Texte intégral
22 octobre 1997
Dopage : Marie-George Buffet saisit la justice.
A l’issue de contrôles anti-dopage révélant la présence de substances prohibées chez les sportifs, je réaffirme, sans anticiper sur le résultat des procédures en cours, ma volonté de lutter avec une grande fermeté contre le dopage.
Face à la multiplication des cas et aux profondes inquiétudes qu’ils soulèvent, tant dans le milieu sportif que l’opinion publique, j’ai demandé que l’on engage des poursuites pour établir toutes les responsabilités dans la provenance et la vente des substances interdites.
Dès mon entrée en fonction, j’ai insisté auprès des fédérations sportives sur l’impérieuse nécessité de lutter contre ce fléau qui porte atteinte à l’intégrité physique des sportifs et à l’éthique du sport.
Lors de l’élaboration du budget 1998, j’ai décidé d’inscrire en mesure nouvelle le doublement des crédits consacrés à cette lutte.
En plein accord avec le Comité National Olympique et Sportif Français, j’invite enfin l’ensemble du mouvement sportif à réagir et à se mobiliser.
Le Monde le 6 novembre 1997
Le Monde : Pour se défendre, Cyrille Pouget, le footballeur du Havre convaincu de dopage à la nandrolone, a choisi de faire répertorier tous les vices de procédure commis au cours de la contre-expertise qu’il avait lui-même demandée…
Marie-George Buffet : Cyrille Pouget est parfaitement habilité à se défendre et à utiliser tous les moyens légaux à sa disposition. Mais cela ne doit pas cacher la réalité du fléau du dopage. Maintenant, dans ce cas précis, il est regrettable qu’une erreur de procédure ait été commise par le médecin contrôleur, comme il est déplorable que l’anonymat et la présomption d’innocence n’aient pas été respectés pour tous les sportifs contrôlés.
Le Monde : Vous pensez que la publication du nom des sportifs suspectés de dopage a nui au travail des autorités concernées…
Marie-George Buffet : Bien sûr. Le secret de l’instruction permet de poursuivre les procédures dans la sérénité, de sanctionner si nécessaire hors de toute pression et d’engager d’éventuelles poursuites judiciaires contre les fournisseurs des produits avec efficacité. Le fait que des noms sortent contribue à personnaliser ces affaires : on a l’impression qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes concernées par le dopage, alors que le fléau est largement répandu et ne touche pas seulement le haut niveau.
Le Monde : Quelle solution préconisez-vous ?
Marie-George Buffet : Il faut revoir la procédure et, notamment, raccourcir les délais entre l’analyse et la contre-expertise. Notre projet de loi prévoit aussi la création d’une autorité indépendante, imperméable aux pressions, qui recevra toutes les informations et les transmettra aux seules parties concernées. C’est ainsi que nous éviterons la remise en cause de la présomption d’innocence et du bon renouvellement des procédures.
Le Monde : Comment ressentez-vous l’attitude des fédérations, qui condamnent le dopage en général mais argumentent à l’infini pour défendre leurs sportifs contrôlés positifs ?
Marie-George Buffet : Il ne faut pas exagérer. Les affaires récentes ont conduit les fédérations à se positionner correctement, pour ce qui concerne tant les sanctions que la prévention. Le Comité national olympique a réagi très rapidement en annonçant le contrôle systématique de tous les athlètes retenus pour les Jeux olympiques de Nagano et de Sydney, ainsi que la création d’une Agence de la prévention.
Le Monde : Le contrôles préventifs ont toujours existé, mais ils étaient pratiqués pour éviter un test positif officiel et pas pour démasquer les tricheurs…
Marie-George Buffet : Nous devons changer la philosophie des contrôles préventifs inopinés : il s’agit maintenant d’en faire des éléments de surveillance de la santé du sportif et non pas une arme à étouffer les scandales. Le suivi médical de l’athlète doit être la priorité car c’est l’être humain qui est au centre de nos préoccupations.
Le Monde : Pour cela, il faudrait également assainir l'entourage des sportifs. Croyez-vous à l’existence de filières d’approvisionnement en produits interdits ?
Marie-George Buffet : On ne me fera pas croire à l’histoire du champion allant à la pharmacie acheter des produits interdits avec une ordonnance. Les anabolisants, en l’occurrence la nandrolone, viennent bien de quelque part. Oui, il y a des filières. Les gens qui fournissent les produits interdits tombent sous le coup de la loi. Nous avons saisi Madame le garde des sceaux dans le cadre des affaires en cours. Au parquet de décider. Quant au problème de l’entourage, il se réglera par le renforcement de notre politique de prévention.
Le Monde : Comment avez-vous réagi lorsque certains ont avancé la possibilité d’un dopage involontaire par consommation de barres ou de boissons énergétiques ?
Marie-George Buffet : J’ai été choquée. Il y a eu beaucoup d’irresponsabilité dans ces propos. On peut quand même attendre autre chose de la part de gens qui sont aussi des éducateurs sportifs.
Le Monde : N’avez-vous pas eu l’impression de vous trouver en face d’une famille très unie, prêt à défendre les siens à tout prix ?
Marie-George Buffet : Non, on ne peut pas dire que le mouvement sportif soit complice. Je ressens plutôt beaucoup d’inquiétude et une volonté de s’emparer du problème. Il y a eu des dérapages, des mots pas contrôlés, mais la volonté de lutte est là.
Le Monde : Pour plus d’efficacité ne vaudrait-il pas mieux intégrer la lutte antidopage au programme de santé publique ?
Marie-George Buffet : C’est déjà un problème de santé publique. Mais il y a une spécificité du sport, et le ministre de tutelle a le devoir d’agir. On doit garder un sens à tout ça : la rencontre, le partage, la compétition collective… Si, dans la pratique, on doit aboutir à la surcompétition, à la tricherie et à la violence, ce n'est pas la peine. Le sport a une mission de service public. Une mission civique, sociale. Nous avons donc une responsabilité propre. C’est un mouvement sportif de traite le problème. Notre projet de loi répond à un souci d’efficacité et notre budget prévoit le doublement des crédits affecté à la lutte antidopage.
Le Monde : Vous avez, paraît-il, sensibilisé les dirigeants fédéraux de manière très énergique…
Marie-George Buffet : Dès mon arrivée au ministère, bien avant la vague de contrôles positifs, on m’a communiqué des chiffres éloquents sur le dopage, mais ce qui m’a le plus secouée, ce sont les réunions avec des dirigeants de club, qui ont évoqué devant moi l’existence de mélanges médicamenteux donnés à de jeunes sportifs dans le but d’améliorer leurs performances. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas laisser banaliser ce genre de pratique.
Le Monde : Y-a-t-il un sport plus touché que les autres ?
Marie-George Buffet : Il y a quelques mois, je vous aurais répondu oui. Mais plus j’avance, plus je me dis que ce n’est pas si simple. Il y a un phénomène général de surcompétition, lié soit aux retransmissions médiatiques, soit à des contrats. Des présidents de fédération le reconnaissent : il y a plus de blessés dans certains sports aujourd’hui. Le corps ne supporte plus le niveau réclamé. Dans ces cas-là, les athlètes sont fragilisés, la tentation existe… Lorsque des enjeux financiers prennent le pas sur des motivations sportives, l’obligation de résultat à n’importe quel prix est une incitation au dopage.
Le Monde : L’allègement des calendriers est-il, selon vous, une des parades au dopage ?
Marie-George Buffet : La multiplication et l’enchaînement des compétitions posent problème, c’est sûr. Doit-on laisser les sportifs mettre leur avenir en péril au nom du seul intérêt financier, le leur et celui des gens qui font des affaires grâce à eux ?
Le Monde : En intensifiant la lutte contre le dopage, ne prenez-vous pas le risque de voir des pays moins regardants rafler les médailles, et de réduire ainsi les chances des athlètes français ?
Marie-George Buffet : D'abord, je ne crois pas que tous les médaillés soient des dopés. Les médailles, c'est important, mais on ne peut les obtenir contre la santé physique et morale des individus que sont avant tout les sportifs. Nous devons absolument demander une harmonisation des politiques européennes en a matière. Sinon, nous nous retrouverons rapidement dans une situation de concurrence déloyale.