaucoup trop touffu.

Olivier Mazerolle : Alors on parle de recherche, Monsieur le Ministre. Question de Anita Hausser.

Anita Hausser : Monsieur le Ministre, au cours de l'été, à la fin du mois de juillet vous avez décidé que le futur synchrotron, dont vous allez nous expliquer ce que c'est, ne serait pas français, mais franco-britannique. Alors, ça a déclenché la ire des chercheurs qui ont expliqué en quelque sorte que notre recherche fout le camp.

Claude Allègre : Les chercheurs qui travaillent sur le synchrotron et qui utilisent 300 millions par an actuellement. Alors, évidemment quand on décide de ne plus donner l'argent aux riches, mais qu'on décide de le donner un peu plus, les riches ne sont pas contents. Un synchrotron est un appareil qui permet de fabriquer des rayons X. Peu importe la manière, qui coûte très cher.

Anita Hausser : Ça, tout le monde l'a compris.

Claude Allègre : Nous en avons un en France, le plus grand du monde, européen entre les Français, les Anglais et les Allemands. Les chercheurs allemands et français viennent travailler ici. Nous avons décidé, quand nous sommes arrivés, de changer la politique de la recherche, car nous sommes dans une situation tragique. Nous ne créons pas d'entreprise innovante, vous le savez bien. Tous les autres en créent. Nos laboratoires ont de moins en moins d'argent. Budget du CNRS : 85 % de salaire, 15 % pour le travail des laboratoires. Et les jeunes n'ont pas de responsabilités. Nous avons changé radicalement la politique. Les gros équipements prennent en France, je vous donne un chiffre : prennent en France 4,5 milliards, le budget des laboratoires du CNRS est de 1,5 milliard. Nous avons le record du monde de l'utilisation des gros équipements.

Donc, nous avons décidé, je les annoncé d'entrée de jeu, que tous les équipements seraient désormais européens, car il nous faut nous mettre à l'échelle européenne pour partager les gros équipements et se mettre en état d'être en compétition avec les États-Unis. Pour faire une chose simple : pour redonner de l'argent aux labos, pour créer des entreprises, pour avoir une autre entreprise. Pour que la recherche serve aux gens.

Et donc, il y avait ce projet qui traînait, qui était encore un projet après ce projet synchrotron. Nous avons eu une occasion importante, c'est que les Britanniques nous ont offert de participer à leur projet, à égalité, avec en plus de l'argent qui est donné par une fondation privée. Donc, ça nous fait quelque chose de moins cher.

Les Britanniques, il faut que vous sachiez, ils sont les meilleurs du monde dans ce domaine. Dans le domaine des rayons X, ils ont eu 8 prix Nobel. Nous, pas un. Et donc, travailler avec les Britanniques, c'est quelque chose de formidable pour la recherche française et c'est quelque chose de bien pour notre argent. Et d'ailleurs, notre tactique, elle est simple. Premièrement, on a rétabli l'emploi. 3.000 maîtres de conférences par an. Les organismes qui ont 3 % de chercheurs. Maintenant, nous allons rétablir l'argent pour les laboratoires. Cette année sera une augmentation importante d'argent pour les laboratoires. Mais je me laisserai pas faire par les lobbyings habituels qui consistent à faire de gros appareils pour quelques-uns. Ça sûrement pas. Et, quant à ce que vous avez dit, les chercheurs. Non, les chercheurs qui utilisent ces appareils. Mais bien sûr, c'est-à-dire une petite minorité qui veut continuer à bénéficier de l'argent public.

Olivier Mazerolle : À propos de lobby, il y a ce qu'on appelle le lobby nucléaire en France. Alors, il est l'objet de toutes les vindictes, notamment des Verts. Lionel Jospin a promis un grand débat scientifique, mais sans référendum pour savoir si on maintient le nucléaire ou pas. Qui va décider ?

Claude Allègre : D'abord, il y a un Gouvernement. Il y a une assemblée, il y a des instances. Moi, je voudrais vous dire quelque chose sur le nucléaire.

Je crois que la source d'énergie nucléaire est aujourd'hui une garantie d'indépendance nationale et un choix très bon qu'a fait la France. Si on n'avait pas le nucléaire, je ne sais pas ce qu'on serait. On serait dans des déficits énormes à acheter du pétrole. Il faut savoir aussi qu'avec les préoccupations écologiques, brûler du pétrole ou du charbon, contribue à augmenter le gaz carbonique dans l'atmosphère et donc de perturber le climat. Donc, le choix du nucléaire est le choix raisonnable.

Deuxièmement, il est vrai qu'il y a des problèmes liés au nucléaire à résoudre qui sont des problèmes de déchets, mais qu'on peut résoudre.

Et troisièmement, il est vrai qu'il y a un lobbying nucléaire. Je n'aime pas les lobbies et je pense que le Gouvernement a une attitude équilibrée. Il ne cédera pas au lobby nucléaire sur les problèmes de déchets, de transport ou de stockage. Mais de la même manière, il ne cédera pas à d'autre lobbying qui ont fait du nucléaire le symbole, à mon avis par erreur, de cette lutte.

Anita Hausser : Ça veut dire qu'il ne fera rien ?

Claude Allègre : Non, mais nous avons une attitude équilibrée, par exemple, nous avons demandé au Commissariat de l'énergie atomique d'abord de travailler sur la fabrication de réacteurs propres, c'est-à-dire de réacteurs qui détruisent leurs déchets, ce qu'ils ne faisaient pas, soit dit en passant.

Deuxièmement, on leur a demandé de travailler sur d'autres sources d'énergies. Ils font désormais des recherches sur les piles à combustible. Sur les piles photovoltaïques, etc.

Olivier Mazerolle : Est-ce qu'il faut faire le nouveau réacteur ?

Patrick Jarreau : Parce que vous dites que le nucléaire a été positif par le passé. Est-ce qu'il le reste, d'après vous pour l'avenir ? Et donc, est-ce qu'il faut passer à cette nouvelle génération de réacteurs qui est à l'horizon 2010 ?

Claude Allègre : Alors, le PR, ce n'est pas vraiment une révolution. Je vous dis très franchement, je ne suis pas béat d'admiration techniquement sur le PR. Je réserve ma réponse.

Anita Hausser : C'est une étape qu'il faudrait sauter, par exemple, pour passer aux réacteurs qui détruisent les déchets.

Claude Allègre : Voilà. Je pense qu'on peut avoir un réacteur plus performant que le PR. Mais le PR permet un certain nombre de choses et si on l'utilise bien, il permet en fait de détruire la moitié du plutonium, ce qui est déjà pas mal.

Patrick Jarreau : Donc, vous êtes pour ?

Claude Allègre : Nous aurons un débat et je pense que le Gouvernement proposera une position là-dessus. Alors, l'énergie nucléaire, je n'ai aucun doute sur ce sujet. Aucun.

Patrick Jarreau : C'est-à-dire que le fait que dans la majorité plurielle, il y ait quand même une composante qui représente aux dernières élections près de 10 % des voix et qui elle est franchement hostile au nucléaire, ne doit pas influer, d'après vous, sur les choix que va faire le gouvernement ?

Claude Allègre : Pas sur des choix qui déterminent l'avenir du pays. Et bien sûr qu'il pèse. Les Verts ont joué un rôle important pour faire comprendre que les Socialistes, c'était quoi ? C'est l'intégration de l'homme dans la société. Les Verts, le message ça été aussi l'intégration de l'homme dans la nature. Et, c'est un bon message et ils ont joué un rôle. Et c'est vrai que les scientifiques n'y arrivaient pas. Ils le disaient, mais personne ne les écoutaient. Donc, ils ont joué un rôle positif. Mais, ils ne peuvent pas faire de l'anti science, ce n'est pas possible.

Patrick Jarreau : Mais ça commence où l'anti science ? Parce que regardez, vous avez fait avaler à Dominique Voynet, à la fin de l'an dernier, les OGM. L'autorisation des OGM. Et qu'est-ce qu'on constate aujourd'hui, dans plusieurs pays et pas les moindres, les États-Unis…

Olivier Mazerolle : Organismes génétiquement modifiés.

Patrick Jarreau : Les organismes génétiques modifiés. C'est un formidable mouvement de remise en question de ces organismes génétiquement modifiés.

Claude Allègre : Là encore…

Patrick Jarreau : Je veux dire, ce n'est pas seulement les Verts et ce n'est pas seulement en France. Ce sont des scientifiques, ce sont des techniciens, des spécialistes dans d'autres pays, qui ne sont pas des pays attardés : le Japon, les États-Unis qui disent, c'est trop dangereux.

Claude Allègre : Non, non, les gens ne disent pas ça. Ils disent qu'il y a certains aspects. Là aussi nous sommes équilibrés. Lorsqu'on fait courir des menaces à l'environnement en fabriquant, en augmentant par exemple les rendements agricoles alors qu'on a des surplus agricoles par des organismes génétiquement modifiés, ce qui est le cas du maïs transgénique, moi je ne vois pas l'intérêt de faire courir des risques.

Patrick Jarreau : Il aurait mieux valu ne pas l'autoriser ?

Claude Allègre : Je ne parle pas de l'autorisation, je parle de la stratégie qui est menée par certaines fibres américaines. Par contre, lorsqu'il s'agit d'organismes génétiquement modifiés pour soigner les maladies qui sont des fléaux mondiaux, que ça soit le paludisme ou que ça soit le SIDA ou que ça soit le cancer, alors oui je suis pour les organismes génétiquement modifiés.

Anita Hausser : Alors pourquoi avoir commencé par le maïs ?

Claude Allègre : Non, parce qu'on parle beaucoup du maïs, alors qu'on fait des tas de choses. Tous les fruits, madame, tous les fruits que vous mangez, sont génétiquement modifiés. Tous. Vous êtes tous contents d'avoir des melons désormais pratiquement, vous n'avez plus à les choisir.

Anita Hausser : Ou des brugnons.

Claude Allègre : Non, les melons c'est caractéristique, parce que c'était un tirage au sort. On allait là, on disait : « ah, celui-là il est bon ». Tout le monde, se précipitait, la famille mangeait le melon. Maintenant, le melon est toujours bon. Mais oui, parce qu'il a été génétiquement modifié et qu'on sait fabriquer des melons qui sont bons.

Donc il faut faire très attention là aussi. Je pense que les Verts… Moi, je leur reconnais une chose aux Verts et c'est leur grand message et il faut qu'ils restent sur ce message. Ce message, c'est de discuter le contenu du mot « progrès ». Ils ont raison de discuter le contenu du mot progrès. Progrès ça ne veut pas dire « productivisme ». Ça ne veut pas dire « innovation n'importe comment ». Ça ne veut pas dire « le docteur Folamour ». Non, ils ont raison. Mais, il ne faut pas que ça se tourne vers l'anti science, parce que vous savez c'est comme le livre de Roy Lewis : « Pourquoi j'ai mangé mon père ? ». Si vous êtes contre les barrages, si vous êtes contre le nucléaire, si vous êtes contre les centrales à charbon et contre le pétrole, alors comme a dit : back to the tree.

Olivier Mazerolle : Dites-moi, les agriculteurs français, ils font de l'anti science dans leur contestation anti-américaine quand ils attaquent les MacDo contre la mondialisation, comme symbole de la mondialisation ?

Claude Allègre : D'abord, je suis très sensible aux protestations des paysans, parce que je suis en partie d'une famille paysanne…

Patrick Jarreau : Comme la plupart des Français…

Claude Allègre : Oui, mais immédiate je veux dire. Et il y a un point très important dans leur message. Ce point, c'est que celui qui fabrique, celui qui fait venir et c'est du travail de faire venir, que ce soit un légume, un fruit, etc. Mais c'est la même chose pour celui qui écrit, est moins rémunéré que celui qui vend. Et ils réclament un meilleur équilibre. Et je crois qu'ils ont raison. Je pense qu'il faut donner un meilleur équilibre entre la rémunération de celui qui fait, qui prend les risques et celui qui distribue et qui vend et je pense que cet équilibre est rompu.

Donc, ça c'est le premier message. Ça n'autorise en rien les violences. Cette violence m'exaspère. Ça n'a rien à voir.

Deuxièmement, ils voient dans cette économique paysanne qui est artificielle, puisque tout le monde est subventionné dans le monde entier, tout le monde est subventionné. Ils voient des multinationales américaines arriver avec des moyens quasi industriels et provoquer des crises économiques pour eux. Donc leur réaction, je ne l'approuve pas quand elle est violente, sûrement pas, je la comprends dans leur essence. Je crois qu'il y a un mouvement, il y a un message, mais ce message il n'est pas loin du message du gouvernement français. Quand le Premier ministre dit, la mondialisation n'importe comment, sans régulation, sans régulation financière, sans règle, etc., ce n'est pas loin de ce message.

Donc, là vous avez la base. Les gens sentent la mondialisation et disent : « ah, bien si la mondialisation ça doit être ça, nous on en veut pas ».

Alors, en plus, il y a derrière tout ça, le fait que le nombre de paysans décroît énormément et par conséquent, ils se sentent là aussi dans une période de crise. Mais là-dessus, je voudrais vous dire une chose. Vous m'avez parlé de deux choses et je voudrais les lier. Les Verts, les paysans.

Je pense que la grande chose, c'est la réconciliation des Verts, des paysans, des chasseurs. Ceux qui s'occupent de la nature.

Olivier Mazerolle : On en n'est pas là !

Claude Allègre : On en n'est pas là, mais je crois que c'est là une grande tâche. Réussir à faire parler. Parce qu'un paysan ça entretient la nature. Un paysan il n'est pas content de mettre de nitrates en grande quantité. Simplement, il dit : mettons-nous autre chose.

Moi, j'ai demandé à l'Institut de Recherche Agronomique, qui dépend de Jean Glavany et de moi-même, de pousser les recherches, y compris en utilisant les OGM, d'une agriculture propre. D'une agriculture qui utilise moins d'eau, qui utilise moins de nitrate, etc. Et on peut le faire. On peut le faire. Mais les chasseurs… Moi, je ne suis pas chasseur, mais je suis d'une famille de chasseurs. Les chasseurs, ils se préoccupent de la forêt, ils se préoccupent de la campagne. Ils aiment la nature. C'est faux d'opposer.

Olivier Mazerolle : Attendez. Là, c'est peut-être le scientifique qui parle. Je vous en fait le crédit, bien entendu. Mais il y a l'homme politique, là aussi. Vous n'êtes pas en train de faire une cuisine électorale. En train de vous dire : « oh, là, là, les chasseurs, ils vont nous piquer des voix s'ils ne sont pas avec nous ».

Claude Allègre : Avant d'être ministre, j'ai écrit des livres. J'écrivais ça. Quand j'étais président du groupe des experts du parti socialiste, nous avons fait un colloque qui s'appelait : « gérer la planète ». Et nous disions ça. Je crois que c'est naturel. Je crois simplement qu'il ne faudrait pas, si vous voulez, que l'écologie, ça soit des citadins donnant des leçons à ceux qui vivent à la campagne.

Olivier Mazerolle : Alors, sur cette gauche telle que l'a définie Lionel Jospin et question de Patrick Jarreau.

Patrick Jarreau : Est-ce que le propos qui était celui de Lionel Jospin la semaine dernière à La Rochelle sur ce qu'il a appelé une nouvelle alliance, est-ce que c'est au fond, un peu comme chez les Allemands, les sociaux-démocrates de Schroeder ou chez les travaillistes de Blair, est-ce que c'est au fond la rupture avec une longue tradition de la sociale démocratie, de la gauche européenne qui s'intéressait avant tout aux classes populaires. Est-ce que c'est comme Blair, comme Schroeder, une manière de dire, bien la gauche c'est aussi bon pour les classes moyennes, pour ceux qui aspirent à s'enrichir et à payer moins d'impôts.

Claude Allègre : Alors, il y a deux sujets. Le premier sujet, comme vous le savez, je ne suis pas très loin de Lionel Jospin depuis des années, je pourrai vous retrouver des discours du premier secrétaire du parti socialiste, où il martelait le fait que les classes moyennes devaient être intégrées dans les objectifs de rassemblement socialiste. Donc, ce n'est pas une idée qui est nouvelle pour lui. Aujourd'hui, on en parle, mais il a toujours pensé ça. Je peux vous le dire, toujours, toujours. Ça fait partie de la manière dont il envisage la politique, de l'équilibre nécessaire qu'il y a et le fait que les classes moyennes sont des classes qui ne sont pas traitées, qui ne peuvent pas être assimilées aux classes riches. Donc, là il n'y a pas de nouveautés.

Le problème des impôts est différent. Je voudrais m'y attarder 30 secondes. La moitié des français ne payent pas d'impôts sur le revenu. Première donnée. Deuxième donnée, les impôts d'État, depuis dix ans, n'ont pas augmenté. Ce qui a augmenté, c'est deux choses. C'est les prélèvements obligatoires sur les prestations sociales et c'est les impôts locaux. C'est les deux choses qui ont augmenté. Donc, quand on parle d'augmentation d'impôts, tout le monde voit l'impôt sur le revenu. Mais, moi je crois qu'il faut contrôler les prélèvements obligatoires et là par contre, si on pouvait les descendre, ça serait bien. Je pense qu'il faut limiter les impôts locaux et il y a un certain nombre de dépenses somptuaires ici ou là qui sont peut-être pas nécessaires.

Anita Hausser : Mais il y a aussi les transferts de dépenses de l'État vers les collectivités locales. Donc, c'est assez facile de dire que les impôts…

Claude Allègre : Non, je ne dis pas que c'est facile. Je dis, que l'État. Pas seulement nous. Là, je vous parle franchement. L'État précédent fait attention dans le budget de l'État, beaucoup depuis des années sur ce problème. Mais les prélèvements sociaux augmentent. Et c'est là-dessus je crois qu'il faut faire un effort. Maintenant, si vous me demandez mon choix personnel, moi je suis favorable à la réduction des TVA ciblées. Des TVA sur certains objets. Malheureusement, comme vous le savez, nous avons un grand problème maintenant, c'est que Bruxelles regarde ces problèmes de TVA et qu'on ne peut pas faire n'importe quoi. Par exemple, moi j'aurai été partisan qu'on baisse la TVA sur les achats de chaussures de sport, de disques…

Anita Hausser : Sur la restauration aussi ?

Claude Allègre : Oui sur la restauration aussi, je suis plutôt partisan.

Patrick Jarreau : Ce ne sont pas les classes populaires qui vont le plus au restaurant quand même.

Claude Allègre : Mais pas seulement le restaurant. Quand, Madame faisait allusion surtout sur les taxations sur les bistrots essentiellement, c'est ça qu'il y a généralement derrière. Ça n'est pas les restaurants.

Olivier Mazerolle : Anita Hausser défend les bistrots, oui.

Anita Hausser : Parfaitement, j'assume.

Olivier Mazerolle : Dites-moi quand même. Il y a quand même, beaucoup font l'observation suivante. Vous vous êtes lancé dans des privatisations. On dit « ouverture de capital ». Mais enfin bon, privatisations. Là, récemment, il y a eu une guerre bancaire en France sans que l'État puisse intervenir en quoi que ce soit. C'est le marché qui a réglé le problème. Maintenant, on parle d'une diminution des impôts directs. Alors, qu'est-ce qui différencie la gauche de la droite en France ?

Claude Allègre : Vous voulez que je vous dise ce qui différencie ?

Olivier Mazerolle : Bien oui.

Claude Allègre : Alors, la Gauche, il y a un principe numéro un, c'est que la Gauche recherche l'équilibre de l'individu dans la société par des interventions de régulations. La Gauche, c'est la régulation. Régulation par l'État et régulation internationale. La Droite elle pense, la Droite elle fait ce qu'on appelle de la physique statistique. Elle pense que la société est une résultante de comportements individuels. Et qu'il n'y a pas besoin de régulation et que par conséquent, s'il y a des différences entre individus, c'est parce que telle ou telle raison, sans avoir à les compenser. Donc, la philosophie de la droite et de la gauche est fondamentalement différente.

Patrick Jarreau : L'évolution de la Droite. La semaine dernière justement, on a entendu François Bayrou, par exemple, dire : « comment se fait-il – comme l'avait dit d'ailleurs Jean-Pierre Chevènement – comment se fait-il que l'État ne se soit pas occupé de l'affaire BNP - Société Générale ? » On entend du côté de Charles Pasqua des gens qui disent : « mais comment se fait-il que l'État ne se mêle pas plus de défendre l'intérêt national » ?

Claude Allègre : Attendez, c'est intéressant que ça soit ceux-là qui défendent ça, parce que c'est eux qui ont établi les mécanismes par lesquels on ne peut pas intervenir. Donc, moi je constate quand même… Non, j'allais dire quelque chose qui n'est même pas vrai. J'allais dire : ils ont plus d'idées quand ils sont dans l'opposition qu'au Gouvernement. Non, ils n'ont pas d'idées non plus, puisque comme ils n'ont pas d'idées, on ne parle que de la Gauche.

Ils font des remarques par rapport à ça. C'est eux qui ont établi les règles du jeu.

Patrick Jarreau : Mais vous avez le droit de les changer. Vous avez une majorité à l'Assemblée nationale.

Claude Allègre : Attendez, on ne peut pas les changer à chaud. On n'allait pas brutalement… Imaginez quand même une chose. Imaginez Dominique Strauss-Kahn disant : « voilà, il y a une commission de régulation mise en place par la Droite. C'est fini. Je la dissous, au milieu de l'opération et c'est moi, Dominique Strauss-Kahn qui décide ». Non, non. En plus de ça, il y avait quand même un élément qui pour nous, socialistes, est important, qui était que le personnel de la Société Générale n'était pas favorable à cette opération et par conséquent, les antagonismes étaient tels, que c'était très difficile… Moi, je crois que le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie a fait ce qu'il pouvait, en respectant les règles du jeu. Mais, M. Mazerolle nous ne faisons des privatisations que lorsque l'intérêt national est en jeu.

Olivier Mazerolle : Pragmatique, donc ! Oui, mais l'idéologie ?

Claude Allègre : Non, ce n'est pas vrai. Qu'est-ce que c'est la science ? La science c'est la théorie de l'expérience. C'est un va et vient entre les deux. Et bien, c'est ce que nous essayons de faire. C'est une attitude scientifique.

Olivier Mazerolle : Il nous reste une minute trente. Anita Hausser voudrait vous parler de la Corse qui reçoit le Premier ministre demain.

Anita Hausser : Donc, M. Jospin va en Corse demain.

Claude Allègre : J'y étais au mois de juin.

Anita Hausser : Oui, mais il n'emmène pas le ministre de l'Intérieur. C'est une première dans l'histoire des voyages de Premier ministre.

Claude Allègre : Je crois qu'il n'y a pas de signification à donner à cela. Mais je crois que la démarche du Gouvernement sur la Corse est claire. Première étape : rétablir l'État de droit. Deuxième étape : développer la Corse. C'est pourquoi, moi j'y étais. C'est pourquoi Christian Sauter y a été 15 jours après. Dominique Strauss-Kahn ira. Nous voulons faire une politique qui est complète. Et le Premier ministre entre ces deux séries de voyages, y va pour redonner un équilibre en ces deux choses. Je crois qu'il le fait dans ce cadre avec ce double souci d'équilibre. Et il n'y a pas de signification plus spéciale.
 
Anita Hausser : Il n'y a pas de désaveu.

Olivier Mazerolle : Allez, une dernière question. Vous allez souvent à Aubagne, c'est tout près de Marseille. Alors, certains se sont dit : « ah tient, pourquoi Claude Allègre ne serait-il pas le candidat à la mairie de Marseille, pour les municipales » ?

Claude Allègre : Je ne vais pas à Aubagne, je vais dans une commune qui s'appelle Allau où ma femme à une maison depuis des années et des années. Si j'avais voulu être candidat à la mairie de Marseille, je l'aurais fait depuis au moins 15 ans. Et alors, maintenant, il y a des journées qui l'ont annoncé et d'autres qui critiquent cette annonce. C'est assez extraordinaire.

Olivier Mazerolle : Et en fait c'est faux.

Claude Allègre : Je ne suis pas candidat à la mairie de Marseille.

Olivier Mazerolle : Merci Monsieur Allègre. C'était votre grand jury. La semaine prochaine, nous serons à Alger, pour une interview du président algérien, Monsieur Bouteflika. Bonne soirée à tous.